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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 15:52
         Une oligarchie semble être une forme de gouvernement par une classe dominante peu nombreuse, cooptant certains de ces membres selon des critères mal définis. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, du CNRS, le définit comme un système politique dans lequel le pouvoir appartient à un petit nombre d'individus ou de familles, à une classe sociale restreinte et privilégiée.
 En fait, en philosophie politique, la réflexion s'est plus portée sur les types de gouvernement et leur statut juridique, que sur la réalité de l'exercice du pouvoir. Aussi, on est obligé de recourir à la sociologie politique pour en déterminer les contours. Mais là encore, les recherches sont peu avancées (on s'est surtout concentré sur la sociologie électorale et la sociologie des partis politiques) car précisément la force d'une oligarchie provient en partie de la discrétion de son activité.
       A plusieurs reprises dans l'histoire, les auteurs de philosophie politique ou les politologues évoquent l'oligarchie, souvent pour la dénoncer. Dans l'Antiquité, elle est retenue comme forme distincte de gouvernement.

        Ainsi PLATON (427-347 av J.C), dans La République, dénombre 5 genres de régime :
- la royauté ou l'aristocratie, le gouvernement de l'homme le meilleur ou des hommes les meilleurs, orienté vers le bien ou la vertu, le régime de la Cité juste ;
- la timocratie, le gouvernement des amoureux de l'honneur ou des ambitions, orienté vers la domination ou la victoire ;
- l'oligarchie ou le gouvernement des riches dans lequel la richesse est estimée au plus haut point ;
- la démocratie, le gouvernement des hommes libres dans lequel la liberté est estimée au plus haut point;
- la tyrannie, le gouvernement de l'homme totalement injuste dans lequel l'injustice totale et sans vergogne règne.
       Pour PLATON, la démocratie vient de l'oligarchie, qui à son tour vient de la timocratie. L'oligarchie est le premier où le désir occupe la première place. Dans l'oligarchie, le désir qui gouverne est celui de la richesse ou de l'argent ou de l'acquisition illimitée. L'homme oligarchique est économe et industrieux, il contrôle tous les désirs autres que celui de l'argent, il manque d'éducation et il a une honnêteté superficielle issue du souci le plus grossier pour son intérêt personnel. L'oligarchie doit donner à chacun le droit illimité de disposer de sa propriété comme il l'estime convenable. Il rend ainsi inévitable l'apparition de "parasites", de membres dispendieux ruinés et par suite privés de vote (En Grèce antique, le statut du citoyen est lié à sa capacité de rembourser ses dettes, qu'elles soient d'ailleurs morales ou financières) et qui espèrent retrouver leur fortune à la faveur d'un changement de régime. Ils deviennent mous (et gras) et transmettent cette mollesse d'esprit et de corps à leurs enfants. Les pauvres maigres et coriaces les méprisent. La démocratie apparaît lorsque les pauvres, devenus conscients de leur supériorité sur les riches et peut-être conduits par quelques "parasites" se comportant en traîtres de leur classe et possédant les compétences que seuls les membres d'une classe dirigeante peut posséder, se rendent maîtres de la Cité en renversant les riches et en en tuant et en spoliant un certain nombres... (Léo STRAUSS paraphrasant PLATON).
Dans le Politique, PLATON hiérarchise les types de gouvernement : la démocratie respectueuse des lois est inférieure au gouvernement de quelques uns qui respectent les lois (aristocratie) et au gouvernement d'un seul qui respecte les lois (monarchie), mais la démocratie sans lois est supérieure au gouvernement de quelques uns sans lois (oligarchie) et au gouvernement d'un seul sans lois (tyrannie). Léo STRAUSS précise que "sans lois" ne veut pas dire absence de loi ou de coutume ; cela signifie le mépris de ces lois par le gouvernement.
    
