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15 mars 2016 2 15 /03 /mars /2016 11:00

    Figure du socialisme anglais, inspirateur du courant "socialiste utopique", baptisé "owenisme", et fondateur du mouvement coopératif, Robert OWEN est d'abord un industriel (filature de coton) dès 1791. Ses activités le mènent également aux Etats-Unis et au Mexique.

     C'est dans ses ateliers qu'il entrepend d'abord d'élever le niveau de vie de ses ouvriers et de leurs familles (logement, santé, lutte contre l'alcoolisme, fournitures vestimentaires, éducation...). Créateur de l'école primaire en Angleterre, il se pose d'abord en philanthrope actif. Associé à Jeremy BENTHAN et au quaker William ALLEN (avant de se brouiller avec eux), Il développe une pensée philosophique axée sur l'éducation, la morale, le travail, l'idéal communautaire, dans un environnement politique et social marqué par le marasme économique du aux guerres napoléoniennes. Il s'agit avant tout de lutter contre la misère des masses populaires.

Le mot et l'esprit du socialisme commence à être entendu dans les débats de l'"Association of All Classes of All Nations" fondée en 1835 par Robert OWEN. Ses idées sur la laïcité gagnent suffisamment de terrain chez les ouvriers pour que la Westiminster Review annonce en 1839 qu'une grande partie d'entre eux partagent ses vues. Mais ses expérimentations économico-sociales très coûteuses se soldent par des échecs, et en 1846, ses idées, largement relayées par les journaux, ses écrits et ses conférences, ne subsistent plus que dans le mouvement coopératif avant de disparaitre progressivement. Il abandonne alors toute activité sociale pour se tourner vers le spiritualisme.

       

     Ses principales oeuvres s'échelonnent de 1825 à 1848, avec notamment Esquisse du système d'éducation (1825), Propositions fondamentales du système social (1837), Le Livre du nouveau monde moral (1847), Adresse à l'assemblée nationale de France (1848), Courte exposition d'un système social rationnel (1848), Dialogue entre la France, le monde et Robert Owen (1848), Proclamation au peuple français (1848).

 

     Il fait de son usine de New Lanark en Ecosse, vers 1800, une usine modèle, bientôt si célèbre en Europe qu'on parle de "l'expérience New Lanark" de renommée égale sinon supérieure au Phalanstère de FOURIER. Amélioration de la condition ouvrière, innovations pédagogiques (jardin d'enfants, méthodes actives, cours du soir...) constituent des éléments dont il fait la propagande jusqu'au Parlement. Mais il y perd progressivement ses soutiens en raison de la critique sociale radicale qu'il entreprend. En 1817, ses projets de "village de coopération" pour les pauvres, alternative à la société de compétition capitaliste, s'accompagnent d'une dénonciation fracassante de toutes les religions. Pour OWEN, l'érection de communautés autonomes de travailleurs résoudre la question sociale et inaugurera un nouvel ordre mondial.

Échouant dans la promotion auprès des classes dominantes britanniques, il tente en 1824 d'établir des communautés aux États-Unis (il engloutit sa fortune notamment dans le projet de New Harmony, très éphémère réalisation). Après un espoir de colonisation communautaire du nord du Mexique, il se retrouve en Angleterre en 1829 à la tête d'un réseau de coopératives, puis d'un système de bourses du travail, puis d'une éphémère union syndicale, la Grand National Consolidated Trades  Union (1834), où une large fraction de la classe ouvrière se rallie à lui. Devant tant d'échecs, il revient plus directement à la propagation de ses idées, notamment avec son ouvrage Le livre d'un nouveau monde (1834-1835).

A travers plusieurs regroupements, telle l'Association de toutes les classes de toutes les nations, il développe un mouvement appelé socialisme. A son apogée, vers 1840, ce mouvement touche des dizaines de milliers d'ouvriers et d'artisans, galvanisés par l'attention et la préparation de la "communauté". Les leaders du mouvement tentent d'officialiser la création de l'exploitation communautaire de Queenwood (Hampshire, 1939) sans plus de succès. Son échec en 1845 entraine l'effondrement du mouvement. (Antoine LION).

