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22 décembre 2017 5 22 /12 /décembre /2017 10:17

    Julian Stafford CORBETT est un historien naval et géostratégique britannique qui contribue aux réformes de la Royal Navy à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Ami et conseiller du Premier Lord de la flotte, l'amiral John "Jackie" FISCHER qui commande la marine britannique durant la Première Guerre Mondiale, il est choisi pour écrire l'histoire officielle des opérations navales durant cette guerre. 

   Sir Julian CORBETT est considéré comme le plus éminent stratégiste naval britannique du XXe siècle. C'est aussi les des premiers spécialistes civils de la défense.  Avocat de profession, mais peu fortuné, il écrit des nouvelles qui n'eurent que peu de succès mais que des connaisseurs peuvent lire au détour de leurs recherches littéraires. Puis, à la fin des années 1880, il est attiré par l'histoire maritime et son premier et principal ouvrage Drake and the Tudor Navy a un grand succès à sa parution en 1898. A la suite, il écrit The Successors of Drake, dans lequel il introduit un thème dont il souligne depuis l'importance dans son oeuvre ultérieure : les relations réciproques entre la terre et la mer, entre les forces terrestres et les forces maritimes dans le cadre d'une stratégie "maritime". Ses études d'histoire navale sont de fait beaucoup plus documentées que celles de MAHAN. 

L'aile progressiste des penseurs navals de l'époque l'accueille pour faire des conférences au sein du War Course, fondé à Portsmouth en 1906, qui reçoit tout particulièrement des officiers supérieurs en vue de leur montrer l'importance des leçons stratégiques que l'on peut tirer de l'Histoire. Le fait d'avoir reconnu l'existence de relations réciproques entre le militaire et le politique attire l'attention de CORBETT sur les travaux de CLAUSEWITZ, et l'un de ses succès est de replacer les concepts du stratégiste prussien dans un contexte maritime. Les conférences d'histoire maritime de CORBETT deviennent de vrais cours de stratégie représentant l'essentiel des études du War College. Afin d'aider les élèves, il écrit un opuscule, Strategical Terms and Définitions Used in Lectures of Naval History, qui devient ensuite le fondement de son ouvrage classique, Some Principles of Maritime Strategy, publié en 1911.

L'esprit logique de l'homme de loi qu'est CORBETT s'exerce d'abord dans l'analyse de ce que peut rapporter le combat, les "buts" politiques plus larges d'une "grande stratégie" et les "objectifs" opérationnels plus étroits d'une "petite stratégie". La stratégie navale est alors une subdivision de la petite stratégie et non une fin en soi, ce qu'avait essayé de démontrer Philip COLOMB (Naval Werfare, 1891). La nature du but définit la stratégie : elle peut être "offensive" avec un but "positif... chercher à conserver ses positions ou essayer d'en gagner d'autres", ou "défensive", avec un "but négatif... chercher à refuser à l'ennemi un avantage ou l'empêcher de s'emparer d'une position". L'offensive reste la forme la plus efficace de la guerre (elle mène le plus directement à la décision finale) ; celle-ci, en règle générale, doit être adoptée par l'adversaire le plus fort. "La défensive est cependant naturellement la forme de guerre la plus convaincante car elle requiert moins de force, et elle peut être choisie par l'adversaire le plus faible".

CORBETT affirme que les avantages de la défense, la proximité d'une base, la connaissance du terrain et les moyens pour monter une contre-attaque sont accrus dans la guerre navale moderne avec l'arrivée des nouvelles armes sous-marines. Bien qu'il souligne que la solution pour une "vraie offensive" consiste à attendre "d'avoir la chance de frapper", l'opposition instinctive de ses auditeurs à de telles vérités clausewitziennes le contraint à tempérer légèrement ses arguments. Dans la deuxième édition de son opuscule, en 1909, il qualifie la position défensive de "la plus durable" comparée à la forme "la plus forte" de la guerre ; toutefois, il continue de souligner que "la puissance de la défensive est particulièrement forte dans la guerre navale du fait que la mobilité des flottes leur permet de passer instantanément de la défensive à l'offensive, sans crier gare".

