Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 09:04

                    Entre l'Abbé DE SAINT-PIERRE et Emmanuel KANT
 

         Entre les Mémoires de l'Abbé DE SAINT-PIERRE et Vers la paix perpétuelle d'Emmanuel KANT, se bousculent de nombreux projets de paix, dans l'ébullition du siècle des Lumières. Sans doute, beaucoup d'entre eux ne sont pas parvenus jusqu'à nous, oeuvres d'anonymes dont le nom n'apparait jamais ou écrits d'anonymes, par ailleurs personnages très connus, désireux d'échapper aux foudres royales ou ecclésiastiques, ou tout simplement désireux de s'éviter le désagrément d'être qualifié d'utopiste.

       Le thème de l'Alliance contre les Turcs demeure dans certains écrits, comme ceux de Giulio ALBERONI (1664-1752), cardinal espagnol et premier ministre, auteur d'un Scheme for reducing the turkish empire to the obedience of christian princes ; and for a partition of the conquests ; together with a scheme for a perpetual Dyet for establishing the public tranquillity.
          Johann Michael von LOEN (1694-1776), conseiller du roi de Prusse et gouverneur d'une province, inclu dans son livre Outline of statecraft (1747), un chapitre Sur la paix perpétuelle en Europe, où il suggère une Cour de Paix.
          Ange GOUDAR (1708-1791), aventurier et écrivain français, rédige un livre sur La paix de l'Europe (1757), où il préconise un Congrès des Amabassadeurs devant résoudre les conflits européens. Ce Congrès aurait à sa disposition un pouvoir de sanction en cas de violation d'accords, allant de grosses amendes à l'exclusion de la League ainsi formée.
          Johann Franz von PALTHEN (1724-1804), conseiller allemand de justice et poète, propose un Project for maintening an everlasting peace in Europe (1758). Dans ce projet, il propose l'établissement d'un Parlement ou d'un Tribunal, dont le siège se trouve naturellement dans un pays germanique. Ses membres, au nombre de 88, se composent aussi de la Russie et de la Turquie. Lui aussi propose de sévères sanctions pour manquement aux règles définies en commun.
         Von LILIENFELD, noble officier lithuanien, propose en 1767 dans A new structure of States, lui aussi, d'établir une Cour de paix, ou un tribunal pour trancher les disputes entre princes chrétiens. Son plan, très détaillé comme la plupart à cette époque, prévoit par exemple 20 nations représentées et le français comme langue officielle (le français au XVIIIème siècle est la langue dominante). Si nécessaire, pour obtenir l'accord de membres récalcitrants, des troupes du Tribunal peuvent agir par la force. A noter que ce plan prévoit une limitation des forces militaires.
        Paul Henri Thiry D'HOLBACH (1723-1789), le philosophe matérialiste français co-rédacteur de l'Encyclopédie avec DIDEROT, d'ALEMBERT et bien d'autres, propose dans La politique naturelle (1773) que la loi de la grande société du monde se dote d'un Tribunal auquel les nations doivent s'adresser pour leurs litiges. A noter que dans leur ensemble, les encyclopédistes ne font pas bon accueil au projet de paix de l'Abbé DE SAINT-PIERRE.
         Richard PRICE (1723-1791), philosophe politique irlandais, livre en 1776 ses Observations on the nature of civil liberty, the principles of government, and the justice and the policy of the war with America. Devant la guerre d'indépendance américaine, il trouve urgent de former une confédération générale, pour arbitrer les disputes, conduire une force commune pour soutenir les décisions d'un Sénat composé de représentants des différents États.
         Pierre-André GARGAZ, écrivain français, injustement accusé de meurtre et condamné à 30 ans de galère, fait publié par Benjamin FRANKLIN en 1782, un projet de Conciliateur de toutes les nations d'Europe, ou Projet de paix perpétuelle entre tous les souverains de l'Europe et leurs voisins. Il propose à chaque souverain de nommer un médiateur dans un perpétuel Congrès basé à Lyon, pour régler leurs conflits. En 1796-1797, il publie en addition à son plan une proposition de constitution d'un Collège de 5 citoyens nommés pour 40 ans pour trancher les litiges individuels et inter-étatiques.
         Johann August SCHLETTWEIN (1731-1802), dans son The most important issue for Europe, or a system of firm peace among the european states, en 1780-1784, demande la formation d'un Congrès International, celui-ci étant ouvert également aux nations non-chrétiennes, comme la Turquie, et si elle refuse d'y participer, son territoire est partagé entre les États chrétiens (!). Ce Congrès garanti l'existence de la Confédération Germanique. Il propose également que les révolutions à l'intérieur des Etats soient du ressort de ce Congrès, la Révolution française de 1789 lui donnant raison selon les éditeurs...
        Marie Jean Antoine Nicolas CARITAT, plus connu sous le nom de marquis de CONDORCET (1743-1794), dans De l'influence de la révolution américaine en Europe (1786), propose l'établissement d'un Tribunal International pour trancher les disputes entre nations, qui lui octroient le soutien d'une armée et d'une marine. Dans son projet éducatif, le philosophe politique n'oublie pas les questions de guerre et de paix. Il propose ainsi l'adoption, entre autres, d'une langue commune.
         Palier de SAINT-GERMAIN, écrivain suisse, propose lui aussi, dans un Nouvel essai sur le projet de paix perpétuelle, un Tribunal Permanent (1788). En cas de dispute entre deux nations, chacune nomme deux médiateurs parmi les Éats non impliqués, qui remettent un rapport pour permettre au Tribunal de prendre une décision. Décision à laquelle ils doivent se soumettre sous peine de paiement d'amendes fortes.
        Johann Gottfried SCHINDLER, théologien allemand, sous le pseudonyme de SCHINLY, propose dans son What advice should be given to the more important rulers to promote the welfare and hapiness of the countriers (1788), que la Russie, l'Autriche, la Prusse, l'Angleterre et la France négocient un traité de paix perpétuelle.
        Jean-Baptiste du VAL-DE-GRACE, connu sous le nom de baron de GLOOTZ (1755-1794), révolutionnaire franco-prussien, lance en 1792 une Adresse aux tyrannicides, considéré comme le premier plan des Droits de l'homme. Il propose ce plan de paix à l'Assemblée Nationale qui le refuse. Chaque peuple, avec une garantie d'autonomie culturelle, est représenté dans une Assemblée Législative d'une République mondiale de l'homme. Ses ennemis considèrent cette proposition comme une tentative de diversion et le font guillotiné un an plus tard.
        Jeremy BENTHAM (1748-1832), l'économiste utilitariste anglais, émet en 1793 un Plan for an Universal and Perpetual Peace, and Emancipate your colonies. Il reprend cette idée qui revient souvent dans ces plans de paix d'une Cour Commune de Justice pour résoudre les différends entre nations, et d'un Congrès avec force de loi., avec en dernier ressort l'utilisation de la force armée. A noter son insistance sur le soutien et la vigilance de l'opinion publique, dotée d'une liberté de la presse, qui garantit l'orientation vers la paix des décisions de la Cour et du Congrès.
        BOISSY-D'ANGLAS, membre de l'Assemblée Nationale française, qui rédige notamment avec SEYES, la Constitution de 1795, diffuse cette même année un Epitre du vieux cosmopolite Syrach à la convention nationale de la France. Il plaide pour une République mondiale des nations de l'Europe unie, pour une Constitution européenne, réservant celle-ci aux nations vraiment européennes, excluant la Russie, la Turquie et les nations semi-asiatiques. Il se fait l'avocat en même temps d'une flotte européenne pour une éventuelle guerre avec l'Amérique et l'Afrique...
         Johann Gottlied FICHTE, le philosophe allemand, propose en 1795 la formation d'une League dotée d'un Tribunal.
      
