12 mai 2009
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Considéré parfois (Morton WHITE) comme le père de la philosophie américaine, John LOCKE, philosophe anglais de la connaissance et philosophe politique, place la notion de consentement plutôt que celle de contrat au centre de ses réflexions. Il fournit aux philosophes anglais et aux penseurs des Lumières "une nouvelle langue philosophique dont la syntaxe renouvelle la philosophie de la connaissance grâce à l'articulation fondamentale idées simples/idées complexes" (Marc PARMENTIER). Le thème de la liberté, caractéristique de tous ses ouvrages, est autant celui de la liberté politique que de la liberté religieuse et de la liberté économique. (Léo STRAUSS).
John LOCKE inspire à la fois les "Pères pèlerins" de la colonie américaine dans leurs relations avec les Indiens, les premiers occupants, et les "Pères" de l'indépendance américaine quand ils proclament comme "évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructrice de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront propres à lui donner la sécurité et le bonheur". (Gérard DELEDALLE). Cette partie de la Déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776, rédigée et traduite par JEFFERSON montre à quel point l'influence de John LOCKE est grande aux Etats-Unis. Libéralisme et empirisme se développent indéfiniment à partir de cette Déclaration chez quasiment tous les philosophes américains.
L'Essai sur l'entendement humain (1689) traite des fondements de la connaissance. Une des principales sources de l'empirisme philosophique encore de nos jours exprime, largement contre les idées de René DESCARTES, la conviction qu'aucun savoir pour l'homme n'est inné.
John LOCKE inspire à la fois les "Pères pèlerins" de la colonie américaine dans leurs relations avec les Indiens, les premiers occupants, et les "Pères" de l'indépendance américaine quand ils proclament comme "évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructrice de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront propres à lui donner la sécurité et le bonheur". (Gérard DELEDALLE). Cette partie de la Déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776, rédigée et traduite par JEFFERSON montre à quel point l'influence de John LOCKE est grande aux Etats-Unis. Libéralisme et empirisme se développent indéfiniment à partir de cette Déclaration chez quasiment tous les philosophes américains.
L'Essai sur l'entendement humain (1689) traite des fondements de la connaissance. Une des principales sources de l'empirisme philosophique encore de nos jours exprime, largement contre les idées de René DESCARTES, la conviction qu'aucun savoir pour l'homme n'est inné.
John LOCKE ne parle qu'en termes d'idées, qu'elles soient de sensation ou de réflexion. Chez lui, la connaissance est "la perception de la liaison et de la convenance ou de l'opposition et de la disconvenance qui se trouve entre nos idées. La définition stricte de la connaissance comme rapport entre deux idées passe sous silence le rapport idées/choses caractérisant les connaissances réelles. Une relation binaire dissimule ici une relation ternaire (connaissances/idées/choses). Le rapport connaissance/choses n'est pas de même nature que le rapport connaissance/idées. Ce dernier est un rapport "immédiat", au sens où les idées constituent les seuls objets immédiats de l'esprit ; le rapport connaissances/choses est au contraire indirect (les idées pouvant être considérées comme les "intermédiaires" entre les connaissances et les choses), oblique et partiel, parce que certaines connaissances réelles (les connaissances de mode) sont indépendantes de tout rapport aux choses et ne reposent que sur un agreement entre des idées. (Marc PARMENTIER).
Tout le dualisme cartésien est mis en question. John LOCKE, soucieux de rester au plus près de l'expérience vécue, remarque que, pour dire "je", ou parler d'une même personne, un même corps est tout aussi nécessaire qu'une même conscience. Lorsque René DESCARTES affirme que l'âme est plus aisée à connaître que le corps, John LOCKE s'insurge contre cette "pleine obscurité". Au lieu de déclarer a priori qu'il y a le pur cogito d'une part, et l'animal machine d'autre part, il faut reconnaître qu'il est impossible par le seul examen de nos idées, de découvrir si Dieu n'a pas disposé certains systèmes matériels de telle sorte qu'ils puissent percevoir et penser. (Geneviève BRYKMAN) Autant dire que devant le doute sur les choses, doute que René DESCARTES tente de lever méthodiquement, John LOCKE préfère lui, de manière pessimiste, considérer que toute l'expérience de l'homme ne peut devenir connaissance, tant l'homme apparait limité, fini.
