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7 octobre 2009 3 07 /10 /octobre /2009 12:20
             Pour présenter le sacrifice dans le christianisme, Alain HOUZIAUX, suivant d'ailleurs la démarche du Dictionnaire Critique de Théologie et celle en général des prédicateurs chrétiens, remonte jusqu'à ceux de Caïn et Abel relatés dans la Bible. Il retrouve le sacrifice comme offrande des premiers-nés et des prémices (des moissons, des vendanges, des troupeaux), comme partie intégrante du repas offert à Dieu ou partagé entre Dieu, le prêtre et l'offrant et comme réparation pour des péchés. Il n'y a guère de différence à l'origine d'avec le Judaïsme, les chrétiens formant un courant particulier de celui-ci dans les premières communautés (Pierre GEOLTRAIN). Ce n'est que vers les années 150 à 200 que se fait le passage entre Ancien et Nouveau Testament, ce dernier n'étant fixé qu'à la fin de cette période-là.
                 Les exégètes insistent depuis la découverte des "Manuscrits de la Mer Morte" sur les ressemblances entre les pratiques des Esséniens et des futurs Chrétiens.
Deux rites prennent une grande importance à Qumrân :
- les bains de purification signifiant et mettant en oeuvre le pardon des péchés, qui prennent la suite des rites d'expiation du Judaïsme ancien, qui "annoncent" le baptême chrétien ;
- les repas communautaires où s'effectuent l'offrande et le partage de produits végétaux, préparés par le prêtre et offert à Dieu, qui anticipent  le "Repas des derniers temps", qui se tiendra dans le Royaume de Dieu et qui prennent la suite des sacrifices de communion de l'ancien Israël, et qui "annoncent" la cène eucharistique chrétien.

             Dans le christianisme, le sacrifice de Jésus-Christ récapitule en lui-même les différentes formes de sacrifice du Judaïsme.
"La destruction du Temple, lieu unique des sacrifices (...) a mis fin aux sacrifices et a rendu possible le report de leur signification sur Jésus-Christ, à la fois sacrificateur et sacrifié. Jésus-Christ est devenu simultanément et conjointement le "nouveau Temple", le Grand Prêtre et l'Agneau."
Prophète contestataire - et sans doute beaucoup plus que ce qu'en disent les Évangiles officiels et les autorités constituées depuis lors, si l'on en juge les indices des préoccupations de l'occupant romain et des religieux en fonction - Jésus de Nazareth a été, de fait "sacrifié".
 
          Après les analyses de René GIRARD, la perspective de son sacrifice n'est plus la même qu'avant et cela se voit à la lecture du Dictionnaire critique de théologie comme sous la plume d'Alain HOUZIAUX.
Cela peut fausser un peu la perception que nous pouvons avoir de la théologie proprement dite. Ainsi, on peut lire : "En le crucifiant, les prêtres du Temple et l'occupant romain ont voulu empêcher qu'il ne devienne, malgré lui sans doute (mais là la référence est celle des Évangiles officiels, devons-nous ajouter), le détonateur d'une révolte contre eux. Sa mise à mort a désamorcé une possible rébellion du peuple et ainsi sauvé celui-ci d'une répression qui aurait sans doute été sanglante. Jésus a donc été une sorte de bouc émissaire. Et par sa mort, il est devenu, d'une certaine manière, un "sauveur". De plus, les Évangiles montrent bien une sorte de mise en scène de ce sacrifice, cette mise à mort étant en outre expiatoire pour l'ensemble des péchés du monde.

   La mort sacrificielle de Jésus a été comprise par le Christianisme (une fois que celui-ci se soit consolidé, rappelons-le) comme la récapitulation, l'accomplissement et par là même l'abrogation de l'ensemble du culte sacrificiel du Judaïsme. Le Dictionnaire critique de théologie rappelle en outre qu'il s'agit là de l'interprétation de l'Epitre aux Hébreux, intégré dans le corpus chrétien.
    C'est dire qu'il existe des significations diverses et même contradictoires de ce sacrifice.
Les interprétations tournent autour de trois questions :                                                - Par qui le sacrifice de Jésus de Nazareth a-il été accompli?
- A qui est-il offert?
- Qui en sont les bénéficiaires?
   Ces interrogations rejoignent celles de tout sacrifice. Elles concernent les trois pôles "classiques" : le sacrificateur, le sacrifié et le bénéficiaire du sacrifice.

