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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 16:23
   On ne trouve guère de définition de la guerre dans les différents dictionnaires d'économie, tout juste une évocation brève du rôle des dépenses militaires dans le cadre des dépenses publiques, elles abondamment décrites. La guerre est généralement conçue comme une fonction extérieure au fonctionnement économique. De même d'ailleurs que les dépenses militaires.
  "Le fait notable de la production militaire moderne est qu'elle reste à l'extérieur (des forces de contrôle démocratique). Ainsi, elle est ignorée par la formation économiques dominante, avec quelques exceptions spécifiques, et par la plupart des recherches économiques ou des discussions formelles. Une très grande composante de l'activité économique actuelle, importante par ses commandes de ressources, pressante par ses implications sociales et politiques, est effectivement ignorée par les économistes modernes. Elle n'est pas incluse dans les modèles économiques agréés ; donc d'un point de vue académique, elle n'existe pas." (John Kenneth GALBRAITH).

   La plupart des études sur les relations entre Guerre et Économie se focalisent sur un versant ou un autre, en amont ou en aval, rarement dans les relations dynamiques entre l'une et l'autre. Soit il s'agit d'études portant sur les causes économiques des guerres, soit sur leurs conséquences. Les dépenses militaires, comme préparations à la guerre, sont pour la plupart négligées par les auteurs économiques.
 
    Pourtant quatre des plus grands auteurs des théories économiques ont tous plus ou moins discuté des relations entre guerre et économie sans en faire des éléments déterminants. Adam SMITH dans ses "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Karl MARX et Friedrich ENGELS dans certains chapitres de "Le Capital" (1867-1894), John Maynard KEYNES dans ses "Conséquences économiques de la paix" (1919) et son "Comment financer la guerre?" (1940) et Joseph SCHUMPETER dans "Business Cycle" (1939) et "Capitalisme, Socialisme et Démocratie" évoquent parfois très précisément le rôle des dépenses militaires, les apports économiques des conquêtes militaires ou les productions de moyens de destruction. On évoquera aussi, pas seulement à la marge, le livre de Raymond ARON sur "La société industrielle et la guerre" (1959).
  Il faut signaler également Friedrich LIS, économiste américain, qui en 1857, choisit pour objet d'études, la puissance et pense globalement la richesse, qu'elle soit acquise en temps de paix ou en temps de guerre.
 
      Pourtant, comme l'écrivent Jean-François DA GUZAN et Pascal LORIOT (Guerre et Économie), "l'influence de la guerre sur l'économie et pour le moins de la préparation de la guerre sur l'économie (a) globalement été la règle pendant environ 130 ans, c'est-à-dire de la guerre de Sécession à la fin de l'Union Soviétique."
   - La guerre constitue un vaste vol à main armée de richesses de tout ordre et en tant que telle, elle fait pratiquement partie de l'économie (après, un peu moins...) jusqu'à l'ère industrielle du XIXème siècle. D'ailleurs, le mercantilisme anglais ou français intégrait très bien les deux dimensions pacifiques et guerrières d'acquisition de ces richesses.
  - L'économie militaire constitue un état naturel de l'économie mondiale entre 1860 (pour ne pas dire un peu avant, juste après les guerres napoléoniennes par exemple) et 1990, des entreprises coloniales systématiques à la chute de l'Union Soviétique. Entre complexe militaro-industriel américain et stratocratie soviétique (pour emprunter un terme de Cornélius CASTORIADIS), une forte compétition eut lieu pour mettre en oeuvre dans les armées le meilleur de la technologie dans tous les domaines.
Mais malgré le fait que l'économie militaire ait le plus fort impact sur l'économie globale entre les dates citées (et malgré ce que ces auteurs en disent...), vu la persistance de fortes dépenses militaires, il fait bien constater qu'elle garde une importance certaine d'une manière constante dans les économies modernes, quel que soit l'état des relations internationales.
  - Pour divers économistes marxistes, mais pas seulement, la production de moyens de destruction et les destructions elles-mêmes, sont nécessaires au fonctionnement de l'économie capitaliste, que ce soit au niveau national ou mondial. (Ernst MANDEL (1923-1995), Rosa LUXEMBOURG (1871-1919), LENINE (1870-1924), Paul BARAN (1910-1964), Paul SWEEZY (1910-2004), Gunder FRANCK (1929-2005)).
  - Pour plusieurs économistes libéraux, au contraire, la guerre n'a plus de raison d'être, n'a plus d'avenir dans une société développée et constitue, au minimum, et surtout au niveau des dépenses improductives d'armements, une menace constante pour les progrès du système capitaliste, compris comme seul système viable. (Seymour MELMAN (1917-2004), Vilfredo PARETO (1848-1923), WALRAS (1834-1910), KEYNES (1883-1946)).

Sous la direction de Jean-François DAGUZAN et Pascal LOROT (institut Choiseul pour la politique international et la géoéconomie), Guerre et Economie, Ellipses, 2003. Edward Mead EARLE, Les maîtres de la stratégie, tome 1, Bibliothèque Berger-Levrault, collection Stratégies, 1980. Raymond ARON, La société industrielle et la guerre, Plon, 1959. Sous la direction de Jacques FONTANEL, Économistes de la paix, Presses Universitaires de Grenoble, 1993.

  N.B. Il existe une association - internationale - d'économistes réfléchissant sur les relations Économie, Guerre et Défense, fréquemment consultés par les instances internationales, dont l'ONU : Économistes de la paix (ECCAR) : Espace Europe, BP 47, 38040 GRENOBLE CEDEX 9.
 
Relu le 26 octobre 2018
 
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10 novembre 2008 1 10 /11 /novembre /2008 09:35

 

     Nous ne trouverons évidemment pas (encore que le terme évident n'a pas nos faveurs) de définition de la guerre dans les dictionnaires et atlas de la Biologie, mais ce que nous voyons dans la nature, microscopique ou végétale ou animale, a parfois l'apparence d'une guerre.
     Malgré un évident anthropomorphisme, Jean-Marie PELT (La loi de la jungle) attire notre attention sur le facteur temps qui nous dissimule des mouvements antagonistes des plantes. Par exemple, "diverses architectures végétales nous offrent d'autres modèles d'armes blanches ; ainsi des tiges, aux dents tranchantes alignées à la manière d'une scie, des palmiers rotangs ; de la pomme piquante du datura ou de celle du cactus, boule hérissée d'épines d'épines en forme de fléau d'armes ; sans oublier graminées et carex à feuilles coupantes comme des lames : le sang jaillit promptement de la blessure qu'elles vous infligent si vous les parcourez du doigt dans le sens de la longueur". "Dans toutes ces stratégies, la plante s'emploie à contrôler un territoire grâce à ses émissions chimiques. Ainsi se fait déjà jour chez les plantes la notion de "territoire" qui revêtira chez les animaux une importance considérable. Défendre son territoire suppose la mise en oeuvre de moyens offensifs et défensifs qui, tous, mettent en jeu des réactions agressives : attaquer ou défendre un territoire, c'est faire la guerre. Ici, chez les plantes télétoxiques, le territoire est contrôlé par l'émission de molécules qui ne vont pas sans évoquer les gaz de combat : le compétiteur est éliminé, mais, si l'arme chimique est sur-dosée, l'attaquant l'est aussi, comme on l'a vu dans le cas de la piloselle."
    Ecrire qu'il s'agit d'une guerre constitue un usage abusif du terme, surtout si l'on connait le tropisme qui régit la vie végétale. En physiologie, le tropisme est l'orientation prise par les Végétaux fixes en voie de croissance sous l'influence d'un stimulus. Ces tropismes peuvent être positifs, négatifs ou transversaux. Suivant le stimulus, on distingue le phototropisme (lumière), le géotropisme (pesanteur), le chimiotropisme (substance chimique), l'holotropisme (contact), l'hydrotropisme (humidité). Chez les animaux, termine le Dictionnaire de Biologie dont est tirée cette définition, tropisme et taxie sont souvent employés dans le même sens. En effet, malgré leur caractère complexe, les réactions et actions animales sur l'environnement et sur les congénères ou membres d'autres espèces, sont guidées par un ensemble d'influences, reproductibles lors d'expériences, d'ordre physique. Ces réactions gardent un caractère d'automaticité qui exclue toute forme de conscience élaborée que nous associons le plus souvent au phénomène guerre.

      Le monde de la biologie est très vaste, des organismes unicellulaires aux organismes multicellulaires, des virus aux mammifères, et quand nous entrons dans l'étude des détails, nous voyons bien une lutte constante qui se mène toujours et partout, une contradiction évidente des actions et réactions entre membres de toute espèce. Mais le tropisme ou la taxie que nous constatons ne les différencie guère de réactions simples entre acides et bases en chimie. Avec cependant chez les animaux une différence assez fondamentale, partagée des oiseaux aux primates que nous sommes, le sentiment de la souffrance, mais ceci constitue sans doute un autre débat. Aux frontières de la vie et de l'inanimé, les connaissances actuelles obligent souvent de recourir à la philosophie pour penser ce genre de choses.
  
     L'approche de la vie d'Henri LABORIT (Biologie et structure) nous aide à comprendre comment et pourquoi les êtres vivant agissent les uns sur les autres. "... la finalité d'un être vivant (est) le maintien de sa structure complexe dans un environnement moins complexifié. Or, la simple excitation, c'est-à-dire le seul fait pour lui de subir l'apport d'une énergie extérieure sous une forme autre que celle de ses substrats, constitue déjà une tendance au nivellement thermodynamique, et l'on constate une déstructuration des protéines par rupture des liaisons hydrogène : déstructuration réversible dans l'excitation, alors que dans l'irritation et la mort, elle est irréversible. C'est entre les deux que se situe l'état physiopathologique, la "maladie", mais il est bien difficile d'en définir les frontières, car à notre avis, ce sont des frontières temporelles."
Le biologiste continue la réflexion à l'échelon cellulaire comme à l'échelle des êtres pluricellulaires et cela l'amène à discerner différents types de réactions face aux excitations extérieures : la fuite ou la lutte, qui permettent en évitant ou en supprimant l'agent de ces excitations, le retour à l'état physiologique normal.
Léon BINET décrit dans son petit livre "Les défenses de l'organisme" les différentes réactions de l'organisme devant la douleur, devant le froid et la chaleur, devant l'asphyxie, devant les atteintes de l'organisme à son intégrité, devant l'hémorragie et les agressions de l'appareil respiratoire comme devant l'intoxication alimentaire, et même devant la gravitation, et pendant le processus de la mort, d'une manière qui nous fait comprendre également que du niveau cellulaire au niveau psychologique, c'est tout un ensemble de réactions aux stimulations extérieures qui se met en mouvement, de manière quasi-constante.

