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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 10:03

           Le drone, avion sans pilote pouvant effectuer plusieurs types de mission, commence à entrer de manière importante dans la capacité opérationnelle des armées. La dynamique de son développement date déjà de la guerre du Vietnam dans les années 1960, mais elle connaît une accélération depuis ces dernières années. Son utilisation intensive par Israël (tout autour de son territoire, comme lors du conflit du Liban dès les années 1980) et les États-Unis (sur les théâtres irakien et afghan) pousse d'autres pays (au Moyen-Orient, mais aussi en Europe) à se doter d'un outil industriel et d'une stratégie, prélude à une autre course aux armements. 

 

Déjà des matériels très divers....

           Il n'existe pas de classification des systèmes de drone à l'heure actuelle, mais plusieurs catégories commencent à se dessiner, au fur et à mesure de sa fabrication et de son déploiement, suivant leurs capacités aériennes (hauteur d'altitude, endurance), leurs capacités d'emport (armes et munitions, système électronique de détection...) et de leurs tailles (drone tactiques, mini-drones, micro-drone d'aide au fantassin ou au petit groupe de combat). Il s'agit en tout cas d'un marché émergeant à forts enjeux politiques et industriels. Regroupant encore peu d'acteurs, l'univers des drones est nettement dominé par les industriels israéliens et américains (IAI, Albit, Aeronautics, General Atomics, Boeing, Northrop Grumman et Aerovironement). Leurs utilisations peuvent être de plus mixtes, civiles et militaires, et leur coût est compétitif, comparé à ceux des avions pilotés par des humains. On estime par exemple (état-major français des armées) que le coût d'un avion de combat varie entre 8 100 et 20 000 euros de l'heure de vol, celui d'un avion d'alerte avancé de 37 000 à 40 000 euros d'heure de vol, tandis que celui d'un drone, de 10 000 à 15 000 euros de l'heure de vol. Mais ces chiffres sont publiés avec toutes réserves dans un environnement industriel et militaire très évolutif. 

Leur mission peuvent être de surveillance (renseignement militaire), de combat (forte tendance du moment) ou/et de transport logistique (aéro-largage, héliportage, évacuation des blessés...). 

 

L'amorce d'une nouvelle course aux armements

          Les États-Unis possèdent aujourd'hui la flotte la plus importante et son armée est la seule à disposer de tous les types de drones et en grande quantité. Ils cherchent à constituer une flotte de drones capables d'assurer simultanément plus de 50 missions permanentes.

     Si les pays européens tendent à vouloir faire un "rattrapage" technologique et de mise en opération, l'intégration des drones dans les armées soulève toutefois certaines interrogations. Ainsi le Rapport d'information de l'Assemblée Nationale qui date déjà de 2009, pointe plusieurs aspects. Sur le plan financier, la crainte de certains responsables militaires et politiques (c'est un peu une habitude dans le développement concurrentiel de systèmes d'armes nouveaux) est que l'équipement en drones se fasse au détriment d'autres programmes. "S'il est vrai que le drone est une nouvelle technologie, peut-on y lire, qui se substitue à des moyens existants, il doit permettre de les réaffecter à d'autres tâches aussi indispensables et aujourd'hui difficilement satisfaites. Il convient par conséquent de conserver la cohérence des ressources affectées aux différents programmes opérationnels. Au-delà et sur un plan plus organisationnel, les rapporteurs ont pu constater certaines divergences d'analyse sur l'autorité devant gérer les drones. En Israël, c'est la composante aérienne de Tsahal qui les déploie depuis 1999. Ils représentent actuellement 30% de son activité. Aux États-Unis, chaque armée dispose de son propre parc et le met en oeuvre, ce qui fait l'objet d'un vif débat, les Américains recherchant plus de flexibilité pour optimiser les moyens. En France comme au Royaume-Uni, l'armée de terre opère les drones tactiques, l'armée de l'air les drones MALE, comme à l'avenir la marine opérera les siens. Cette répartition fonctionne bien aujourd'hui même si elle n'est pas immuable. En revanche, les rapporteurs considèrent que le service industriel de l'aéronautique (SIAé) devrait être en charge de la maintenance de l'ensemble des systèmes de drones, y compris tactiques, en cohérence avec l'effort de mutualisation du soutien engagé dans le cadre de la réforme du ministère de la défense. Enfin, et sur le plan de la doctrine, l'arrivée encore récente des drones dans les forces pose un certain nombre de questions sur l'organisation de la boucle décisionnelle et la répartition des responsabilités". Ces remarques n'empêchent pas les rapporteurs de plaider pour une stratégie française en matière de drones : "L'État a la double responsabilité d'équiper au mieux nos armées et de soutenir notre tissu industriel. S'agissant des drones, il doit à la fois fixer les besoins étatiques et favoriser le développement de compétences industrielles pour les satisfaire." En conclusion, ils sont favorables, refusant un "simple achat sur étagères", avec toutes ses conséquences, "à toute solution de coopération, si elle s'appuie sur la mobilisation de nos domaines d'excellence. De ce point de vue, la dimension européenne est bien entendu majeure et structurante pour l'avenir."