Mais l'essentiel de la pensée de John LOCKE n'est pas dans la philosophie, mais dans la philosophie politique.
Le Traité du gouvernement civil (1690), consacré à la légitimité politique, se compose en réalité de deux textes distincts et publiés séparément, aux destins d'ailleurs très différents. Le premier, essentiellement polémique, réfute le Patriarcha de Robert FILMER (1588-1653) favorable à la monarchie absolue de droit divin. Le second, plus théorique, vise à établir positivement "l'origine, les limites et les fins véritables du pouvoir civil".
Considérant que contrairement aux sciences de la nature, où les causes des choses naturelles ne sont pas du fait des hommes, les sciences morales qui traitent de choses dont les hommes sont les causes, les idées morales et politiques s'enchaînent dans des démonstrations rigoureuses. Ainsi par exemple "il ne saurait y avoir de l'injustice où il n'y a point de propriété, est aussi certaine qu'aucune démonstration qui soit dans EUCLIDE, car l'idée de propriété étant un droit à une certaine chose et l'idée qu'on désigne par le nom d'injustice étant l'invasion ou la violation d'un droit, il est évident que ces idées étant ainsi déterminées et ainsi nommées, je puis connaître aussi certainement que cette proposition est véritable que je connais qu'un triangle a trois angles à deux droits. Autre proposition d'une égale certitude : nul gouvernement n'accorde une absolue liberté, car, comme l'idée du gouvernement est un établissement de société selon certaines règles ou lois dont il exige l'exécution et que l'idée d'un absolue liberté est à chacun la puissance de faire tout ce qui lui plaît, je puis être aussi certain de la vérité de cette proposition que d'aucuns qu'on trouve dans les mathématiques." (cité par Philippe RAYNAUD).
On a beaucoup opposé les idées de John LOCKE et celles de Thomas HOBBES. Mais en fait, pour ce dernier, le sens original du contrat est au moins de préserver la sécurité, puisque c'est elle que les hommes ont recherchée en quittant l'état de nature, et pour le premier, dont la peinture de l'état de nature est moins noire que celle du Léviathan, les droits subjectifs que le gouvernement civil doit respecter et préserver sont d'autant plus étendus. John LOCKE rejoint Thomas HOBBES sur la même nécessité ; toutefois le philosophe empiriste ne pense pas que l'état de nature soit complètement un état de guerre de tous contre tous.
Au centre de la conception de John LOCKE se trouve le consentement. Pour lui, seul un pouvoir reposant sur un consentement peut répondre à ce qui constitue sa raison d'être et sa finalité. Toutefois, même si la volonté collective tend à devenir la norme du droit, le consentement ne constitue pas à lui seul un fondement suffisant à l'autorité politique ; celle-ci reste soumise à la loi de nature, qui s'impose aussi bien aux gouvernants qu'aux sujets. Le recours aux intentions implicites permet d'éviter toute contradiction entre deux sources de légitimité : les hommes ne peuvent pas être supposés, à travers leur consentement, avoir renoncé à la préservation de leur propriété au sens large, c'est-à-dire à la loi de nature la plus fondamentale. (Marc PARMENTIER). C'est la propriété, en effet, qui joue un rôle déterminant dans sa philosophie.
La conception de la propriété, complexe, est à la source d'interprétations divergentes (comme celles de Léo STRAUSS et de James TULLY). En effet :
- la loi naturelle repose sur le fait que les hommes sont la propriété de leur créateur, et ne dispose pas complètement de leur vie (interdiction du suicide) ;
- la préservation de la propriété au sens large (leur vie, leur famille, leurs biens) constitue le motif poussant les hommes à entrer en société. Sans propriété, pas de société civile ;
- la propriété constitue la limite infranchissable pour tout pouvoir ;
Mais l'essentiel de la pensée de John LOCKE n'est pas dans la philosophie, mais dans la philosophie politique.
Le Traité du gouvernement civil (1690), consacré à la légitimité politique, se compose en réalité de deux textes distincts et publiés séparément, aux destins d'ailleurs très différents. Le premier, essentiellement polémique, réfute le Patriarcha de Robert FILMER (1588-1653) favorable à la monarchie absolue de droit divin. Le second, plus théorique, vise à établir positivement "l'origine, les limites et les fins véritables du pouvoir civil".