    A partir de là, nous pouvons concevoir comment le contact de différents membres d'une même espèce ou d'espèces différentes, luttant chacun pour son propre équilibre interne, se traduit par la destruction des uns et la revitalisation des autres, sans qu'il soit besoin de recourir à une notion aussi complexe que la guerre.
  Toutefois, l'espèce humaine mène réellement une véritable guerre contre toute une variété d'organismes biologiques, à travers notamment la médecine. Nous imaginons bien que les médecins se considèrent perpétuellement en guerre contre les agents pathogènes de toute sorte qui assaillent leurs patients. Comme nous comprenons bien qu'il s'agit pour les collectivité humaines de mener des guerres - avec des moyens biologiques - contre des facteurs d'épidémies de toutes sortes.
  L'histoire humaine elle-même est remplie d'événements de ces guerres particulières - sans doute les plus anciennes, qui mettent aux prises non seulement les organismes complexes que nous sommes à d'autres infiniment petits et agressifs (nous pensons, entre autres, aux virus et aux bactéries), mais également des civilisations différentes, porteuses de germes différents et dotés d'immunités différentes. L'approche de Jared DIAMOND nous est particulièrement utile dans cette perspective, dans la recherche des interactions entre populations humaines - entre elles et avec les différents environnements qu'elles rencontrent.

Jean-Marie PELT et Franck STEFFAN, La loi de la jungle, L'agressivité chez les plantes, les animaux, les humains, Fayard, 2003. Henri LABORIT, Biologie et structure, Gallimard, collection Idées, 1968. Léon BINET, Les défenses de l'organisme, PUF, collection Que sais-je?, 1961. Jared DIAMOND, De l'inégalité parmi les sociétés, Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, Gallimard, collection nrf essais, 2000. LENDER, DELAVAULT, LE MOIGNE, Dictionnaire de biologie, PUF, 1979.

   
 Relu le 3 novembre 2018

 

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22 octobre 2008 3 22 /10 /octobre /2008 13:29

    On ne trouve pas le mot Guerre dans les dictionnaires ou encyclopédies de l'éthologie, sans doute parce que, au sens clausewitzien du terme par exemple, la guerre est plutôt du ressort de l'espèce humaine, de l'animal politique qu'est l'humain.
Toutefois, outre le fait que l'éthologie s'intéresse aussi à l'homme, le prédateur (en zoologie, animal qui se nourri de proies) possède des caractéristiques guerrières. On rencontre des comportements guerriers chez les insectes par exemple, qui agissent collectivement. Pour éviter toute confusion, on se concentrera sur la prédation.

      Dans le Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, Patrick TORT écrit que la prédation est l'"ensemble des mouvements qui s'ordonnent en vue de l'appropriation par capture et, généralement, de la consommation alimentaire d'organismes vivants (proies). Ce processus comportemental caractérise l'activité de chasse des animaux prédateurs - l'expression s'étant étendue d'une manière discutable à certains végétaux. Elle implique une agression conduisant à la capture de la proie, et se trouve sous-tendue en chacune de ses manifestations par des stimulus activants, déclenchant un comportement d'appétence suivi d'actes consommatoires. On sait par ailleurs que les proies ont souvent développé des comportements multiples de réaction adaptative au comportement du prédateur (...). Ces comportements sont variables selon que l'animal-proie bénéficie ou non de capacités de camouflage (...). L'animal-proie reconnaît fréquemment son prédateur (...)."
En corrélation de Prédation sont cités les mots Agression, Agresivité, Compétition intra et inter-spécifique, Instincts.

     Collectivement ou individuellement, les animaux luttent pour l'existence. Cette lutte pour l'existence, écrit le même auteur "est le ressort central de la théorie de la sélection naturelle. Elle repose en partie sur le fait que tous les animaux détruisent la vie (animale ou végétale) pour se nourrir, se conserver et se reproduire, et que l'univers vivant est le théâtre d'une incessante destruction d'organismes".
Patrick TORT, qui consacre quatre longues pages à cette notion, veut faire bien comprendre que cette expression de lutte pour la vie doit tenir compte d'éclaircissements apportés par Charles DARWIN.
Trois éléments sont à avoir toujours présents à l'esprit :
 - la notion de dépendance : la conscience permanente "d'un réseau de relations qui sont à la fois de concurrence et de co-adaptation entre les organismes partageant et constituant en même temps un certain milieu de vie traversé par une réciprocité constante d'actions et de réactions".
 - l'usage métaphorique de cette expression : sous peine de confusions conceptuelles, car "si en effet on peut employer dans son sens propre l'expression de lutte pour l'existence pour caractériser l'affrontement physique direct de deux carnassiers autour d'une proie conditionnant leur survie, la même expression vaudra encore dans les limites de ce sens lorsqu'elle servira à désigner un rapport n'impliquant pas cet affrontement direct, mais préservant la proximité des concurrents (...), tandis qu'elle deviendra métaphorique lorsqu'elle désignera un rapport de concurrence médiatisé par d'autres organismes (...) ou simplement approximative lorsqu'elle sera chargée de signifier un rapport tensionnel entre l'organisme et son milieu.".
- l'aspect global de la lutte l'emporte sur sa réalité immédiate : la lutte entre animaux s'opère par l'intermédiaire et dépend de la lutte entre d'autres animaux, dans un espace global donné.
    Enfin, continue Patrick TORT, "la lutte pour l'existence est chez DARWIN la conséquence du conflit de trois données majeure :
- le taux élevé d'accroissement spontané de toute population d'organismes ;
- la limitation de l'espace capable de la contenir ;
- les limites quantitatives des ressources qu'elle peut tirer de son environnement."

      On ne peut qu'être frappé par le peu d'études sur les comportements prédateurs - autre que les aspects documentaires parfois anthropomorphiques - en éthologie. Le centrage de l'étude des comportements (instinctifs ou élaborés par l'environnement) sur les relations entre congénères d'une même espèce, d'un même groupe, notamment dans les études sur l'agressivité. Cela empêche d'avoir une vision claire sur les comportements coordonnés en vue de se nourrir et de se protéger. Il semble toutefois bien que les comportements entre congénères d'une même espèce soient complètement différents des comportements de prédation (du comportement entre membres d'espèces différentes).
     Si l'on suit Jean-Luc RENK et Véronique SERVAIS (L'éthologie), l'un des problèmes de cette discipline est qu'il existe "un hiatus entre d'une part les éthologistes qui se sont attachés à des conduites de plus en plus complexes, très souvent chez des organismes qui ne le sont pas moins (oiseaux, mammifères...) et d'autre part les physiologistes qui étudient chez des "organismes simples" des processus délimités (intégration de signaux, commandes    de mouvements, modes de relations entre les deux...)". Ce hiatus a une influence sur notre compréhension du phénomène guerre vu d'un point de vue éthologique, qui intègre l'espèce humaine comme sujet d'études.

     Cela laisse le champ libre à une conception précise des comportements sous couvert de sociobiologie.
     Edward WILSON définit ainsi le champ de la sociobiologie, qui sera dénaturée par beaucoup par la suite : l'étude systématique des fondements biologiques de toutes formes de comportement chez toutes sortes d'organismes comme discipline de recherches, et non comme hypothèse spécifique.
Le chercheur est loin d'avoir la rage spéculative de nombreux adeptes de la sociobiologie : la plupart des types de comportements agressifs, écrit-il dans le chapitre Agression de "L'humaine nature", "entre représentants de la même espèce répondent à des surpopulations locales. Les animaux utilisent l'agression comme une technique permettant de contrôler un certain nombre de nécessités, comme la nourriture et l'abri, qui sont rares ou ont une chance de le devenir rapidement au cours du cycle vital.
Menaces et attaques s'intensifient et deviennent plus fréquentes au fur et à mesure que la population alentour devient plus dense. Ce comportement lui-même a pour résultat de pousser les membres de la population à conquérir de nouveaux espaces, d'accroître le taux de mortalité et de diminuer le taux de natalité." Edward WILSON indique ensuite que l'espèce humaine est loin d'être la plus violente dans les relations inter-spécifiques, et cite les hyènes, les lions et les singes langurs.

     Des études qui relient les apports de l'éthologie à ceux de l'anthropologie comme celle de Serge MOSCOVICI (La société contre nature) questionnent les relations entre prédation, chasse et guerre. Sans aller au fond de cette réflexion, on peut citer, dans son chapitre sur "les deux naissances de l'homme", certains éléments intéressants :
"Reprenant les ressources secondaires des primates, les hommes se sont faits prédateurs. L'équilibre atteint est cependant précaire. Les causes qui ont fait surgir une activité importante à côté de la cueillette continuent à agir et à en presser le développement."  Pour l'auteur, toute une évolution mène l'espèce humaine à la chasse, activité élaborée qui suppose une autre relations vis-à-vis des autres espèces, plus agressive et plus défensive. La recherche des ressources liée à une expansion démographique serait l'un des facteurs faisant de l'homme un chasseur, et dans un monde où coexistent plusieurs espèces humaines (ou d'hominidés) apparentées, la chasse aurait pu se muer en guerre. Loin de vouloir résumer l'étude de Serge MOSCOVICI, sur laquelle nous reviendrons en lecture croisée avec d'autres, dont celui portant sur "la chasse structurale" de Gérard MENDEL, il serait fructueux de rechercher les filiations qui existent entre ces trois termes.

   Sous la direction de Patrick TORT, Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, 3 volumes, PUF, 1996. Jean-Luc RENCK et Véronique SERVAIS, L'éthologie, histoire naturelle du comportement, Editions du Seuil, 2002. Edward WILSON, L'humaine nature, Essai de sociobiologie, Stock/Monde ouvert, 1979. Serge MOSCOVICI, La société contre nature, UGE, 10/18, 1972.

                                                                                    ETHUS
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10 octobre 2008 5 10 /10 /octobre /2008 08:41

        C'est sur la complexité du phénomène guerre que s'ouvre l'entrée Guerre dans le Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie de Pierre BONTE et Michel IZARD : "Phénomène universel, la guerre se présente cependant sous une telle diversité de formes qu'on peut douter qu'elle puisse être légitimement réduite à une catégorie pertinente de l'analyse anthropologique. Cette difficulté à cerner l'objet est illustrée par le finalisme des hypothèses avancées pour expliquer le "pourquoi" de la guerre, que celles-ci soient fonctionnalistes (la guerre sert à perpétuer les formes d'organisation ou les valeurs d'une société), utilitaristes (consciemment ou non, la guerre vise à maximiser un avantage) ou naturalistes (le goût des hommes pour la guerre est un instinct hérité de la phylogenèse animale)."
  Tentant de distinguer deux catégories de guerre dans les sociétés "traditionnelles" - la guerre est d'abord le fait d'unités combattantes et existantes bien avant la formation de l'Etat - les auteurs du même Dictionnaire décrivent la guerre comme résolution d'une "crise intervenue dans le déroulement de transactions pacifiques" provenant d'un déséquilibre entre voisins en matière d'espace, d'accès aux ressources ou de circulation des femmes ou des marchandises ou comme moyen de se procurer chez un ennemi défini, des ressources nécessaires à la perpétuation de l'identité du groupe.