 

L'avenir de la composante non pilotée de la flotte aérienne

        La mesure d'une utilisation de plus en plus grande des drones militaires, appelés UCAV (Unmanned Combat Aerial Vehicle) jusqu'à devenir éléments à part entière de l'aviation de chasse à l'horizon 2030 est bien prise par de nombreux personnels et analystes, voire stratégistes... Pour eux, "malgré les réticences longtemps affichée par les pilotes, il ne s'agit là que d'une évolution logique, d'un changement prévisible autorisé par les constantes améliorations techniques permettant en particulier de ne plus risquer systématiquement la vie du combattant et de s'affranchir des limites physiologiques humaines. A moyen terme, il conviendra donc de gérer la cohabitation de l'UCAV avec l'avion habité, sans chercher à opposer l'un à l'autre. La question n'est donc plus d'être pour ou contre mais plutôt de préparer cette arrivée en anticipant les défis qu'elle annonce pour mieux les relever." Les convictions des auteurs (Revue Défense Nationale), pilotes de chasse, médecin et ergonome, ingénieur architecte système et ingénieur études prospectives, de ces lignes peuvent être (selon eux-mêmes) résumées en 8 points :

- L'homme est et restera au centre du combat aéronautique ;

- Seul l'homme est en mesure d'apporter la flexibilité nécessaire à la conduite d'un système complexe ;

- La prise en compte du facteur humain dans la conception d'un système, quel qu'il soit, reste fondamentale ;

- Quel que soit le cadre d'emploi, quel que soit le système utilisé, quel que soit le niveau d'engagement, l'homme doit pouvoir intervenir en permanence dans la boucle de décision;

- Plus un conflit gagne en intensité, plus la complexité et le temps de la manoeuvre exigent une très grande autonomie dans l'action ;

- A un horizon de trente ans, l'UCAV sera un complément à l'aviation de combat et non un substitut ;

- La mise en oeuvre d'un UCAV repose sur la maîtrise de deux fonctions majeures, la conduite de la machine et la conduite de la mission : l'homme sera à terme déchargé de la fonction "conduite de la machine" mais restera incontournable dans la fonction "conduite de la mission" ;

- Du fait de son éloignement du lieu de l'action, l'opérateur d'UCAV doit bénéficier d'une préparation psychologique.

 

Le rôle futur de l'avion sans pilote manoeuvrable à distance dans les combats...

       Dans le cadre d'une réflexion sur une future guerre robotisée, Noël SHARKEY, tenant compte de l'expérience récente en Irak, en Afghanistan et dans la bande Gaza, à l'heure où plus de cinquante pays acquièrent et mettent au point cette technologie, indique qu' "il apparaît que c'est aux drones armés que pourraient bien échoir les tout premiers rôles dans les conflits futurs". "Bien que l'homme conserve encore aujourd'hui sa place dans le circuit décisionnel de toutes les opérations de ciblage létal, le rôle qu'il y joue est condamné à rapidement se réduire avec la disponibilité croissante de modes opératoires plus autonomes. Les robots autonomes actuellement en service sont incapables d'opérer une distinction entre les cibles combattantes et celles qui ne le sont pas, ne maîtrisent pas les connaissances tactiques du champ de bataille et ne sauraient raisonner convenablement ou prendre des décisions conformes au principe de proportionnalité de l'usage de la force." Il souligne le danger d'une démarche qui consisterait à s'en remettre à des expédients technologiques encore à venir, et entend examiner les implications d'une telle démarche sur le droit humanitaire international, "la notion d'impératifs militaires étant perçue comme un moyen possible de donner le feu vert au déploiement de ces armes d'emploi aveugle". 

