L'histoire de la tolérance et de l'intolérance dans le catholicisme revient à visiter l'histoire de l'Église chrétienne depuis les Pères Fondateurs jusqu'à la Réforme. Il s'agit d'ailleurs plus d'une histoire de l'intolérance, de ses arguments comme de ses pratiques.
Ce n'est qu'en plein XVIIe siècle européen que s'élève le débat sur les vertus de la tolérance chez les Catholiques, suite aux guerres de religion, mais reprenant aussi les arguments d'un certain nombre de figures chrétiennes dans l'histoire qui refusent cette intolérance. Le nombre de schismes, d'hérésies générées dans le sillage ou à l'intérieur même de la Chrétienté témoigne de l'importance des dissensions sur le fond du message de l'Évangile. L'Église de Rome, toujours étroitement liée à des pouvoirs temporels (l'Église est d'ailleurs dans la majeure partie de l'histoire une puissance temporelle), doit faire face de manière pratiquement ininterrompue à des dissidences multiples, bien plus d'ailleurs (et bien plus radicales) que dans maintes autres religions. Cela explique sans doute l'aspect de citadelle assiégée donnée par cette Église, cause et effet sans doute de son intolérance doctrinale. Passé le siècle des Lumières, et sans doute parce que l'Église catholique n'a plus les moyens de coercition d'autrefois pas plus que l'adhésion de toutes les masses chrétiennes, de nouvelles doctrines de tolérance s'affirment, jusqu'à l'oecuménisme d'aujourd'hui, dans un monde où toute la Chrétienté justement fait figure de citadelle assiégée, entre, ceci cité sans souci de chronologie, les nouvelles influences des spiritualités orientales, la poussée socio-politique de l'Islam, l'existence d'un fort courant areligieux ou antireligieux. Il reste sur le plan des moeurs beaucoup de rigidités doctrinales dans l'Eglise catholique, bien plus que dans le monde des religions réformées, des intolérances qui apparaissent, en regard des connaissances de la réalité terrestre, assez incompréhensibles à la majorité même des fidèles...
Il faut remonter, et d'ailleurs beaucoup de théologiens catholiques y remontent, à Saint Augustin pour trouver les racines de l'intolérance de l'Église de Rome. Les premières doctrines de l'intolérance datent de la fin de l'Empire Romain d'Occident, où se mêlent les conflits entre donatiens, catholiques et païens, entre anciennes et nouvelles classes dominantes dans l'aristocratie terrienne, entre pouvoirs politiques émergents qui mènent plus tard au système féodal, ces derniers jouant tantôt les uns contre les autres, tantôt tentant de faire prévaloir des idées de tolérance. Si l'Église catholique vainc, ce n'est pas vraiment dû à la force de conviction de ses prêcheurs, mais plus à des conjonctures politiques, économiques et sociales. Il faut écouter les vainqueurs catholiques se vanter d'interventions divines en leur faveur pour croire que de tels arguments avaient plutôt bien cours tout au long du Moyen-Age, de la Renaissance, et même dans les temps Modernes.
Selon Augustin...
Augustin, auteur sans doute le plus cité dans la littérature catholique en général et sur l'intolérance catholique en particulier. Les arguments dont Augustin se sert pour défendre sa cause sont de deux sortes : des arguments à contingences historique, valables essentiellement à l'égard des Donatistes et des arguments doctrinaux.