        Cet aspect de séparation ami/ennemi et de perception de l'autre (de ce qui est autre) se retrouve dans les études anthropologiques (qui ne sont pas légion) du phénomène guerre. Bien avant les raisons économiques, contre aussi une tendance à rapprocher la guerre de la chasse, les origines de la guerre se trouveraient dans l'affirmation de l'identité du groupe. Selon Pierre CLASTRES (1934-1977), "la guerre est à la fois la cause et le moyen d'un effet et d'une fin recherchés, le morcellement de la société primitive. En son être, la société primitive veut la dispersion, ce vouloir de la fragmentation appartient à l'être social primitif qui s'institue comme tel dans et par la réalisation de cette volonté sociologique." "L''exclusivité dans l'usage du territoire implique un mouvement d'exclusion, et ici apparait avec clarté la dimension proprement politique de la société primitive comme communauté incluant son rapport essentiel au territoire : l'existence de l'Autre est d'emblée posée dans l'acte qui l'exclut, c'est contre les autres communautés que chaque société affirme son droit exclusif sur un territoire déterminé, la relation politique avec les groupes voisins est immédiatement donnée." "...la possibilité de la guerre est inscrite dans l'être de la société primitive. En effet, la volonté de chaque communauté d'affirmer sa différence est assez tendue pour que le moindre incident transforme vite la différence voulue en différend réel. Violation de territoire, agression supposée du chamane des voisins : il n'en faut pas plus pour que la guerre éclate." Pierre CLASTRES lie cette obsession de l'identité au conservatisme foncier des sociétés dites primitives : "La guerre comme politique extérieure de la société primitive se rapport à sa politique extérieure, à ce que l'on pourrait nommer le conservatisme intransigeant de cette société, exprimé dans l'incessante référence au système traditionnel des normes, à la Loi ancestrale que l'on doit toujours respecter, que l'on ne peut altérer d'aucun changement." "...l'état de guerre permanent et la guerre effective périodiquement apparaissent comme le principal moyen qu'utilise la société primitive en vue d'empêcher le changement social." (Archéologie de la violence).

       Tant chez Pierre CLASTRES que chez John KEEGAN (né en 1934), dans son "Histoire de la guerre", la référence à l'oeuvre de Harry TRUNEY-HIGH apparaît souvent et précisément par rapport à l'étude de peuplades d'Amérique du Sud, les Yanomami par exemple, découverts par Napoléon CHANON. Toute une série d'études sur les sociétés guerrières, opposées à des sociétés pacifiques font autorité dans le monde des anthropologues. Or l'intervention de l'anthropologue dans une société "primitive", avec tout son équipage et son matériel d'observation, n'est pas neutre, ni dans la vie des peuplades qu'il étudie, ni dans la manière dont il rapporte ses observations, influencé par l'héritage guerrier de sa propre culture. C'est ce que veut établir Patrick TERNEY dans son livre-scandale "Au non de la civilisation".
  Mais, outre que les études anthropologiques ne se limitent pas à une zone géographique ou à une ethnie, le mérite de certains auteurs est de dénoncer l'attitude commune des anthropologues à ignorer le fait guerrier et l'on pense à Claude LEVI-STRAUSS (né en 1908) par exemple. Une véritable guerre éditoriale fait encore rage d'ailleurs, dans une réactivation du débat culture/nature, entre tenants de la théorie de la présence éternelle de la guerre (TURNEY-HIGH...), et partisans de la théorie de l'invention récente de la guerre (Margaret MEAD, 1901-1978). Pour voir clair dans ce débat, il n'est pas inutile de prendre une certaine vue globale de l'évolution des sociétés comme le fait Jared DIAMOND dans ses trois livres. Cet auteur, grâce aux acquis de l'anthropologie et de l'ethnologie, les mêle à ceux de l'écologie et de l'ethologie pour proposer des réflexions globales sur non seulement la guerre mais sur l'ensemble des relations entre groupes humains, de la préhistoire à nos jours.

   Sous la direction de Pierre BONTE et de Michel IZARD, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie (article Guerre de Philippe DESCOLA et de Michel IZARD) , PUF, Quadrige, 2002 ; Pierre CLASTRES, Archéologie de la violence, la guerre dans les sociétés primitive,Editions de l'aube, poche essai, 2005 ; John KEEGAN, Histoire de la guerre, Du néolithique à la guerre du Golfe, Editions Dagorno, collection Territoire de l'histoire, 1996 : Patrick Tierney, Au nom de la civilisation, Comment anthropologues et journalistes ont ravagé l'Amazone, Grasset, 2002 ; Jared DIAMOND, Le troisième chimpanzé, Essai sur l'évolution et l'avenir de l'animal humain, 2000; De l'inégalité parmi les sociétés, Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, 2000; Effondrement, Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, 2006, Editions Gallimard, nrf essais.

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3 octobre 2008 5 03 /10 /octobre /2008 14:45
      Peu de dictionnaires de psychologie, de psychanalyse ou de psychiatrie proposent d'emblée une entrée Guerre. Et s'ils le font, c'est pour renvoyer souvent à Agressivité et à Violence ou évoquer des écrits particuliers.
 
     C'est ce que fait le Dictionnaire International de Psychanalyse (Alain de MIJOLLA). Précisément, Sigmund FREUD aborde à plusieurs reprises dans son oeuvre le thème de la guerre.
        C'est la Première Guerre Mondiale qui incite d'abord FREUD à écrire dans "Actuelles sur la guerre et sur la mort" (1915) sur "la désillusion causée par la guerre".
Derrière toute la culture des sociétés occidentales qui dominent le monde se trouvent les pulsions des individus.
 "Cette guerre a suscité notre désillusion à un double titre : la faible moralité, dans les relations extérieures, des Etats qui se comportent, dans les relations intérieures, comme les gardiens des normes morales, et la brutalité dans le comportement des individus que l'on ne croyait pas capables de ce genre de chose en tant que participants de la plus haute culture humaine.". "En réalité, il n'y a aucune "extirpation" du mal. L'investigation psychologique - dans un sens plus strict, l'investigation psychanalytique - montre bien que l'essence la plus profonde de l'homme consiste en motions pulsionnelles qui, de nature élémentaire, sont de même espèce chez tous les hommes et ont pour but la satisfaction de certains besoins originels."
Ces besoins originels égoïstes subissent un remodelage culturel qui les orientent vers des modalités satisfaisantes pour les autres. "Ainsi le remodelage pulsionnel sur lequel repose notre aptitude à la culture peut lui aussi être défait - de façon durable ou transitoire - par les actions exercées par la vie. Sans aucun doute, les influences de la guerre sont au nombre des puissances capables de produire une telle rétrogradation, et c'est pourquoi nous n'avons pas à contester l'aptitude à la culture à tous ceux qui actuellement se comportent de façon inculturelle, et il nous est permis d'espérer qu'en des temps plus tranquilles l'ennoblissement de leurs pulsions se réinstaurera".
Le rapport à la mort est profondément perturbé par la guerre. "Il est évident que la guerre balaie nécessairement (le) traitement conventionnel de la mort. La mort ne se laisse plus dénier ; on est forcé de croire à elle. Les hommes meurent effectivement, et non un par un, mais en nombre, souvent par dizaines de milliers en un seul jour.
Et il ne s'agit plus de hasard (...)." "Résumons-nous donc : notre inconscient est inaccessible à la représentation de la mort-propre, est plein de plaisir-désir de meurtre à l'égard de l'étranger, est scindé (ambivalent) à l'égard de la personne aimée, tout autant que l'homme des temps originaires. Mais comme l'attitude culturelle-conventionnelle à l'égard de la mort nous a éloigné de cet état originaire!."
La guerre enlève aux hommes les sédimentations de cultures récentes  et fait réapparaitre en eux les pulsions les plus égoïstes. Il est toutefois difficile de résumer ce texte, sur lequel on reviendra, car Sigmund FREUD sait bien que par ailleurs, les actes d'héroïsmes et de sacrifice de soi se multiplient en temps de guerre. On peut toutefois comprendre que la guerre modifie la perception de la mort, à un point d'acceptation tel que l'indifférence s'installe à propos de la mort d'autrui et de la sienne propre...
         Dans "L'avenir d'une illusion" (1927), "Malaise dans la civilisation" (1929), comme dans les contributions du livre "Sur la psychanalyse des névroses de guerre" (1919) et dans "Au-delà du principe de plaisir" (1920), le fondateur de la psychanalyse ne cesse de s'interroger sur les fondements lointains de la guerre.
Cette réflexion trouve un début de conclusion dans sa lettre à Albert EINSTEIN "Pourquoi la guerre?" (1933) (qui est en fait une correspondance, deux lettres écrites de l'un à l'autre).
 "Vous vous étonnez qu'il soit si facile d'exciter les hommes à la guerre et vous présumez qu'ils ont en eux un principe actif, un instinct de haine et de destruction tout prêt à accueillir cette sorte d'excitation. Nous croyons à l'existence d'un tel penchant et nous nous sommes précisément efforcé, au cours de ces dernières années, d'en étudier les manifestations. Pourrais-je, à ce propos, vous exposer une partie des lois de l'instinct auxquelles nous avons abouti, après maints tâtonnements et maintes hésitations?
Nous admettons que les instincts de l'homme se ramènent exclusivement à deux catégories : d'une part ceux qui veulent conserver et unir ; nous les appelons érotiques - exactement au sens d'Eros dans "Le banquet" de PLATON - ou sexuels, en donnant explicitement à ce terme l'extension du concept populaire de sexualité ; d'autre part, ceux qui veulent détruire et tuer ; nous les englobons sous les termes de pulsion agressive ou pulsion destructrice.
Ce n'est en somme, vous le voyez, que la transposition théorique de l'antagonisme universellement connu de l'amour et de la haine, qui est peut-être une polarité d'attraction et de répulsion,qui joue un rôle dans votre domaine - Mais ne nous faites pas trop facilement passer aux notions de bien et de mal - Ces pulsions sont tout aussi indispensables l'une que l'autre ; c'est de leur action conjuguée ou antagoniste que découlent les phénomènes de la vie".
Tout au long de cette lettre, Sigmund FREUD veut mettre avant tout en avant la complexité des ressorts lointains de la guerre, même s'il reste attaché à cette notion d'instinct. L'instinct de mort s'exerce autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'individu et il voudrait pouvoir comprendre et faire comprendre les dynamismes (pour prendre un mot moderne) de cet instinct de mort.
Au sens psychanalytique du terme, la guerre existe à l'intérieur de l'individu et tenter de faire le saut rapide avec la guerre telle qu'elle s'exprime entre grands groupes d'individus est risqué. Ce que Sigmund FREUD veut signifier, c'est qu'il existe une relation entre les deux, mais que cette relation est très complexe.

        Les fondements psychanalytiques de la guerre gardent une certaine place par la suite, dans les oeuvres des continuateurs de Sigmund FREUD.
Ainsi Wilhelm REICH dans "La psychologie de masse du fascisme" (1933) et Eric FROMM dans "La passion de détruire" (1973), cherchent dans l'esprit humain les conditions de la réalité de la guerre, en s'efforçant de reconstituer les chaînes de causalité de l'individuel au collectif.
L'un cherche dans la structure du patriarcat et de la famille autoritaire et l'autre dans les mécanisme de destructivité humaine maligne des causes lointaines de la guerre. Mais aucun ne se hasarde à proposer une vision d'ensemble du phénomène guerre dans ses dimensions psychologiques et psychanalytiques. Pour Eric FROMM, par exemple, "le phénomène psychologique qui se pose (...) n'est pas dans les causes de la guerre, mais dans la question suivante : quels sont les facteurs psychologiques qui, sans la provoquer, ont rendu la guerre possible?"