    Féminisme, anti-cléricalisme, dénonciation de la propriété privée suscitent une réaction violente du clergé et d'une partie du Parlement, qui devant une certaine incapacité du mouvement oweniste à élaborer une analyse politique cohérente et une stratégie politique à moyen ou long terme, écrasent toute possibilité de mouvement de masse. Les rescapés de l'owénisme, ce qui rappelle un peu l'évolution du saint-simonisme juste après la mort du fondateur, se rabattent sur l'organisme religieux, animé moins par un millénarisme déiste que par la conscience d'être les véritables chrétiens mettant en pratique les enseignements de Jésus. Robert OWEN lui-même continue jusqu'à sa fin de militer en faveur son système. Beaucoup font de lui le créateur du premier mouvement socialiste, ancêtre supposé des systèmes coopératifs, même s'il est critiqué (avec vénération) par MARX et ENGELS comme "socialiste utopique".

      

   Si quelques coopératives de consommation comme celle des Equitables Pionniers de Rochdal ont pu naitre de la conjonction des mouvements owéniste et chartiste, ceux-ci n'en sont pas moins profondément opposés et Owen s'est toujours tenu à l'écart du chartisme. En effet, tout d'abord, le socialisme de paix sociale d'Owen diffère du chartisme fondé sur la lutte des classes qui préconise grèves et insurrections. Ensuite, tandis qu'Owen méprise l'action politique et sépare démocratie et socialisme (suffrage universel et droits politiques sont inutiles pour la fondation de villages communistes) la Charte du peuple de mai 1838 ne formule que des revendications politiques. Enfin, tandis qu'Owen fait appel à la puissance publique, le chartisme se tourne vers le peuple. Le chartisme décline malgré son appel au peuple à partir de 1843 et se décompose en 1848 ; ce mouvement , très peu doctrinal, consiste plus en une révolte contre le machinisme qu'un véritable mouvement de classe doté d'une stratégie. 

 

   Loin de réduire son action sous une étiquette de socialiste utopique, de nombreux auteurs contemporains ont tendance à le réhabiliter en en faisant plutôt le pionnier du syndicalisme ou de la législation du travail, l'apôtre de la coopération ou comme l'inventeur des cités-jardin. Mais Robert OWEN se dote d'un véritable projet de société, notamment à travers sa brochure A New view of Society de 1813-1814, bien avant ses oeuvres que l'on juge traditionnellement principales. 

Dans son interrogation sur l'essence du XIXe siècle, Pierre LEROUX (La grève de Samarez, poème philosophique, édition J-P Lacassagne, Paris, 1979), en même temps qu'il associe Owen à Saint-Simon et Fourier, invite à distinguer dans l'oeuvre d'OWEN, trois éléments d'inégales valeurs, la prédication, le système, la révélation :

- La prédication tient en cette proposition : "L'erreur, le mal et la misère existent partout ; et les moyens d'établir la vérité, la richesse, le bonheur abondent partout. Et l'in ne pourrait fait l'échange".

- Le système consiste dans la solution à laquelle est rattaché le nom d'OWEN : "Il a imaginé que le Genre humain se grouperait par petites sociétés de 500 à 3000 personnes ; il a organisé d'une certaine façon son établissement à New Lanark ; il a fondé New Harmony ; c'est-à-dire qu'ayant acheté des terres, il les a distribuées à diverses Communautés qui ont bien ou mal réussi", ce qui importe peu, car ce qui est important, c'est la communauté, le convent, le monastère moderne.

- La révélation, ou l'essentiel de la doctrine d'OWEN, ce qui a fait de lui un homo novus : "La Société humaine, affranchie des forces fatales de la nature, deviendra un mécanisme ; et l'homme, lui-même devenu libre, sera un rouage de ce mécanisme." Robert OWEN apport au monde la Bonne nouvelle d'une communauté où les machines joueraient le rôle du travailleur, où l'homme serait affranchi de l'aliénation dans le travail. Et Pierre LEROUX, même s'il lui reproche de ne pas avoir su découvrir comment l'homme serait rattaché à l'homme, voit en lui, à l'encontre de tous ceux qui l'accusent de simplisme, un philosophe et un législateur qui a révélé à son pays des penseurs nouveaux, quant au social. "Rien de plus moderne, et en ce sens rien de plus original, que sa conception de la Société humaine servie par des machines, les hommes devenus par là égaux et libres, la machine à vapeur remplaçant l'Ilote.". 

