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6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 12:30

       L'attitude du Judaïsme originel envers la sexualité constitue une sorte de prototype pour toutes les religions monothéistes et leurs déclinaisons multiples. Comprendre la sexualité en mode chrétien ou musulman est difficile sans comprendre cette attitude qui tranche avec la plupart des religions polythéistes ou des sagesses diverses (orientales) qui ne font pas toutes des questions de sexualités un thème si dramatisé. Ce qui ne veut pas dire que dans ces dernières, d'autres aspects qui nous paraissent très déplaisants (pratique du cannibalisme, de l'esclavage sexuel de masse, sacrifices humaines, violences rituelles...) n'offrent pas autant des aspects dramatiques et oppressifs. En fait, en matière de conflits, il semble bien que les religions monothéistes "choisissent" souvent de passer par la sexualité (individualisée qui plus est) plus que par d'autres modes pour la vie (et la survie) des sociétés humaines. Cela n'ôte en rien un caractère oppressif (souvent revendiqué par ailleurs...) sur la sexualité, et par extension en quelque sorte, sur le corps humain, notamment sur celui de la femme. Beaucoup d'auteurs prennent pour point de départ explicatif et descriptif la Bible, tant est que, dans parfois l'ignorance du fonctionnement réels des sociétés juives dans l'Antiquité et même nettement après, qu'il s'agit sans doute du meilleur moyen d'étudier la prégnance des attitudes du judaïsme envers la sexualité. Vu la véhémence et même une certain violence exprimée dans les textes les plus anciens, il semble bien qu'autour de la sexualité ait eu lieu des combats cruciaux dont les religions constituées (les premiers judaïsmes institutionnalisés) ne sont que le produit.

 

Le cadre du mariage

    La Bible, écrivent les auteurs d'un Dictionnaire du Judaïsme sous la direction de Geoffrey WIDOGER, "ne conçoit le problème des relations sexuelles que dans le cadre des lois sur le mariage ; d'autre part, elle en fait un élément essentiel de la vie mariale." Passant directement à la deuxième version de la conception de la femme décrite dans la Genèse, les auteurs écrivent encore que "la femme a été créée (...) parce que "il n'est pas bon que l'homme vive isolé" et la femme serait "une aide digne de lui".

"Union de l'homme et de la femme et sexualité sont ainsi évoquées de pair dès les premiers versets de la Genèse. Le but du mariage est double : la procréation et la compagnie de l'autre, en d'autres termes, la fondation d'un foyer et d'une famille d'une part, la sortie de l'isolement d'autre part. Mariage et procréation constituent, dans l'optique juive, un acte éminemment religieux - la toute première mitsvah - qui reflète la tâche de transformer le monde." Le Talmud (ce qui est déjà un commentaire très élaboré de la Genèse...) considère que les relations sexuelles sont un droit de la femme et un devoir du mari. Ce qui entraine un certain nombre de préceptes (dans la Hallakah) sur les conditions de la vie conjugale. Laquelle est exempte, toujours suivant les textes de référence, de romantisme. Les conjoints ne se marient pas parce qu'ils s'aiment mais s'aiment parce qu'ils vivent mariés. Les indications suivant la vie professionnelle ou les humeurs réciproques des époux (dans les cas d'animosité par exemple) abondent, leur relation devant être, de toute façon exclusive et totale. L'attention portée aux besoins physiques de l'autre constitue un pilier fondamentale de la vie du couple et en cela, la validité du mariage est fortement liée à la qualité des relations sexuelles, ce qui ouvre des possibilités d'évolution des moeurs dans le temps, soit dans le sens d'un durcissement de l'attitude du mari (rarement dans l'autre sens...), soit dans le sens d'une réflexion profonde sur les conditions masculine et féminine. Tout cela est recouvert d'une certaine manière par les prescriptions de pudeur et de retenue dans l'accomplissement de l'acte sexuel lui-même. certains comportements sont prohibés et d'autres recommandés. Ces prescriptions couvrent le temps et le lieu des relations sexuelles : de nuit, dans un lieu clos et privé, après échange de tendresse et de mots d'amour. L'auteur anonyme du livre Iggèret ha-qodech (La lettre sur la sainteté, XIIIe siècle, traduction par Ch. MOPSIK, éditions Lagrasse, 1986) précise que la sexualité est "chose éminemment pure et sainte, lorsque les intentions qui animent l'acte sont pures et saintes et qu'elles dictent temps et lieux adéquats (...) Ce qui est la volonté du Créateur ne peut jamais et en aucun cas être objet de honte ou entaché tant soit peu de laideur". 

 

Une conception de l'instinct sexuel....