Comme le rapporte Robert JOLY, Augustin reproche aux Donatistes d'avoir fait appel à l'empereur Constantin contre Cécilien. "Il y a cependant quelque différence à demande l'arbitrage impérial et à justifier des mesures répressives qui ne viennent qu'ensuite. Dans le même ordre d'idées, Augustin leur reproche aussi d'avoir provoqué et admis les mesures de Julien l'Apostat. Quel scandale de protester contre les décrets d'empereurs chrétiens et d'applaudir à ceux d'un païen! Mais Athanase lui-même était revenu d'exil en bénéficiant de la tolérance de l'Apostat. P Monceaux écrit que les Donatistes obtinrent de Julien toutes les libertés, "y compris celle de persécuter les catholiques". On ne voit aucunement que ce bout de phrase corresponde à la réalité. La restitution aux Donatistes des églises confisquées auparavant au profit des catholiques n'alla certes pas sans escès, ni sans meurtres. C'est le contraire qui serait étonnant en Afrique. Que l'on pense surtout que depuis très longtemps à cette époque, le donatisme est brimé, qu'il a souffert deux persécutions sanglantes, l'une sous Constantin, l'autre au temps de Macaire. Il dénie aussi aux Donatistes le droit de protester contre les persécutions, puisqu'ils ont eux aussi persécuté les Maximianistes. (...) L'argument historique le plus répandu dans les oeuvres d'Augustin concerne les crimes des Circoncellions. Les mesures répressives ne sont de la part des catholiques qu'une réaction de légitime défense devant les horreurs perpétrées par les Circoncellions. Loin de nous la pensée de minimiser ces dernières. Il suffit de remarquer que les doctrinaires donatistes rejetaient la responsabilité de ces violences, que les Circoncellions formaient plutôt à à-côté du donatisme, réprouvé par une majorité de modérés et enfin, que les empereurs catholiques avaient eu l'initiative des mesures violentes. D'ailleurs, l'évêque d'Hippone lui-même sait qu'il entre beaucoup de rhétorique dans ses développements sur ce sujet. (...).
Ce n'est pas sur des considérations historiques que saint Augustin fondait véritablement la légitimité de la coercition, mais bien sur des affirmations doctrinales. Son idée essentielle me parait être la suivante : il faut forcer les schismatiques et les hérétiques à rejoindre l'unité catholique parce que c'est objectivement leur seul salut possible. C'est par amour, par charité qu'il faut les faire souffrir : les souffrances qu'on leur impose de la sorte sont des bagatelles à côté des châtiments éternels qui les attendent infailliblement dans la vie future s'ils ne se convertissent pas. La même charité qui le pousse à exhorter, à harceler les non-catholiques, à leur proposer des discussions le pousse également, si l'apostolat ne réussit pas, à recourir à des méthodes plus fortes. Augustin ne fait ainsi qu'exprimer le raisonnement même de Dieu : "Si donc, dans sa miséricorde, Dieu nous avertit maintenant par l'organe des puissances humaines, c'est afin de n'avoir pas à nous frapper au dernier jour, et de ne pas laisser aux orgueilleux (la triste ressource) de se vanter de leur condamnation" (Contra ef Parmen). Bien entendu, puisque les catholiques sont seuls à détenir la vérité, seuls ils ont droit de recourir à une certaine violence. C'est la charité qui s'oppose invinciblement à ce qu'Augustin accepte la mort comme châtiment de l'hérésie ou du schisme : faire périr des gens non convertis, c'est les précipiter en Enfer, c'est donc obtenir le résultat opposé à celui qu'on souhaitait. Une charité plus humaine lui fait rejeter aussi la torture : Augustin se contente d'amende, de flagellations, de confiscation, d'exil. (...) Il ne s'agit pas de punir, mais de corriger. Ce n'est pas la personne humaine que l'on attaque par ces méthodes, c'est le vice qui est en elle et Augustin insiste lourdement (...).
Quand on lui demande ce qu'il fait du libre arbitre, Augustin proteste. On ne force personne à la foi. Seulement, la tribulation fait réfléchir celui qui souffre, elle fait disparaitre la perfidia ; après quoi, l'adhésion à la vraie foi devient sincère, spontanée." Augustin réfute par des arguments scripturaires la thèses que les hommes ne doivent pas être amenés malgré eux à la vérité.