Considérant que contrairement aux sciences de la nature, où les causes des choses naturelles ne sont pas du fait des hommes, les sciences morales qui traitent de choses dont les hommes sont les causes, les idées morales et politiques s'enchaînent dans des démonstrations rigoureuses. Ainsi par exemple "il ne saurait y avoir de l'injustice où il n'y a point de propriété, est aussi certaine qu'aucune démonstration qui soit dans EUCLIDE, car l'idée de propriété étant un droit à une certaine chose et l'idée qu'on désigne par le nom d'injustice étant l'invasion ou la violation d'un droit, il est évident que ces idées étant ainsi déterminées et ainsi nommées, je puis connaître aussi certainement que cette proposition est véritable que je connais qu'un triangle a trois angles à deux droits. Autre proposition d'une égale certitude : nul gouvernement n'accorde une absolue liberté, car, comme l'idée du gouvernement est un établissement de société selon certaines règles ou lois dont il exige l'exécution et que l'idée d'un absolue liberté est à chacun la puissance de faire tout ce qui lui plaît, je puis être aussi certain de la vérité de cette proposition que d'aucuns qu'on trouve dans les mathématiques." (cité par Philippe RAYNAUD).
On a beaucoup opposé les idées de John LOCKE et celles de Thomas HOBBES. Mais en fait, pour ce dernier, le sens original du contrat est au moins de préserver la sécurité, puisque c'est elle que les hommes ont recherchée en quittant l'état de nature, et pour le premier, dont la peinture de l'état de nature est moins noire que celle du Léviathan, les droits subjectifs que le gouvernement civil doit respecter et préserver sont d'autant plus étendus. John LOCKE rejoint Thomas HOBBES sur la même nécessité ; toutefois le philosophe empiriste ne pense pas que l'état de nature soit complètement un état de guerre de tous contre tous.
Au centre de la conception de John LOCKE se trouve le consentement. Pour lui, seul un pouvoir reposant sur un consentement peut répondre à ce qui constitue sa raison d'être et sa finalité. Toutefois, même si la volonté collective tend à devenir la norme du droit, le consentement ne constitue pas à lui seul un fondement suffisant à l'autorité politique ; celle-ci reste soumise à la loi de nature, qui s'impose aussi bien aux gouvernants qu'aux sujets. Le recours aux intentions implicites permet d'éviter toute contradiction entre deux sources de légitimité : les hommes ne peuvent pas être supposés, à travers leur consentement, avoir renoncé à la préservation de leur propriété au sens large, c'est-à-dire à la loi de nature la plus fondamentale. (Marc PARMENTIER). C'est la propriété, en effet, qui joue un rôle déterminant dans sa philosophie.
La conception de la propriété, complexe, est à la source d'interprétations divergentes (comme celles de Léo STRAUSS et de James TULLY). En effet :
- la loi naturelle repose sur le fait que les hommes sont la propriété de leur créateur, et ne dispose pas complètement de leur vie (interdiction du suicide) ;
- la préservation de la propriété au sens large (leur vie, leur famille, leurs biens) constitue le motif poussant les hommes à entrer en société. Sans propriété, pas de société civile ;
- la propriété constitue la limite infranchissable pour tout pouvoir ;
- la propriété, dès qu'elle existe, dès que les hommes entendent en jouir, engendre l'abandon de leur pouvoir au magistrat civil ;
- l'origine et le fondement de la propriété privée et sa légitimité résident dans le travail.
Pour Léo STRAUSS (1899-1973), John LOCKE justifie en fait le déploiement sans limites de l'esprit du capitalisme ; les références constantes au christianisme lui paraissant hypocrites. Toutefois, l'essentiel qu'il trouve dans le Traité du gouvernement civil est qu'il cherche à "libérer l'humanité de toute forme de pouvoir arbitraire absolu. Il cherchait à fournir l'explication vraie et complète de la mise en oeuvre de la civilisation par l'homme à partir des matériaux presque sans valeur qui lui sont donnés. Dans cette explication, la forme principale qui aiguillonne l'homme dans la voie de sa propre libération est une passion, le désir de conservation. (Contrairement aux philosophes politiques de l'Antiquité qui considéraient les passions comme tyranniques), LOCKE reconnaissait la passion comme la puissance suprême dans la nature humaine et il prétendait que la raison ne peut faire plus que servir le désir le plus puissant et le plus universel et l'orienter vers la satisfaction. C'est seulement lorsque l'on comprend cette organisation des choses comme l'organisation vraie et naturelle qu'il peut y avoir une perspective de succès dans le combat de l'humanité pour la liberté, la paix et l'abondance."