       ARISTOTE (384-322 av J.C), dans le Politique, introduit la question de la citoyenneté comme un moyen de comprendre la relation entre la Cité et le régime politique. L'identité de la Cité vient de la manière la plus évidente de ceux que l'on reconnaît pour ses citoyens. Ceux qui sont citoyens dans une démocratie ne le sont pas nécessairement dans une oligarchie.
Dans sa classification, d'abord schématique, mais en fait assez complexe, il distingue 6 types fondamentaux de régime, selon qu'ils ont comme élément gouvernant soit une personne, soit un petit nombre de personne, soit un grand nombre, selon aussi que le but de ces éléments gouvernants est le bien commun de la Cité dans son ensemble ou bien leur avantage personnel :
- la royauté est la forme correcte du gouvernement d'un seul (gouvernement monarchique) ;
- la tyrannie est la forme perverse du gouvernement d'un seul ;
- l'aristocratie est le gouvernement du petit nombre (les meilleurs hommes pour le meilleur gouvernement pour la Cité) ;
 - l'oligarchie ;
 - la démocratie est le gouvernement de la multitude sous sa forme perverse ;
 - la "politie" est la forme correcte, commune à tous les régimes...
      La différence essentielle entre la démocratie et l'oligarchie n'est pas la taille de l'élément qui gouverne, mais plutôt la richesse ou l'absence de richesse : l'oligarchie est le gouvernement des riches, qui se trouvent être généralement aussi un petit nombre, et la démocratie le règne des pauvres, qui sont généralement la majorité. Pour ARSTOTE, c'est la différence fondamentale : si les oligarques et les démocrates s'accordent sur le principe de la justice distributive, ils s'opposent sur ce qui fait l'égalité des personnes. Selon Léo STRAUSS toujours, "il faut comprendre la défense nuancée de la démocratie ou du gouvernement du peuple par ARISTOTE dans le cadre de l'approche du problème général de la justice politique. Les groupes qui luttent de manière typique pour le pouvoir dans la Cité prétendent toutes à la justice politique avec une certaine légitimité ; cependant parce que les hommes jugent mal pour eux-mêmes, ils sont constamment tentés d'absolutiser leurs prétentions aux dépens des prétentions des autres."
    Pour ARISTOTE, finalement, il n'y a que deux genres de régime, la démocratie et l'oligarchie. Cependant, dans certaines Cités, il y a en plus des pauvres et des riches, un "élément moyen", politiquement important.
Léo STRAUSS écrit de façon un peu anachronique classe moyenne, mais cela donne une idée de ce sur quoi le philosophe s'appuie pour avancer la notion du régime mixte. C'est cela finalement, son idée de la "politie", type de gouvernement qui favorise la stabilité de la Cité, comme sa prospérité. Même si ARSTOTE ne précise pas comment cela fonctionne, étant donné "que le meilleur régime n'est pas confronté aux conflits politiques normaux qui caractérisent les régimes composés de groupes hétérogènes de citoyens libres". (Léo STRAUSS).

         Marcus Tullius CICERON (106-43 av J.C) poursuit quelques siècles plus tard l'examen des vertus et des défauts des différents régimes. Le caractère de la République (dans le recueil que l'on nomme République précisément) est déterminé par "les dispositions concernant les magistrats", entendre la forme du gouvernement. Il en distingue trois :
- la royauté, gouvernement par un seul, caractérisé par l'affection paternelle ;
- l'aristocratie, le gouvernement des meilleurs, caractérisé par le conseil et la sagesse ;
- la démocratie, le gouvernement de tous, caractérise par la liberté.
  Bien qu'il pense que la royauté soit la meilleure forme, et la démocratie la pire, chacune des trois formes peut avoir un gouvernement convenable et même stable tant que l'injustice et l'envie ne détruisent pas le lien originel de l'association. Mais en face de chaque forme de gouvernement, il y a une forme pervertie : tyrannie, oligarchie ou ochlocratie (règne de la foule). La tendance générale est la dégradation de chaque forme en sa variante pervertie. Et c'est en cela que la constitution mixte est la meilleure : "les magistrats ont assez de puissance, les conseils des citoyens éminents assez d'influence et le peuple assez de liberté."