Les auteurs du dictionnaire écrivent encore : "Les sages considèrent l'instinct sexuel comme l'expression du yêtse ha-ra : incontrôlé, il mène au mal ; maitrisé, il s'investit dans l'action bonne. L'homme est créé capable de gouverner sa libido. C'est un lieu commun de l'éthique juive de ne jamais tenter de nier ni a fortiori de réprimer les besoins naturels du corps, mais d'exiger d'en investir les moyens au service des fins les plus hautes. D'où le triple cadre principal des relations conjugales (...) d'intimité, de permanence et de sensibilité chaque jour affinée aux besoins physiques de l'autre. Cadre principal qui inclut également un certain nombre de prescriptions rituelles de pureté, telle l'abstinence absolue au moment des règles : ces prescriptions interdisent formellement les rapports sexuels pendant la période menstruelle proprement dite à laquelle s'ajoutent les sept jours "purs"."

En ce qui concerne les péchés sexuels, le judaïsme ne considère les relations sexuelles que dans le cadre de l'établissement d'une famille, dans l'amour et le consentement mutuel. Tous les autres actes sont contre nature, et selon certains textes les relations sexuelles avec une femme non juive sont également condamnées pour ne pas encourager la lascivité, de même qu'est interdite la fréquentation de prostituées. Bien entendu, la masturbation, l'homosexualité masculine et féminine, l'adultère... sont interdits. De même, le viol constitue une transgression, la responsabilité étant souvent imputée à la femme n'ayant pas fait appel au secours.

 

De la dispersion des communautés juives...

    Au-delà de la simplicité relative des principes fondamentaux décrits ci-dessus, il est difficile, indique Freddy RAPHAËL, d'appréhender exactement, dans l'épaisseur et la diversité historiques, le rapport du judaïsme à la sexualité. La dispersion des communautés juives à travers le monde et la diversité de leur statut, même si demeure la volonté farouche de garder l'identité juive, constitue un facteur de porosité en ce qui concerne les comportements sexuels. Plusieurs approches sont possibles et notre auteur en examinent certaines. Ainsi , le sociologue de l'Université Marc Bloch de Strasbourg distingue une interprétation théologique et une analyse socio-historique.

    L'interprétation théologique, reformulée au cours du temps, s'accompagne d'un système de pratiques qui lui-même se renouvelle. "La lecture de penseurs qui se reconnaissent du Judaïsme des XXe et XXIe siècles, tels qu'Emmanuel Lévinas, André Neher, Stéphane Moses, Eliane Amado-Valansi, interroge les textes à partir des catégories de la modernité. C'est en affrontant , dans une démarche quelque peu aride, les fluctuations du droit rabbinique que l'on peut saisir, à partir de ce point de vue révélateur, les normes et les représentations qui sous-tendent le code prescriptif. Il s'agit d'appréhender la logique en actes d'un style de vie. Le code fondateur, qui a sa signification propre dans l'espace-temps biblique où il s'origine, ne garde sa pertinence aux époques ultérieures, dans des contextes sociaux, économiques, politiques et culturels spécifiques, que si la lecture en est renouvelée. La législation juive, la halaka, signifie étymologiquement la "démarche", c'est-à-dire la créativité continuée. La loi s'inscrit dans une tension dynamique, jamais achevée, entre la reproduction qui est de l'ordre de la conformité, et l'invention, qui, elle aussi, se réclame de la fidélité."

    L'auteur distingue cinq périodes dans le statut de la femme et de la sexualité :

- la société patriarcale de la Bible ;

- l'époque du Talmud ;

- le contexte médiéval ;

- depuis la Révolution française, l'entrée progressive dans la modernité ;

- la période contemporaine qui se caractérise par des tensions et des ajustements difficiles.

L'auteur rappelle que les Juifs sont passés d'une structure clanique à la constitution d'un peuple, par l'Exil, la Dispersion, l'Intégration dans les pays d'accueil, la Shoah et la création de l'État d'Israël, avec un impératif catégorique : durer, traverses le temps, avec l'acharnement de ceux à qui l'on dénie le droit à l'humanité et même à la vie.

 

De la séparation du sacré et du profane

    Freddy RAPHAËL se réfère aux travaux de Robert HERTZ (Sociologie religieuse et folklore, PUF, 1928, 1970), auparavant redécouvert par Georges BALANDIER, sur la séparation du sacré et du profane qui permet au monde et à la société de subsister par un ensemble d'interdits et de tabous. Dans cette coupure, qui se traduit par un dualisme qui régit l'ordre social et notamment les rapports entre les sexes, c'est du côté du profane que "viennent les influences funestes qui oppriment, amoindrissent, gâtent les êtres" (Georges BALANDIER, Préface dans l'ouvrage de Hertz).