       Sans doute nombre de plans de paix, notamment dans les périodes de guerres révolutionnaires,  à l'instar de ceux produit par l'Union Soviétique en pleine guerre froide bien plus tard, entrent-ils dans une stratégie de déstabilisation et font partie tout simplement d'une vaste bataille idéologique. Mais la postérité ne retient pas les circonstances dans lesquelles ils ont été écrits. Les commentateurs, très près des textes, préfèrent largement gloser sur les aspects concrets de ces plans. Et d'ailleurs, les idées qui y sont émises n'arrêtent jamais de faire leur chemin dans les consciences. Ils parviennent, notamment dans les milieux encyclopédistes et dans les milieux intellectuels européens, même dans les États opposés à la Révolution française ou aux idéaux républicains, à former une partie de leur culture. Quand on suit l'évolution de ces plans, on glisse d'une focalisation sur l'ennemi musulman (le Turc) de la Chrétienté à une laïcisation de la conception de la paix.
       
       PAXUS
 
Relu le 23 février 2019
        
         
Partager cet article
Repost0
20 avril 2009 1 20 /04 /avril /2009 08:30

          Le projet de paix perpétuelle de l'Abbé de Saint-Pierre.
 

    Au siècle des Lumières, les Mémoires pour rendre la paix perpétuelle en Europe de Charles-Irénée CASTEL DE SAINT-PIERRE (1658-1743) sont les plus représentatifs et les plus lus de quantité de projets rédigés à cette époque.
Aumônier de la duchesse d'Orléans, l'Abbé DE SAINT-PIERRE, négociateur du Traité d'Utrech en 1712-1713, rédige sur la base de son expérience diplomatique le texte d'un projet remanié ensuite plusieurs fois.
   
      Son but est d'organiser la paix, après les guerres désastreuses de LOUIS XIV, par le droit. Constatant que l'équilibre tel qu'il existe en Europe n'est pas un facteur de paix, mais de troubles, l'abbé propose aux princes de construire une alliance fédérative générale. Ils doivent renoncer à jamais à la voie des armes, et conviennent de prendre désormais la voie de la conciliation par la médiation "du reste des grands alliés". C'est leur intérêt bien compris qui doit les pousser à adhérer à cette grande alliance car elle leur garantit leur pouvoir. Un Abrégé paru en 1729 précise que les contractants se garantissent mutuellement leurs possessions contre les guerres étrangères et civiles, les révolutions, les usurpations dynastiques et territoriales, ce qui permettrait à tous les États de réduire leurs frais militaires, d'accroitre le profit économique, de réformer l'administration et de faire le bonheur des hommes. Cette alliance rendrait les conquêtes impossibles, car un État ne pourrait résister à une telle coalition et la Diète pourrait régler les disputes territoriales et dynastiques, ce qui supprimerait les sources de la guerre.
Cette disparition permettrait le développement économique européen. Les impôts, les taxes, seraient affectées à des entreprises utiles à tous. Selon Simone GOYARD-FABRE (sa présentation du projet en 1981), "sa conception d'un européanisme fédéraliste au service de la paix, du progrès et de la félicité publique (marque) un tournant dans l'histoire des idées.". C'est aussi l'avis de Paul-Laurent ASSOUN, pour qui "Le projet mérite (...) de figurer comme un repère dans l'histoire de l"'idée européenne" autant que pour l'évolution de la problématique "pacifiste" : le propre du projet, en effet, est de lier les deux aspects, en présentant l'édification d'une "société européenne" comme la seule garantie de la "perpétuité de la paix", dans les États des "princes chrétiens" comme en dehors d'eux.
    
      Très touffus, écrits dans un style déjà décourageant pour le lecteur du XVIIIème siècle et encore plus pour celui d'aujourd'hui, les Mémoires de l'abbé DE SAINT PIERRE, veulent conduire les dirigeants à rédiger les cinq articles qui selon lui peuvent donner les garanties de cette paix perpétuelle.
  "Il y aura désormais entre les souverains qui auront signé les cinq articles suivants une paix perpétuelle"
      Le premier article énonce la nécessité de l'alliance perpétuelle, "pour se procurer mutuellement durant les siècles à venir" neuf effets principaux :
-  sûreté entière contre les grands malheurs des guerres étrangères ;
-  sûreté entière contre les grands malheurs des guerres civiles ;
-  sûreté entière de la conservation en entier de leurs États ;
-  sûreté beaucoup plus grande de la conservation de leur propre personne et de leur famille dans la possession de la souveraineté, selon l'ordre établi dans la nation ;
- diminution considérable de leur dépense militaire, en augmentant cependant leur sureté ;
- augmentation très considérable du profit annuel que produiront la continuité et la sûreté du commerce ;
- beaucoup plus de facilité et en moins de temps, l'agrandissement intérieur ou l'amélioration de leurs États par le perfectionnement des lois, des règlements, et par la grande utilité de plusieurs excellents établissements ;
- terminer plus promptement, sans risques ni frais, leurs différends futurs ;
- sûreté entière de l'exécution prompte et exacte de leurs traités futurs et leurs promesses réciproques".
      Le second article traite du fonctionnement de ce "collectif" : chaque allié contribue, à proportions des revenus actuels et des charges de son État, à la sûreté et et aux dépenses communes. Une présidence alternée de chaque État est mise en place, par plénipotentiaires interposés, d'un organe commun gérant ces contributions.
     Le troisième article détaille la "médiation" et l'"arbitrage" comme voie de maintien de l'alliance, l'échec de ceux-ci devant être sanctionné par un "jugement".
     Le quatrième article traite précisément des sanctions en cas de manquement à cette règle d'arbitrage : "Si quelqu'un d'entre les grands alliés refuse d'exécuter les jugements et les règlements de la grande alliance, négocie des traités contraires, fait des préparatifs de guerre, la grande alliance armera et agira contre lui offensivement ; jusqu'à  ce qu'il ait exécuté lesdits jugements ou règlements (...)"
     Le cinquième article dispose que les parties énoncent une véritable Charte Constitutionnelle, pour régler le fonctionnement de cette alliance.
    
       L'abbé DE SAINT-PIERRE, qui fait partie du mouvement anti-absolutiste, opposé au Roi de France, s'est vu exclure de l'Académie Française. Il est vrai que ce projet veut mettre fin à toutes visées expansionnistes. Mais par ailleurs, le projet est foncièrement conservateur, orienté autant contre les guerres que contre les révolutions, notamment sociales. Rédigé du point de vue de souverains ayant bien compris, rationnellement, leur intérêt, ce projet de paix perpétuelle est aussi un projet de société à ordres perpétuellement maintenue.

          Si ce projet de paix perpétuelle est aussi connu en son siècle, c'est surtout parce Jean-Jacques ROUSSEAU, exécuteur testamentaire moral de l'abbé DE SAINT-PIERRE, lui donne une importance dans son "Jugement sur le projet..." (1782). Même si le philosophe pense que l'abbé a tort dans l'ensemble, avec tout le respect qu'il lui témoigne, il s'efforce d'en faire une véritable critique, c'est-à-dire d'en dégager les bons et les mauvais aspects.
      "Qu'on ne dise donc point que si son système n'a pas été adopté, c'est qu'il n'était pas bon ; qu'on dise au contraire qu'il était trop bon pour être adopté ; car le mal et les abus dont tant de gens profitent s'introduisent d'eux-mêmes ; mais ce qui est utile au public, ne s'introduit guère que par la force, attendu que les intérêts particuliers y sont presque toujours opposés. Sans doute qu'on nous rende un Henri IV et un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable ; ou plutôt, admirons un si beau plan, mais consolons-nous de ne pas le voir exécuter ; car cela ne peut se faire que par des moyens violents et redoutables à l'humanité. On ne voit point de Ligues fédératives s'établir autrement que par des révolutions, et sur ce principe qui de nous oserait dire si cette Ligue Européenne est à désirer ou à craindre. Elle ferait peut-être plus de mal tout d'un coup qu'elle n'en préviendrait pour des siècles."

      Jean-Jecques ROUSSEAU n'est pas évidemment le seul qui ait commenté ces Mémoires de l'abbé DE SAINT-PIERRE. Bien avant lui, Gottfried Wilhelm von LEIBNIZ, dès 1715, il noue une correspondance avec l'abbé. Tout à sa préoccupation de détourner l'attention de Louis XIV, des Pays-Bas vers l'Orient et l'Égypte, et dans l'espoir de donner à l'Europe cette unité spirituelle qui lui fait tant défaut d'après lui, le philosophe soutient l'entreprise de l'abbé. Très peu d'hommes d'action soutiennent comme lui ce projet que nombre de princes considèrent comme utopique.