    Si l'on rappelle ici ces différentes conception de l'oligarchie, c'est parce que les constructions intellectuelles postérieures reposent en partie sur elles. Il ne faut pas oublier que jusqu'à la fin du XIXème siècle, la culture des élites dirigeantes se nourrit beaucoup de l'apprentissage des "auteurs classiques", en parallèle à l'enseignement religieux.

       En dehors du monde chrétien, ALFARABI (870-950), le premier philosophe à accorder l'islam et la philosophie politique classique, dénombre 6 formes de régime :
- le régime de la nécessité (ou le régime de l'indispensable) dans lequel le but des citoyens se limite aux simples nécessités de la vie ;
- le régime vil (l'oligarchie) dans lequel le but ultime des citoyens est la richesse et la prospérité en et pour elles-mêmes ;
- le régime vil dans lequel le but des citoyens est la jouissance des plaisirs des sens ou de plaisirs imaginaires;
- le régime de l'honneur (la timocratie) dont les citoyens cherchent à être honorés, loués et glorifiés par les autres ;
- le régime de la domination (la tyrannie) dont les citoyens visent à surpasser et à soumettre les autres ;
- le régime de l'association corporative (la démocratie) dans lequel le but principal des citoyens est d'être libre de faire ce qu'ils veulent.

        Pour Thomas HOBBES (1588-1679), dans le Léviathan, il y a trois genres de République :
- la monarchie, lorsque le pouvoir est remis à un seul homme ;
- la démocratie, lorsqu'il est remis à une assemblée d'hommes où chaque citoyen a le droit de vote ;
-  l'aristocratie, lorsque dans cette assemblée, seule une partie des citoyens a le droit de vote.
     Mais Thomas HOBBES récuse les distinctions fondées sur des distinctions morales (le bien de la Cité ou le bien d'une classe sociale), car pour lui ce qui importe, c'est le fait que tous les citoyens bénéficient de la paix et de la défense. Tous souffrent de l'anarchie et de la violence. Les arguments traditionnels en faveur du régime mixte sont fondés sur une compréhension insuffisante de ce qu'est une vraie union. Dans sa philosophie politique, on ne se pose pas la question de l'oligarchie ou de la richesse ou de la pauvreté des gouvernants, on se préoccupe essentiellement de la réalisation de son obligation : la sécurité de tous.

      L'encyclopédie de DIDEROT et d'ALEMBERT (1751-1780) garde une image négative de l'oligarchie, si on en juge au contenu de l'entrée qui lui est consacrée : "C"est ainsi qu'on nomme la puissance usurpée d'un petit nombre de citoyens qui se sont emparés du pouvoir, qui suivant la constitution d'un État devait résider soit dans le peuple, soit dans un conseil ou sénat. Il est bien difficile qu'on peuple soit bien gouverné, lorsque son sort est entre les mains d'un petit nombre d'hommes, dont les intérêts diffèrent, et dont la puissance est fondée sur l'usurpation. Chez les Romains, le gouvernement a plusieurs fois dégénéré en oligarchie ; il était tel sous les décemvirs, lorsqu'ils parvinrent à se rendre les seuls maitres de la république. Cet odieux gouvernement se fit encore sentir d'une façon plus cruelle aux Romains sous les triumvirs, qui après avoir tyrannisé leurs concitoyens, avoir abattu leur ouvrage et éteint leur amour pour la liberté, préparent la voie au gouvernement despotique et arbitraire des empereurs."

     Edmund BURKE (1729-1797) estime que la démocratie ne peut pas être un régime possible. Le peuple ne peut pas gouverner. Il est l'élément passif par opposition aux éléments actifs qui sont les hommes dans l'État. Bien que le peuple puisse être conduit par une certaine espèce d'oligarchie vicieuse, il devrait être conduit pas une "vraie aristocratie naturelle", par des ministres qui "ne sont pas seulement nos gouvernants naturels, mais nos guides naturels".  En fait, par delà la constatation que le philosophe politique n'entre pas dans la problématique de la justice à l'antique, il pense que, fondamentalement, le gouvernement ne règne pas : il modifie, il réforme, il équilibre ou il adapte. Le gouvernement n'est pas nourri, comme le pensait ARISTOTE, par les prétentions à l'hégémonie avancées par les démocrates et les oligarques pour défendre (et exagérer) leur égalité ou leur inégalité avec les autres. Le peuple ne prétend pas régner de son propre chef ; c'est seulement lorsqu'il est enflammé par un petit nombre qu'il croit qu'il veut régner...