        Dans son "Traité de polémologie" (1951), Gaston BOUTHOUL propose des pistes sur les "éléments psychologiques des guerres", en s'efforçant d'abord de dégager "les caractéristiques psychologiques de l'état de guerre".
Véritable programme de recherche, toute une partie de son livre aborde ainsi le "dimorphisme psychologique de la guerre et de la paix", le "duel logique", "la guerre et le sacré", "les catégories d'ami et d'ennemi". Il aborde les relations entre "la guerre et la fête", entre "la guerre et les rites de mort", "les comportement des combattants" et celui des "dirigeants de la guerre", les "effets psychologiques des guerres", les "impulsions belliqueuses" et les "formes de pacifisme". Tous ces éléments font partie de sa tentative de cerner le "phénomène-guerre".

Sous la direction d'Alain de MIJOLLA, Dictionnaire International de la psychanalyse, Hachette littérature, collection Pluriel, 2002. Sigmund FREUD, Actuelles sur la guerre et la mort, 1915, in Oeuvres complètes de Sigmund FREUD,, Psychanalyse, volume XIII, PUF, 1988. Albert EINSTEIN et Sigmund FREUD, Pourquoi la guerre?, Rivages poche, Petite bibliothèque, 2005. Wilhelm REICH, La psychologie de masse du fascisme, Petite Bibliothèque Payot, 1974. Erich FROMM, La passion de détruire, anatomie de la destructivité humaine, Robert Laffont, collection Réponses, 2001. Gaston BOUTHOUL, Traité de polémologie, sociologie des guerres, Bibliothèque scientifique Payot, 1991.
 
PSYCHUS
 
Relu le 18 octobre 2018
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16 juillet 2008 3 16 /07 /juillet /2008 13:18
    
       L'omniprésence de la guerre explique dans doute, mais très partiellement, l'absence de l'entrée du mot tant dans le Vocabulaire Technique et Critique de Philosophie (André LALANDE, PUF, 2002), que dans le Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines (Louis Marie MORFEAUX, Armand Colin, 1985) ou encore dans le Dictionnaire des auteurs et des thèmes de la philosophie (AUROUX et WEIL, Hachette, 1991).
On retrouve bien sûr le mot à "Guerre et Paix" dans le Dictionnaire de philosophie politique (RAYNAUD et RIALS, PUF, 2005) et à "Guerre" dans Éléments de philosophie politique (Thierry MENISSIER, Ellipses, 2005).
 
       Dans l'ouvrage de Thierry MENISSIER, la guerre "ne désigne pas n'importe quelle action violente, même de grande ampleur, mais la lutte armée entre des groupes sociaux, ou entre des Etats, menée parfois jusqu'à la destruction et la disparition de certains d'entre eux". Ce qui est la reprise de la conception de Jean Jacques ROUSSEAU, dans Du Contrat social (livre 1, chapitre4) : "la guerre n'est (...) point une relation d'homme à homme, mais une relation d'Etat à Etat".
Le maitre de Conférence de philosophie politique au Département de philosophie de l'Université Pierre Mendès France-Grenoble 2, poursuit : "Dans tous les cas, l'emploi de la violence n'est pas purement irrationnel, puisque d'une part la guerre a des causes objectives (historiques, sociales, économiques, diplomatiques), et que de l'autre le recours à la violence y est décidé et planifié, et mieux encore il obéit à un but, il est finalisé. La guerre opère par là une double processus d'identification : elle distingue les alliés et les adversaires, et unit les premiers contre les seconds. A cet égard on constate que dans l'histoire elle a souvent fait fonction d'un paradoxal identificateur social ou national. Il convient de distinguer (en cela l'auteur suit beaucoup d'autres...) radicalement la guerre de la guerre civile : la première désigne traditionnellement la lutte entre des Etats différenciés ; son contraire est la paix. La seconde concerne les violences intestines des sociétés ou des Etats ; son contraire est la concorde. Cette dernière est en quelque sorte l'objectif minimal, mais vital, de la théorie juridique et politique (comment réussir à ce que les hommes vivent ensemble sans agressions permanentes délibérées?).
On peut dire de la paix qu'elle est l'idéal de la réflexion sur la politique (comment instaurer une relation sans agression entre les groupes humaines précisément définis par leurs différences?). Mais il faut ajouter que si la guerre est épouvantable, notamment du fait de l'ampleur que la mort et la destruction y prennent, la guerre civile est peut-être pire encore : vectrice d'une confusion sans pareille, elle oppose à mort les membres d'une même famille. Tandis que les groupes humains sortent de la guerre affaiblis, on constate que les séquelles de la guerre civile sont bien plus longues à disparaitre."
Thierry MENISSIER fait référence à un passage de l'Histoire de la guerre du Péloponnèse de THUCYDIDE. "La chose se complique lorsqu'on fait entrer en ligne de compte le problème des nationalités. Alors même que ses motifs sont politiques, la barbarie de la guerre civile est alors appréhendée à partir d'expressions qui en amoindrissent le caractère civil". Prenant comme exemple, les guerres récentes en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, l'auteur  constate que "confronté à des faits de guerre d'une cruauté inhumaine, on a qualifié ces conflits d'"ethniques", c'est-à-dire de pré- ou infrapolitiques. Cette approche est légitimée par la complexité des relations entre "nations" dans les épisodes mentionnés. Mais ici s'exprime également une sorte de déni actif de leur caractère civil, qui s'explique peut-être par la difficulté d'admettre que, dans la guerre civile, l'expression des motifs politiques confine à la barbarie. Ce déni donne à penser sur la mission que l'on confie communément et tactiquement à l'action politique : qu'elles supprime jusqu'au souvenir de la guerre civile."
 
        Pierre HASSNER, dans le Dictionnaire de philosophie politique, à l'article "Guerre et paix", commence par des réflexions de Raymond ARON et de son épais ouvrage Paix et guerre entre les nations. Malgré l'évidence de l'assertion que "Nul homme n'est assez dénué de raisons pour préférer la guerre à la paix", formule d'HERODOTE, "il est difficile de trouver une déclaration plus erronée : à toutes les époques, les hommes n'ont-ils pas considéré la guerre soit, d'abord comme l'activité normale de la société, soit, ensuite, comme le dernier recours des rois et, par là, comme inhérente à la condition  de l'homme ou à la nature de la politique?" Reprenant une autre formule, celle d'ARISTOTE selon laquelle la guerre n'est qu'un moyen en vue de la paix, comme le travail en vue du loisir et l'action en vue de la pensée (Politique, VII), l'auteur constate que cette hiérarchie est souvent renversée "par le cours de l'histoire et, notamment, par la philosophie moderne, en ce qui concerne la place du travail et de l'action, ne peut-elle l'être aussi pour celle de la guerre?".
D'HERACLITE à FOUCAULT, "les penseurs n'ont pas manqué pour affirmer le primat du conflit sur l'harmonie, du désordre sur l'ordre, de la force sur la forme. De la dialectique hégélienne à la guerre des dieux wébérienne, en passant par la lutte pour la vie, la lutte des classes et la volonté de puissance, les formules ne manquent pas pour généraliser et fonder ontologiquement le primat de la guerre."
Pierre HASSNER veut résister à cette conclusion et à cette position de la question, même si en fin de compte on y revient toujours. La question principale semble toujours : "Comment ordonner, logiquement et historiquement les réponses de la philosophie politique à ce problème de la coexistence entre Etats?"
 
         Comme la guerre concerne plus la philosophie politique que la philosophie, il serait vain de chercher ce terme dans les dictionnaires ou encyclopédies de philosophie. Néanmoins, ces derniers ouvrages propose souvent les entrées "puissance" et "liberté" par exemple, en faisant état de la présence de la guerre.

           Le traitement de la guerre comme objet de réflexions philosophiques peut être tout à fait différent, selon la perspective adoptée par Alexis PHILONENKO dans son "Essai sur la philosophie de la guerre" ou selon celle du fondateur de la polémologie française, Gaston BOUTHOUL (Traité de Polémologie).
       
        Ainsi dans l'introduction de son livre, Alexis PHILONENKO écrit :
" Réalité de la guerre, prolégomènes historiques et philosophiques de la polémologie, tels sont les deux motifs qui ont dicté l'intérêt et la recherche. Mais il y a un troisième point de vue, plus profond et plus vivant. Nous avons été longtemps incapable de l'apercevoir avec clarté. Mais il nous apparaît maintenant avec une lumière, qui, bien que chancelante, ne laisse point d'éclaircir l'orientation générale de ces essais (qu'il présente). BERGSON avait justement réduit le problème de l'âme et du corps à un moment très limité, mais permettant par cela même une décision, celui de la mémoire et même celui de la mémoire des mots. La guerre nous apparaît comme le point métaphysique où peut se laisser cerner la valeur de la liberté.
Il y a d'abord la liberté entendue concrètement comme un principe de gouvernement de la paix et de la guerre - et c'est ce que nous voyons chez KANT, et à un moindre degré chez FICHTE et HEGEL Il y a ensuite la liberté qui s'incarne dans le personnage, et tantôt c'est le vertige de la liberté tel qu'on l'aperçoit chez SAINT-JUST, tantôt la réussite d'un grand dessein en dépit des obstacles, comme on le voit chez le général DE GAULLE. Il y a enfin et surtout la liberté comme puissance de projet et d'ordre.
   Ce dernier est le plus important. CLAUSEWITZ a cru que la liberté n'était pas un vain mot et il a dit quelque chose d'extrêmement significatif (....) il n'a pas hésité à déclarer qu'aucune activité humaine ne dépend si complètement et si universellement du hasard que la guerre (...) La guerre est ainsi cet élément où se symbolisent toutes les autres formes de liberté. C'est donc sur le cas si particulier du projet militaire, du commandement, de l'ordre que se symbolisent toutes les autres activités humaines."
Il déclare ensuite avec un humour involontaire que cette idée de liberté est souvent mal comprise par la philosophie polémologique.
 
