L'expression résistance passive, pas même théorisée d'ailleurs, se retrouve à de nombreuses reprises pour qualifier l'attitude d'une population ou d'un groupe d'individus offrent une résistance à certains ordres d'une autorité qu'ils jugent illégitime ou d'ordres illégitimes d'une autorité constituée, une résistance faite d'ignorance volontaire de ces ordres. Certains auteurs par exemple qualifient l'attitude de certaines populations face à l'occupant nazie pendant la seconde guerre mondiale comme celle d'une résistance passive, opposée à la résistance active de groupes organisant des actions souvent violentes (attaques d'officiers allemands, sabotages divers...). Cette dichotomie passive/active avec pour seul critère l'expression plus ou moins organisée d'une violence met dans l'ombre les multiples formes non seulement les non-collaborations de populations, discrètes et portant sur le long terme, dans le domaine économique notamment, mais aussi les comportements de "retraits" de groupes sociaux par rapport à la population en général.
Elle reflète également le triomphe des apparences qui veut qu'un comportement discret même résistant n'a aucune valeur par rapport à un comportement extraverti, exhibitionniste et doté d'une certaine brutalité morale ou physique...
Le vrai sens de la résistance "passive"
C'est encore souvent l'expression de "résistance" qui est employée, notamment par les médias, pour désigner la résistance non-violente, constate également Jean-Marie MULLER. "Pourtant, écrit-il, la notion même de "résistance passive" comporte une contradiction intrinsèque qui lui enlève toute pertinence. Une résistance ne peut pas être passive : la passivité se caractérise précisément par le fait qu'elle n'offre aucune résistance à quoi que ce soit. L'expression "résistance passive" porte la marque des idéologies dominantes selon lesquelles il ne pourrait y avoir d'action que violente ; dès lors, le refus de la violence impliquerait le refus de l'action et ne pourrait n'exprimer que la passivité. C'est ainsi que la non-violence s'est trouvée souvent discréditée sous prétexte qu'en refusant de résister au mal, elle désarmerait les bons et ferait le jeu des méchants."
"En réalité, refuser de répondre à la violence par la violence, c'est précisément refuser de se soumettre à la logique de la violence que l'agresseur veut nous imposer et lui offrir la plus forte résistance possible. Refuser de rendre coup pour coup, c'est avoir la force, l'énergie, le courage de faire face pour envisager l'adversaire et défier sa menace, c'est lui refuser de prendre prétexte de notre contre-violence pour justifier sa propre violence. Car il attend notre riposte. Il pense même la mériter, en quelque sorte y avoir droit. Et le fait qu'il ne la voit pas venir le déconcerte et le confond."
"Ce n'est qu'à l'intérieure du système de la violence que la contre-violence peut apparaitre comme un moindre mal, mais l'objectif doit être de sortir de ce système. Or la contre-violence ne peut pas être efficace pour combattre le système de la violence ; elle en fait elle-même partie et ne fait donc que l'entretenir, que le perpétuer. Même lorsqu'elle apparaît comme un "moindre mal" selon les repères du système de la violence, la contre-violence est en réalité un mal qui continuera de contaminer l'avenir."
"La véritable résistance à la violence, c'est de refuser d'imiter la violence du violent, afin de rompre l'engrenage de la violence ; c'est récuser la vieille loi du talion "Oeil pour oeil, dent pour dent, mort pour mort" qui prolonge indéfiniment le cycle des revanches et des vengeances. Résister par la violence à la violence, c'est faire le jeu de la violence, c'est lui céder, c'est être subjugué, vaincu par elle. Aussi la non-violence est-elle une résistance, un affrontement, une lutte, un combat. C'est pourquoi elle est plus éloignée de la lâcheté, de la passivité et de la résignation que de la violence. Faire l'option de la non-violence, c'est vouloir offrir à la violence la résistance la plus active qui soit, avec la conviction que la non-violence est une plus forte résistance à la violence que la contre-violence."
La ruse plutôt que la violence
L'argumentation précédente peut paraitre plus philosophique que politique ou stratégique et pourtant, tout un ensemble de réflexion sur la stratégie fait remettre en cause une vision de l'histoire dominée par le primat de l'usage de la violence. Tant les événements historiques que les événements contemporains peuvent être vus sous un autre angle, sous une lecture non stéréotypée, afin de comprendre ce que la stratégie doit à la ruse (qui peut préparer une violence bien entendu), en identifiant des moments clés. Une dialectique de la force et de la ruse peut être mise à jour, une fois écartés les préjugés culturels et ethniques. La violence technologique n'oriente pas à elle seule l'histoire, ni non plus la violence tout court.
La confusion de la force et de la violence, comme l'idéologie de la violence elle-même, font qualifier la résistance sans armes de passive. Une connaissance plus fine de l'histoire tend à faire reconnaitre un rôle, qui est sans doute majeur, aux multiples résistances, et qui éloigne définitivement le qualificatif de passif accolé à celles-ci.
Jean-Vincent HOLEINDRE, La ruse et la force, Une autre histoire de la stratégie, Perrin, 2017. Jean-Marie MULLER, Dictionnaire de la non-violence, Les Éditions du Relié, 2014.
PAXUS