Armand Jean du Plessis de RICHELIEU dit le Cardinal de RICHELIEU, est un ecclésiastique et homme d'Etat français, principal ministre du roi Louis XIII. Son titre religieux peut induire en erreur en faisant penser à un homme religieux. En fait, sa vocation est militaire et il n'entre dans les ordres que pour des raisons familiales (bénéfice de l'évêché de Luçon). Si le titre de "Premier ministre" est utilisé, c'est de façon officieuse et son action englobe aussi bien les dimensions politiques, diplomatiques, coloniales et religieuses que militaires. Il rénove la notion de Raison d'État et en fait la clé de voûte de ses méthodes de gouvernement.
Ne faisant pas partie d'une famille située stratégiquement sur la scène politique intérieure, celle-ci n'étant que d'ancienne noblesse (de robe et d'épée), il fait souvent office de médiateur dans de nombreuses affaires intérieures, expériences qui le servent sur le plan diplomatique européen. Même s'il penche au départ pour les nobles face à l'autorité royale (trempant dans les combines de CONCINI...), se faisant d'ailleurs à moitié exilé pour cela, son ascension politique est due notamment à Marie de Médicis, avec laquelle pourtant, par sa politique contre les Habsbourg, il a toujours des relations mitigées. Face à un Louis XIII ombrageux et soucieux d'affirmer l'autorité royale, dans une situation de service-rivalité, RICHELIEU se fixe des buts clairs et constants : détruire la puissance politique du protestantisme en France, abattre l'orgueil et l'esprit factieux de la noblesse et abaisser la maison d'Autriche.
Une carrière d'homme d'État
RICHELIEU jette les premiers fondements de l'armée permanente en France, que réalisent plus tard LE TELLIER et LOUVOIS, et développe une doctrine de la guerre qui se définit à travers sa politique autoritaire et réaliste. Croyant en la valeur d'une bonne administration militaire et en un discipline de fer au sein des armées, il impose des réformes qui lui permettent de mettre sur pied une armée aux effectifs importants. Son expérience des affaires militaires ne se borne pas à ses décisions politiques. Lieutenant général, il acquiert une expérience de terrain en commandant des armées en campagne. Pour le Cardinal, l'intérêt national est sacré, plus même que la religion : il défait les huguenots à La Rochelle mais soutient les protestants contre les Habsbourg pendant la guerre de Trente Ans. L'action persistante qu'il engage contre les Espagnols contribue au déclin politique et militaire de l'Espagne. Son Testament politique (écrit entre 1630 et 1638, publié en 1688) fait état de ses vues théories sur la stratégie.
RICHELIEU place la défense du territoire avant toute autre considération stratégique, estimant que le pays doit se doter d'un réseau important de fortifications sur ses frontières. Afin que ce réseau fortifié protège effectivement le territoire, il doit être suffisamment approvisionné en vivres et en munitions pour se maintenir un an face aux assiégeants qui, selon lui, ne pourront eux, tenir un siège au-delà. Cette conception de la défense du territoire qu'adoptent après lui, Michel LE TELLIER et son fils LOUVOIS, et dont VAUBAN devient le maitre d'oeuvre, est à la base d'une certaine conception de la défense nationale en France dont on retrouve les traces au XXe siècle avec la construction de la Ligne Maginot. Il n'en demeure pas moins pour RICHELIEU que la qualité des hommes chargés de défendre le territoire est plus importante que la solidité des murailles fortifiées.
Il croit en la nécessité absolue pour l'Etat d'avoir une armée permanente : "comme il arrive beaucoup d'inconvénients au soldat qui ne porte pas toujours son épée, le royaume, qui n'est pas toujours sur ses gardes, et en état de se garantir d'une supprimée inopinée, a beaucoup à craindre."Au minimum, 50 000 hommes et 4 000 chevaux doivent être sur le pied de guerre. A partir d'une armée de 30 000 soldats, la France parvint à se doter d'effectifs dépassant les 200 000 unités sous RICHELIEU et les 300 000 avant la fin du XVIIe siècle.
Le Cardinal porte un regard sévère à l'encontre de la France et de ses qualités militaires : "Il n'y a point de nation au monde si peu propre à la guerre que la nôtre". D'un caractère léger et impatient, le Français est peu inclin à accomplir des conquêtes qui requièrent du temps et de la discipline. Pour compenser ces déficiences "naturelles", RICHELIEU veut doter son armée d'une structure solide et rigide capable d'exploiter les qualités des soldats français, comme le courage et la vaillance, tout en les empêchant de tomber dans la facilité et le découragement.