Hervé GUINERET, Extrait et commentaires du Jugements sur le projet de paix perpétuelle de l'abbé DE SAINT-PIERRE, Ellipses, collection Texte et commentaire, 2004. Paul-Laurent ASSOUN, article ABBE DE SAINT PIERRE, Projet de paix perpétuelle, dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986.
On peut trouver le texte, sous différentes formes (scan simple du texte d'origine par exemple) sur Internet, notamment sur le site de Gallica. Par ailleurs, le texte revu par Simone GOYARD-FABRE (avec orthographe et ponctuation de l'époque) est disponible chez Fayard depuis 1986.
 
PAXUS
 
Relu le 27 février 2019
Partager cet article
Repost0
16 avril 2009 4 16 /04 /avril /2009 14:14
               William PENN et sa postérité immédiate

    William PENN (1644-1718), né en Europe, fondateur et premier gouverneur de la Pennsylvanie, publie en 1693 son Essay towards the present and future peace in Europe by the establishment of an European Diet, Parliament of Estates (Essai sur la présente et future paix en Europe par la formation d'un Parlement des Etats européens).
    Cette Diète n'est pas une simple réunion d'ambassadeurs échangeant leurs points de vue sur les problèmes européens. C'est une véritable assemblée de représentant des États membres, selon leur importance démographique et économique. Ses principales décisions devraient concerner le désarmement progressif des États, avec au besoin intervention d'une armée européenne, la paix devant permettre le développement économique, scientifique et technique.   
     Cet Essai développe dix points appelés à être repris par de nombreux auteurs par la suite :
- La valeur de la paix est évidente devant l'ampleur des destructions et des souffrances causées par les guerres.
- Guerres et dissensions sont prévenues par des moyens de justice, prévus autant pour des individus que des groupes, résolvant leurs conflits de manière civilisée (fair way).
- La justice dépend de gouvernements aux lois impartiales, qui gagnent à tirer leur souveraineté du consentement des peuples.
- La paix en Europe peut être maintenue par la formation d'un Parlement des États européens qui discutent ainsi collectivement et prennent ensemble leurs décisions.
- Il y a trois cas où la paix est brisée : défendre son propre territoire seul ; essayer de retrouver par la force un territoire revendiqué ou tenter d'augmenter sa domination par l'invasion d'un autre pays.
- Les gouvernements déclarent leur souveraineté par succession, élection, mariage, achat ou conquête.
- Tous les États européens,y compris la Russie et la Turquie, devront être inclus dans la Diète-Parlement, avec droit de vote équivalent à la valeur de leur territoire.
- Parmi les règles de fonctionnement d'un tel parlement, le vote à bulletins secrets doit prévenir toute tentative de corruption, avec l'idée que celui qui ferait une telle tentative de corruption ne pourrait pas avoir la garantie de la valeur de sa monnaie.
- Dans la dernière section de son Essai, William PENN répond à certaines objections : même si une nation puissante refuse de s'y joindre, les autres ensemble doivent le contraindre à respecter leurs décisions communes. De petites forces présentes dans chaque pays pourraient prévenir l'activité d'une grande armée. La jeunesse sans entrainement à la guerre peut ne pas devenir effeminée (!) si elle est disciplinée à d'autres types de travaux. Les États maintiennent de toute façon leur souveraineté sur leurs propres affaires internes.
- Beaucoup de bénéfices sont à attendre d'un tel plan et l'auteur en dresse une liste : Les tueries peuvent être évitées et les villes ne pas être détruites. Les pays chrétiens pourraient plus vivre en harmonie avec les vrais enseignements du Christ. Chaque pays garderait sa monnaie et l'utliiserait à des fins constructives. Cela donnerait une sécurité pour les pays chrétiens vis-à-vis des Turcs (William PENN reprend là un élément présent dans tous les plans de paix depuis le début des temps modernes...). Les voyages entre pays seraient libres et aisés, et des relations d'amitié pourraient être développées entre peuples des différents pays. Les Princes ne seraient plus obligés de mobiliser une diplomatie et une politique de méfiance mais établiraient l'union basée sur un amour sincère.
     Dans le ton donné à travers certains arguments est reproduit évidemment la foi du quaker qu'est William PENN, considéré par beaucoup comme le premier grand américain de paix et de liberté., qui a toujours eu une d'égales préoccupations pacifiques pour le Nouveau et l'Ancien Continent. Il conclue en réitérant l'important principe d'une puissance souveraine pour combattre les disputes, qui doit être plus grande que celle des parties en conflit. Il cite comme exemple d'union possible, celui des Provinces Unies des Pays-Bas.
   L'impact de ce projet provient en grande partie de la notoriété de l'auteur qui a utilisé sa grande expérience au Nouveau Monde (dans les relations entre citoyens comme dans les relations avec ses premiers occupants) pour l'argumenter. De plus, il entre bien dans une certaine idée de libre commerce dans un vaste ensemble.

        Un ami quaker de William PENN, John BELLERS soumet un plan similaire au Parlement britannique en 1710 (Some reasons for an European State proposed to the Powers of Europe). Dans le détail de ce plan, le parlementaire propose de diviser l'Europe en 100 provinces d'égale importance, avec chacun un représentant au Parlement européen.
 
PAXUS
 
Relu le 27 février 2019


           
    
           
Partager cet article
Repost0
11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 09:20

        Les projets de paix de Pierre DUBOIS à Samuel RACHEL
 

     - Pierre DUBOIS, avocat de la cause royale française de Philippe Le Bel contre le pape Boniface VIII, défenseur des tournois et grand pourfendeur de l'Ordre du Temple, argumente en 1306 dans De recuperatione Terrae Sanctae, pour l'élimination de la guerre entre rois et seigneurs chrétiens, afin d'organiser une nouvelle croisade. Une raison simple, émise depuis 1095, préside dans ce texte : les chevaliers français, italiens, allemands, anglais ou espagnols ne pourront pas lutter efficacement contre les Musulmans tant que les souverains se trouvent en guerre les uns contre les autres. Il propose donc un Concile Universel en vue de donner à la France, bien sûr, le commandement de cette croisade ainsi que les territoires du Pape. Plutôt que l'idée de paix et d'unité européenne, on le comprend bien dans cette volonté d'ordonner la charité en commençant par soi-même - caractéristique de nombreux plans de paix depuis plusieurs siècles - il s'agit de l'idée de souveraineté qui commence à émerger, une souveraineté débarrassée de la tutelle de l'Église et de l'Empereur. Même si l'idée d'arbitrage est présente, le problème du choix de l'arbitre légitime aux yeux de tous contrecarre le projet lui-même. De plus, il s'agit de combattre l'Islam et de prendre Jérusalem, de combattre un ennemi extérieur plus que de se partager équitablement le fruit de rapines déguisées sous le nom du Christ.
  
    - Dante ALIGHIERI plaide dans De monarchiae (1310)  pour la restauration de l'ancien Empire romain, garant de la paix universelle. La référence à une époque magnifiée de paix romaine existe également dans de nombreux autres textes.

    - Georges de PODJEBRAD, hussite et roi de Bohême en 1458, conseillé par l'avocat Antoine MARINI, négociant français, propose un projet institutionnel qu'il fait parvenir aux principaux princes de l'époque. Sorte de traité personnalisé à l'intention de chacune des parties concernées (Bourgogne, Venise, Pologne, Hongrie, Bavière, France...), il est remis à Louis XI en 1463 sous le nom de "Traité d'alliance et confédération entre le roi Louis XI, Georges Roi de Bohême et la Seigneurie de Venise pour résister au Turc". Ce pacte fédératif repose sur le principe de non-agression entre les puissances contractantes et sur celui de l'entraide. On y trouve comme structure, une Assemblée ou Diète composée d'ambassadeurs votant à la majorité simple et dont le siège serait tout d'abord à Bâle et changerait tous les cinq ans ; une Cour de Justice ou Consistoire dont les membres et la composition sont décidés par l'assemblée et siégeant dans la même ville, une armée commune entretenue en cas de guerre, un corps de fonctionnaires et un budget commun, alimenté par une partie des dîmes ecclésiastiques... Bien entendu, un tel projet fut rejeté tant par le Pape que par Louis XI. Notons que par l'instauration de Paix ou de Trêve de de Dieu, l'Église elle-même tente de s'instaurer comme puissance régulatrice. Une sorte de compétition pour le pouvoir comme pour la paix (moyen de consolider ce pouvoir) traverse tout le Moyen-Age.

