Il s'agit là d'une anthologie des textes du philosophe américain présentée par Gilles MARTIN, et préfacée par son traducteur, Léon BAZALGETTE (1873-1928). Au lieu de lire le récit de ses ballades ou ses réflexions sur la nature et la beauté, les responsables des éditions Aden ont choisi de faire lire les conférences contre les lois stigmatisant les esclaves évadés et capturés de l'opposant à l'esclavagisme.
Sont ainsi proposés, La vie sans principe (1854), Désobéir aux lois (1849), L'esclavage chez nous (1854), Pour John Brown (1859), Ses derniers moments (1860), Marcher (1851) et L'hôte (1843). Plusieurs textes précèdent les traductions françaises de ces oeuvres de Heny David THOREAU (1817-1862) : d'abord une présentation de Léon BAZALGETTE, peu connu de nos jours, mais qui eut une activité littéraire importante, fondateur du Magazine international, "revue mensuelle de littérature et de vie moderne" où se bousculent des écrivains qu'il contribue à faire connaitre en France (WHITMAN, THOREAU, Camille LEMONNIER, Georges EEKHOUD, Hnut HAMSUN, TOLSTOÏ, TCHÉKOV...) et du mouvement Clarté en faveur de la révolution bolchévique ; puis un hommage (assez court) posthume de Stefan ZWEIG écrit en 1929 au même Léon BALZAGETTE et enfin un avant-propos (plus long) de ce dernier.
Dans cet avant-propos, Léon BALAYETTE écrit que "c'est de nos jours seulement que l'on commence à reconnaître la vraie place de cet écrivain puissant, original et savoureux. Un peu perdu jusque-là dans le rayonnement d'Emerson et du groupe de Concord - le village d'Angleterre-Neuve où s'écoula toute sa vie -, on s'aperçoit de plus en plus que, dans cette constellation d'esprits brillants et charmants, il est unique et, par une certaine qualité qui nous est autrement précieuse aujourd'hui que le plus lumineux sourire, les dépasse tous, qu'il "transcende" aisément ces transcendantalistes. Remise au point qui ne fait d'ailleurs que confirmer le verdict d'Emerson lui-même, assez subtil pour sentir cette supériorité chez son intime ami, et assez sincère pour se l'avouer à lui-même. (...) C'est ainsi que, pendant longtemps, amis des fleurs et des oiseaux, naturalistes, amoureux du plein air ont seuls lu cet écrivain. Ils avaient raison certes, mais à présent nous avons aussi raison de ne pas leur abandonner Henry Thoreau. Car il a bien d'autres choses à nous confier que des choses charmantes ou précises sur la mésange à tête noire ou les brochets de son étang". L'introducteur du philosophe américain fait ici allusion au fait que THOREAU est connu (et parfois dans certains milieux c'est le cas encore) surtout pour l'écologie et le naturalisme,... alors que son esprit contestataire est bien plus important pour notre propos.
"C'est aujourd'hui, écrit-il encore, aussi que se prouve la hardiesse de sa pensée. Non seulement elle n'a point vieilli, mais peut-être a-t-elle pris pour nous un accent plus riche, un sens plus plein que celui qu'elle pouvait avoir pour les moins timides parmi ses contemporains. Le temps, les expériences l'ont comme mûrie, ont développé les sens latents qu'il y a déposés. S'imaginer, parce qu'il n'y a plus d'esclaves noirs dans les plantations du Midi ou parce que la guerre du Mexique est de l'histoire très ancienne, que sa dénonciation de l'esclavage et des appétits de conquête n'a plus aucun sens pour le lecteur au XXème siècle : erreur. Lorsqu'un tel homme prononce certains mots, "les esclaves", "la guerre", ces mots ont une ampleur qui les fait coïncider avec tous les âges." On écrirait ces lignes aujourd'hui, elles ne seraient malheureusement pas obsolètes...
Ces textes sont, encore une fois, l'occasion d'apprécier à la fois la forme littéraire et le fond décapent de son oeuvre.
Henry David THOREAU, Désobéir, Anthologie politique et réfractaire, traduit de l'anglais par Léon Bazalgette, Les Editions Aden, juin 2013.