La tradition freudienne désigne par Formation réactionnelle l'attitude ou l'habitus psychologique de sens opposé à un désir refoulé, et constitué en réaction contre celui-ci (par exemple la pudeur s'opposant à des tendances exhibitionnistes). En termes économiques, la formation réactionnelle est un contre-investissement d'un élément conscient, de force égale et de direction opposée à l'investissement inconscient. Les formations réactionnelles peuvent être très localisées et se manifester par un comportement particulier, ou généralisées jusqu'à constituer des traits de caractère plus ou moins intégrés à l'ensemble de la personnalité. Du point de vue clinique, les formations réactionnelles prennent valeur symptomatiques dans ce qu'elles offrent de rigide, de forcé, de compulsionnel, par leurs échecs accidentels, par le fait qu'elles aboutissent parfois directement à un résultat opposé à celui qui est consciemment visé. (LAPLANCHE et PONTALIS).
C'est dans les Trois essais sur la théorie sexuelle de 1905 que Sigmund FREUD donne à la formation réactionnelle une signification générale. Il la considère comme une voie vers la sublimation, avec la différence (avec cette sublimation) que la formation réactionnelle ne change pas seulement de but (satisfaction "culturelle" contre satisfaction directe des pulsions), mais choisit le but directement opposé au but originel. Cette formation réactionnelle, de plus, ne réussit pas complètement ce détournement de but.
Michèle BERTRAND insiste beaucoup sur le versant généralisé de la formation réactionnelle : "la formation réactionnelle peut aussi devenir un trait de caractère permanent et sa signification est alors plus générale : elle n'est pas seulement le symptôme d'une pathologie particulière (qui peut être anodin et courant), mais l'un des processus sociaux en acquérant, comme trait de caractère permanent, des "vertus" qui vont à l'encontre de nos buts sexuels.". Ce que nous nommons, caractère, écrit Sigmund FREUD, "est en grande partie construit avec un matériel d'excitations sexuelles et se compose de pulsions fixées depuis l'enfance, de constructions acquises et d'autres constructions destinées à réprimer les mouvements pervers qui ont été reconnus non utilisables. Il est ainsi permis de dire que la disposition sexuelle de l'enfant crée, par formation réactionnelle, un grand nombre de nos vertus". C'est cette voie de recherche que suit ensuite Wilhelm REICH dans sa notion de "cuirasse caractérielle".
Dans Les Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, publié en 1915, Sigmund FREUD montre que l'altruisme peut avoir pour origine l'égoïsme, et la compassion la cruauté. Des motifs "nobles" peuvent avoir le même effet que des motifs "non nobles". Il explique comment nombre de circonstances, dont la guerre, peuvent révéler cette transformation : la formation réactionnelle est fragile, et la pulsion refoulée peut faire un retour éclatant dans des actes de barbarie. (Michèle BERTRAND).
Pour les rédacteurs de Vocabulaire de la psychanalyse, le terme de formation réactionnelle invite "à un rapprochement avec d'autres modes de formation de symptôme : formation substitutive et formation de compromis. Alors que dans la formation de compromis, nous pouvons toujours retrouver la satisfaction du désir refoulé conjuguée à l'action de la défense (dans l'obsession par exemple), dans la formation substitutive n'apparaît que l'opposition à la pulsion.
Pour les rédacteurs de Les mécanismes de défense, la formation réactionnelle est la transformation du caractère permettant une économie du refoulement, puisqu'à des tendances inacceptables sont substituées des tendances opposées, qui deviennent permanentes. Ils insistent donc, encore plus que Michèle BERTRAND, sur l'aspect structurel de la formation réactionnelle sur la personnalité. Les formations réactionnelles citées par Sigmund Freud, indiquent-ils, ont un point commun : être valorisées par la société, ce que relève Jean BERGERET (1972/1986).
Les auteurs s'attardent sur ce qui distingue un trait de caractère dû à ce mécanisme de défense d'un trait de caractère spontané. Ils dégagent trois particularités qui, selon eux, "permettent de distinguer les traits de caractère spontanés des traits réactionnels" :
- L'exagération et la rigidité du trait de caractère (manière d'être stéréotypée, selon Roger MUCCHIELLI (1981) ;
- La propension des instincts inhibés à réapparaître (Pierre JANET, 1903/1976) ;
- L'expression des pulsions instinctives refoulées peuvent s'exprimer indirectement : "un homme rigide et puritain, qui refoule ses désirs sexuels manifestera un intérêt prétendument désintéressé pour la lutte contre la prostitution et la pornographie" (citation savoureuse, sauf erreur, de Sylvie FAURE-PRAGIER, 1973).
Il est entendu que la distinction entre sublimation et formation réactionnelle n'est pas facile à faire, et nous avons tendance à penser que cela dépend beaucoup de l'environnement social (de sa perception par l'individu et de la perception de l'individu par cet environnement)... Une société qui favorise l'autorité aura sans doute tendance, selon nous, à ne pas considérer certains formations réactionnelles conduisant à une propreté rigoureuse, à une discipline constante, à un respect de la hiérarchie, comme pathologique, même si dans d'autres contextes, les observateurs peuvent juger exagérés ces types de comportement.
C'est lorsqu'elle est rigide, selon les auteurs de Les mécanismes de défense, que la formation réactionnelle peut être très invalidante. Dans la névrose obsessionnelles par exemple. C'est le cas, dans la "cuirasse du Moi" , particulièrement étudiée par Wilhelm REICH.
Steve ABADIE-ROSIER regroupe les formations réactionnelles, en tant que mécanismes de défense où le sujet réagit avec son matériel inconscient présent dans la cure, comme des attitudes psychologiques symboliquement opposées à un désir refoulé, qui naissent en réaction propre à ce simple désir. "La formation réactionnelle peut ainsi se définir par un contre-investissement d'un élément conscient de force égale et opposable à l'investissement inconscient. Sa topographie, focalisée en un point unique ou généralisée à la globalité de l'être, pourra faire évoluer les traits de caractère, quel que soit leur degré d'intégration à l'ensemble de la personnalité de l'individu." Le psychanalyste clinicien prend comme exemple la propreté. "La propreté peut s'opposer à des tendances scatologiques. Le psychanalyste autrichien Otto Fenichel décrit le cas d'un homme qui, enfant, trouvait sa mère à ce point dégoutante qu'il répugnait à la toucher, bien qu'elle fût une fort agréable personne. Cette peur incestueuse refoulée s'exprimait entre autres, à l'âge adulte, par un sens pathologique de la propreté."
Serban INONESCU, Marie-Madeleine JACQUET, Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003. Michèle BERTRAND, article La formation réactionnelle, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2002. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Les Neurones Moteurs, 2009.
PSYCHUS
Complété le 7 avril 2015.
Relu le 26 novembre 2019