"Un second thème de la pensée augustinienne a un aspects plus juridique. L'hérésie est un crime contre Dieu, contre la vraie Eglise ; c'est au fond le pire crime qui soit. Il est donc absolument naturel que les lois l'interdisent et prévoient le châtiment des coupables. Et le schisme est un crime parce que dans ce monde il ne faut pas séparer les méchants des bons (les Donatistes prétendaient être obligés en conscience de se séparer des infâmes traditores). Cette séparation n'aura lieu que dans l'au-delà. L'Église ici-bas est forcément mélangée, sans que se sainteté en souffre. Chez saint Augustin, cette doctrine est un véritable leit-motiv, mais il la devait au donatiste schismatique Tyconius. (...)" Les empereurs chrétiens ont raison de recourir à la force et notamment celle d'invalider leurs testaments. Ce crime contre l'Église fait de l'Église la vraie persécutée, la vraie martyre.
Les arguments scripturaires d'Augustin sont repris très souvent et Pierre BAYLE part d'eux pour réfuter les arguments doctrinaux en faveur de l'intolérance.
Augustin lui-même a décrit l'évolution qui l'a conduit de la tolérance à l'intolérance (Lettres, XCIII, 17) : deux faits essentiellement, les crimes des Donatistes et les effets heureux de la contrainte, qui en peu de temps amène les anciens hérétiques à la plus grande reconnaissance à l'égard de ceux qui les ont d'abord forcés au catholicisme. Il y revient souvent et s'en extasie. Mais selon lui, la contrainte seule ne suffit pas, l'enseignement doit la suivre. Plus tard, les leaders de l'Inquisition se prévalent de ses écrits, de même que les responsables des multiples dragonnades durant les guerres de religion. Mais c'est le trahir en partie, car il limite toujours la nature des sévices permis. Cette limitation est dans l'histoire de l'Église catholique largement ignorée, et on ajoute à la liste d'Augustin des châtiments autrement plus durs.
Pourquoi donc Augustin, qui n'ignore pas que de leur côté les Donatistes obtiennent des conversions par les mêmes moyens, pense-t-il que ses efforts donnent des fruits si "exaltants". Il y a comme des non-dits dans ses écrits, des non-dits qui deviennent ceux de l'Église catholique toute entière et qui sont d'ailleurs une des causes de sa chute au XVIIe siècle. C'est que la preuve de cette conversion réside non seulement dans l'observance des rites chrétiens par les anciens hérétiques mais aussi dans la scrupule obéissance matérielle : paiement d'un impôt à l'Église, participation à la construction des édifices religieux, acceptation de recevoir cet enseignement qu'Augustin juge si nécessaire... Plus tard, l'Église augmente ses exigences fiscales, s'appuie sur le système féodal pour en obtenir le paiement régulier, et multiplie les sources de revenus directement liées à la pratique religieuse. C'est ainsi que la pénitence est accordée contre, notamment pour les classes les plus riches, espèces sonnantes et trébuchantes. C'est cette fameuse question des indulgences qui est le prétexte pour les premiers protestants de remettre en cause les prérogatives religieuse de l'&glise catholique, indulgences qui sont liées à toute une collection de ressources et d'agents séculiers chargés de les recouvrir... A l'époque d'Augustin, même si les voeux de pauvreté restent courants, il est nécessaire, tout de même, pour subvenir aux besoins des prêcheurs, de leur assurer des minimum assez larges pour vivre... Ainsi les dépenses à la gloire de Dieu constituent de tout temps les meilleures preuve de foi.
Le monachisme et les Universités, vecteurs de tolérance...
L'accroissement de la richesse matérielle de l'Église au Moyen-Age, parallèle d'ailleurs à un affaiblissement des compétences spirituelles (et parfois tout simplement, intellectuelle...) constitue une des causes du développement, avec les guerres incessantes, du monachisme. La multiplication des monastères est contenue alors par l'Église, forcée de se réformer et de se ressourcer sur le plan théologique, en accordant des statuts d'ordres religieux. On voit se déployer alors plusieurs ordres monastiques concurrents, caractérisés par une plus ou moins grande tolérance. Si l'intolérance reste très valorisée dans la hiérarchie catholique, gardienne de la foi, qui peut parfois déléguer des tâches d'Inquisition (Ordre des dominicains...), les débats sur la tolérance et l'intolérance, surtout par rapport à l'Islam - les croisades sonnant une certaine défaite de la première, mais aussi par rapport à certaines hérésies, traversent l'Église à sa "marge" (qui constitue tout de même une grande proportion des "savants"). C'est surtout dans ces ordres, dont beaucoup mettent en avant des valeurs de pauvreté, des voeux de charité et des approches de paix, que se développent (Saint François, et certains Ordres franciscains à sa suite) une certaine tolérance au sein de l'Église catholique. Avec difficulté, tant les représentants de la hiérarchie veillent au sein même de ces Ordres. Ces représentants veillent également sur tout le système d'enseignement et à la conformité de toute la scolastique qui s'élabore et s'affine dans des Universités pourtant jalouses de leur indépendance (1200-1500).