Pour James TULLY (né en 1946), au contraire, la référence à la loi naturelle d'entraide instituée par Dieu permet de comprendre que la jouissance de la propriété ne consiste pas dans la passion de l'acquisition, mais dans un devoir chrétien de libéralité et de charité. D'ailleurs, pour lui, la fonction lockienne de l'État civil est de rétablir un ordre conforme à la loi naturelle et divine que l'apparition de la monnaie perturbe.
Contrairement à Thomas HOBBES, opposé à toute forme de gouvernement mixte, John LOCKE déduit le pouvoir exécutif du pouvoir législatif, conforme en cela à toute la tradition du Common Law anglais. Il écrit que "ce serait tenter la fragilité humaine, qui est prompte à l'ambition, que de confier le pouvoir de faire exécuter les lois à ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir de les faire". La séparation des pouvoirs doit remédier à une partie de la loi de nature. Tout repose sur la "mission de confiance", rendue nécessaire par les aléas des circonstances politiques, qui ne doit conférer aucune supériorité à l'exécutif sur le législatif tout en lui donnant les moyens de son action.
Le prince qui use de sa prérogative de décréter l'urgence et le peuple qui en appelle au ciel devant les abus de pouvoir ont en commun de s'arroger le droit de décider que la loi ordinaire ne peut pas faire face aux circonstance (Philippe RAYNAUD). Comme décider de ce qui est exceptionnel est le propre du souverain, comme le rappelle Carl SCHMITT, on peut conclure que le libéralisme de John LOCKE se trouve, dans ces circonstances exceptionnelles, dans son acceptation simultanée de la souveraineté et du droit de résistance. La théorie du gouvernement limité, à l'inverse de la République de Thomas HOBBES, doit permettre de faire en sorte que la situation d'urgence précisément ne se déclare jamais. L'équilibre des pouvoirs doit permettre l'expression modérée des conflits qui en neutralise les effets. Mais, il ne faut pas oublier que John LOCKE écrit aussi pour justifier le plein exercice de la propriété, dans une période d'expansion du capitalisme, lui-même étant plein acteur politique.
- l'origine et le fondement de la propriété privée et sa légitimité résident dans le travail.
Pour Léo STRAUSS (1899-1973), John LOCKE justifie en fait le déploiement sans limites de l'esprit du capitalisme ; les références constantes au christianisme lui paraissant hypocrites. Toutefois, l'essentiel qu'il trouve dans le Traité du gouvernement civil est qu'il cherche à "libérer l'humanité de toute forme de pouvoir arbitraire absolu. Il cherchait à fournir l'explication vraie et complète de la mise en oeuvre de la civilisation par l'homme à partir des matériaux presque sans valeur qui lui sont donnés. Dans cette explication, la forme principale qui aiguillonne l'homme dans la voie de sa propre libération est une passion, le désir de conservation. (Contrairement aux philosophes politiques de l'Antiquité qui considéraient les passions comme tyranniques), LOCKE reconnaissait la passion comme la puissance suprême dans la nature humaine et il prétendait que la raison ne peut faire plus que servir le désir le plus puissant et le plus universel et l'orienter vers la satisfaction. C'est seulement lorsque l'on comprend cette organisation des choses comme l'organisation vraie et naturelle qu'il peut y avoir une perspective de succès dans le combat de l'humanité pour la liberté, la paix et l'abondance."
Pour James TULLY (né en 1946), au contraire, la référence à la loi naturelle d'entraide instituée par Dieu permet de comprendre que la jouissance de la propriété ne consiste pas dans la passion de l'acquisition, mais dans un devoir chrétien de libéralité et de charité. D'ailleurs, pour lui, la fonction lockienne de l'État civil est de rétablir un ordre conforme à la loi naturelle et divine que l'apparition de la monnaie perturbe.
Contrairement à Thomas HOBBES, opposé à toute forme de gouvernement mixte, John LOCKE déduit le pouvoir exécutif du pouvoir législatif, conforme en cela à toute la tradition du Common Law anglais. Il écrit que "ce serait tenter la fragilité humaine, qui est prompte à l'ambition, que de confier le pouvoir de faire exécuter les lois à ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir de les faire". La séparation des pouvoirs doit remédier à une partie de la loi de nature. Tout repose sur la "mission de confiance", rendue nécessaire par les aléas des circonstances politiques, qui ne doit conférer aucune supériorité à l'exécutif sur le législatif tout en lui donnant les moyens de son action.