Cette insistance à traiter de la défensive montre que l'idée fait son chemin en Grande-Bretagne que la Royal Navy ne peut plus être garante de sa suprématie au XXe siècle ; les forces navales doivent être concentrées en des points stratégiques vitaux et déployées avec attention et circonspection. La maxime de CORBETT répète : "Si vous n'êtes pas relativement assez fort pour vous permettre de passer à l'offensive, restez sur la défensive jusqu'à ce que vous deveniez potentiellement offensif en prenant les dispositions suivantes :

- inciter l'adversaire à s'affaiblir par des attaques ou de toute autre façon ;

- ou bien augmenter sa propre force avec de nouveaux renforts ou encore en se faisant des alliés."

Il affirme ensuite : "Quand on est trop faible pour passer à l'offensive, il est souvent nécessaire d'adopter la défensive, et attendre que le sort des armes tourne en notre faveur et nous permettre de concentrer suffisamment de forces pour acquérir la supériorité sur l'adversaire ; c'est alors que nous passons à l'offensive, pour laquelle la défensive a été la préparation... Une position défensive prise dans un ou plusieurs secteurs secondaires permet d'y réduire nos forces à un minimum et, en revanche, de les concentrer au maximum pour l'offensive sur le théâtre le plus important". 

Même si ses recommandations frisent souvent la simple transposition de principes établis par CLAUSEWITZ et sans doute aussi par les théories de ce dernier sont parfois mal ou incomplètement incomprises, de telles idées scandalisent les penseurs les plus simplistes de l'époque, nourris de l'idéologie fondée sur la suprématie de la Grande-Bretagne. cependant, elles reflètent exactement les réalités stratégiques contemporaines.

CORBETT analyse froidement la nature des guerres, limitées ou illimitées, suivant leurs buts finaux ; une fois la nature d'une guerre d'une guerre déterminée par la nature de son but, offensive ou défensive, limitée ou illimitée, le système d'opérations est décidé en conséquence. Si le "but dans un quelconque théâtre d'opérations" consiste "à contrôler une certaine zone maritime dans laquelle l'adversaire maintenait une force navale, cette force navale deviendra l'objectif". D'habitude, il est clair en ce qui concerne les finalités de la stratégie maritime, soit la maitrise des communications et non la destruction de la flotte ennemie. Il précise que la maîtrise de la mer ne peut jamais être comme la domination d'un territoire, le but final de la guerre, à moins que ce soit une guerre strictement maritime, comme l'ont été les guerres avec les Hollandais du XVIIe siècle, mais ce peut être un but premier ou immédiat, et même le but final d'une opération particulière. CORBETT considère cela comme un correctif, non seulement à ce qu'écrit COLOMB et à son penchant pour exagérer l'importance des opérations navales en soi, mais aussi à MAHAN. Le fait que la pensée de ce dernier se concentre sur la "puissance maritime" exclusivement est considéré par lui comme élément d'un point de vue généralement rudimentaire et non conforme à l'Histoire. Sa propre interprétation de l'Histoire lui permet de tirer des preuves inductives de l'importance de la "la liberté de navigation et des communications." Les véritables fonctions de la flotte en temps de guerre ont été "d'empêcher ou d'assurer des alliances" et "la poursuite des opérations à terre ou leur interdiction".

Les forces navales remplissent cette fonction de deux manières, soit par des attaques directes du territoire ennemi, soit en s'emparant de la "maîtrise de la mer", c'est-à-dire en "occupant une position qui permettra de contrôler nos communications maritimes et celles de l'adversaire, de telle façon qu'on puisse monter une opération maritime contre son territoire, son commerce et ses alliés en l'empêchant de faire de même". La puissance nécessaire pour s'emparer de la maîtrise de la mer est "hors de proportion" avec la puissance nécessaire pour une attaque directe. La maîtrise de la mer peut être exercée globalement ou localement, temporairement ou d'une façon permanente ; on peut se la disputer au moins au cours des premières phases de la guerre, et fréquemment pendant tout le conflit. Contrairement à ceux qui avancent que la maîtrise de la mer est un préalable, CORBETT affirme avec fece que "la maîtrise générale de la mer n'est pas indispensable pour monter des opérations navales outre-mer". Souvent, avoir localement ou temporairement la maîtrise de la mer s'est révélé suffisant pour atteindre un objectif déterminé.