        Sur la question de l'auteur du sacrifice, Alain HOUZIAUX cite trois considérations, que nous reprenons librement  :
- Sur le plan historique, ce sont les autorités juives et romaines qui ont sacrifiés Jésus. Pour les Évangiles (surtout celui de Jean, parmi les quatre Évangiles officiels), ce sont "les Juifs". Mais dans la liturgie chrétienne, dans la messe catholique précisément, ce sont les fidèles qui offrent Jésus en sacrifice, encore s'agit-il d'une interprétation récente. Pendant longtemps, l'Église Catholique s'est faite la porteuse d'un antisémitisme brutal, conséquence directe de la séparation du Judaïsme et du Christianisme dans des conditions hautement conflictuelles. Actuellement, Jésus est considéré comme "le premier-né" des hommes offert à Dieu pour la rémission des péchés du monde et pour obtenir son pardon.
- Mais dans une autre courant du christianisme, qui se réclame également du Nouveau Testament, c'est Dieu lui-même qui offre le sacrifice. Car Dieu est le Rédempteur, celui qui rachète l'homme en versant une "rançon", comme dans les temps anciens où l'on en payait une pour racheter un esclave ou un prisonnier pour en faire un homme libre. Dieu donne son propre fils en rachat. N'oublions pas que derrière cela se trouve la Sainte Trinité, mystérieuse, qui réunit en une seule personne le Fils, le Père et le Saint-esprit. Est-ce à dire que c'est Dieu lui-même qui s'offre en sacrifice?
- Dans une autre interprétation, c'est Jésus lui-même qui s'offre en sacrifice. Et cette manière de voir, la plus fréquente, s'appuie sur les paroles mêmes que lui prêtent les Évangiles : dans celui de Matthieu, on peut lire dire de lui-même : "Le Fils de l'Homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup d'hommes".

        Sur la question du destinataire du sacrifice, là aussi trois considérations :
- Si ce sont les fidèles qui offrent Jésus en sacrifice pour la rémission de leurs péchés, le sacrifice est offert à Dieu, selon tout un courant de la théologie chrétienne, même si cela n'est pas écrit dans le Nouveau Testament. A la suite d'Anselme, beaucoup présenteront la mort sacrificielle de Jésus comme un sacrifice d'expiation offert à Dieu pour satisfaire sa justice. Car Dieu exige, selon ce courant, qu'il y ait une punition pour le péché des hommes et il reporte, par amour pour les hommes, cette punition sur son propre fils. Mais dans les Évangiles, Jésus ne précise jamais qui veut sa mort. Dieu, Satan qui entre dans Judas, Jésus lui-même qui veut accomplir la mission du Serviteur Souffrant du prophète Isaïe?
 - Si c'est Dieu qui offre son fils en sacrifice,  cette rançon est offerte à Satan qui détient les hommes en esclavage. Un courant du christianisme présente la descente aux enfers de Jésus qui se livre à Satan pour sauver les hommes.
- Si c'est Jésus lui-même qui s'offre en sacrifice pour le salut du monde, à qui le fait-il? Il dit clairement qu'il faut qu'il soit mis au rang des malfaiteurs et condamné comme tel pour que les Écritures s'accomplissent.

        Sur la question des bénéficiaires du sacrifice, les choses semblent plus claires pour Alain HOUZIAUX. Ce sont les fidèles qui sont les bénéficiaires du sacrifice. il se présente comme le sang et la chair offerts aux hommes.
Mais quels fidèles? C'est l'objet de toute l'histoire conflictuelle du christianisme depuis ses origines : les Juifs circoncis d'abord, qui font leurs devoirs à la synagogue, les Gentils comme les Juifs considérés dans un même peuple de Dieu, les seuls baptisés selon la foi catholique, tous les hommes (théologie de l'apocatastase) dans le salut universel?