Tant les Universités que les Ordres religions sont bon an mal an les réceptacles et les moteurs de réflexions théologiques et philosophiques de plus en plus diverses, sous le coup de redécouvertes d'ouvrages longtemps disparus (de Platon et d'Aristote) et sous le coup de découvertes de nouvelles contrées et d'autres moeurs... Des penseurs comme Thomas d'AQUIN (1225-1274), Siger de BRABANT (1240-1284), Dietrich de FREIBERG (1250), Dante ALIGHERI (1265-1321), Maitre ECKART (1260-1328), Jean Duns SCOT (1265-1308), Guillaume d'OCKHAM (1285-1349), Grégore de RIMINI, Jean BURIDAN, Albert de SAXE, Nicolas de CUES (1401-1464), par l'effervescence intellectuelle et politique que leurs réflexions et leurs textes suscitent, malgré le contrôle intellectuel que l'Église tente d'exercer, permettent à d'autres à la Renaissance d'approfondir des questionnements philosophiques, moraux et politiques qui mettent de plus en plus à vif les vérités sur lesquelles toute une classe religieuse assoit à la fois sa prospérité spirituelle et sa réussite matérielle.
Schismes religieux et intolérance...
Les liaisons de plus en plus fortes entre les monarchies (absolues) et l'Église ont raison de ces velléités de tolérance, et domine alors jusqu'au XVIIe siècle les figures des grands prêcheurs comme BOSSUET. C'est au sein même de l'Église que naissent les plus grands schismes dont l'Église ne se relèvera pas : anglicanisme, calvinisme et luthérianisme creusent les divergences et les destins politiques des nations dans lesquelles ils naissent. L'intolérance nourrit d'abord l'intolérance : ce n'est pas avec la répression de la justice ecclésiastique que les nouvelles figures religieuses peuvent faire preuve de tolérance. Même se elles le voulaient, elles ne seraient même pas entendues de leurs partisans religieux et politiques. A l'intolérance de BOSSUET répond celle de JURIEU et, faute de s'éclore en milieu catholique, les théories politiques et philosophique sur lesquelles peuvent se fonder la tolérance se développent surtout en milieu protestant.
Même au XIXe et au XXe siècle, les figures de l'intolérance dominent encore l'Église catholique où le dialogue interreligieux se fait freiner ou se révèle sélectif (d'abord avec les religions non chrétiennes, plus difficilement avec le protestantisme et avec les Orthodoxes). Et où l'oecuménisme, même en plein milieu de la participation de nombreuses organisations catholiques dans le domaine de la paix, de la coopération économique et de la justice sociale, fait débat.
La Papauté et la Curie romaine sont encore longtemps des gardiens intolérants de la "vérité chrétienne". Encore en 1841, le cardinal Pie peut écrire une défense de l'intolérance religieuse, sur le thème qu'il n'y a qu'un seul Dieu, un seul Seigneur, une seule foi et un seul baptême.
Cardinal Pie, Sermon prêché à la cathédrale de Chartres : sur l'intolérance doctrinale, 1841 et 1847, dans Oeuvres sacerdotales du Cardinal Pie, Librairie religieuse H. Oudin, 1901. Robert JOLY, Saint Augustin et l'intolérance religieuse, dans Revue belge de philologie et d'histoire, tome 33, fascicule 2, 1955 ; L'intolérance catholique, Origine, développement, évolution, Espace de libertés, 1995.
PHILIUS
Relu le 5 avril 2022