     Tout autre est la perspective de la polémologie qui se veut sociologie des guerres. Gaston BOUTHOUL, dans son état des obstacles à l'étude scientifique des guerres constate la pseudo-évidence de la guerre et surtout l'illusion psychologique de dépendance de la guerre à la volonté.
"Le deuxième obstacle psychologique empêchant d'étudier la guerre avec sang froid "comme une chose" - suivant la formule (d'Emile DURKHEIM) - c'est l'illusion, qui découle d'ailleurs (...) que la guerre, parce qu'elle est un phénomène immédiatement conscient, est (...) un phénomène volontaire.
Consciente, la guerre l'est certainement, car chacun d'elles (des guerres) a un commencement et une fin. Elle ne naït pas graduellement ; elle se déclenche comme une catastrophe, à un moment précis. Bien plus, elle est attendue, on la voit venir de loin, car la naissance en donne des motifs ou des prétextes. Lorsqu'elle est décidée, son déclenchement est presque toujours subordonné à des formalités, à la fois diplomatiques et religieuses. Tout concourt  donc à lui donner l'aspect non d'une impulsion mais d'une décision longuement réfléchie et mûrie.
Le sociologue est en droit cependant de se demander si toute cet appareil conscient n'est pas une sorte d'épiphénomène, de motivation surajoutée ou, de tout au moins, accessoire. Car le postulat de toute science de l'homme est qu'elle s'arroge le droit de comprendre les phénomènes mieux que ceux qui les vivent. Elle doit se demander sans cesse si une réalité plus profonde ne se cache pas derrière les apparences immédiates.
 (...) La première question à nous poser c'est donc de savoir si la motivation consciente n'est pas, en réalité, illusoire. Nous pourrions
1) supposer que le plus important dans le déclenchement du "phénomène-guerre" ce n'est pas l'étude ds délibérations épisodiques, mais celle des impulsions belliqueuses motrices qui suscitent l'humeur et les idées guerrières, qui rendent un groupe agressif à un moment donné.
2) Nous nous poserons ensuite la question de savoir si ces impulsions ne sont pas en rapport avec certaines modifications des structures des sociétés considérées."
    Liberté d'une part, déterminisme d'autre part, la guerre creuse de nombreux clivages philosophiques, dont celui-là.

        Cette différence d'approches trouve ses sources dans les jugements portés sur la guerre par les philosophes depuis l'Antiquité. Il existe toute la gamme : de l'apologie à la négation de sa valeur positive.
- Un consensus semble se dessiner pour considérer que les philosophes chinois (CONFUCIUS, MENG-TSEN...) se sont appliqués à ne pas exalter la guerre. ce qui n'empêche pas la civilisation chinoise d'être riche en faits guerriers...
- Chez les philosophes de l'Antiquité gréco-romaine, la répartition entre apologues et négateurs semble délicate et très nuancée, si l'on excepte HERACLITE pour qui "la guerre est commune à tous les êtres. Elle est mère de toutes choses. Des uns, elle fait des dieux, des autres des esclaves ou des hommes libres".
PLATON rêve souvent d'un Age d'Or sans guerre, ARISTOTE exalte le dévouement collectif à la Cité, mais tous deux remarquent que les tyrans entreprennent souvent la guerre.
Si on voit les philosophes grecs adopter une conception plutôt négatrice, les philosophes romains seraient beaucoup plus ambigus. HORACE, CICERON, SENEQUE partent de cette idée pieuse que la guerre romaine apporte la paix.
- Au "Moyen-Age", la philosophe recule devant les édifications des doctrines religieuses (favorables ou défavorables à la guerre), corrélativement la société féodale suscite une foule de poésies guerrières.
- Selon Gaston BOUTHOUL "à partir de la Renaissance, les humanités et l'humanitarisme vont provoquer un courant pacifiste, soit réprobation morale, soit demande d'adoucissement de la force, soit projets de paix perpétuelle, courant opposé et parallèle à celui qu'illustrera MACHIAVEL, et en général, les actions des hommes de ce temps : John COLET, Thomas MORE."
Il faut sans doute être plus nuancé, même si Alexis PHILONENKO insiste sur la virtù et la fortune de MACHIAVEL dans une vision d'utilité et de nécessité de la guerre.
- KANT et HEGEL sont deux auteurs phares de la philosophie moderne sur la guerre, sans oublier FICHTE. KANT fait ressortir la tragique opposition entre les idéaux humains et les "fatalités naturelles et biologiques". HEGEL a inspiré PROUDHON et en général tous les philosophes qui ont, au cours du XIXème siècle, accepté ou exalté la guerre.
- Joseph de MAISTRE étaye ses arguments métaphysiques et mystiques de considérations historiques et sociales. Dans ses "Considérations sur la France" écrits à Londres en 1797, on peut lire : "Lorsque l'âme humaine a perdu son ressort par la mollesse, l'incrédulité et les vices gangreneux qui suivent l'excès de civilisation, elle ne peut être retrempée que dans le sang... Les véritables fruits de la nature humaine, les arts, les sciences, les grandes entreprises, les hautes conceptions, les vertus mâles, tiennent surtout à l'état de guerre... On dirait que le sang est l'engrais de cette plante qu'on appelle le génie."
- NIETZSCHE est souvent classé parmi les théoriciens de la guerre, avec des propos enflammés et bellicistes. Mais son oeuvre est si complexe, si interprétée dans des sens radicalement différents...
- Il faudrait, pour être juste, citer pratiquement tous les noms de la philosophie, ce qui est impossible écrit notre auteur dans le cadre d'un tel article, mais Alexis PHILONENKO semble en rajouter tout de même en citant abondamment SAINT-JUST, DE GAULLE, PROUDHON et surtout TOLSTOÏ.
  Il insiste sur le fatalisme de l'auteur de "Guerre et Paix" que l'on classe parfois un peu rapidement dans le "camp pacifiste".
"Le projet humain, dès lors qu'il dépasse le simple Soi et veut agir sur le monde et sur les esprits, est par essence illusoire comme l'est le monde (...).
La réponse de TOLSTOI est ensuite mathématique et elle conduit à poser que chez les théoriciens de la guerre la notion de hasard ne joue un rôle qu'en fonction de l'insuffisance de leur réflexion. (Il) soutient en effet deux thèses strictement liées : d'une part tout se passe dans la confusion - d'autre part tout est strictement déterminé. Guerre et Paix veut être la démonstration de ce point par mille exemples : la guerre consiste chez TOLSTOI - qui ici s'oppose directement à CLAUSEWITZ - en une quantité infinie d'événements infiniment petits.    
      Or, cette quantité infinie peut être considérée de deux manières :
ou bien on considère qu'elle est réductible par addition à quelques événements "singuliers de grande envergure" comme le veut CLAUSEWITZ, et en ce cas on en vient fatalement à nier la confusion pourtant évidente
ou bien on considère cette quantité infinie en s'appuyant sur les règles du calcul infinitésimal et alors, loin de nier les événements singuliers, on les considérera comme des différentielles supposant une intégration, mais possédant chacune autant de valeur que les autres. Et c'est dire que la notion du grand homme que CLAUSEWITZ hérite de FICHTE et de HEGEL est non seulement inutile - comme le prouvent les précédentes explications - mais encore nuisible à l'intérêt de la science".

    Généralement, lorqu'on évoque la philosophie de la guerre, on oublie que les philosophes - comme tous les autres hommes - vivent dans la réalité d'un monde où la guerre est bien présente. Aussi révélatrices que les écrits, sont leurs actions et leurs prises de positions vis-à-vis des guerres pour eux contemporaines.
  Tant dans la Première que dans la Deuxième Guerre Mondiale, des philosophes ont participé de loin ou de près aux opérations diplomatiques, sociales, économiques ou franchement militaires.
Souvent, lorsqu'ils ont philosophé directement sur la guerre, leurs expériences marquent leurs écrits. Ainsi pour la Première, BERGSON, ALAIN, Ernst TROELTSCH, Bertrand RUSSELL, MARINETTI, HULME et LAWRENCE, ainsi que DEWEY, ROYCE et bien d'autres ; pour la Deuxième, BATAILLE, SARTRE, ARON, Simone WEIL, CAVAILLES, LIPPMANN, Carl SCHMITT, ARENDT, WITTGENSTEIN et bien d'autres.
Ils fournissent autant par leurs propres écrits que par leurs actions matière à philosophie de la guerre.
 L'ampleur des destructions des deux guerres mondiales, la perspective d'un holocauste définitif ont infléchi les philosophes vers une perspective plutôt négative de la guerre. Mais dans le feu de l'action politique, comme les guerres civiles de l'ex-Yougoslavie ou les guerres du Golfe, les ancrages philosophiques les plus puissants connaissent l'épreuve de la réalité et cela ne va pas sans contradictions.
Toutefois, au début du XXIème siècle, il semble se dégager des perspectives nouvelles pour les philosophies de la guerre. Ces perspectives restent encore influencées par les philosophies  bien antérieures et pour que ces influences ne soient pas inconscientes, il est nécessaire de les mettre à jour.
 
    Une approche peut être exposée sur la recherche de la paix en philosophie politique et morale, en contextualisant si possible l'origine (en Occident) de ce questionnement.
C'est ce que fait Armelle LE BRAS-CHOPARD, dans son survol des théories et idéologies sur la guerre. "Plusieurs facteurs contribuent à l'essor d'une réflexion philosophique sur la guerre à partir du XVIème siècle. La guerre apparait étroitement liée à l'affirmation de la souveraineté et de la puissance de l'Etat tandis qu'en même temps elle est contestée dans son principe par la religion et limitée dans son exercice par la doctrine de la guerre juste et le droit naissant des gens.
La philosophie s'émancipe de la théologie et s'appuie désormais sur les seules ressources de la Raison. Ou bien elle explique la nécessité de la guerre conduisant au réalisme politique (...), ou bien, elle prend le relais de la théologie dans sa condamnation de la guerre et présente sa propre argumentation à côté de celle des jurisconsultes, elle aussi fondée sur la raison. (...) Ce classement manichéen appelle des tempéraments. D'une part (...), nombre de philosophies qui justifient la guerre, tentent néanmoins d'en réglementer le déroulement. D'autre part, la quête de la paix n'emporte pas condamnation systématique et générale de la guerre : celle-ci s'inscrit souvent dans une philosophie de l'histoire dans laquelle elle constitue une étape nécessaire de l'évolution de l'humanité et même un facteur de progrès.
Le refus de la guerre comporte aussi des degrés différents chez des philosophes qui envisagent sa suppression et des moyens eux-mêmes divers pour y parvenir. Le rôle de l'Etat, rendu responsable de la guerre, est d'abord au centre du dispositif. dans un premier temps, c'est de lui qu'on attend la solution : elle sera trouvée sous la forme d'alliances d'Etats qui ne porte pas atteinte à une souveraineté destinée à s'exercer désormais en faveur de la paix et non plus dans la guerre. Mais il apparait très vite que c'est la souveraineté elle-même qui est irrémédiablement liée à la guerre : c'est alors la fin de la souveraineté étatique nationale qui représente l'objectif prioritaire comportant tous les modes depuis la suppression de l'Etat lui-même (marxisme) jusqu'à son absorption dans une unique souveraineté universelle en passant par la dilution de l'Etat dans la société civile (Proudhon). Enfin dans une troisième hypothèse on ne se tourne plus tant du côté de l'Etat que de celui de l'individu : l'établissement de la paix dans le pacifisme radical passe plus par une transformation des moeurs qu'une réforme politique."