Reprenant les déclarations telles que celles du paragraphe qui précède, il rappelle que "l'histoire regorge d'exemples de situations où l'impératif de la protection des soldats, bien plus que celui de la survie de l'Etat au bord de l'effondrement, l'a emporté sur les considérations humanitaires." 

Lisons la conclusion du professor of Artificial Intelligence and Robotics of Public Engagement à l'Université de Sheffield : "A l'issue de près d'un siècle de mise au point, le véhicule aérien sans pilote constitue peut-être aujourd'hui le matériel le plus convoité par les armées modernes à travers le monde. Les succès militaires que ces véhicules ont rencontrés dans les conflits de l'après-11 septembre a conduit à une prolifération rapide de leur technologie. Bien que les opérations de ciblage létal ne se fassent pas actuellement sans présence humaine dans la boucle décisionnelle, ce rôle jouée par l'intervenant humain est appelé à se réduire progressivement, jusqu'au jour où les opérations en autonomie complète feront partie des capacités disponibles. Les fonctions d'autonomie  seront vraisemblablement au point bien avant que les robots ne soient capables d'opérer le type de distinction entre les combattants et les non combattants que seule permet la maîtrise des connaissances tactiques du champ de bataille. Sauf à imaginer des avancées technologiques imprévisibles et qui suscitent aujourd'hui l'incrédulité, les robots ne seront pas capables de raisonner convenablement ou de prendre des décisions conformes au principe de proportionnalité. (...) Si on ne porte pas un coup d'arrêt (à leur prolifération), les drones autonomes constitueront probablement dans les futurs conflits l'outil de prédilection. Et bien que l'on entende très souvent dire que les êtres humains demeureront partie prenante du processus décisionnel lié au ciblage létal aussi longtemps que l'on ne pourra pas démontrer que les robots sont capables de se conformer au principe de discrimination, il est probable que les considérations de nécessité militaire finissent pas imposer l'abandon de cette contrainte, et ce, que les robots soient ou non en totale conformité avec le droit humanitaire international. Le leitmotiv pourrait alors se muer en "Ne vous en faites pas, car les solutions technologiques adéquates ne sont qu'une question de temps", soit à peu de choses près ce que les États-Unis ont déclaré pour justifier leur décision de ne pas signer la convention sur les armes à sous-munitions.

La prolifération résultante de robots armés soulève de nombreuses questions qui sont source d'inquiétude. Que se passera-t-il lorsqu'un affrontement armé mettra aux prises deux algorithmes complexes? (Nous rappelons ici nous-mêmes que pour l'instant l'utilisation des drones est asymétrique, drones contre non-robots...) L'utilisation des drones conduira t-elle à moins considérer la guerre comme une option de dernier recours au motif que ces derniers semblent en faire une entreprise "sans risque"? Les premiers signaux envoyés par le gouvernement américain actuel indiquent que le recours aux drones est d'ores et déjà considérés comme non-constitutif d'un acte de guerre. Quelles dangereuses jurisprudences les nombreuses opérations d'élimination ciblées actuellement par la CIA sont-elles en train de mettre en place... et à disposition d'autres pays qui disposeront un jour de technologies équivalentes? Les changements qu'il faudra apporter au droit humanitaire international dans son état actuel n'apparaissent pas encore clairement. Celui-ci répond sans conteste aux impératifs des principes de distinction et de proportionnalité. Cependant, il peut être difficile de le mettre en adéquation avec les nouvelles technologies dès lors que les modalités opérationnelles de ces technologies ne sont pas transparentes et fluctuent en permanence. Peut-être faut-il apporter au droit humanitaire international des clarifications ou des ajouts, mais il sera bien difficile de formuler ces modifications de telle sorte qu'elles restent pertinentes face aux évolutions futures. (...)".