Le prince qui use de sa prérogative de décréter l'urgence et le peuple qui en appelle au ciel devant les abus de pouvoir ont en commun de s'arroger le droit de décider que la loi ordinaire ne peut pas faire face aux circonstance (Philippe RAYNAUD). Comme décider de ce qui est exceptionnel est le propre du souverain, comme le rappelle Carl SCHMITT, on peut conclure que le libéralisme de John LOCKE se trouve, dans ces circonstances exceptionnelles, dans son acceptation simultanée de la souveraineté et du droit de résistance. La théorie du gouvernement limité, à l'inverse de la République de Thomas HOBBES, doit permettre de faire en sorte que la situation d'urgence précisément ne se déclare jamais. L'équilibre des pouvoirs doit permettre l'expression modérée des conflits qui en neutralise les effets. Mais, il ne faut pas oublier que John LOCKE écrit aussi pour justifier le plein exercice de la propriété, dans une période d'expansion du capitalisme, lui-même étant plein acteur politique.
Si John LOCKE, en France, en tant que philosophe politique est assez connu, il n'en est peut-être pas de même de l'économiste. Fondateur du libéralisme politique, serait-il également le fondateur du libéralisme économique, malgré l'épithète de mercantiliste attaché à son nom.
Contributeur de la mise en place du système bancaire anglais et par là même d'un système bancaire tout court dans sa conception moderne, conseiller de Lord SHAFTESBURY, à l'influence importante dans la vie politique anglaise dans la période de restauration qui va de la mort de CROMWELL, en 1658, à la proclamation du Bill of Rights en 1689, il est le théoricien de la monarchie constitutionnelle incarnée par Guillaume III d'Orange. Pour Christian TUTIN, il est considéré pour cela "comme le fondateur du libéralisme politique, (mais) (serait-il) aussi le véritable fondateur de l'économie politique?" En l'absence, dans ses écrits économiques, de théories du marché et du capital, cette thèse est difficilement soutenable. Mais, à ne considérer que ses écrits sur la monnaie et sur l'intérêt, elle serait acceptable. En affirmant que l'invention de la monnaie permet, sans enfreindre la loi morale, d'accumuler au-delà du besoin, Locke représente en effet une étape essentielle vers la légitimation de l'enrichissement monétaire illimité.
Les questions relatives à la moralité de la propriété privée, de l'accumulation indéfinie et du gain monétaire - profit ou intérêt - sont encore largement débattues à la fin du XVIIème siècle. Avec lui et quelques autres, la philosophie politique réalise ce dépassement de l'opposition entre la morale et les pratiques des marchands et des financiers, cette sécularisation de la réflexion monétaire sans laquelle tout développement autonome de la pensée économique était impossible." "Pour les penseurs du XVIIIème siècle, LAW, CANTILLON, HUME, GALIANI et SMITH, LOCKE est l'auteur de référence sur les questions monétaires. Il est encore cité comme une autorité en la matière par THORNSTON, SAY et RICARDO. Après la formation de l'orthodoxie ricardienne, ce sont RICARDO et, en contrepoint, THORNSTON qui deviendront les auteurs de référence." Christian TUTIN, dans son anthologie des textes sur la monnaie présente des extraits de Le deuxième traité du gouvernement civil (1690) et des Réflexions sur l'intérêt et la monnaie (1691).
Claude ROCHE, docteur en philosophie et professeur à l'ISEN de Lille, estime la pensée économique de John LOCKE mécomprise et effectue un travail important de relecture et de réhabilitation de sa pensée.