   Alexis PHILONENKO, Essai sur la philosophie de la guerre, Librairie philosophie J VRIN, 2003. Gaston BOUTHOUL, Traité de polémologie, sociologie des guerres, Bibliothèque scientifique Payot, 1991. Les philosophes et la guerre de 14, textes réunis par Philippe SOULEZ, Presses Universitaires de Vincennes, collection La philosophie hors de soi, 1988. La guerre et les philosophes de la fin des années 20 aux années 50, textes réunis et présentés par Philippe SOULEZ, PUV, même collection, 1992.  Armelle LE BRAS-CHOPARD, La guerre, Théories et Idéologies, Montchrétien, collection Clefs, 1994.
 
 
Relu le 29 mars 2018. Relu le 9 septembre 2021
 
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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 09:27
   Le mot guerre bénéficie d'une longue description et définition dans la plupart des dictionnaires de français.
     
    Selon le "petit Robert" (1973), il s'agit d'un nom féminin qui désigne une lutte armée entre groupes sociaux et spécialement entre Etats, considérée comme un phénomène social, et par extension toute espèce de combat, de lutte. Les renvois à d'autres mots sont extrêmement nombreux. On note, entre autres, Stratégie, Ennemi, Belligérance, Hostilité, Guerilla, Bataille, Défense, Conflagration, Conflit...
 Dans le sens extensif du mot, le "petit Robert" cite la guerre de plume, entre écrivains, faire la guerre à quelqu'un à propos de quelque chose, faire la guerre aux abus et aux injustices. Il cite également la locution, au figuré, de guerre lasse : en renonçant à résister, à combattre.
 Comme origine historique, il situe ce mot à l'an 1080, au francique Werra. qui serait une simple exclamation, un cri de guerre, dont sont venus l'allemand Wehr et l'anglais War, et le bas latin guerre qui est passé dans l'italien et l'espagnol. Tout ceci, selon Gaston BOUTHOUL, ne serait que les principales hypothèses. JUNG, FIRORE, CALVO, FERGUSON en aurait d'autres...

   Le Dictionnaire Hachette de 2001 donne trois sens :
- conflit armé entre des nations, des Etats, des groupes humains ;
- par extension, petite guerre : manoeuvres simulant un combat, une guerre ; jeux d'enfants qui simulent la guerre, les combats ;
- hostilité, lutte.

   Le Larousse encyclopédie en couleurs, publié chez France Loisirs en 1989, définit la guerre comme lutte armée entre Etats, entrainant l'application de règles particulières dans l'ensemble de leurs rapports mutuels ainsi que dans leurs rapports avec les Etats tiers, qui commence par une déclaration de guerre motivée ou un ultimatum et se termine par un armistice qui met fin aux hostilités, et, en principe, par un traité de paix qui met fin à l'état de guerre.
Dans son sens figuré, la guerre est une lutte quelconque.

   Ces trois dictionnaires ne sont guère prolixe sur la racine du mot guerre, ce qui ne laisse pas d'étonner. Guerre vient du grec Polemos, dont on a tiré en 1949, le mot polémologie, étude scientifique, sociologique de la guerre (petit Robert, à l'entrée Polémologie). Ce mot polémologie est proposé dès 1946 par Gaston BOUTHOUL, dans son livre "Cent millions de morts", en tant que science de la guerre en général, étude de ses formes, de ses causes, de ses effets, de ses fonctions, en tant que phénomène social.

   Pour Hugo GROTIUS (1583-1645), auteur du livre de référence "Le droit de la guerre et de la paix", le mot grec polemos viendrait lui-même de poles qui désignait le grand nombre ; le mot latin bellum viendrait de duellum que certains auteurs comme HORACE et PLAUTE emploient pour désigner la guerre.
 
   Le Grand Robert 2014 donne plusieurs sens au mot guerre, en faisant remontant l'étymologie à 1080, où le francique werra élime le latin bellum. 
 
- Lutte armée entre groupes sociaux et spécialement entre Etats, considérée comme un phénomène social et historique (voir Concurrence). Le concept de guerre. On répète souvent que la guerre est éternelle. La guerre, acceptation de la mort. La guerre est un fléau, un cataclysme, une calamité (voir Affliger). La cruauté, la brulaité de la guerre (voir Barbarement, écharper). Aspects, diverses images de la guerre (voir Artillerie). La crainte, la peur, la haine de la guerre (voir Abstention). Vouloir délivrer l'humanité de la guerre. Tenter une justification de la guerre (voir Agoniser). Aimer la guerre, être affamé de guerre et de sang. Mystique de la guerre (voir Eteindre). De la guerre, ouvrage de Clausewitz. Le dictionnaire donne de très nombreus citations.
En dérive la connaissance de la guerre (voir Tactique, Stratégie). Simultation d'opérations de guerre, "jeu de guerre" (voir Kriegspiel, Wargame).
L'épée, le glaive, symboles de la guerre. Personnification de la guerre. Temple de la guerre. Mars, dieu de la guerre.
En Droit : Législation internationale sur l'interdiction, la prévention directe (voir Charte, garantie, pacte) ou indirecte (voir Désarmement) de la guerre. Droit préventif de la guerre (jus ad bellum) (voir Arbitrage, médiation, sanction. Droit de guerre, droit de faire la guerre pour se défendre (voir Désarmement, Etat). Droit de la guerre, les lois de la guerre (jus in bello) (voir Esclavage). Violation des lois de la guerre (voir Crime de guerre). Le droit de la guerre a été codifié par les conventions de La Haye (1899, 1907). Commentaire de la guerre. Déclaration de guerre émanant de l'organe désigné par la Constitution. Déclarer la guerre (voir Affronter, embargo). Attaquer sans déclaration de guerre (voir Algarade). La déclaration de la guerre (voir Faute). Le droit de faire la paix et la guerre (voir Attribuer). Déclaration de guerre conditionnelle (voir Ultimatum). Etat de guerre (voir Belligérance). Pays qui s'abstient de participer à la guerre (voir Neutralité, neutre). Conventions entre pays qui font la guerre (voir Alliance, allié, coalition). Fin de la guerre, par un accord, une convention, un traité de paix. L'armistice ne fait pas cesser l'état de guerre.
En guerre : en état de guerre. Nations en guerre (voir Arpent). ceux contre qui on est en guerre (voir Ennemi). Entrer en guerre. Entrée en guerre, dans la guerre.
De guerre. Faits de guerre (voir Bataille), opérations de guerres (voir Bataille, campagne, combat, expédition, approche, assault, attaquer, bombardement, bombarder, capturer, cerner, charge, charger, chasse, cheminement, contre-attaque, contre-attaquer, débarquement, débarquer, débusquer, défendre, défense, défensive, déloger, engagement, entourer, envahir, envelopper, poursuivre, progression.) Retraite, siège. Exploit de guerre. Ruse de guerre (voir Embuscade, piège, artifice, ruse). Crime de guerre : violation des lois de la guerre. Criminel de guerre. Contrebande de guerre. Danse de guerre, chant de guerre.
Nom de guerre (à partir de 1660), que prennent les soldats en s'enrôlant (voir Pseudonyme, surnom). Le nom de guerre d'un écrivain, d'une actrice.
Correspondance de guerre, lettres de guerre. Le correspondant de guerre d'un journal. Bulletin, communiqué de guerre. Homme de guerre. Gens de guerre : soldats de métier (voir Guerrier, soldat). Blessé, mutilé de guerre, prisonnier de guerre. Un foudre de guerre, de la guerre (voir Arbitre). Croix de guerre. Provisions, munitions de guerre (voir Amasser, arsenal). Instrument de guerre (voir Armée). Matériel de guerre (voir Arme, armement, artillerie, aviation, etc.). Arme de guerre (voir Palefroi). Machines de guerre (voir Baliste, bélier, bombarde, catapulte, chausse-trape, onagre). Place de guerre (voir Fortifications, avant-poste, poste avancé). Bateau, navire de guerre. Marine de guerre. Flotte de guerre. Port de guerre. Aviation de guerre. Usine, industrie, production de guerre. Reconversion d'une économie de guerre en économie de paix. Trésor de guerre. Budget de guerre. Indemnités de guerre, payées par le pays vaincu. Dommages de guerre (voir Dommage).
Locution : Armée sur le pied de guerre.
L'art, le métier, la science de la guerre (voir Stratégie, tactique, discipline). L'apprentissage, l'école de la guerre. Les exercices de la guerre.
 
- A partir du sens de 1080. Les questions militaires. L'organisation des armées (en temps de paix comme en temps de guerre. Conseil de guerre (voir anciennement, Ministère de la guerre) (voir Défense nationale).
 
- A partir du sens de 1080. Une, des guerres, la guerre : conflit considéré comme un phénomène historique, localisé dans l'espace et dans le temps (voir Conflagration, conflit, hostilité, lutte armée). Cataclysme. Il va y avoir la guerre ; il n'y aura pas de guerre (voir Alerte). La guerre nous sera-t-elle épargnée? La guerre peut encore s'éviter. La guerre est inévitable. Tout faire pour empêcher la guerre (voir Pacifisme). Alternative entre le commerce et la guerre. En cas de guerre, au cas où la guerre éclaterait. Menaces, bruits, rumeurs de guerre (voir Enerver, entrainement). Occasion, prétexte de guerre (voir casus belli). Accepter, envisager l'éventualité de la guerre. Projet de guerre, plan de guerre. Politique de guerre (voir Course aux armements).
Esprit, vent de guerre (voir Discorde). Fauteur de guerre (voir Belligène). Se préparer à la guerre. Mener un pays, un peuple à la guerre. Etre l'artisan de la guerre. Porter la guerre dans un pays. Attiser, enveniler la guerre. Faire durer, éterniser une guerre. La guerre éclate. Pays, peuple assailli, surpris par la guerre. Pays ruiné par la guerre. Les destructions, les deuils, les malheurs causés par la guerre, les malheurs de la guerre. Etat fondé sur la guerre et la conquête. Pays, gens que la guerre enrichit. Profiter de la guerre. Profiteur de guerre. Prise de guerre (voir Butin, capture). La guerre est une industrie. L'enjeu, les conséquences d'une guerre. Le prix d'une guerre, guerre qui coûte des milliards. Financer une guerre. Issue d'un guerre (voir Vaincre, victoire, capitulation, défaite, écrasement). Attendre la fin d'une guerre. La guerre est finie. Guerre qui s'arrête, qui recommence (voir Trêve). Suite de guerres. L'enseignement, la leçon d'une guerre.
Locution provocatrice : Si tu veux la paix, prépare la guerre, adage latin (si vis pacem, para bellum).
Le temps que dure une guerre. Années de guerre. La guerre (une guerre particulière). Durant, pendant la guerre. En temps de guerre. Avant, après la guerre (voir Avant-guerre, après-guerre).
Hommes recrutés, levés, mobilisés par une guerre (voir Chair à canon). La mobilisation n'est pas la guerre. Troupes asemblées pour faire la guerre (voir Aréme).
 
