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1 septembre 2016 4 01 /09 /septembre /2016 07:46

      L'État et la société civile, par-delà les définitions juridiques, constituent des catégories de philosophie politique dont la conception a changé depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, en fonction de ce que les acteurs qui pensent la société en ont perçu et en perçoivent. Depuis Éthique à Nicomaque d'ARISTOTE jusqu'à Principes de la philosophie du droit de HEGEL, des conceptions d'AUGUSTIN, de THOMAS D'AQUIN, de BODIN, de HOBBES et de LOCKE, des philosophes anglo-écossais aux philosophes des Lumières, de FICHTE, de KANT, de HEGEL, et contradictoirement, de BURKE, de Karl Ludwig von HALLER (1768-1854) ou de Heinrich von TREITSCHKE (1834-1896), des libéraux aux marxistes, société civile et État font l'objet de réflexions qui concernent la société, la civilisation toute entière.

    Malgré une opposition souvent des termes (civil et militaire),  il s'agit moins de philosophies qui évoluent en fonction des progrès des États ; la société civile n'est généralement pas conçue comme dérivée ou antagonique des éléments des armées.

Si aujourd'hui État et société civile sont clairement distingués, sans doute vu l'affaiblissement de l'importance des questions militaires dans l'esprit de beaucoup, et en tout cas du prisme de la violence armée comme facteur explicatif de la société, il n'en a pas toujours été ainsi, dans l'Antiquité et jusqu'à l'orée des Temps modernes. En éclairant l'évolution de ces deux concepts, on éclaire beaucoup la direction que prend en général l'ensemble des sociétés à travers le monde, même si les visions hiérarchiques, les dominations de toutes sortes (entre sexes, entre religions, entre ethnies, entre catégories sociales) paraissent parfois prendre le dessus. La modernité même, à travers notamment la circulation de plus de plus intense de représentations diverses du monde - qui relativisent nombre de certitudes qui ancrent tant de pouvoirs - est partie prenante de ces changements de perception. 

 

   Pas plus que l'État, la société civile ne peut faire l'objet d'une définition qui traverserait les siècles et les territoires. Non seulement parce que l'État est en grande partie une construction idéologique, mais aussi parce que les contours de la puissance publique varie dans la réalité d'une population à une autre. La société civile ne constitue une catégorie qui en vient à certains moments à se construire et à se développer contre l'Etat que pour autant l'un et l'autre nourrissent des projets et des pratiques politiques, sociaux, économiques... de manière coopérative. Sans État aujourd'hui, on peut craindre que la société civile ne survive pas dans sa forme pacifique, pacifiée et surtout de manière pérenne ; sans le soutien de la société civile de nos jours, l'État se réduit à une coquille presque vide ou alors se limite à être une entité autoritaire autant dirigée contre l'extérieur que contre ses propres citoyens devenus alors sujets passifs relativement rétifs à en assurer, l'efficacité, la fiabilité et la puissance. 

 

   Après les grandes construction intellectuelles et les grands projets nourrissant État et société civile, et à cause de leurs déclins relatifs, diverses théories à partir des années 1970, dessinent de nouvelles formes de coopérations et de conflits entre ces deux formes d'organisation collective. Surtout orientées vers la description d'un "troisième secteur" qui ne serait ni l'État ni la société économique, divers auteurs comme Amitai ETZIONI (né en1929), Theodore LEVITT (1928-2006), RUFFOLO analysent la société civile dans une logique "communautariste". Au cours des années 1980, des études sur la société civile tentent de répondre à la question de savoir pourquoi les sociétés complexes produisent et reproduisent un secteur "sans but lucratif" indépendant du marché et de l'État. On observe alors plusieurs autres clivages théoriques qui dépassent sans les nier les modèles antérieures des auteurs anglo-écossais, libéraux, conservateurs et marxistes. Elmut WILLKE (né en 1945) et Wolfgand SEIBEL (né en 1953) développent par exemple des théories plus ou moins systémiques influentes. Adalbert EVERS produit de son côté une analyse relationnelle de la société civile entre Marché, État, comme sphère informelle. Son "triangle du bien-être" ne se départit sans doute pas suffisamment d'un certain "angélisme" qui met en avant bien plus les coopérations que les conflits.

On peut observer que beaucoup d'analyses, inspirées d'une vulgate libérale plus ou moins mise en avant, ne donnent pas beaucoup d'outils pertinents que d'autres analyses, marxistes celle-là, notamment celles d'Antonio GRAMSCI. 

 

     Daniel MOUCHARD fait observer deux difficultés de tenter une approche systémique de la société civile.

Cette notion est d'un usage et d'un contenu particulièrement fluctuants : "quoi de commun entre la conceptualisation hautement technique qui en fut donnée par Hegel et ses usages sociaux et politiques les plus communs? A cette fluctuation s'ajoute une oscillation constante entre l'analytique et le normatif : dans ses divers contextes, l'idée de "société civile peut, certes, se concevoir comme un outil scientifique, mais aussi, et c'est le cas le plus fréquent, comme un concept politique connoté positivement ou négativement, le positif l'emportant d'ailleurs largement la plupart du temps (l'auteur veut dire de nos jours).

En fait, continue-t-il, ces deux difficultés ont la même racine : pour reprendre la formule de Dominique Colas (Le Glaive et fléau, Généalogie du fanatisme et de la société civile, Grasset, 1992) la société civile est un "concept différentiel". Autrement dit, le terme fait le plus souvent partie - dans les différents systèmes de pensée qui en font usage -, d'un couple d'oppositions et se définit par rapport ce à quoi il s'oppose. Le plus célèbre de ces couples est le fameux "Etat/société civile", lieu commun à la philosophie et à la science politiques (occidentales, convient-il de préciser selon nous). Mais il existe des oppositions plus anciennes dont il importe de démêler l'écheveau. Retracer le parcours historique de ce que l'on appelle "société civile" (permet) de mieux l'appréhender, et de comprendre mieux certains de ces usages contemporains."

 

Catherine COLLIOT-THÉLÈNE, État et société civile, dans Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 1996. Rocco VITALI, Etat et société civile : une coopération conflictuelle, Pyramides, n°6, 2002. Daniel MOUCHARD, Société civile, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

PHILIUS

 

Complété le 3 octobre 2016. Relu le 10 juillet 2022.

 

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