    - Erasme, dans Querela Pacis et d'autres écrits, prône vers 1514, des arbitrages par le Pape et les Évêques des querelles entre princes chrétiens. La référence au combat contre les "Turcs" n'existe pas, et ces textes se situent dans tout le courant humaniste de la Renaissance.

    - Le Pape Léon X et le cardinal WOLSEY proposent en 1518 la négociation d'une alliance défensive contre les "Turcs"...

     - François DE LA NOUE, en 1587, dans ses Discours politiques et militaires, rédige en prison une Proposition d'Union Européenne... contre les Turcs, encore. Il suggère une rencontre générale pour discuter ensemble des problèmes communs...

       - Emeric CRUCE (1575-1648), prêtre et professeur de mathématiques, publie en 1623 Le Nouveau Cynée, un essai sur "les occasions et les moyens d'établir une paix générale et la liberté du commerce par tout le monde". Il propose une ligue d'États structurée autour d'un Sénat permanent des ambassadeurs et d'une Assemblée des princes qui se réunirait périodiquement ou en cas de conflit sous la présidence du Pape. Il propose également pour appuyer ce projet une libre circulation des personnes et des biens, une monnaie commune, une unification des systèmes de poids et mesures, et le siège des institutions à Venise. Ce projet, qui s'inscrit tout à fait dans la visée de la liberté du commerce, dans l'expansion d'un certain capitalisme, inclue comme membres de cette ligue d'États, le Pape, l'Empereur des Turcs, les Juifs, le Roi de Perse et de Chine, le grand duc de Moscou, et les monarchies d'Inde et d'Afrique. Autant dire qu'il n'est pas pris très au sérieux... Il est rangé traditionnellement dans les projets utopiques, comme une partie de l'oeuvre de Thomas MORE.

       - Hugo GROTIUS, dans son De jure belli ac Pacis (Le droit de la guerre et de la paix) de 1625, pense nécessaire la tenue régulière de congrès de princes chrétiens pour mettre fin à leurs disputes. Même s'il n'élabore pas de projet à proprement dit, le juriste montre bien qu'il ne peut exister de véritable droit général que si un minimum d'entente existe au préalable entre souverains européens.

       - CAMPANELLA, dans Monarchia Messiae en 1633, se fait l'avocat d'une monarchie universelle pour éliminer rivalités et famine.

      - Maximilien DE BETHUNE, duc de Sully, dresse en 1638 Le Grand Dessein. Le ministre d'Henri IV développe le projet d'une Europe remodelée en 15 États d'importance plus ou moins égale. Cet ensemble où les trois religions chrétiennes (catholicisme, luthérianisme, calvinisme) seraient également favorisées, serait présidé par un "Conseil très chrétien de l'Europe", assisté d'un Sénat permanent de 60 membres, quatre par État, chargé de régler les différents, avec au besoin l'intervention d'une armée commune. Dans ce projet SULLY fait un tableau impressionnant de cette armée. Ce Grand Dessein fait partie de multiples projets d'Empire, avec pour caractéristique qu'il ne le fait pas dépendre d'un leadership national. En cela, il s'attire la sympathie de la Reine Élisabeth d'Angleterre. Plutôt que d'être orientés contre les Turcs, beaucoup de projets, anonymes pour la plupart, circulent pour mettre fin aux guerres de religion.

     - Johann Amos COMENIUS, évêque morave, vers 1645-1666, dans son Rerum Humanarum emmendatione consultatio catholica, avocat d'un système universel d'éducation, conçoit les habitants comme citoyens du monde, qui peuvent être unis sous une même loi universelle. Déjà, l'Europe n'est plus conçue comme seule entité dans le monde et de plus en plus de projets dépassent le cadre du continent par la suite.

     - Samuel RACHEL, en 1676, dans un Essai sur la loi naturelle et internationale (Dissertationes de jure naturae et gentium) pense urgent d'établir un Congrès pour étudier et trancher les disputes internationales. Ses membres, pour avoir une portée universelle, doivent inclure tous les princes chrétiens. Là aussi, l'idée d'une force armée pour faire appliquer les décisions, est présente.
 
PAXUS
 
Relu et corrigé le 27 février 2019


     -

  
 
Partager cet article
Repost0
11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 08:40
       Depuis le XIIIème siècle, mais sans doute avons-nous tout simplement peu d'informations sur les périodes précédentes et peut-être l'ombre de l'Empire Romain est-elle encore présente, fleurissent des projets de paix, sous une forme ou une autre, d'au moins Pierre DUBOIS (1250-1320) jusqu'à Aristide BRIAND (1862-1932) et au-delà.
 
     Ces projets de paix, perpétuelle ou non, n'ont pas les mêmes mobiles, même si des auteurs comme Denis de ROUGEMONT (1906-1985) cherchent à dégager de l'histoire intellectuelle de l'Europe une conscience spécifique, liant ces projets, certains d'entre eux en tout cas à l'idée de fédération européenne. C'est d'ailleurs précisément parce que le seul élément qui les lie - faisant fi des relations entre les peuples et encore plus de la forme des gouvernements - réside dans l'idée qu'il ne peut y avoir de bénéfices pour les Puissances que dans la paix. Et que la paix seule peut apporter la stabilité nécessaire à des actions efficaces dans un ensemble géographique soumis à des guerres incessantes. Même si la mythologie, l'idéologie de l'Europe comme entité (Franciszek DRAUS) constitue une escroquerie intellectuelle, l'Union Européenne constitue l'aboutissement d'une histoire longue d'échecs de constitution d'empires par la violence.
   Il ne faut pas perdre de vue que la construction européenne doit plus à la réalité économique et aux nécessités stratégiques d'une époque où dominent les rapports de force Est-Ouest qu'à la force d'une idée qui n'a jamais été dominante. On peut par ailleurs très bien constater la mythologie européenne, comme il y a une mythologie française, anglaise ou allemande, et se réjouir que cette représentation du passé (appelée souvent mensonge) qui sera certainement remplacés par d'autres mensonges (ou représentations orientées de la réalité) par la suite, soit finalement bénéfique à des centaines de millions de personnes.

    Dans l'examen des projets de paix, il faut éviter toute vision téléologique et justificatrice qui les relieraient en quelque sorte tous. Malgré tout, surtout depuis le Projet pour rendre paix perpétuelle en Europe (1713) de l'Abbé de Saint Pierre (1658-1743), l'idée de paix nécessaire s'est imposée peu à peu, même si à de nombreuses reprises, beaucoup de philosophes ou d'hommes politiques ont voulu constater sa réalisation impossible. Il existe une réelle chaine intellectuelle, par les commentaires que ce dernier suscite, qui va de Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778) à Emmanuel KANT, (1724-1804)  de William PENN (1644-1718)  à Edouard HERRIOT (1872-1957), à condition de bien voir que cette chaine intellectuelle vivifie un projet d'abord diplomatique. Les projets sociaux ou socio-politiques chez Ernest RENAN (1823-1892) ou Aristide BRIAND (1862-1932) ne sont bien entendu pas les mêmes.
  Enfin, c'est bien en Europe et pour l'Europe que l'on se soucie le plus de cette paix difficile, difficile puisqu'il a fallu deux guerres mondiales pour parvenir à une ébauche de paix universelle, que l'on retrouve successivement dans les motivations de la Société des Nations (1919) et de l'Organisation des Nations Unies (1945).

     Pour commencer le parcours de ces différents plans de paix, rien de vaut la constitution d'une liste, même si nous ne nous attardons que sur certains d'entre eux, surtout ceux de l'Abbé de Saint Pierre, d'Emmanuel KANT et de William PENN. Dans cette liste, nous tentons de résumer chacun de ces plans, de dégager leur objectif, suivant l'ordre chronologique, en nous inspirant du travail de compilation d'Edith WYNNER et de Georgia LLOYD réalisé en 1946.