- Action de se battre dans un conflit armé ; situation individuelle de celui qui se bat (voir Bataille, combat, lutte, et aussi baroud, bagarre, boucherie, casse-cou, casse-gueule, casse-pipe). A la guerre. Aller à la guerre, en guerre, partir pour la guerre, en guerre.
Familier : Va-t-en guerre (voir Va-t-en guerre). Revenir de la guerre. Soldat, homme éprouvé, endurci dans la guerre, à la guerre (voir Aguerri, chevronné). Homme assuré dans la guerre, à la guerre. Bravoure, courage, vaillance à la guerre. Périr, mourir, tomber à la guerre, au champ d'honneur (voir Champ de bataille, front, combat). Les chances, les hasards de la guerre du combat. Les lauriers de la guerre. Les honneurs de la guerre.
Faire la guerre : déclencher, mener une guerre (chefs d'Etats, chefs militaires). Participer à un conflit armé. Faire la guerre (voir Se battre, combattre, guerroyer). On voit qu'il a fait la guerre, qu'il a vu le feu. Les officier qui ne font pas la guerre (voir Embusqué, planqué, camp). Faire la guerre avec tel régiment, sous tel officier.
En guerre : Etre heureux en guerre. En amour comme en guerre.
Gagner la guerre. Perdre la guerre. Guerre gagnée, perdue.
 
- Campagne, expédition. Raconter ses guerres.
 
- Une guerre, la guerre de (Précisée désignée)
a): Campagne, expédition (précisément désignée). La guerre des géants (voir Gigantomachie). Les guerres saintes (voir Croisade). La der des der. La drôle de guerre (voir Drôle, drôlet).
Le Dictionnaire glisse là une remarque : "Dans le langage courant on dit absolument la guerre pour désigner la dernière grande guerre (celle de 1914-1918, puis celle de 1939-1945). Depuis la guerre, avant la guerre (voir Après-guerre, avant-guerre). D'une guerre à l'autre (Entre-deux-guerres)."
b) En parlant du caractère d'un conflit : Guerre juste, injuste. Guerre inexpiable. La sale guerre, se dit en parlant d'une guerre qu'on veut flétrir. 
Une guerre gagnée, perdue d'avance. Une guerre facile (voir Promenade militaire).
Guerre de défense. Guerre de libération (voir Résistance). Guerre d'agression, de conquête, d'hégémonie. Guerre antinationale. Guerre de pacification. Guerre d'extermination. Guerre raciale (voir Génocide). Guerre coloniale. Guerre locale. Petite guerre. Grandes guerres. Guerre continentale, mondiale, universelle, planétaire : guerre qui s'étend à une partie importante de la planète. Guerre ouverte. Guerre à mort, à outrance, qui est menée pour détruire totalement l'adversaire. Guerre totale, qui utilise tous les moyens pour détruire l'adversaire. Guerre d'usure. Guerre préventive.
Guerre de positions. Guerre de tranchées. Guerre de siège. Guerre de mouvement. Guerre éclair (voir Blitz), basée sur le principe d'une attaque foudroyante. Guerre mécanisée (voir Blindé, char). Guerre terrestre, aérienne, sur mer, navale, sous-marine, de cours (voir Corsaire, course). Guerre chimique, bactériologique, atomique, nucléaire. Guerre moderne, scientifique. 
Guerre de partisans, d'escarmouches, de harcèlement (voir Guérilla, Petite guerre) : guerre de harcèlement. Simulacre de guerre (voir Exercice, manoeuvre).
Guerre civile : lutte armée entre groupes de citoyens d'un même Etat (voir Barricade, émeute, révolte, révolution). Guerre civile et étrangère. Allumer, exciter la guerre civile. Période de guerres civiles. Guerre intestine.
En droit féodal, guerre privée : action par laquelle un particulier assurait par la force la réparation d'un tort qui lui avait été causé (par opposition à guerre publique).
 
Par extension : Hostilité, lutte entre groupes sociaux, Etats, n'allant pas jusqu'au conflit armé et sanglant et que l'on oppose souvent à la guerre politique, militaire. Guerre économique, guerre douanière, guerre des tarfis, des débouchés. Guerre de propagande, des ondes, de la radio-diffusion, de la télévision, comme moyens de propagande en période de crise. Guerre électronique, ensemble de dispositifs destinés à l'écoute, au brouillage des émissions radio-électriques de l'adversaire. Guerre idéologique. Guerre des cultures. Guerre des nerfs, visant à briser la résistance morale de l'adversaire ; Guerre psychologique : mise en jeu massive d'une propagande visant à influencer des armées ou des populations. Guerre larvée.
Depuis 1948, Guerre froide : état de tension, d'hostilité entre Etats, sans qu'intervienne un conflit armé, par opposition à la guerre chaude, conflit armé. 
   
   Le grand Robert 2014 développe aussi un sens figuré (sens d'inimité, depuis environ 1150).  Le lecteur ne manquera pas d'être frappé par le nombre d'occurences énoncées qui fait remplir 14 pages du dictionnaire, alors que beaucoup moins de place est accordée par exemple au mot Conflit...
 
Complété le 20 novembre 2013.
 
  
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21 juin 2008 6 21 /06 /juin /2008 08:49

 

          Inutile de chercher le mot Conflit dans les Dictionnaires et Encyclopédies consacrés aux religions, il n'y figure pas. Bien entendu, cela ne signifie pas que les religions ignorent le conflit, mais elles n'en font ni l'analyse ni l'exploitation ouverte.
 Les sagesses orientales (hindouisme, bouddhisme, taoïsme, zen) comme les religions monothéistes (Judaïsme, Christianisme, Islam) mentionnent par contre dans leurs textes fondateurs comme dans l'abondante exégèse de ces textes, les guerres, les violences, les haines, les massacres, les travers colériques des hommes comme des dieux.

           Si les premières regorgent de récits glorieux, de batailles gigantesques et furieuses, avec une surabondance de héros et de guerriers, de dieux et de déesses, détaillant leurs exploits, leurs victoires et leurs défaites; les deuxièmes insistent plus sur les relations entre les hommes et le Dieu unique, personnifiant et individualisant ces relations.
    On voit bien à la lecture de la Bible, par exemple, combien les prêtres et les prophètent interviennent directement sur ce qu'ils pensent être les causes et les conséquences des conflits.
Le péché et le péché originel constituent un thème majeur, voire premier, dans les relations avec le Tout Puissant. Le désir, l'envie, la haine, la jalousie, la concupiscence, les rivalités entre frères, entre pères et fils sont systématiquement l'objet de l'opprobre des trois religions monothéistes et même par beaucoup des textes des sagesses orientales, comme les causes des malheurs de l'humanité. L'Islam, la Chrétienté et le Judaïsme adjurent les hommes d'obéir aux Commandements de Dieu pour que l'humanité sorte des Ténèbres et entre dans la Lumière, et sorte ainsi des Ténèbres des conflits. Elles donnent du Conflit une connotation négative, insistent sur l'Obéissance et veulent souvent détourner les hommes des confrontations violentes qu'il engendre. Les recherches littéraires et anthropologiques de René GIRARD en la matière nous éclairent sur la nature des sacrifices organisés par les religions.

       Mais si les religions dénoncent la violence - pour l'utiliser également contre les infidèles à des fins de purifications - si elles proposent, ordonnent le retrait du monde ou les moyens de la rédemption, elles opèrent également le camouflage de certains conflits, la justification de l'ordre établi, l'intériorisation de la faute des conséquences des conflits qui traversent les sociétés humaines.
    De même que les sociétés sont traversées de conflits, les religions n'y échappent pas, étant l'oeuvre des hommes, même porte-paroles des ou de Dieu, ce qui rend ambivalente chez elles l'attitude vis-à-vis de la violence. Les guerres justes, les guerres saintes sont légions et les instrumentalisations des religions à des fins politiques constituent une généralité, dont il est parfois difficile de démêler de la bonne foi des saints et des prophètes. Le fait que dans le partage des richesses, les Églises sont souvent plus proches des riches que des pauvres, que les pouvoirs temporels et spirituels se confondent assez facilement - quand ils ne sont pas originellement liés et confondus, avant le processus de sécularisation et de laïcisation - laissent à penser, pour le moins, qu'elles participent à des conflits dont par ailleurs elles déplorent les conséquences violentes. Le croisement dans l'histoire des conflits sociaux, des conflits religieux, des conflits politiques (voir les multiples guerres de religion), conflits qui gardent chacun leur nature propre, donne le sentiment que les institutions religieuses sont plus porteuses d'oppression que de libération.

   Kurt FRIEDRICHS, Ingrid FISCHER-SCHREIBER, Franz-Karl EHRARD, Michel DIENER, Dictionnaire de la sagesse orientale, Robert Laffont, Bouquins, 1989. Sous la direction de Geoffrey WIGODER, Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, Cerf/Robert Laffont, 1996. Sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, Dictionnaire critique de théologie, PUF, collection Quadrige, 2002. Sous la direction de Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, Bouquins, 2007. René GIRARD, La violence et le Sacré, Grasset, 1972. Sous la direction de Pierre CREPON, Les religions et la guerre, Albin Michel, Espaces libres, 1982.  Michel DOUSSE, Dieu en guerre, Albin Michel spiritualités, 2002.

                                                                                              RELIGIUS
 
Relu le 9 septembre 2020

 

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11 juin 2008 3 11 /06 /juin /2008 08:13
       Tant dans "Éléments de philosophie politique" de Thierry MENISSIER que dans "Dictionnaire de philosophie politique" de RAYNNAUD-RIALS, on ne trouve pas d'entrée Conflit. Par contre, puisque précisément la philosophie politique s'occupe de l'exercice et de l'organisation du pouvoir des hommes les uns sur les autres, Pouvoir y figure bien.
       
     Dans l'un, "Éléments de philosophie politique", le Pouvoir (Force/Contrainte/Violence) est défini à partir du verbe "Je peux" qui signifie "J'ai la capacité d'agir et de faire".
"On exerce un pouvoir selon que l'on influence l'existence ou la capacité d'action de ceux sur qui il s'exerce. Comme le pouvoir est ce à quoi l'on se soumet, il repose sur le recours actif ou potentiel à la violence ; et parce qu'il est puissance d'oppression, il engendre en retour cette contre-violence qu'est la résistance."
   Pouvoir politique renvoie également à Souveraineté, Souveraineté signifiant le pouvoir le plus haut.
        Dans l'autre, "Dictionnaire de philosophie politique", Pouvoir comme Puissance renvoie directement à Souveraineté.
"On peut se demander ce que les notions de souveraineté, de puissance, et de pouvoir ont de commun pour être légitimement associés", au delà des mots. "Comme la souveraineté exprime l'idée d'un pouvoir de commander que détient un Etat - elle est le critère de l'Etat - elle fait figure de type déterminé de pouvoir ou de puissance, elle est l'espèce de genre plus vaste que constitue le pouvoir ou la puissance".
         