     Mais dans ses efforts pour trouver des soutiens, Robert OWEN, surtout avant 1830, a tendance à ne pas remettre en cause la structure sociales existante : il ne pose pas la question d'une relation possible entre la prolétarisation des classes inférieures et l'appropriation privée des moyens de production. Il s'étend bien plus sur une grande rationalisation de l'ordre existant et invite les classes privilégiées à s'associer à son plan de réforme. Sa terminologie est d'ailleurs révélatrice d'une idéologie à la fois paternaliste et pré-manchestérienne.

Plutôt que de voir en Richard OWEN, à la fois un socialiste et un conservateur, il faut mieux s'interroger, écrit Michel ABENSOUR, à la suite de K. MANNHEIM Essay on Sociology and Social Psychology), sur les origines conservatrices du socialisme, sur comment une critique de la société bourgeoise d'inspiration traditionaliste, peut-elle se transformer en critiques beaucoup plus révolutionnaires. Un auteur comme POLANYI, cité par ABENSOUR, estime que Robert OWEN apporte une nouvelle conception du social sous la forme d'une découverte ou redécouverte de la société, en un triple sens :

- Il ne s'agit pas tant pour OWEN de "fabriquer" du social à partir de zéro que de recréer un tissu social après une expérience de dissolution de la société inouïe et sans précédent dans l'histoire humaine. C'est cette expérience catastrophique de dislocation de la vie du peuple qui amène l'industriel à un marché autorégulateur basé sur le social, sans toucher aux systèmes hiérarchiques en place.

- OWEN ne se contente pas d'un point de vue défensif et réactif : il ne s'agit pas seulement de protéger, mais de promouvoir, dans le surgissement du système industriel une façon de faire qui intègre le niveau économique dans le social. Il apprécie à sa mesure le nouveau monde qui nait, cette nouvelle société complexe, à l'inverse de nombre de ses collègues industriels contemporains. Ce nouveau monde est susceptible d'engendrer une nouvelle sociabilité, d'échange et de communication entre les hommes, pour autant qu'on oriente ce nouveau lien social vers la coopération et qu'on pratique une disjonction entre industrie et économie de marché, pour autant que l'humanité parvienne à se libérer des préjugés économistes lui occultant les possibilités de régénérer les cellules du tissu social altérés par l'économie de marché et surtout l'empêchant de laisser se déployer les réseaux relationnels inclus virtuellement dans la manifestation de l'industrie.

- Penseur post-chrétien, OWEN confronte le jugement de surpuissance propre à la société moderne à une critique de l'individualisation chrétienne, selon laquelle il est possible à l'individu de former lui-même son caractère. "Si l'une quelconque des causes de malheur ne peut être supprimée par les pouvoirs nouveaux que les hommes sont sur le point d'acquérir, ceux-ci sauront que ce sont des maux nécessaires et inévitables ; et ils cesseront de se plaindre inutilement comme des enfants." (cité par POLANYI, La grande transformation, 1944, traduction française, Gallimard, 1983).

"Dans cet écrit de 1813, conclut Miguel ABENSOUR, en dépit de toutes ses ambiguïtés, Robert Owen inaugure la tradition mal connue et surtout mal comprise d'un socialisme éthique qui vise, non pas à une nouvelle éducation morale de l'humanité sous forme d'une répression des passions, mais qui cherche à inventer, à imaginer, à élaborer de "bonnes rencontres" c'est-à-dire : d'autres relations entre les hommes qui, grâce au règne des passions joyeuses, augmenteront leur puissance d'agir."

 