"Locke est le fondateur du libéralisme ; et pourtant l'économiste Locke est toujours méconnu. dans ce paradoxe gît l'origine première des difficultés de la pensée moderne. Notre propos a été de comprendre en quoi et de réhabiliter cette pensée". Auteur de La connaissance et la loi dans la pensée économique libérale classique (L'Harmattan), il analyse l'historiographie de l'oeuvre de John LOCKE (notamment les travaux de Mark BLAUG, Joseph SCHUMPETER et Michel FOUCAULT) et diverses approches contextualistes (Il faut lire le long article très argumenté, sur le site de L'Harmattan, La mécompréhension moderne de Locke) . Le principal texte économique de LOCKE, "Considérations sur la base de l'intérêt", constitue bien une base de la connaissance du marché et d'une théorie de la valeur, à une époque "où le raisonnement objectif était très mal connu". Car si l'on connaissait bien la différence entre la valeur d'un bien (value), qui renvoie à un bien générique comme le blé et l'évaluation subjective et conjoncturelle de ce bien toujours particulier (cette quantité de blé), John LOCKE tente de penser la valeur d'une manière "révolutionnaire", exposée en trois points par Claude ROCHE :
- Tout d'abord l'hétérogénéité radicale de la valeur par rapport à la matière physique d'un bien ;
- Ensuite la distinction entre la valeur et le prix, notion conjoncturelle ;
- Et enfin définir "positivement" et objectivement la valeur par une notion très proche du taux de rotation des stocks commerciaux (globalisé à l'ensemble du marché).
La valeur d'échange de la monnaie renvoie aux mêmes rapports que ceux gouvernant la valeur des marchandises "normales". John LOCKE formule la fameuse théorie quantitative de la monnaie, qui n'a de sens que par rapport à l'explicitation de la deuxième valeur de la monnaie, son taux d'intérêt. Tous les efforts du philosophe anglais sont tendus vers l'institutionnalisation du marché. Le Traité de Gouvernement civil a pour fonction de poser les fondements de cette démarche institutionnelle, et débouche sur la fondation de la Banque d'Angleterre.
La méconnaissance de ce moment de l'histoire économique, Adam SMITH étant plutôt considéré comme le fondateur du libéralisme économique (ce dernier étant le principal contradicteur toujours selon Claude ROCHE), proviendrait directement du projet même de la pensée libérale (à la radicalisation de son projet) : "Avec Locke, l'économie politique - ou ce qu'elle va devenir - s'est d'abord voulue rationnelle. Rationnel signifie ici que ses conclusions devaient être argumentées, car partageables en conscience par l'ensemble des acteurs de la société civile - du moins ceux, pour employer la langue de l'époque, réputés indépendants économiquement (Nous n'oublions jamais que ses écrits sont ceux de propriétaire s'adressant à d'autres propriétaires...). C'est ce qui fit sa grandeur et elle gardera cette référence pendant longtemps. Mais progressivement, à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, elle s'est voulue discipline scientifique. Le changement est imperceptible mais clair : une science économique est une discipline d'expert où l'efficacité pratique de la prévision prime sur l'universalité de l'argumentation. D'ailleurs la "main invisible" est-elle autre chose qu'une hypothèse logique nécessaire? Une proposition indémontrable mais légitimant la position du scientifique?".
Philippe RAYNAUD, article John LOCKE dans Dictionnaire de philosophie politique, PUF, collection Quadrige, 1996. Marc PARMENTIER, article LOCKE dans le Vocabulaire des philosophes, Ellipses, 2002. Geneviève BRYKMAN, article John LOCKE de l'Encyclopedia Universalis, 2004. Philippe RAYNAUD, article Deux traités du gouvernement civil de John LOCKE dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986. Léo STRAUSS, Histoire de la philosophie politique, PUF, collection Quadrige, 1994. Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck Université, collection Le point philosophique, 1998. Christian TUTIN, Une histoire des théories monétaires par les textes, Flammarion, collection Champs Classiques, 2009. Claude ROCHE, La connaissance et la loi dans la pensées économique libérale classique, L'Harmattan.1991.
PHILIUS
Philippe RAYNAUD, article John LOCKE dans Dictionnaire de philosophie politique, PUF, collection Quadrige, 1996. Marc PARMENTIER, article LOCKE dans le Vocabulaire des philosophes, Ellipses, 2002. Geneviève BRYKMAN, article John LOCKE de l'Encyclopedia Universalis, 2004. Philippe RAYNAUD, article Deux traités du gouvernement civil de John LOCKE dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986. Léo STRAUSS, Histoire de la philosophie politique, PUF, collection Quadrige, 1994. Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck Université, collection Le point philosophique, 1998. Christian TUTIN, Une histoire des théories monétaires par les textes, Flammarion, collection Champs Classiques, 2009. Claude ROCHE, La connaissance et la loi dans la pensées économique libérale classique, L'Harmattan.1991.
PHILIUS
Relu le 19 mars 2019