 

Une développement en dépit des préventions et des avertissements

    En dépit de nombreuses observations en provenance de divers milieux civils et militaires, le marché des drones militaires et à applications "civiles" de maintien de l'ordre s'est considérablement développé depuis une dizaine d'années. A cette croissance exponentielle participent quelques 102 États actuellement, les États-Unis et Israël étant maintenant rejoint par la Chine dans le peloton de tête. En raison de l'étendue des potentialités et des enjeux stratégiques, comme l'écrit Océane ZUBELDIA, que comportent les appareils inhabités, ils ne cessent de se généraliser et attisent une forte concurrence. De multiples projets de construction ou d'acquisitions, isolément ou par groupe de pays, voient le jour, et n'aboutissent pas toujours. Si la mise en place industrielle et opérationnelles des drones aériens militaires, par exemple, s'est déjà réalisées dans les années 1960-2000, la recherche des capacités s'effectuent toujours, et les budgets de recherche-développements comme ceux des acquisitions d'appareils ne cessent d'augmenter.

Pour ce qui est de l'Union Européenne, après bien des projets laissés en friche au cours des années, le développement des drones militaires aériens oscille entre compétition acharnée et l'impossibilité d'aboutir à une coopération commune. En l'espace d'une quinzaine d'années, les revirements politiques se multiplient et les experts qualifient la compétition industrielle de "guerre des drones". Face à des besoins opérationnels jugés plus pressants, la France a fait le choix en 2013 de l'achat de drones américains Reaper. D'autres États européens membres de l'UE font également le choix d'acquérir leurs drones auprès de fournisseurs étrangers, essentiellement américain et israélien. A ce titre, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (avant le Brexit du 1er février 2021) vont utiliser dans les cadres des opérations extérieures des drones américains Reaper et l'Allemagne des drones israéliens Heron TP, tandis que l'Espagne fera l'acquisition de drones américains Predator B. Ces choix sont considérés comme une étape intermédiaire (mais avec quelles interopérabilités?) avant l'aboutissement potentiel du MALE européen qui fait l'objet de pourparlers sérieux depuis 2015. Ce n'est pas le seul projet (surtout pour le drone de combat nEURON, dont le premier vol d'essai remonte à 2012),  et ce n'est sans doute pas le dernier, tant les recherche-développements, notamment en matière d'intelligence artificielle, sont menées tambour battant.

C'est que, souligne encore Océane ZUBELDA, le développement de la coopération européenne en matière de drones n'est pas seulement lié à un ensemble technologique. En effet, ces systèmes inhabités, comme on a tendance actuellement à les nommés, comportent des enjeux à bien d'autres niveaux : stratégique (souveraineté nationale), opérationnel (capacité militaire), économique (base industrielle technologique de défense, BITO), financier (fixation d'un budget) et juridique (intégration dans la circulation aérienne générale). A cela s'ajoutent les défis politique et institutionnel qui pourraient faire basculer l'équilibre européen...

 

Noël SHARKEY, L'avenir de la guerre par drones interposés (traduction Florent LOUVET), dans La guerre robotisée, Sous la direction de Didier DANET, Jean-Paul HANON, Gérard de BOISBOISSEL, Economica, 2012. Luc PENET, William GUESSARD, Gilles PERRONE, Jean-Louis GUÉNEAU, Emmanuel VIALLE et Pierre HÉLIE, L'homme est l'avenir de l'UCAV, dans Revue Défense Nationale, Octobre 2012, n°753. Assemblée Nationale, Rapport d'information déposé par la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées sur les drones et présenté pas MM. Yves VANDEWALLLE et Jean-Claude VIOLLET, 1er décembre 2009. Océane ZUBELDIA, La France et les drones aériens militaires : vers un nouveau souffle européen, dans Diplomatie, Les grands dossiers n°59, décembre 2020-janvier 2021. Cour des comptes, rapport public annuel. "Les drones militaires aériens : une rupture stratégique mal conduite", 25 février 2020 (https/:bit.ly/3lFaa7R).

 

ARMUS

 

Relu le 18 janvier 2021. Complété le 19 janvier 2021.

 

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