Franciszek DRAUS, Sur les prétendus précurseurs historiques de l'intégration européenne, Conflits Actuels. Edith WYNNER et Georgia LLOYD, Searchlight on Peace Plans, New York E.P. Dutton and Company Inc, 1946.


                                                    PAXUS
 
Relu le 28 février 2019
Partager cet article
Repost0
30 mars 2009 1 30 /03 /mars /2009 16:07
          Où commence et où s'arrête l'objection de conscience? On ne trouve pas l'expression dans les dictionnaires de  philosophie ou de philosophie politique. Pourtant, l'objection de conscience constitue bien une argumentation qui s'oppose à une opinion pour la réfuter, et l'objecteur de conscience est celui qui, en temps de paix ou en temps de guerre, refuse d'accepter des obligations militaires, en argumentant que ses convictions l'obligent au respect inconditionnel de la vie humaine et s'oppose par là aux institutions politiques.
    Par extension, nombre de médecins refusent de pratiquer l'avortement par objection de conscience, par respect absolu de la vie.

       Beaucoup d'auteurs font débuter l'histoire de l'objection de conscience au christianisme primitif. "On voit (...) que deux notions risquent de s'opposer quand on cherche à déterminer la valeur d'une règle sociale : sa légalité et sa légitimité ; sa légalité aux yeux des hommes qui l'ont promulguée ou acceptée, sa légitimité aux yeux de Dieu ou plutôt de ceux qui interprètent ses commandements." (Jean-Pierre CATTELAIN).  Par la suite, les autorités religieuses ne reconnaissent plus cette objection de conscience. La loi est forcément légitime aux yeux de nombre de théologiens et la question ne se pose pas... sauf, mais cela déborde les convictions individuelles, lorsqu'il s'agit de s'opposer à un pouvoir politique qui entend s'autonomiser de l'Église.

      Quelques mouvements réformateurs mettent en avant l'objection de conscience durant la Réforme : les Vaudois et les Hussites de la fin du XIIème siècle, les Anabaptistes, les Frères Moraves en Westphalie. Nombreux sont les groupes religieux qui objectent à certaines prérogatives du pouvoir politique, refusent sa légitimité même, et cela se traduit souvent par leur exil ou leur départ volontaire en d'autres contrées qu'ils espèrent plus propices à l'épanouissement de leur foi. Ainsi, les Frères Suisses au XVIème siècle, les Mennonites aux Pays-Bas, puis aux Etats-Unis, les Amish à partir du XIXème siècle en Alsace et aux Etats-Unis, les Doukhobors en Russie au XVIIIème siècle, les Monachki en Russie au XIXème et au XXème siècles, et les Témoins de Jéhovah qui, eux, souvent restent dans leur pays.
   Avec George FOX et la fondation de la Société des Amis en 1652, s'affirme le droit de tout individu, en conscience, à résister au pouvoir civil si celui-ci lui parait aller à l'encontre de la loi divine ou du simple bon sens. Non qu'il soit bien sûr pas le premier groupe à exprimer ces opinions mais son développement, son émigration aux Etats-Unis où il tente d'implanter une communauté respectueuse de la paix, en Pennsylvannie, donne à ces conviction sans doute le plus grand impact, et ceci dans l'ensemble des sociétés européennes. L'activité des Quakers, que l'on retrouve parfois en bon nombre dans des organisations internationales oeuvrant en faveur de la paix (dans le personnel diplomatique de l'ONU par exemple), persistante et couvrant l'ensemble du globe terrestre, n'est certainement pas étrangère aux solidarités qui s'expriment ici ou là à l'occasion de mouvements d'objection de conscience, qu'ils soient individuels ou collectifs.
 
      De l'objection de conscience, d'abord individuelle, peut venir des mouvements de désobéissance civile plus ou moins importants. Discours de la servitude volontaire de LA BOETIE en 1548, Discours de la désobéissance civile de Henry David THOREAU (1817-1862), des passages de La révolution russe de TOLSTOI, les multiples ouvrages de GANDHI, ceux de Danilo DOLCI, ou plus proche dans le temps et dans l'espace de LANZA DEL VASTO, de Jean-Marie MULLER... scandent diverses étapes, souvent en liaison avec les actions de leurs auteurs, de la réflexion de nombreux objecteurs de conscience. Ce sont en effet autant de références pour des générations d'objecteurs en Occident, et encore aujourd'hui face par exemple aux guerres des Etats-Unis dans le Proche Orient, qui veulent donner à leur action un sens collectif.

        Autant par le regroupement des objecteurs de conscience eux-mêmes que par les tentatives des différents gouvernements de réduire l'influence ou l'impact de leur pensée et de leur action, une sorte de classification s'est établie. On peut distinguer ainsi les différentes objections de conscience :
- à caractère religieux, pour leur grande majorité. Cela va des membres de mouvements réformateurs chrétiens, soucieux de montrer au grand jour leur opposition, aux Témoins de Jehovah, qui se veulent discrets, refusent toute discussion et préfèrent se laisser enfermer en prison plutôt que d'accepter d'effectuer un quelconque service civil ;
- à caractère politique, contre une guerre précise ou contre une politique de défense. Ainsi des objecteurs de conscience se sont joints partout à travers le monde, même s'ils ne sont pas très nombreux, à d'autres acteurs politiques et sociaux pour prôner des alternatives à la défense armée. Se définissant souvent comme non-violents, ils allient leur réflexion à des actions concrètes et souvent spectaculaires contre divers aspects de la "militarisation de la société" ;
- à caractère libertaire, par principe de refus de participer à une société telle qu'elle est, avec son cortège d'injustices et d'atteintes aux libertés. Souvent, l'anarchiste est un insoumis, le refus de la conscription apparaissant même pour les plus politiques d'entre eux comme un devoir civique ;
- à caractère de "convenance personnelle" (!), tout simplement pour échapper au service militaire n'entrant pas dans leur projet d'avenir. Cette catégorie polémique est parfois évoquée par les tenants d'une service civil obligatoire...
- à caractère psychopathologique, que même certains auteurs favorables à l'objection de conscience admettent l'existence. A la suite d'une thèse du docteur CHARLIN en 1952, qui constitue surtout une sorte d'hypothèque des partisans de l'ordre social existant, sur la crédibilité des arguments des objecteurs de conscience. En vertu de cela, dans certains pays, l'examen médical d'incorporation comporte une partie psychiatrique.

        Par-delà les aspects historiques et les situations très variables suivant les pays (que nous ne manquerons pas par la suite de détailler et de discuter), les tolérances plus ou moins grandes vis-à-vis de l'objection de conscience des États, les services civils plus ou moins longs placés en remplacement des services militaires, l'objection de conscience pose des questions de fonds :
- sur les motivations, toujours, affirmées par les objecteurs de conscience et souvent déniées par les fonctionnaires des pouvoirs publics et certaines autorités politiques et même religieuses. Car comme le rappelle le pasteur Henri ROSER, dans Les cahiers de la Réconciliation de novembre-décembre 1967, on a sacralisé la loi, on a fait de l'obéissance une vertu cardinale, on a divinisé l'État ; l'objecteur de conscience est alors le sacrilège qui récuse la notion de raison d'État et ne rejette la loi écrite que pour lui substituer le pouvoir de la conscience. L'attitude de l'objecteur de conscience est souvent stigmatisée par de nombreux secteurs de la société.
- sur l'attitude envers la société et la démocratie. Cela se révèle bien entendu pas seulement à propos de l'objection de conscience à la guerre ou aux activités militaires, mais aussi à diverses autres aspects, objection médicale, objection à l'impôt pour des questions corporatrices ou sociétaires. Cela fait référence à certains écrits de David Henri THOREAU par exemple : "tout vote est une sorte de jeu, comme les échecs ou le tric-trac, augmenté d'une légère touche morale ; un jeu où le bien et le mal, les questions éthiques sont en jeu" (La désobéissance civile). Cela peut rester une position individuelle isolée. Cela peut refléter l'opposition de vastes parties de la société à un pouvoir politique issu de mécanismes institutionnels, parlementaires et présidentiels, ressentis comme "truqués" ou au moins porteurs de mensonges de grande ampleur...
- sur l'efficacité dans la lutte contre ce à quoi l'objection de conscience s'oppose. Ainsi de nombreux débats ont opposé, par rapport aux combats contre "la militarisation" ou "l'encasernement" ou encore "l'armée bourgeoise capitaliste", les tenants d'une lutte à l'intérieur de l'institution militaire à ceux qui préfèrent concentrer leurs efforts de l'extérieur de celle-ci. Cela reflète bien entendu des divergences d'objectifs politico-sociaux.