Ceci le conduit à s'interroger sur le dogme qui exige que le but recherché en toute circonstance soit la poursuite de la force navale ennemie et sa destruction. Il fait remarquer que la plupart des grandes actions sur mer menées avec succès l'ont été en contraignant l'ennemi à protéger ses lignes de communications essentielles des attaques de la flotte adverse.

Malgré les oppositions internes et externes au sein de la Navy, CORBETT affine sa critique de l'école qui prône la "bataille décisive" que MAHAN avait envisagé à la fois par sa passion pour la description des actions et sa critique des solutions françaises pour la recherche de la décision. Dans son Principles, il analyse sérieusement les possibilités du blocus et livre une brillante réflexion sur l'idée de fleet in being que le vicomte TORRINGTON avait développé en 1690 comme moyen "d'empêcher l'ennemi d'acquérir une position avantageuse jusqu'à ce qu'on soit en mesure de le combattre avec une chance raisonnable de succès". Et il ajoute avec enthousiasme : "Rien ne pourrait être aussi profondément en accord avec les proincipes d'une saine stratégie telle que nous l'entendons maintenant".

CORBETT souligne fortement la nécessité de posséder le maximum de croiseurs destinés à protéger le commerce maritime ; cependant la plus grande faiblesse de sa thèse réside dans le peu de cas qu'il fait du système des convois. Dans Somme Principles, il affirme qu'il est "douteux que cette protection supplémentaire du système des convois soit suffisante pour contrebalancer les inconvénients dans le domaine économique et les perturbations dans la planification stratégique". Cela aurait pu être une hypothèse correcte tant que la menace sur le commerce maritime britannique n'était représentée que par quelques croiseurs, mais elle s'est révélée catastrophique à peine six ans plus tard en 1917, quand les sous-marins, arme récente et pleine d'avenir, se lancent dans la guerre de course. (Eric GORVE, Martin MOTTE) On peut penser que les thèses de CORBETT sont également pour quelque chose dans le retard que prit l'Amirauté britannique (et même américaine) pour former des convois pendant la Seconde Guerre Mondiale afin de protéger le flux des approvionnements des Etats-Unis vers la Grande-Bretagne... 

 

     Les travaux sur l'oeuvre de Julian CORBETT sont très nombreux. Il existe même un Prix Julian Corbett en "Naval History". Jusqu'à la publication de l'étude de Joseph HENROTIN, il est pourtant peu connu en France. Parmi les plus importants travaux publiés sur son oeuvre figurent les livres de D. M. SCHURMAN, ceux de John HATTENDORF (essai Sir Julian Corbett on the Signifiance of Naval History, publié en 1971, réédité en 2000), sans compter bien évidemment la biographie récemment révisée de Corbett dans The Oxford Dictionary of National Biography de 2004. Eric GROVE est l'auteur d'une édition commentée de Some Principles of Maritime Strategy (Classics of Sea Power séries, US Naval Institue Press, 1988).

 

Julian CORBETT, Some Principles of Maritime Strategy, London, Green and Company, 1911 ; History of Great War Naval Operations, Based on Official Documents, London, Green and Company, en 3 volumes, 1920 à 1923. On trouvera dans Anthologie Mondiale de la Stratégie, Robert Laffont, 1990, le texte, assez long, le plus original de cet auteur : The Green Pamphlet de 1906, Traduction en Français de Catherine Ter SARKISSIAN, issu de Some Principles of Maritime Strategy, 1ère et 2ème partie, Introduction et notes de Eric GORVE, Naval Institute Press, Annapolis, Mas., 1988. 

Joseph HENROTIN, Julian Corbett, Renouveler la stratégie maritime, Argos, collection Biographies stratégiques, 2013. D.M. SCHURMAN, Julian S. Corbett, 1854-1922, Historian of British Maritime Policy from Drake to Jelicoe, Londres, 1981 ; The Education of Navy : The development of British Naval Strategic Thought, 1867-1914, Chicago, 1965. 

Eric GROVE, Corbett Julian, dans Dictionnaire de stratégie, Sous la direction de Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, tempus, 2016. Martin MOTTE, Corbett Julian, dans Dictionnaire de stratégie, sous la direction de Thierry de MONTBRIAL et de Jean KLEIN, PUF, 2000.

 

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