Le philosophe et militant pacifiste français Théodore RUYSSEN est le fondateur en 1887, avec son ami Jules PRUDHOMMAUX, de l'Association de la Paix par le Droit, qu'il préside de 1897 à 1948. Il milite pour la Société Des Nations et pour la paix. En 1913, il tient une série de conférences en Alsace, prônant l'autonomie de la province alors allemande.
Philosophe, il rédige des traités sur KANT (1900) et SCHOPENHAUER (1911), encore utilisé aujourd'hui. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la guerre et la paix, la société internationale, les minorités nationales, et aussi sur l'enseignement. Il dirige un périodique, La paix par le droit, de 1910 à 1927 (?). Dreyfusard de la première heure, il lutte aussi en faveur du droit de vote pour les femmes.
Par toutes ses initiatives et son réseau de sympathisants, Théodore RUYSSEN est un leader du mouvement pacifiste, même s'il est un peu oublié entre les deux guerres mondiales et encore plus ensuite. Ayant pour référence le Projet de paix perpétuelle de KANT, il souligne la filiation directe entre les idées du Président américain WILSON et celles du philosophe allemand. Fidèle à l'héritage des Lumières, il oppose aux pacifisme sentimental un pacifiste rationnel : pour prévenir les guerres, il faut avant tout éduquer les esprits en commençant à l'école et en dénonçant le chauvinisme de la grande presse populaire ; en même temps, il faut agir sur les gouvernements, les convaincre d'accepter la mise en place d'une armature juridique internationale.
Il lui est plus difficile, en revanche, de compter sur des attitudes spontanées de rejet de la violence. Si l'idée de paix est en effet associée à la raison, la guerre est mise en rapport avec l'instinct. Marqué par les théories du vitalisme qui fleurissent après 1900 et par l'enseignement de BERGSON, dont il fut stagiaire, baignant dans un milieu religieux, même s'il se distancie du catholicisme et fréquente de nombreux Juifs, RUYSSEN se réfère souvent dans ses textes - "non pas à l'instinct sadique et monstrueux d'un petit nombre d'hommes" mais à "un instinct combatif largement répandu, pour ainsi dire naturel à l'homme". Cette réalité psychologique individuelle associée à une réalité collective non moins puissante, la force des sentiments nationaux, rend, selon lui, totalement inefficaces des attitudes telles que l'objection de conscience. Il refuse néanmoins toute philosophie fataliste et estime que le monde va de l'état de nature à l'état de société dans les rapports internationaux. Disciple de Frédéric PASSY, il fait partie du courant du "pacifisme bourgeois". Il participe ainsi à la création en 1912 du bureau européen de la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Il est donc relativement loin des réflexions socialistes qui animent d'autres courants pacifistes, même si des rapprochements, à la veille de 1914, s'opère avec le monde ouvrier à l'occasion de la lutte contre la loi des trois ans (de service militaire).
L'affaire Ruassent, qui défraie la chronique universitaire au cours de l'hiver et du printemps 1913 est provoquée par ses conférences à Strasbourg, Mulhouse et Colmar, où il appelle à la paix et au rapprochement international et prône pour l'Alsace-Lorraine la liberté de choix de ses habitants (il penche pour un statut d'autonomie à l'intérieur du Reich). Il est accusé d'antipatriotique et riposte en s'en défendant, ce qui par ricochet, est mal reçu par l'ensemble de la mouvance pacifiste. C'est là qu'il est catalogué par la presse nationale et locale, comme le "prussien Ruyssen" et par des périodiques pacifistes de "pacifiste bourgeois", dans le plus grand sens péjoratif du terme... N'empêche qu'après 1918, ses thèses, de minoritaires au sein de l'opinion publique, deviennent majoritaires, voire officielles dans de nombreuses chancelleries, du moins dans un premier temps. A noter qu'après 1930, et après le procès de protestants soutenus par Les Cahiers de la Réconciliation fondé par Henri ROSER, ses opinions sur l'objection de conscience évoluent : oui en faveur de l'objection collective avec des fondements solides rationnels mais non à l'objection de conscience individuelle émotionnelle. A la veille de la guerre de 1939-1945, il désavoue lucidement les accords (de paix Hors du Droit) passés par les démocraties occidentales avec le régime nazi.
Si son action est oubliée par la suite, c'est parce le reproche sans nuances à la SDN de ne pas avoir su éviter la guerre, s'étend à la majeure partie du mouvement pacifiste.
Théodore RUYSSEN, Schopenhauer, L'Harmattan, 2004 (réédition) ; La guerre du droit, Paris, 1920 ; La société internationale, PUF, 1950 ; Les minorités d'Europe et la guerre mondiale, PUF, 1923 ; La philosophie de la paix, V. Giard et E. Brière, 1904 ; Les caractères sociologiques de la communauté humaine, 1939 ; Les tendances internationales dans l'enseignement, 1939.
FABRE, Un exemple de pacifisme juridique : Théodore Ruassent et le mouvement "la paix par le droit" (1884-1950), dans Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°39, juillet-septembre 1993, www.perse.fr