Jean-Pierre CATTELAIN, L'objection de conscience, PUF, collection Que sais-je?, 1975. Alternatives non-violentes, n°29-30, 1978, dossier sur l'objection de conscience. Présentation de HEAM DAY, Bible de l'objecteur de conscience, L'Internationale des Résistants à la guerre, 1957. Lanza DEL VASTO, technique de la non-violence, Denoël/Gonthier, 1971. Henry VAN ETTEN, George FOX et les Quakers, Éditions du Seuil, collection "Maitres spirituels", 1956. Jean-Marie MULLER, Lexique de la non-violence, Alternatives non-violentes-Institut de Recherche sur la Résolution des Conflits, 1988.

                                                              PAXUS
 
Relu le 23 janvier 2019

 
Partager cet article
Repost0
28 mars 2009 6 28 /03 /mars /2009 16:23
        Parmi les grands courants des pacifismes, ceux issus directement de lectures des Évangiles (notamment du Sermon de la Montagne), courent depuis les origines de cette religion jusqu'à nos jours et inspirent non seulement des mouvements chrétiens très divers, mais influencent également les politiques mêmes des institutions religieuses et politiques.

        On peut distinguer le christianisme primitif que certains auteurs situent comme pacifiste et animé du refus de participer aux armées impériales romaines, de celui institué ensuite par l'empereur Constantin par l'édit de Milan de 313 et le concile de 314. L'Empire devient ensuite chrétien et les théologiens admirent le devoir chrétien de le défendre. St Augustin (354-430) fit de la paix le souverain bien de la Cité terrestre et céleste. Il devient la référence du monde médiéval occidental pour la doctrine de l'Église sur la guerre et la paix.
      L'Église, qui ne condamne pas la guerre en soi, s'efforce à la fois d'affirmer la prépondérance de son pouvoir sur celui des rois et des princes, et d'instaurer des périodes de Paix de Dieu ou de trêve de Dieu, au moins entre les membres de la Chrétienté (face à l'Islam notamment, et aux hérésies de toute sorte...). Par la question des croisades, l'Église introduit la notion de guerre juste, et les guerres de religion ensuite marquent définitivement la fin des restes d'un pacifisme chrétien institutionnalisé.

        C'est à la marge de l'Église que s'affirment ensuite des pacifismes chrétiens (qui se disent en tout cas chrétiens...), sans grandes influences sur le moment.
       Pierre DUBOIS (1255-1312), avocat normand, confie à Philippe le Bel, roi de France, un plan de paix perpétuelle entre tous les États chrétiens (1307).
       St Thomas (1225-1274) précise les conditions d'une guerre juste, qui interdirait les guerres féodales.
       Antonio MARINI, avocat dauphinois, suggère au roi de Bohême, Podiebrad, un Projet de paix chrétienne perpétuelle (1463), qui sera repris à plusieurs reprises par la suite en autant de tentatives de constituer un tribunal supranational d'arbitrage des conflits entre les différentes royautés.
      Inspirés à la fois par la sagesse antique et l'évangélisme chrétien, ÉRASME (1469-1536), Thomas MORE (1478-1535) proposent, à l'encontre d'un Nicolas MACHIAVEL, de réglementer la guerre ou plus de la bannir, comme moyen de résoudre des questions de frontières ou de possessions.
      
      C'est dans le sillage de la Réforme que naît un nouveau pacifisme chrétien préconisé par des Églises d'origine anabaptiste et par la Société des Amis (Quakers). Des émigrants britanniques et hollandais, entre autres, tentent d'établir dans le Nouveau Monde où ils s'exilent, des règles de  vie inspirées d'un pacifisme plus ou moins intransigeant. Dans la descendance de ce pacifisme, TOLSTOI (1828-1910) s'inscrit de manière discutable pour la théologie officielle : la renonciation à la guerre passe "en effet par une simplification outrageuse du christianisme (...) associée à un antiétatisme presque anarchiste" (Shinji KAYAMA).

        Les pacifismes chrétiens contemporains sont multiples et représentés par des organisations et des personnalités très diverses, dont certaines s'appuient sur les encycliques Pacem in Terris de 1963 ou Gandum et Spes de 1965 (Vatican 2). Des voix isolées ici et là rencontrent un certain écho dans le contexte de certaines luttes sociales ou antimilitaristes, et sous la pression d'un mouvement de sécularisation qui balaie à grande vitesse les influences morales des Églises officielles, du moins en Occident. On pense à René COSTE, à Jacques GAILLOT, à Jean et Pierre TOULAT en France par exemple. Les attitudes pacifistes vont de la résistance non-violente à certaines activités militaires (Larzac, essais nucléaires...), de la condamnation totale de la guerre à l'idée d'une limitation sélective de celle-ci. Des réflexions sur la paix doivent répondre par exemple à d'autres mouvements dans l'Église qui luttent contre la pauvreté, en Amérique Latine notamment où progresse jusque dans les années 1980  la théologie de la libération.
         
     La rédaction du Dictionnaire Critique de Théologie, dans un chapitre intitulé Théologie systématique pense que la discussion proprement théologique sur la paix se trouve à l'entrecroisement de plusieurs problématiques.
- Celle de l'anthropologie spirituelle, qui veut que si la paix règne entre Dieu et l'homme, elle doit régner également entre l'homme et lui-même. On retrouve là l'influence de certains philosophes qui ne craignent pas de s'affirmer chrétiens comme Paul RICOEUR.
- Celle de la communion, où l'Église a le devoir d'être présente dans l'histoire comme communauté pacifiée. L'idée d'une ontologie de la communion n'a qu'une faible force descriptive. Par contre, comme l'Église est la seule société à croire possible une existence fidèle aux Béatitudes, elle doit vouloir incarner concrètement la paix qu'elle annonce dans énormément de ses textes. Autant dire, qu'entre l'attitude de l'Église Catholique et les objectifs affichés de paix universelle, il existe énormément de chemin à faire...
- Celle du lieu où la béatitude des artisans de paix doit être audible. Pas seulement dans l'Église, mais également dans la Cité : les chrétiens sont citoyens. Les théologiens ont tendance à penser, même s'ils n'en donnent pas toujours les bonnes impulsions dans les lieux officiels où ils se trouvent, que les chrétiens n'auront de véritable pouvoir ou influence sur la vie de la Cité que s'ils donnent d'abord l'exemple dans les communautés où ils veulent partager leur foi. Responsabilités politiques et responsabilités ecclésiales sont indissociables. C'est d'ailleurs pourquoi l'Église ou les Églises tentent toujours d'avancer des arguments spirituels sur nombre de sujets de société (politiques familiales, recherches scientifiques), avec le souvenir des temps anciens où elles faisaient la loi terrestre, et avec des habitudes d'activités politiques (on le voit dans des pays comme l'Italie et l'Espagne) qui ne provoquent d'ailleurs pas toujours, c'est un peu une litote, des effets pacifiques.