Les catégories du pur et de l'impur sont en homologie étroite avec celles du sacré et du profane et ces catégories se retrouvent autant dans l'alimentaire, dans l'habillement que dans les relations entre sexes. La femme est redoutée comme un vecteur privilégié de l'impur et fait donc l'objet de prescriptions serrées, en terme cotoiements. Cela à un rapport direct avec la vision du rôle du sang, une certaine crainte qui se manifeste par un certain nombre de tabous (notamment pendant les périodes menstruelles et souvent au-delà, dans une sorte d'esprit de précaution...). La sexualité biblique aboutit à un "matriarcat vital et à une misogynie refoulée" dont les livres apocryphes du bas-judaïsme montrent de nombreux indices. L'auteur revient à plusieurs reprises sur les deux récits de la création de l'homme, le premier qui fait naitre l'homme et la femme en même temps et le second qui fait naitre la femme après l'homme, dans le texte de la Genèse. Il semble bien que la représentation et la situation de la femme se soient aggravés depuis les temps les plus anciens, pour aboutir à son exclusion de la vie religieuse publique. Des lois de décence et d'absence de provocation deviennent plus restrictives pour les femmes, qui doivent dissimuler les parties attirantes de leur corps.

   Dans la tradition hébraïque, qui s'élabore à partir de la l'époque biblique, c'est la structure patriarcale qui détermine le statut respectif de l'homme et de la femme. La nécessité de construire et de poursuivre une lignée représente un impératif catégorique dans le monde biblique et talmudique. Le Talmud renforce le dispositif qui rend la femme à la fois dépendante et inférieure à l'homme ; les passages sur l'adultère sont parmi les plus véhéments, avec un arsenal répressif à la clé, qui n'épargne aucun membre de la famille. 

    La reconnaissance du désir dans la tradition du Talmud pousse même à encadrer plus strictement la fréquence des moments et la nécessité d'accomplir le devoir conjugal. Sans doute la proximité de cultures très différentes du judaïsme renforce t-elle cette tendance, pour ancrer l'identité juive plus fortement encore dans les mentalités et les comportements. Selon la lettre sur la Sainteté, attribuée à Rabbi Joseph GIKATILA au XIIIe siècle en Espagne, "dans le secret de l'acte sexuel, c'est le secret de la perpétuation d'Israël conçu comme lieu de résidence de la présence divine qui est en question". Lorsque l'homme et la femme s'unissent, ils ne perpétuent pas l'espèce humaine "dans son animalité mortelle", mais ils "accroissent la ressemblance à Dieu, la divinité de l'homme".

    "Force est de constater qu'à travers l'histoire, dans le domaine du droit rabbinique, deux traditions n'ont cessé de s'affronter, qui s'enracinent dans les deux récits de la création de la femme dans la Genèse. (...) (...). Le désir est reconnu et valorisé dans le judaïsme, de l'époque biblique à nos jours, comme une dimension de la vocation humaine. Il doit, certes, être assouvi dans le cadre de la législation, mais il a sa légitimité en dehors de la procréation. "Il est permis et recommandé pour un homme d'avoir des relations sexuelles avec une femme enceinte ou une femme stérile" (Pauline BÉBÉ, Isha, Calmann-Lévy, 2001). La jouissance fait partie du projet divin comme en témoigne le Cantique des Cantiques, où "le plaisir physique est abordé sans détour" et où la femme "peut initier l'amour, ressentir et décrire ses sensations" (BÉBÉ). Cette auteure souligne à juste titre le fait que ce livre prend le contre-pied de la vision dominatrice de l'homme sur la femme, qui prévaut dans le second texte de la création de la Genèse.(...)".

     De nombreux écrits de la période contemporaine soulignent cette rupture, amorcée dans la période des Lumières, et qui se diffuse plus ou moins selon les tendances internes au judaïsme et les problématiques d'intégration aux communautés nationales. On retrouve dans l'État d'Israël une véritable mosaïque de conceptions très différentes de la sexualité, occasion de nombreux conflits qui déteignent dans des registres sociaux et économiques. L'expression "judaïsmes" se trouve justifiée par rapport à une vision unifiée du Judaïsme dans cette disparité conflictuelle des attitudes et des comportements sur la sexualité humaine.

 

Freddy RAPHAËL, Religion et sexualité dans le judaïsme, dans Religion et sexualité, L'Harmattan, 2002. Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf/Robert Laffont, collection Bouquins, 1996.

 

RELIGIUS

 

Relu le 15 novembre 2021

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