      On voit à travers ces définitions que les conflits politiques sont régulés ou organisés par l'Etat pour ne pas dégénérer en violence. Mais derrière cette régulation se trouvent d'autres conflits entre groupements humains qui interviennent, au nom de la société, et qui alimentent également cette régulation, cette organisation. La philosophie politique veut guider, du point de vue de ces divers groupements, l'organisation des différentes forces sociales qui agissent dans la société. Elle est étroitement liée à l'exercice de la souveraineté. Et il n'est pas étonnant que la plupart des philosophes politiques soient des conseillers de princes, qui entendent agir au nom de tous ou au nom d'un être supérieur à tous.
         Bien entendu, en philosophie politique, la guerre et la paix sont des enjeux centraux. Sans guerre, sans conflit, il n'y aurait pas de philosophie politique. En retour, une certaine philosophie politique veut indiquer ou chercher les conditions d'éviter la guerre entre les groupements humains et certaines autres, peut-être moins en vue aujourd'hui, en tout cas ouvertement, cherchent les moyens de mettre le plus efficacement possible la guerre au service de certains groupements humains.
          Cette perspective dominante de la philosophie politique possède tout de même le défaut de confondre peut-être un peu rapidement Force, violence, conflit. D'autres voies de raisonnement sont possibles.
 
        Parmi ces autres voies de raisonnement, figurent l'interrogation sur le contenu même d'un conflit politique.
Ainsi, Patrice CANIVEZ, de l'Université de Lille, partant de l'expérience politique commune, examine trois caractéristiques des conflits politiques.
Les conflits politiques ne concernent pas des individus mais des groupes de toute sorte. Directement ou indirectement, ils impliquent les institutions étatiques. Ils demandent une "solution politique", c'est-à-dire une solution par la discussion et non par la violence. L'analyse de ces caractéristiques conduit à formuler quelques réflexions essentielles sur la politique et la signification du compromis. Cet auteur conclue en posant la question de la "sagesse politique". "S'il y a une prudence politique, fondée sur la prévoyance et l'intelligence des situations, l'un des points d'application de cette prudence est la capacité d'anticiper les conflits, d'en réduire la fréquence et l'intensité. Car l'alternative entre violence et discussion reste au coeur des conflits politiques. Cela veut dire, entre autres, que le conflit peut imposer la recherche d'un compromis, mais aussi le rendre de plus en plus difficile, voire impossible, quand la violence est allée si loin qu'aucune discussion ne peut plus être envisagée entre les parties. Dans ce cas, il ne reste plus d'autre alternative que la victoire d'un camp sur l'autre ou l'interposition d'un pouvoir qui réduit les adversaires au silence. Or cela, c'est la mort de la politique. Si la politique a affaire aux conflits, ce n'est donc pas seulement pour les mener, ni même pour les régler, c'est aussi pour les prévenir. C'est pour ne pas donner leur chance à la violence et aux violents."
D'une autre façon, Patrick SAVIDAN, de l'Université de Paris-Sorbonne et de l'Observatoire des inégalités pose la question de savoir si réellement, dans certaines sociétés démocratiques, nous connaissons un âge de "dissolution du politique".
Dans sa forme politique, cette tendance s'exprimerait selon deux modalités : la distanciation à l'égard des institutions politiques et l'exacerbation de la fonction de contrôle et de surveillance du pouvoir politique. Face à une telle montée en puissance du "citoyen-surveillant", et afin de lutter contre la défiance qu'exprime son intense activisme, les gouvernants sont naturellement portés à s'investir plus ou moins résolument dans la mise en place et le fonctionnement de dispositifs participatifs. Il en résulte une tension au sein même de ces dispositifs, qui tient au fait qu'ils sont le plus souvent institués pour capter et neutraliser les ressource de la "souveraineté négative", alors même qu'ils cherchent à abolir cette distanciation et à recadrer la fonction de surveillance assumée par le citoyen pour le conduire à réintervenir dans le cadre des contraintes inhérentes au rôle de producteur (même très indirect) de la décision collective. Cette problématique de la démocratie participative constitue une facette du courant important de la philosophie politique d'aujourd'hui, mais cette démarche se heurte inévitablement au sens que possèdent les différents citoyens de l'injustice de certaines situations sociales
Dans un registre lui aussi un peu différent, Mark HUNYADI, de l'Université catholique de Louvain s'interroge si la tolérance est une valeur, une vertu, une attitude ou autre chose encore. La tolérance peut être définie, de manière originale, comme "mise en latence de conflits continués". Cette définition se réfracte dans les différents usages de la tolérance (vertu, principe, etc.). Il tente de montrer simultanément comment la tolérance est constitutive de la possibilité d'un monde commun, monde commun inévitablement marqué par la pluralité, donc par la conflictualité.
L'"agir passif" de la tolérance apparaît ainsi à l'origine même du monde commun, et non comme une vertu politique dont on n'aurait besoin que lorsque monde commun et société sont déjà constitués, comme c'est le cas par exemple chez RAWLS et HABERMAS. Dans le cours de sa réflexion, l'auteur revient sur la définition du conflit présente dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. A l'article Tolérance, nous pouvons lire : "On peut compter sans doute plusieurs sources de nos discordes. Nous ne sommes que trop féconds en ce genre. "De cet excès de belliquosité, si l'on peut dire, qui menace en permanence les relations humaines sous toutes ses facettes, on peut rendre compte si l'on donne à la notion de conflit une extension maximale, en le définissant comme divergence manifestée. (...), une telle extension est heuristiquement intéressante, précisément en ce qu'elle ne préjuge pas du type, de la nature ou de l'objet de la divergence considérée ; il importe en revanche à celle-ci d'être manifestée, puisque cette manifestation est l'émergence même du conflit - sa manifestation est son être même (Nous ne faisons pas forcément nôtre une telle conception, car nous estimons que le conflit pré-existe à sa manifestation) -, et appelle, en tant que telle, une réponse - belliqueuse ou pacifiante, pacifiante ou tolérante, nul ne peut le dire à l'avance".


    Thierry MENISSIER, Éléments de philosophie politique, Ellipses, 2005; Sous la direction de Philippe RAYNAUD et de Stéphane RIALS, Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 2005.
    Patrice CANIVEZ, Patrick SAVIDAN et Mark HUNYADI, contributions dans la revue de métaphysique et de morale, Avril 2008, sur le thème Figures du conflit.
    
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5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 14:49
     A consulter d'emblée au terme Conflit les dictionnaires d'économie, on pourrait penser que le conflit économique n'existe pas... Ni l'"Economie" de SAMUELSON-NORDHAUS, ni l'"Encyclopédie économique" de GREFFE-MAIRESSE-REIFFERS, ni le "Dictionnaire économique et social" de Thomas SUAVET, ni même le "Dictionnaire critique du marxisme" de LABICA-BENSUSSAN ne proposent d'entrée "Conflit".
  
     Il faut pour trouver quelque chose qui y ressemble dans l'"Encyclopédie économique" passer au chapitre 7, "Gestion et économie" pour tomber sur "Les origines du mauvais procès intenté à l'économie", au chapitre 16, "Fondements micro-économiques de la macro-économie", au chapitre 18, "Théories de la valeur" (et encore...), au chapitre 21, "Marchés et concurrence imparfaite" et enfin au chapitre 35 "Relations du travail". Les relations et conflits du travail, y est-il écrit, "posent à la pensée économique un défi permanent, pour deux raisons sans doute fortement liées. La première est que les mouvements ouvriers et les processus de syndicalisation sont indissociables des critiques de l'économie politique et du capitalisme développés depuis la Révolution industrielle. (...) La seconde tient à la nécessité de prendre en compte de multiples dimensions, juridiques, sociales, institutionnelles, politiques, etc, dans l'analyse ."
    Dans  le "Dictionnaire économique et social", on y trouve des modalités de ces conflits du travail : grève, boycottage, et aussi lutte des classes, conscience de classe.
    Dans "Economie", il faut aller au chapitre 32 pour y trouver quand même, après bien des exposés sur les marchés et les lois de l'offre et de la demande, "Le conflit des écoles de pensée en macro-économie". Sont alors cités la tradition classique et la révolution keynésienne, l'approche monétariste, la nouvelle macro-économie classique et l'ultra-classicisme de l'économie de l'offre. Il suffit de consulter le livre d'ALBERTINI-SILEM, "Comprendre les théories économiques" où sont détaillés les courants "des fils" de KEYNES, de SMITH, de MARX et de SCHUMPETER pour en mesurer toute la partialité. Une chose au moins est assurée : il existe un conflit entre divers courants de la pensée économique!

     Ces trois ouvrages possèdent en commun de développer - parfois très longuement - la question de la concurrence entre les entreprises, branches d'entreprises, circuits économiques... Il s'agit là de conflits entre entrepreneurs, indirects, par l'intermédiaire des consommateurs de leurs biens et services, qu'ils tentent d'accaparer, qui évoluent dans un monde soumis à des "lois" du marché.
A en croire certains auteurs, si ces "lois" n'empêchent par les crises économiques de tout genre de revenir régulièrement dans le temps, c'est que la concurrence est imparfaite, faussée selon SAMUELSON-NORDHAUS par des interventions des puissances publiques, par l'action des organisations syndicales, par la formation de monopoles et d'oligopoles... Cette tonalité se retrouve dans "Encyclopédie économique" où l'on insiste un peu plus sur les différents régimes de concurrence et sur l'information imparfaite des acteurs du marché. La planification y est vue sous un angle un peu plus favorable également.

        Le "Dictionnaire critique du marxisme" présente lui aussi le concept de concurrence pour l'attaquer dans ses fondements. C'est là que l'on trouve une analyse détaillée de la question des monopoles, et beaucoup plus largement, des rapports de production, non seulement entre les entreprises ou branches d'entreprises, mais surtout entre les salariés et les propriétaires des moyens de production. C'est à partir de ces rapports de production que s'élaborent les rapports de force entre classes sociales et les luttes de classes. Ces relations économiques sur déterminent les rapports sociaux. Les conflits économiques sont les premiers des conflits, même s'ils sont camouflés par toute une idéologie et noyés dans ce que Karl MARX appelle le fétichisme (l'apparence de la marchandises - par la monnaie notamment - inhérente aux rapports de production marchande).

      Alors que la plupart des économistes traitent des conflits économiques - sans les nommer - entre entreprises (concurrence) en minorant les conflits entre entrepreneurs et salariés, l'ensemble des écoles marxistes placent en premier plan ces derniers. L'économie commande la vie sociale, la base des conditions de l'existence des humains et il ne faut pas s'étonner si, à l'origine de presque toutes les guerres et insurrections se trouvent des causes économiques. Loin de pouvoir se dissoudre dans des formules mathématiques, le conflit en économie mène toujours le monde. Lorsqu'on veut changer une société, on est forcément obligé de changer son économie.

      Sous la direction de Xavier GREFFE, Jacques MAIRESSE, Jean-Luc REIFFERS, Encyclopédie économique, Economica, 1990 ; Paul SAMUELSON et William NORDHAUS, Economie, seizième édition, Economica, 2000 ; Thomas SUAVET, Dictionnaire économique et social, Economie et Humanisme/Les éditions ouvrières, 1971 ; Georges LABICA et Gérard BENSUSSAN, Dictionnaire critique du marxisme, 1999 ; Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Editions du Seuil, 2001.
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