         Il est intéressant de lire un passage du livre (Chrétiens devant la guerre et la paix) d'un partisan du pacifisme chrétien et de la non-violence, Christian MELLON, qui écrit dans une période de guerre froide prolongée :
"Qu'on le veuille ou non, la paix est une oeuvre politique, puisqu'elle concerne la manière dont les hommes organisent les rapports entre sociétés, entre États. De plus, par fidélité à certaines exigences éthiques essentielles, l'Église peut être amenée à "condamner" telle ou telle guerre, à mettre en garde contre telle ou telle politique de défense. Certains, chrétiens ou non, estiment alors que l'Église sort de son rôle, qu'elle "s'occupe de politique". Ne devrait-elle pas se contenter de prêcher l'Évangile et laisser aux politiques et aux militaires la liberté totale de définir les moyens de défense d'un peuple? (...) Nous n'aborderons pas ici la question très générale de la légitimité des prises de position de l'Église dans des domaines qui recoupent le moral et la politique. Si l'on estime que les Églises s'occupent de ce qui ne les regarde pas quand elles s'intéressent aux droits de l'homme, au mal-développement, à l'euthanasie ou aux risques de guerre nucléaire, inutile d'aller plus loin. Dans le cas contraire, on peut avancer, mais en sachant que cette question est complexe. En effet, si l'Évangile reste pour tout chrétien et pour l'Église comme corps la source d'inspiration de toute action, y compris politique, il ne se présente pas comme un livre de "recettes" qu'il suffirait d'appliquer pour résoudre les problèmes de la vie en société."

Jean DEFRASNE, Le pacifisme, PUF, collection Que sais-je?, 1983. Shinji KAYAMA, article Paix dans Dictionnaire Critique de Théologie, sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, PUF, Quadrige, 1998. Christian MELLON, Chrétiens devant la guerre et la paix, Éditions Le Centurion-CERAS (Centre de Recherche et d'Actions Sociales, Jésuites), collection "Église et Société", 1984. Albert PAYET, Pacifisme et christianisme aux premiers siècles, Bibliothèque rationaliste,Les oeuvres représentatives, 1934.
 
PAXUS
 
Relu le 24 janvier 2019
 
Partager cet article
Repost0
24 mars 2009 2 24 /03 /mars /2009 10:40
     Même si le livre de l'objecteur insoumis au service civil des années 1970 a déjà plus de vingt ans, ce qui rend sa dernière partie un peu obsolète, quoique toujours intéressante, même si aujourd'hui l'abolition du service militaire dans de nombreux pays européens, en France notamment réduit notablement l'intérêt de l'objection de conscience à l'institution militaire, les longs développements historiques, depuis qu'il y a des armées jusqu'à l'époque contemporaine fait de celui-ci un ouvrage très utile. Utile pour appréhender et comprendre l'épaisseur d'une histoire des réfractaires, utile car demain nul ne sait quelle forme peut revêtir de nouvelles obligations militaires des citoyens, utile enfin car l'histoire des réfractaires est intimement liée à l'histoire de la conquêtes des libertés publiques.
    
    Comme l'écrit Michel AUVRAY, "une histoire des réfractaires indissociablement  liée à celle de la conscription, tant il est vrai que l'objection comme l'insoumission sont conditionnées par les formes et l'étendue des obligations militaires ; tant il est vrai, aussi, que c'est l'obligation du service armé qui crée l'objection au service militaire, l'insoumission et, fréquemment, la désertion".  "Chaque fois que des hommes ont été astreints à participer à la guerre et à sa préparation, chaque fois que les gouvernements ont voulu imposer l'enrôlement forcé, des individus et des groupes humains ont refusé de se soumettre aux autorités, de contribuer à des massacres qu'ils réprouvaient. (...) des hommes, peu nombreux, trop peu nombreux il est vrai, se sont opposés à ce que des chefs, princes, rois, empereurs et autres présidents se servent d'eux pour satisfaire leurs appétits guerriers, leur soif de puissance ou de gloire, leurs intérêts économiques."
      Une très grande partie du livre est consacrée aux réfractaires de la Révolution française et de l'Empire, comme à ceux de l'Algérie française (1954-1962). Un gros tiers porte sur les luttes en France contre l'institution militaire depuis 1962, depuis la grève de la faim de Louis LECOIN pour l'obtention d'un statut des objecteurs de conscience. Défavorable au service civil, l'auteur est partie prenante des conflits internes aux mouvements de résistance à la militarisation. Beaucoup de ceux qui ont accompli les deux ans de service civil, soit légalement, dans des filières organisées par les associations loi 1901 de solidarité et parfois de lutte.. contre l'armée et financées par les pouvoirs publics, soit illégalement car refusant des affectations imposées, notamment à l'Office National des Forêts, ne se retrouveront pas dans certains propos de Michel AUVRAY. Co-fondateur du journal Objection, l'auteur décrit toutefois relativement bien, même si c'est plutôt bref,  ce qui s'est passé autour du mouvement au Larzac contre l'extension du camp militaire.

     Si dans l'annexe la liste des journaux et périodiques, comme celle des adresses utiles, relève plus de l'histoire que de l'actualité et n'est guère utilisable bien entendu, la bibliographie comporte beaucoup d'éléments qui permet au lecteur d'aller beaucoup plus loin que le livre.
 
   L'éditeur présente ainsi cet ouvrage : "Ils sont dit "Non!". Non à la guerre, à sa préparation. Non à l'uniforme, à l'enrôlement forcé. Non à la servitude et aux contraintes militaires. Objecteurs, insoumis, déserteurs, réfractaires, ils appartiennent au mouvement social le plus mal connu. Et non moins méconnu de ceux qui ont pour lui une sympathie certaine. La jeunesse de ses membres comme ses développements relativement récents laissent même accroire qu'il est sans passé, sans histoire. C'est cette histoire, les histoires parallèles et convergentes de ces refus d'obéissance qui sont parfois de véritables engagements que voilà ici retracées pour la première fois. Des tout premiers chrétiens aux déserteurs de l'Ancien Régime, des insoumis de la Révolution à ceux du Ier Empire, des fusillés "pour l'exemple" de 1914-1918 aux opposants à la guerre d'Algérie, des objecteurs légalement reconnus aux insoumis "totaux", renvoyeurs de papiers militaires et autres objecteurs à l'impôt, voici l'histoire des réfractaires en France, des origines à nos jours : l'histoire de ceux qui refusent de se soumettre aux obligations militaires comme celle des résistants à la militarisation de la société. Une histoire inséparable de celle des libertés, profondément actuelle, éclairant la signification des changements en cours. Une histoire passionnante, qui plonge ses racines dans les rapports qu'entretiennent le peuple et l'armée, l'individu et le pouvoir."
 
Au moment (début 2019) de possibles rétablissements en France d'un service militaire universel obligatoire, quel que soit sa forme, ce livre sur l'objection de conscience et l'insoumission retrouve sans doute une certaine actualité...
 

 

   
Michel AUVRAY, objecteur, puis insoumis au service civil, l'un des fondateurs en 1974 du journal Objection, a écrit aussi L'âge des casernes, Histoire et mythes du service militaire (Éditions de l'Aube, 1998).

Michel AUVRAY, Objecteurs, insoumis, déserteurs, Histoire des réfractaires en France, Stock/2, 1983, 440 pages.
 
Relu le 29 janvier 2019
Partager cet article
Repost0
11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 16:06
 
      Publié en France en 1968, ce livre iconoclaste à bien des égards se présente (ironiquement?) comme un "rapport sur l'utilité des guerres" qui aurait été commandité par le gouvernement américain et élaboré par quinze experts dans la perspective de faire face à une "situation de paix permanente".
     Destiné donc, le jure l'économiste J.K. GALBRAITH, à analyser les conséquences de l'absence de guerre dans toute une série de domaines - économiques, politiques, sociaux et culturels - le "rapport" étudie les fonctions de la guerre de manière extrêmement froide, on en jugera à la lecture très aisée de deux centaines de pages d'un texte  assez aéré.  On y trouve par exemple des considérations sur la guerre en tant que facteur de libération sociale (elle procure les réajustements nécessaires aux critères du comportement social civique), en tant que stabilisateur des conflits entre générations et en tant que clarificateur des idéologies...
       Les fonctions économiques de la guerre sont particulièrement étudiées dans ce rapport, celle-ci étant considérée comme régulatrices d'un système économique sujet à des crises régulières.
  