   Ophélie SIMÉON pose la question de savoir si Robert OWEN est le père du socialisme britannique. MARX et ENGELS et bien d'autres l'ont épinglé, avec FOURIER et SAINT-SIMON en raison d'un socialisme jugé bourgeois, idéaliste et anti-révolutionnaire, même s'ils voient en OWEN un précurseur du socialisme "scientifique". "Démodée de son vivant par les communistes et les chartistes, la pensée d'Owen, ou owénisme", n'en demeure pas moins un point de référence d'une remarquable longévité (J F C HARRISON, A new View of Mr Owen, dans Sidney Pollard & John Salt, Robert Owen : Prophet of the Poor, Londres, Macmillan, 1971). L'attitude ambivalente des contemporains par rapport à son oeuvre oblige à une réévaluation historiographique dans le cadre d'une réflexion sur les origines intellectuelles du socialisme, surtout dans un monde anglophone beaucoup plus marqué que sur le continent par un socialisme non marxiste ou pré-marxiste. Pourquoi, au moment de la crise des valeurs au sein de la gauche britannique (qui n'est pas toute socialiste...), se tourne t-on vers un socialisme dit utopique perçu comme le père du mouvement socialiste britannique? "Partisans, écrit notre auteur, de l'action non-violente et farouchement opposé au principe de révolution (...), Owen et ses partisans veulent faire de leurs communautés un exemple à suivre, prélude à une conversion progressive mais volontaire de l'ensemble de l'humanité à leurs théories. Cependant, ces communautés échouent toutes, en proie à de nombreuses difficultés matérielles et à des dissensions internes. le fossé grandit en effet entre l'attitude paternaliste d'Owen, héritage de New Lanark, et une frange minoritaire de partisans plus radicaux. Dans les années 1830, au moment du Great Reform Act, qui étend partiellement le droit de suffrage, Owen reste méfiant envers les classes populaires, que les circonstances poussent selon lui trop facilement à la subversion. La démocratie équivaut pour lui à une dictature du prolétariat remplaçant celle des aristocrates et des capitalistes, et il estime en outre que les classes populations sont, en l'état actuel des choses, encore incapables de se gouverner elles-mêmes. L'exemple du progrès doit donc venir d'en haut, autrement dit de lui-même. Avec la montée du syndicalisme et des mouvements ouvriers, l'owénisme est frappé d'obsolescence, et en 1844, l'échec de la communauté de Queenwood mène Owen et ses partisans à la banqueroute. C'est la fin de l'owénisme en tant que mouvement organisé." Devant ces échecs, et d'autant plus qu'OWEN se tourne vers le spiritisme, l'ensemble des socialistes se tournent vers d'autres perspectives.

     Une fraction du mouvement qui se revendique toujours socialiste toutefois, mais qui refuse toujours, contrairement au syndicalisme qui se développe, l'idée de lutte des classes, redécouvre plus tard, à travers le Société fabienne, l'héritage de ce premier socialisme britannique. Fondée en 1884 parmi les cercles de l'intelligentsia de l'époque, cette Société Fabienne défend une politique réformiste. On compte parmi ses membres de nombreux artistes et intellectuels, tels que les historiens du socialisme SIDNEY et Béatrice WEBB, George Bernard SHAW, H G WELLS (l'auteur de science fiction), la romancière Virginia WOOLF, Emmeline PANKHURS. Proches du mouvement coopératif et en faveur d'un idéal de justice sociale, les Fabiens jouent un rôle de premier plan dans la fondation du Parti Travailliste Britannique en 1900. Toujours en activité, la Société Fabienne fonctionne comme un think tank affilié aux travaillistes. "Le souvenir d'Owen est ainsi ponctuellement réactivé tout au long de la première moitié du XXe siècle par les divers gouvernements travaillistes. Le blairisme semble, en tout cas pour l'auteur, une continuation des communautaristes et des coopérativistes. Il se situe dans une certaine continuité idéologique, qu'il faut cependant renforcer, en rompant avec une tradition étatiste. Il s'agit-là sans doute d'une réinterprétation de l'oeuvre de Robert OWEN.

     Ré-interpréation qui se révèle facile dans un socialisme d'essence coopérative et libertaire, mais qui oublie peut-être son aversion pour l'activité politique proprement dite. En tout cas, entre une expression idéologique du blairisme "très moyenne", cherchant une troisième voie hypothétique sans tomber carrément dans l'orbite libérale, et une certaine naïveté (nous appellerions ce socialisme, socialisme naïf) avec la croyance d'une bonne volonté des propriétaires et des grosses fortunes capitalistes. A l'heure d'une crise des valeurs dans la gauche britannique, il n'est pas sûr que la référence à l'oeuvre de Robert OWEN constitue une voie prometteuse...

 

Robert OWEN, Textes choisis, Éditions sociales, 1963. Nouvelle vision de la société, Atelier Création Libertaire, 2012. On peut se procurer la réimpression d'éditions originales de son oeuvre au site www.chapitre.com.

Ophélie SIMÉON, Robert Owen, père du socialisme britannique?, septembre 2012, www.la vie des idées.fr. Michel ABENSOUR, A New View of Society, 1813-1814, dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986. Antoine LION, Owen Robert, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Armelle LE BRAS-CHOPARD, Les premiers socialistes, dans Nouvelle Histoire des Idées politiques, Hachette, 1987. 

 

Relu le 28 mars 2022

    

 

 

 

 

 

 

 

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