RICHELIEU souligne l'importance de la stratégie maritime et le rôle qu'elle doit jouer dans la stratégie globale du pays. Il veut doter la France d'une marine imposante, capable de rivaliser avec les meilleures marines d'Europe. En particulier, il veut répondre à la menace anglaise qu'il voit se profiler à l'horizon. Et si la France devenait une puissance maritime de premier plan, elle obligerait l'Espagne à augmenter ses dépenses pour protéger la route des Indes, ce qui aurait pour effet d'affaiblir ses prétentions européennes. De plus, la création d'une marine forte permettrait à la France de développer son commerce maritime tout en le protégeant de manière efficace, la puissance de l'Etat reposant avant tout sur la santé de son économie.
L'action politique et militaire de RICHELIEU est poursuivie avec succès après sa mort, et la France connait un renouveau militaire qui marque de son empreinte le XVIIe siècle européen, même si la marine française est destinée à demeurer en deçà des projets du Cardinal. Son Testament politique inspire par la suite bon nombre de souverains adepte de la realpolitik. (BLIN et CHALIAND)
Une historiographie contrastée
l'Histoire a offert de RICHELIEU des interprétations successives, comme il ne peut manquer d'arriver à une figure exceptionnelle. L'impopularité générale du cardinal en ses dernières années ("il n'était pas aimé du peuple, disait au XVIIIe siècle l'historien de Louis XIII, le père GRIFFET, et j'ai connu des vieillards qui se souvenaient encore des feux de joie (...) dans les provinces, (...) à la nouvelle de sa mort") a rendu, selon Guy JOLY, sa mémoire odieuse à la postérité. Et les romans d'Alexandre DUMAS n'ont pas arrangé les choses... D'où les légendes autour de l'homme rouge. Plus tard, on a prêté un programme précis (les frontières naturelles) à un fondateur de la grandeur française, à une politique réaliste dont les attaches religieuses et monarchiques n'ont paru que secondes.
Mais il faut le replacer dans son époque. Homme di XVIIe siècle français, il croit que le pouvoir monarchique issu de Dieu est la condition essentielle de la puissance du pays, sous réserve que le roi sache se faire obéir à l'intérieur et redouter au-dehors. Comme l'a dit Georges PAGÈS (Monarchie d'Ancien Régime), RICHELIEU fut un grand homme d'Etat ; il ne fut pas un administrateur, ni un réformateur par système. Opinion que rejoint celle de Carl J. BURCKHARDT (Richelieu, 3 tomes, 1966, réédition chez Laffont en 1970-1975) sur le "grand pragmatique guettant chaque occasion". Le but est constant : l'indépendance et le prestige de la France. Comment fut-il atteint? Une meilleure connaissance de la réalité française de son temps (structure sociale, mentalités, conditions économiques) et de la réalité européenne permet de mieux apprécier les difficultés renaissantes, les contradictions de l'entreprise et les résultats obtenus. Ceux qu'a pu connaître RICHELIEU lui-même et ceux qui n'ont été atteints qu'après lui, tant en politique étrangère (Traités de Westphalie) qu'en politique intérieure (absolutisme royal effectif), parce que les 18 ans de son ministériel avaient marqué une étape sans retour. (Victor-Lucien TAPIÉ)
RICHELIEU, Testament politique, Robert Laffont, 1947 et nouvelle édition Perrin, 2011. On trouvera aux Éditions A. Pedone, de nombreux Papiers de Richelieu, sous la supervision de Pierre GRILLON. Mémoires, nouvelle édition, en 10 volumes, Société de l'histoire de France, 1908-1931. Par ailleurs, ROCHELIEU n'a pas négligé les devoirs de sa charge de Cardinal, témoin ses Oeuvres théologiques, de 1647, tome I aux éditions Honoré Champion, 2002 et tome II aux Archives de sciences sociales des religions, juin 2007.
Michel CARMONA, Richelieu : l'ambition et le pouvoir, Paris, 1983. Etienne THUAU, Raison d'Etat et pensée politique à l'époque de Richelieu, Albin Michel, 2000.
Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Victor-lucien TAPIÉ, Richelieu, dans Encyclopedia Universalis.