     Le grand mérite de ce "rapport" est de mettre l'accent sur les fonctions non militaires de la guerre, notamment sur les aspects curatifs à propos des conflits sociaux, et à son corollaire immédiat sur la fonction étatique de contrôle social des citoyens. Dans sa seconde partie, il examine d'ailleurs les substituts à ces fonctions non militaires, dans la situation particulière angoissante d'une prolongation indéfinie de la paix. Pour l'économie, il préconise "une consommation de richesses, à des fins totalement non productives, d'un niveau comparable à celui des dépenses militaires telles que les rendent nécessaires l'ampleur et la complexité de chaque société". Dans le domaine politique, un "substitut durable posant en principe l'existence d'une menace externe d'ordre général pesant sur chaque société, menace d'une nature et d'une intensité suffisantes pour exiger, d'une part, l'organisation, de l'autre, l'acceptation d'une autorité politique." En écologie, il faut trouver un moyen de contrôle démographique de l'espèce humaine aussi performant que la guerre... On le comprend, le "rapport", tout en mettant en garde les responsables politiques contre certaines conséquences catastrophiques de la paix, est loin de faire des propositions concrètes et précises, ce que l'on peut déplorer, si l'on garde le ton général de l'ouvrage...
 
     En quatrième de couverture, on peut lire cette introduction : "Quinze experts réunis en secret par le gouvernement américain "d'examiner avec réalisme les problèmes qui se poseraient aux États-Unis si une situation de "paix permanente" se produisait? Ont-ils été également chargés de préparer un programme de gouvernement pour le cas où cette hypothèse viendrait à se réaliser? Et leurs travaux ont-ils vraiment eu pour conclusion qu'une situation de paix permanente présenterait pour "la stabilité de la société" de tels dangers qu'ils en sont venus à envisager le maintien du "système fondé sur la guerre" comme préférable à celui qui serait fondé sur la paix?
La lecture de ce rapport laisse le problème entier. Oeuvre de pure imagination ou monumentale indiscrétion? Dans sa préface J. K. GALBRAITH déclare "garantir l'authenticité de ce document, dans la mesure où il peut être fait confiance en sa parole et sa bonne foi". Le sérieux de l'argumentation, la précision des raisonnements, la froideur, le manque de subjectivité, le détachement absolu de toute idée ou sentiment préconçu font de ce rapport un document passionnant par son intelligence et terrifiant par son cynisme. Il est comme l'annonce d'une nouvelle civilisation : celle où les questions de vie et de mort ne dépendront plus du coeur des hommes mais des circuits des machines à penser."
Il est à noter que dans ses conclusions, le Rapport propose une méthodologie pour une Agence de Recherches sur la Guerre et la Paix, orientée vers l'exploration dans tous les domaines évoqués de substituts aux bienfaits apportés par la guerre...  vu que "malheureusement" l'état de guerre semble devoir prendre fin...
 


     Rapport sur l'utilité des guerres, La paix indésirable?, Préface de H McLandres, pseudonyme de J.K GALBRAITH, Introduction de Léonard LEWIN, Calmann-Lévy, 1968, 209 pages. Traduction de l'ouvrage américain "Report from iron mountain on the possibility and desirability of peace", paru en 1967 chez Leonard C.LEWIN.
 
Complété le 1er novembre 2018
Partager cet article
Repost0
26 août 2008 2 26 /08 /août /2008 14:56

     D'emblée, le pacifisme a mauvaise presse encore, que ce soit dans le langage courant (ce qu'atteste la plupart des dictionnaires de langue française) ou dans les milieux politiques institutionnels (surtout en France où le spectre des accords de Munich de 1938 plane toujours). Pourtant, les pacifismes ne peuvent se comprendre qu'en se plaçant dans une perspective historique longue. Nous sommes très loin désormais d'une culture guerrière de l'Antiquité ou du Moyen-Age. Les innombrables écrits de glorification et d'exaltation de la guerre sont difficiles à trouver en librairie. Surtout avec l'avènement du christianisme, la culture guerrière a fait place progressivement à une culture pacifique.

   Pour autant, l'ensemble des activités humaines, plus orientées aujourd'hui sur la coopération que sur le conflit, reste sous-tendue par une vision négative des pacifismes. Avant d'entrer dans une analyse des dynamiques sociales qui orientent le destin de l'humanité vers des avenirs qui laissent de moins en moins place à un image positive de la guerre, il est intéressant de se livrer à un effort de définition et de classification.
  On peut effectuer une classification par type de motivations des acteurs sociaux ou encore  une classification qui donne une échelle qui va du pacifisme intégral et inconditionnel à l'anti-pacifisme intégral, soit l'esprit guerrier digne des klingons de la série  télévisée de science fiction Star Trek ou mieux pour rester dans les degrés des pacifismes stricto sensu, du pacifisme à tout prix justifié moralement au pacifisme instrumental qui ne croit pas réellement aux vertus de la paix. Reste aussi une forme de classification suivant l'évolution historique, des Perses antiques à l'irénisme contemporain.

    Tout en se réservant toutes ces possibilités, qui seraient longues à détailler dans cet article, on peut s'inspirer de la classification établie en 1927 par Max SCHELER, dans son livre "L'idée de paix et le pacifisme", reprise par Yves SANTAMARIA. Ce philosophe allemand, adepte de la coopération économique et politique internationale distinguait ainsi :
        - le "pacifisme héroïque" du refus de la guerre décliné sous sa forme individuelle, dicté our des raisons morales, sans exclure des raisons d'efficacité politique ou sociale. Une forme collective de ce pacifisme peut exister, et souvent ses adeptes refusent le terme "héroïque" pour affirmer sa nécessité, sous forme de désobéissance civile massive par exemple.
         - le "pacifisme chrétien", demi-pacifisme qui privilégie le règlement négocié des conflits et leur humanisation, mais qui laisse une large place aux guerres justes, qualifiées par les Eglises de défensive, même quand elles prennent la forme de croisades plutôt offensives.
         -  le "pacifisme économique", des économistes utilitaristes, anglo-saxons notamment, favorables au libéralisme et souvent opportuniste.
         - le "pacifisme juridique" qui ancre de plus en plus, progressivement, de manière multi-séculaire dans des institutions la théorie du "droit naturel" et du "droit des gens". La criminalisation progressive de la guerre, favorisée par l'impérialisme anglo-saxon est considérée par nom de conservateurs, notamment allemands, comme une mystification.
             - le "demi-pacifisme" du "communisme" et du socialisme marxisme qui en fait une matrice de la guerre idéologique contre le capitalisme. Il est du même ordre que l'anti-militarisme anti-bourgeois pour une fraction importante des tenants de la révolution marxiste.

     Jean DEFRASNE dans son petit livre "Le pacifisme" ne réfute pas une telle classification, mais l'enchaînement historique des événements est si complexe que l'on trouve des pacifismes mêlés à presque toutes les tendances idéologiques, des royalistes aux républicains, des démocraties aux dictatures... C'est dans les réalités telles qu'elles se sont mises en place que les pacifismes trouvent leurs expressions, plus que dans les écrits des philosophes. C'est face d'ailleurs aux réalités et aux conséquences de tout ordre des guerres que se sont développés et affirmés des états d'esprits de moins en moins guerriers ou de plus en plus pacifiques, voire pacifistes...
       Sans aucun doute, les pacifismes ne trouvent leurs meilleures justifications qu'en regard des valeurs des acteurs qui les incarnent, des projets de société qu'ils entendent défendre. C'est en regard de leurs conceptions sur la justice et la liberté notamment que l'on mesure les vérités qu'ils renferment. On peut penser que les pacifismes se conjuguent à l'humanisme, au cosmopolitisme, au socialisme, au fédéralisme, plutôt qu'au nationalisme ou au libéralisme, mais seules les réalités concrètes nous montrent leur vérité. L'avenir seul dira, avec l'action de tous les membres de l'humanité, si la paix n'est qu'une idée.

  Jean DUFRASNE, Le pacifisme, PUF, collection Que sais-je?, 1995
  Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005

                                                                                                             PAXUS
         
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : LE CONFLIT
  • : Approches du conflit : philosophie, religion, psychologie, sociologie, arts, défense, anthropologie, économie, politique, sciences politiques, sciences naturelles, géopolitique, droit, biologie
  • Contact

Recherche

Liens