          Pour le christianisme, pour reprendre la phraséologie officielle, du catholicisme surtout, les sacrements se substituent aux rites sacrificiels.
C'est notamment à travers toute l'histoire du sacrifice de la messe, l'office religieux central du christianisme, avant même les schismes entre catholiques, protestants et orthodoxes, que cette conception s'illustre le mieux. Dans la tradition liturgique de la célébration de la messe, l'aspect sacrificiel du repas eucharistique a été maintenu et même accentué.
Pourtant, jusqu'au XIIIe siècle, cette dimension sacrificielle ne préoccupe guère la théologie, se contentant de répéter ce que disent Augustin d'Hippone (354-430) (le Christ est immolé chaque jour en sacrement) ou Thomas d'Aquin (1255-1274) (qui développe une distinction entre eucharistie-sacrement et eucharistie-sacrifice). La Réforme du XVIe siècle refuse toute idée d'une Église offrant le sacrifice. L'eucharistie, au contraire, est offrande de Dieu aux croyants. En réaction, le Concile de Trente (1562) définit la messe comme sacrifice non sanglant. Il s'agit d'un sacrifice propriatoire pour les vivants comme pour les morts, mais écarte l'idée d'un sacrifice réellement renouvelé à chaque fois. Les textes de Vatican II soulignent l'unité de l'eucharistie et du sacrifice de la Croix et indiquent que le prêtre offre "sacramentalement" le sacrifice. (Pierre-Marie GY)

Allfred Marx/Christian GRAPPE et pierre-Marie GY , Articles sacrifice et sacrifice de la messe, dans Dictionnaire critique de théologie, PUF, collection Quadrige, 1998. Alain HOUZIAUX, Le sacrifice dans le christianisme, dans Sacrificer, Se sacrifier, SenS Editions, 2005. Pierre GEOLTRAIN, Aux origines du christianisme, Gallimard, 2000.

                                                            RELIGIUS
 
Relu le 28 juin 2019
     
        
                 
                  
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commentaires

M
<br /> Je vous remercie beaucoup, Gil, de votre encouragement, qui m'est très précieux...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Voilà un article qui récapitule toutes les croyances autour de ce fameux "sacrifice expiatoire" du Christ. Or, selon les Evangiles, Jésus n'a pas du tout eu l'intention de se sacrifier. Toutefois<br /> il a pris ce grand risque pour porter son message à tous les hommes, jusqu'à Jérusalem, pour le faire vivre davantage, car, pour un Juif, toute création doit aller à "Jérusalem, la ville du Temple,<br /> pour avoir un avenir.<br /> Caïphe d'après Jean (11. 49 à 54) est la source du meurtre. Caïphe, par volonté de puissance, grand prêtre concurrent direct de Jésus, revient, pour le peuple, au sacrifice expiatoire primitif<br /> d'homme, et même pas de "bouc "émissaire, soi-disant pour ôter ses péchés au peuple ; Or le peuple des croyants ne se sauvera vraiment que par la foi en Christ, en suivant "le Chemin", et pas par<br /> un "coup de baguette magique", par le meurtre de l'héritier de la vigne. (voir www.marike.over-blog.com : lecture de "L'Institution" de J. Calvin. à partir de l 'article 231)<br /> <br /> <br />
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G
<br />   Jean CALVIN (1509-1564), dans L'institution de la religion chrétienne (1535) réfute, comme vous le dites, les interprétations catholiques de l'enseignement de Jésus, et notamment ses<br /> versions du sens du sacrifice. Cet article n'examine pas encore les conceptions des protestantismes (luthérien, calviniste,  et beaucoup d'autres) du sacrifice, reprenant surtout les<br /> commentaires qui circulent dans le monde catholique. Nous aborderons plus tard ces conceptions (Protestantismes et sacrifice), mais nous avons déjà étudié l'article de Paul WELLS (La croix : un<br /> sacrifice?) paru dans La revue réformée de septembre 1999, qui s'avère très instructif sur ce point. Votre site m'intéresse beaucoup, car, à l'inverse de certains commentaires évangélistes peu<br /> regardant sur les sources, vous partez de textes fondateurs solides qui favorisent l'approfondissement de vraies réflexions, et pour beaucoup sans doute, de leur foi.<br />                                        <br /> RELIGIUS<br /> <br /> <br />

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