20 avril 2009
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Le projet de paix perpétuelle de l'Abbé de Saint-Pierre.
Au siècle des Lumières, les Mémoires pour rendre la paix perpétuelle en Europe de Charles-Irénée CASTEL DE SAINT-PIERRE (1658-1743) sont les plus représentatifs et les plus lus de quantité de projets rédigés à cette époque.
Aumônier de la duchesse d'Orléans, l'Abbé DE SAINT-PIERRE, négociateur du Traité d'Utrech en 1712-1713, rédige sur la base de son expérience diplomatique le texte d'un projet remanié ensuite plusieurs fois.
Son but est d'organiser la paix, après les guerres désastreuses de LOUIS XIV, par le droit. Constatant que l'équilibre tel qu'il existe en Europe n'est pas un facteur de paix, mais de troubles, l'abbé propose aux princes de construire une alliance fédérative générale. Ils doivent renoncer à jamais à la voie des armes, et conviennent de prendre désormais la voie de la conciliation par la médiation "du reste des grands alliés". C'est leur intérêt bien compris qui doit les pousser à adhérer à cette grande alliance car elle leur garantit leur pouvoir. Un Abrégé paru en 1729 précise que les contractants se garantissent mutuellement leurs possessions contre les guerres étrangères et civiles, les révolutions, les usurpations dynastiques et territoriales, ce qui permettrait à tous les États de réduire leurs frais militaires, d'accroitre le profit économique, de réformer l'administration et de faire le bonheur des hommes. Cette alliance rendrait les conquêtes impossibles, car un État ne pourrait résister à une telle coalition et la Diète pourrait régler les disputes territoriales et dynastiques, ce qui supprimerait les sources de la guerre.
Cette disparition permettrait le développement économique européen. Les impôts, les taxes, seraient affectées à des entreprises utiles à tous. Selon Simone GOYARD-FABRE (sa présentation du projet en 1981), "sa conception d'un européanisme fédéraliste au service de la paix, du progrès et de la félicité publique (marque) un tournant dans l'histoire des idées.". C'est aussi l'avis de Paul-Laurent ASSOUN, pour qui "Le projet mérite (...) de figurer comme un repère dans l'histoire de l"'idée européenne" autant que pour l'évolution de la problématique "pacifiste" : le propre du projet, en effet, est de lier les deux aspects, en présentant l'édification d'une "société européenne" comme la seule garantie de la "perpétuité de la paix", dans les États des "princes chrétiens" comme en dehors d'eux.
Très touffus, écrits dans un style déjà décourageant pour le lecteur du XVIIIème siècle et encore plus pour celui d'aujourd'hui, les Mémoires de l'abbé DE SAINT PIERRE, veulent conduire les dirigeants à rédiger les cinq articles qui selon lui peuvent donner les garanties de cette paix perpétuelle.
"Il y aura désormais entre les souverains qui auront signé les cinq articles suivants une paix perpétuelle"
Le premier article énonce la nécessité de l'alliance perpétuelle, "pour se procurer mutuellement durant les siècles à venir" neuf effets principaux :
"Il y aura désormais entre les souverains qui auront signé les cinq articles suivants une paix perpétuelle"
Le premier article énonce la nécessité de l'alliance perpétuelle, "pour se procurer mutuellement durant les siècles à venir" neuf effets principaux :
- sûreté entière contre les grands malheurs des guerres étrangères ;
- sûreté entière contre les grands malheurs des guerres civiles ;
- sûreté entière de la conservation en entier de leurs États ;
- sûreté beaucoup plus grande de la conservation de leur propre personne et de leur famille dans la possession de la souveraineté, selon l'ordre établi dans la nation ;
- diminution considérable de leur dépense militaire, en augmentant cependant leur sureté ;
- augmentation très considérable du profit annuel que produiront la continuité et la sûreté du commerce ;
- sûreté entière contre les grands malheurs des guerres civiles ;
- sûreté entière de la conservation en entier de leurs États ;
- sûreté beaucoup plus grande de la conservation de leur propre personne et de leur famille dans la possession de la souveraineté, selon l'ordre établi dans la nation ;
- diminution considérable de leur dépense militaire, en augmentant cependant leur sureté ;
- augmentation très considérable du profit annuel que produiront la continuité et la sûreté du commerce ;
- beaucoup plus de facilité et en moins de temps, l'agrandissement intérieur ou l'amélioration de leurs États par le perfectionnement des lois, des règlements, et par la grande utilité de plusieurs excellents établissements ;
- terminer plus promptement, sans risques ni frais, leurs différends futurs ;
- sûreté entière de l'exécution prompte et exacte de leurs traités futurs et leurs promesses réciproques".
