La projection, dans son sens psychanalytique, est l'opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l'autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des objets, qu'il méconnaît ou refuse en lui. Il s'agit-là d'une défense d'origine très archaïque et qu'on retrouve à l'oeuvre particulièrement dans la paranoïa mais aussi dans des modes de pensée "normaux" comme la superstition (LAPLANCHE et PONTALIS).
Sigmund FREUD la découvre d'abord dans la paranoïa (Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense, 1896).
Il insiste ensuite à plusieurs reprises sur le caractère "normal" d'une telle opération et ne l'invoque que rarement à propos de la situation analytique. Par contre, dans la métapsychanalyse, la projection constitue un élément dans la conception de la pulsion. Il fait jouer un rôle essentiel à la projection, couplée avec l'introjection, dans la genèse de l'opposition sujet (moi)-objet. "... Le sujet prend dans son moi les objets qui se présentent à lui en tant qu'ils sont source de plaisir, il les introjecte (FERENCZI) et, d'autre part, il expulse de lui ce qui dans son propre intérieur est occasion de déplaisir (mécanisme de la projection)". Ce processus d'introjection et de projection s'exprime dans le langage de la pulsion orale, par l'opposition ingérer-rejeter. c'est là l'étape de ce que Freud a nommé le moi-plaisir-purifié. Les auteurs qui envisagent cette conception freudienne dans une perspective chronologique se demandent si le mouvement projection-introjection présuppose la différenciation du dedans et du dehors ou si elle constitue celle-ci. C'est ainsi qu'Anna FREUD écrit : "Nous pensons que l'introjection et la projection apparaissent à l'époque qui suit la différenciation du moi d'avec le monde extérieur.". Elle s'oppose ainsi à l'école de Mélanie KLEIN qui a mis au premier plan la dialectique de l'introjection-projection du "bon" et du "mauvais" objet, et y a vu le fondement même de la différenciation intérieur-extérieur."
Les auteurs du Vocabulaire de la psychanalyse estiment que cette conception laisse "en suspens une série de questions fondamentales pour lesquelles on ne trouverait pas chez lui de réponse univoque". il en est ainsi de la difficulté qui concerne ce qui est projeté, de sa conception même de la paranoïa... C'est une différence dans la conception même de la paranoïa qui permet aux auteurs d'écrire que deux acceptions de la projection se dégagent :
- le sujet envoie au-dehors l'image de ce qui existe en lui de façon inconsciente. Ici la projection serait comme un mode de méconnaissance, avec, en contrepartie, la connaissance en autrui de ce qui, précisément, est méconnu dans le sujet ;
- le sujet jette hors de lui ce dont il ne veut pas et le retrouve ensuite dans le monde extérieur. Ici, la projection se définirait non dans "ne pas vouloir connaître", mais dans "ne pas vouloir être".
La première perspective ramène la projection à une illusion, la seconde l'enracine dans une bipartition originaire du sujet et du monde extérieur (Forclusion).
Dans le transfert au cours de la cure psychanalytique comme dans la vie courante, la projection est très liée au processus d'identification.
Roger PERRON insiste sur les deux mécanismes bien distincts de projection, l'un correspond à une projection "normale", l'autre à une projection pathologique. La projection normale est décrite par Sigmund FREUD dans Totem et Tabou (1912), et elle est constitutive de la perception elle-même et de la construction du réel. La projection pathologique, mentionnée à plusieurs reprises dans Pulsions et Destins des pulsions (1915), se déroule quand le processus s'emballe et aboutit à une construction du réel si distordue que le fonctionnement psychique devient phobique ou paranoïaque. La notion de projection "est de celle qui, après Freud, ont suscité d'intéressantes élaborations, en particulier dans l'école anglaise chez Mélanie KLEIN et ses successeurs, avec la notion connexe d'identification projective. Wilfred BION, en particulier a distingué une identification projective excessive, au service du principe du plaisir, et qui correspond pour l'essentiel à ce qu'en décrivait Mélanie KLEIN, et une identification projective réaliste, mode de communication primitif au service du principe de réalité."
Par ailleurs, nous rapporte Christian GAILLARD, JUNG définit la projection "comme une première représentation objectivée des contenus inconscients au-delà des états dits de "participation mystique" et "d'identité archaïque", et il montre comment on peut être amené à en déjouer les leurres tout en faisant là l'expérience de la vie symbolique". Il s'agit là d'une notion importante de la psychologie analytique, qui fait le lien entre la vie intérieure de l'individu et les schémas intérieurs de tous les individus de l'espèce humaine.
Les auteurs de Les mécanismes de défense, quant à eux, définissent la projection comme l'"opération par laquelle le sujet expulse dans le monde extérieur des pensées, affects, désirs qu'il méconnaît ou refuse en lui et qu'il attribue à d'autres, personnes ou choses de son environnement."
Cette opération d'expulsion, "relève avant tout d'une mise en oeuvre défensive, qui soulage le moi d'un déplaisir et se manifeste dans bien des modes de pensée ou de fonctionnement non pathologiques." Ils se réfèrent aux études de Didier ANZIEU (1961/1970) et de Serge LEBOVICI (1992) sur les processus d'investigation de la personnalité.
Dans leur discussion sur les relations entre la projection et d'autres mécanismes de défense, ils citent le refoulement et l'introjection. Daniel WIDLOCHER (1971-1972) pense, au sujet de la construction du réel par le moi, à la "projection identificatoire". Ils avancent que "toute la pratique thérapeutique d'inspiration psychanalytique portant sur l'adulte ou sur l'enfant, le névrosé ou le psychotique, s'étaye sur ce processus de projection". Avec d'autres depuis, Françoise DOLTO (1949), Gisèle PANKOW (1969), Margaret MALHER (1968), Frances TUSTIN (1972), Harold SEARLES (1965), Anna FREUD (1963/1993) affirme que ce processus de projection sert à établir d'importants liens positifs. Le transfert en particulier repose (...) sur cette potentialité projective puisqu'il est la reproduction du vécu infantile réveillé pour être remanié dans la cure." Ainsi, poursuivent-ils, "le transfert comme le rêve s'inscrivent dans la tendance primordiale à ramener le présent au passé, le dedans au dehors, le sujet et l'objet. "C'est le retour triomphant du même, la projection, à l'instar du transfert, est régies par l'automatisme de répétition (Mahmoud SAMI-ALI, 1970). Elle peut donc servir de révélateur (Loïck VILLERBU, 1993) comme de levier thérapeutique. Après tout, projeter, c'est aussi se projeter en avant et faire des projets."
Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET, Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003. Roger PERRON, article projection, et Christian GAILLARD, article Projection et "participation mystique" (psychologie analytique), dans Dictionnaire international de psychanalyse, Hachette littératures, 2002. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976.
Relu le 28 décembre 2019