      James MILL (1773-1836) estime que le gouvernement est tristement nécessaire, mais qu'aucune forme de gouvernement n'est acceptable. Les formes traditionnelles de gouvernement ne conviennent pas. L'unique tâche du gouvernement est le minimum : "augmenter au maximum les plaisirs et diminuer au maximum les douleurs, que les hommes retirent de leurs relations naturelles". Le remède aux défaillances des formes de gouvernement à assurer cela, du fait que les aristocrates sont les premiers à adopter une attitude de prédateurs envers le peuple, du fait que les citoyens dans une démocratie ne peuvent pas se réunir tous pour gouverner, est de créer un corps représentatif qui puisse gouverner pour le peuple sous des contrôles tels qu'ils préviennent la corruption des représentants. Cette réflexion mène tout droit aux éléments qui peuvent précisément corrompre ces représentants, mais James MILL s'arrête à la constatation de la difficulté d'organiser pleinement et sereinement cette représentation.

     En fin de compte, la tradition de la philosophie politique ne renseigne que peu sur les ressorts du fonctionnement d'une oligarchie. Plus, elle s'éloigne au fur et à mesure qu'on se rapproche de notre époque des définitions antiques, pour devenir quelque chose qui agit d'en dehors du régime politique.
        Maurice DUVERGER, faisant le point sur la sociologie des régimes politiques estime que les études faites sur les partis ces dernières années conduisent à réviser la classification des régimes politiques.
"Si certaines recherches spécialisées donnent l'impression de piétiner (...) c'est sans doute à cause du retard de la sociologie des régimes politiques, qui prive d'un cadre général d'étude. Rien n'est sans doute plus urgent pour le développement de la science politique que la rénovation de la typologie traditionnelle des régimes politiques, que la définition plus précise des rapports entre les régimes politiques et les autres éléments de la réalité sociale (économiques, culturels, idéologiques, etc.).
   Les études réalisées montrent qu'il est illusoire de penser que dans la monarchie ou le despotisme (une étude fine du nazisme en tant que système politique le montre bien par ailleurs), il n'y a qu'un seul homme au pouvoir ; "une équipe et une administration sont à ses côtés, avec lesquelles ses rapports sont plus ou moins complexes". Et certainement, plus la société est complexe, plus le nombre d'hommes à gouverner est grand, cela est encore plus vrai. "L'idée que tout le monde puisse gouverner est d'autre part une absurdité, ou un tour de passe-passe (par la théorie de la représentation) : même dans la plus démocratique des démocraties, le peuple ne gouverne pas lui-même ; les gouvernants réels forment une catégorie de gens peu nombreux, distincts de la masse. Tout gouvernement est oligarchique."
   Ce qui peut paraitre une formule un peu rapide pour laisser de côté l'activité d'oligarchies financières ou économiques, sur ou à l'intérieur d'un gouvernement,  mais cette réflexion a le mérite de poser le problème de l'articulation véritable des pouvoirs politiques par rapport à des statuts juridiques déterminés.

Maurice DUVERGER, chapitre premier de Problèmes de sociologie politique, dans Traité de sociologie, coordination de Georges GURVITCH, PUF, collection Quadrige, 2007. Leo STRAUSS et Joseph CROPSEY, Histoire de la philosophie politique, PUF, collection Quadrige, 1994. Centre National de ressources Textuelles et Lexicales, site Internet www.cntrl.fr.  Encyclopédie de DIDEROT et d'ALEMBERT, 1751-1780, disponible sous forme de CD-Rom, site internet www.emme.com.

                                                                          PHILIUS

    Relu le 13 mars 2019
 
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