Le second article traite du fonctionnement de ce "collectif" : chaque allié contribue, à proportions des revenus actuels et des charges de son État, à la sûreté et et aux dépenses communes. Une présidence alternée de chaque État est mise en place, par plénipotentiaires interposés, d'un organe commun gérant ces contributions.
Le troisième article détaille la "médiation" et l'"arbitrage" comme voie de maintien de l'alliance, l'échec de ceux-ci devant être sanctionné par un "jugement".
Le quatrième article traite précisément des sanctions en cas de manquement à cette règle d'arbitrage : "Si quelqu'un d'entre les grands alliés refuse d'exécuter les jugements et les règlements de la grande alliance, négocie des traités contraires, fait des préparatifs de guerre, la grande alliance armera et agira contre lui offensivement ; jusqu'à ce qu'il ait exécuté lesdits jugements ou règlements (...)"
Le cinquième article dispose que les parties énoncent une véritable Charte Constitutionnelle, pour régler le fonctionnement de cette alliance.
- terminer plus promptement, sans risques ni frais, leurs différends futurs ;
- sûreté entière de l'exécution prompte et exacte de leurs traités futurs et leurs promesses réciproques".
Le second article traite du fonctionnement de ce "collectif" : chaque allié contribue, à proportions des revenus actuels et des charges de son État, à la sûreté et et aux dépenses communes. Une présidence alternée de chaque État est mise en place, par plénipotentiaires interposés, d'un organe commun gérant ces contributions.
Le troisième article détaille la "médiation" et l'"arbitrage" comme voie de maintien de l'alliance, l'échec de ceux-ci devant être sanctionné par un "jugement".
Le quatrième article traite précisément des sanctions en cas de manquement à cette règle d'arbitrage : "Si quelqu'un d'entre les grands alliés refuse d'exécuter les jugements et les règlements de la grande alliance, négocie des traités contraires, fait des préparatifs de guerre, la grande alliance armera et agira contre lui offensivement ; jusqu'à ce qu'il ait exécuté lesdits jugements ou règlements (...)"
Le cinquième article dispose que les parties énoncent une véritable Charte Constitutionnelle, pour régler le fonctionnement de cette alliance.
L'abbé DE SAINT-PIERRE, qui fait partie du mouvement anti-absolutiste, opposé au Roi de France, s'est vu exclure de l'Académie Française. Il est vrai que ce projet veut mettre fin à toutes visées expansionnistes. Mais par ailleurs, le projet est foncièrement conservateur, orienté autant contre les guerres que contre les révolutions, notamment sociales. Rédigé du point de vue de souverains ayant bien compris, rationnellement, leur intérêt, ce projet de paix perpétuelle est aussi un projet de société à ordres perpétuellement maintenue.
Si ce projet de paix perpétuelle est aussi connu en son siècle, c'est surtout parce Jean-Jacques ROUSSEAU, exécuteur testamentaire moral de l'abbé DE SAINT-PIERRE, lui donne une importance dans son "Jugement sur le projet..." (1782). Même si le philosophe pense que l'abbé a tort dans l'ensemble, avec tout le respect qu'il lui témoigne, il s'efforce d'en faire une véritable critique, c'est-à-dire d'en dégager les bons et les mauvais aspects.
"Qu'on ne dise donc point que si son système n'a pas été adopté, c'est qu'il n'était pas bon ; qu'on dise au contraire qu'il était trop bon pour être adopté ; car le mal et les abus dont tant de gens profitent s'introduisent d'eux-mêmes ; mais ce qui est utile au public, ne s'introduit guère que par la force, attendu que les intérêts particuliers y sont presque toujours opposés. Sans doute qu'on nous rende un Henri IV et un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable ; ou plutôt, admirons un si beau plan, mais consolons-nous de ne pas le voir exécuter ; car cela ne peut se faire que par des moyens violents et redoutables à l'humanité. On ne voit point de Ligues fédératives s'établir autrement que par des révolutions, et sur ce principe qui de nous oserait dire si cette Ligue Européenne est à désirer ou à craindre. Elle ferait peut-être plus de mal tout d'un coup qu'elle n'en préviendrait pour des siècles."
Jean-Jecques ROUSSEAU n'est pas évidemment le seul qui ait commenté ces Mémoires de l'abbé DE SAINT-PIERRE. Bien avant lui, Gottfried Wilhelm von LEIBNIZ, dès 1715, il noue une correspondance avec l'abbé. Tout à sa préoccupation de détourner l'attention de Louis XIV, des Pays-Bas vers l'Orient et l'Égypte, et dans l'espoir de donner à l'Europe cette unité spirituelle qui lui fait tant défaut d'après lui, le philosophe soutient l'entreprise de l'abbé. Très peu d'hommes d'action soutiennent comme lui ce projet que nombre de princes considèrent comme utopique.
Hervé GUINERET, Extrait et commentaires du Jugements sur le projet de paix perpétuelle de l'abbé DE SAINT-PIERRE, Ellipses, collection Texte et commentaire, 2004. Paul-Laurent ASSOUN, article ABBE DE SAINT PIERRE, Projet de paix perpétuelle, dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986.
On peut trouver le texte, sous différentes formes (scan simple du texte d'origine par exemple) sur Internet, notamment sur le site de Gallica. Par ailleurs, le texte revu par Simone GOYARD-FABRE (avec orthographe et ponctuation de l'époque) est disponible chez Fayard depuis 1986.
Si ce projet de paix perpétuelle est aussi connu en son siècle, c'est surtout parce Jean-Jacques ROUSSEAU, exécuteur testamentaire moral de l'abbé DE SAINT-PIERRE, lui donne une importance dans son "Jugement sur le projet..." (1782). Même si le philosophe pense que l'abbé a tort dans l'ensemble, avec tout le respect qu'il lui témoigne, il s'efforce d'en faire une véritable critique, c'est-à-dire d'en dégager les bons et les mauvais aspects.
"Qu'on ne dise donc point que si son système n'a pas été adopté, c'est qu'il n'était pas bon ; qu'on dise au contraire qu'il était trop bon pour être adopté ; car le mal et les abus dont tant de gens profitent s'introduisent d'eux-mêmes ; mais ce qui est utile au public, ne s'introduit guère que par la force, attendu que les intérêts particuliers y sont presque toujours opposés. Sans doute qu'on nous rende un Henri IV et un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable ; ou plutôt, admirons un si beau plan, mais consolons-nous de ne pas le voir exécuter ; car cela ne peut se faire que par des moyens violents et redoutables à l'humanité. On ne voit point de Ligues fédératives s'établir autrement que par des révolutions, et sur ce principe qui de nous oserait dire si cette Ligue Européenne est à désirer ou à craindre. Elle ferait peut-être plus de mal tout d'un coup qu'elle n'en préviendrait pour des siècles."
Jean-Jecques ROUSSEAU n'est pas évidemment le seul qui ait commenté ces Mémoires de l'abbé DE SAINT-PIERRE. Bien avant lui, Gottfried Wilhelm von LEIBNIZ, dès 1715, il noue une correspondance avec l'abbé. Tout à sa préoccupation de détourner l'attention de Louis XIV, des Pays-Bas vers l'Orient et l'Égypte, et dans l'espoir de donner à l'Europe cette unité spirituelle qui lui fait tant défaut d'après lui, le philosophe soutient l'entreprise de l'abbé. Très peu d'hommes d'action soutiennent comme lui ce projet que nombre de princes considèrent comme utopique.
Hervé GUINERET, Extrait et commentaires du Jugements sur le projet de paix perpétuelle de l'abbé DE SAINT-PIERRE, Ellipses, collection Texte et commentaire, 2004. Paul-Laurent ASSOUN, article ABBE DE SAINT PIERRE, Projet de paix perpétuelle, dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986.
On peut trouver le texte, sous différentes formes (scan simple du texte d'origine par exemple) sur Internet, notamment sur le site de Gallica. Par ailleurs, le texte revu par Simone GOYARD-FABRE (avec orthographe et ponctuation de l'époque) est disponible chez Fayard depuis 1986.
PAXUS
Relu le 27 février 2019