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20 mai 2010 4 20 /05 /mai /2010 12:38

       Au coeur de la philosophie confucéenne se trouve un débat sur la nature humaine qui n'est pas sans rappeler les réflexions occidentales sur le péché originel.

 

       C'est d'ailleurs l'enjeu du conflit intellectuel entre MOZI (Maître Mo, 468-376 av J.C.) et les disciples de CONFUCIUS, juste après la disparition de ce dernier. Situé lui-même dans le sillage de la pensée confucéenne, le rédacteur du Mozi prend directement à contre-pied les Entretiens, tant par son style que son contenu.

"Un premier coup de butoir est porté aux privilèges de l'aristocratie féodale par le principe qui consiste à "promouvoir les plus capables", de toute évidence dirigé contre la pratique courante dans les familles aristocratiques de conserver exclusivement pour elles-mêmes et de se transmettre héréditairement les postes gouvernementaux et ministériels. Confucius avait donné la priorité à la qualité morale sur la noblesse de naissance, mais, de manière significative, Mozi substitue à l'idéal de l'homme de bien la figure de l'homme capable. Il dessine ainsi une communauté sociale cimentée tout autrement que par les liens familiaux si chers aux confucéens" (Anne CHENG).

A la différence des confucéens, l'école moïste des IVe et IIIe siècles forme une communauté fortement structurée sous la houlette d'un grand maître, ce qui n'empêche pas les accusations d'hérésie de fleurir : chaque chapitre du Mozi, ce texte de référence  rédigé vers l'an 400 av J.C., de la nouvelle école philosophique, est rédigé en trois versions différentes. Pendant deux cent ans, la doctrine de MOZI connut autant de succès que celle de CONFUCIUS, mais elle finit par être supplantée par sa rivale.

Un canon moïste se présente, sous la forme de dix thèses, et trois critères sont définis pour fonder la validité d'une doctrine :

- un critère d'utilité contre la tradition rituelle ;

- un critère de l'amour universel contre le sens de l'humain ;

- un critère du sens du juste contre le jugement personnel de chacun placé en situation.

   A travers l'énonciation de ces trois critères, une conception de la nature humaine s'oppose à celle de CONFUCIUS, mais surtout à celle de ses continuateurs directs. Face à la conviction confucéenne de la perfectibilité de la nature humaine, poussée jusqu'au bout par MENCIUS, le mozi présente une vision plutôt pessimiste des débuts de l'humanité. La cause du désordre originel (au sein même des familles, car il n'y avait pas de distinction entre souverains et sujets, supérieurs et inférieurs, vieux et jeunes) est en fait l'absence d'une principe unique de moralité ; et la raison d'être de l'ordre politique est justement d'unifier le sens du juste dans tout l'univers. Alors que ce sens, pour CONFUCIUS, relève du jugement personnel, il faut trouver un critère valable universellement, ce qui implique nécessairement une uniformisation des volontés et des évaluations individuelles. Le fondateur du moïsme ne sort pas en cela du cadre traditionnel, ni d'une conception autoritaire d'un ordre hiérarchisé en pyramide. Même s'il s'agit d'un autoritarisme qui, à l'usage de la force brute, préfère le principe d'une autorégulation de la société par l'uniformisation des sources de valeur et de jugement. Le moïsme est  devenue une source de cette tradition de pensée politique autoritaire. Ce qui l'oppose au confucianisme, c'est surtout la tendance à voir dans la fortune et la prospérité la récompense automatique d'une bonne conduite, ce qui tranche avec une certaine tendance à un fatalisme démobilisateur.

 

       Qi CHONG présente l'antagonisme qui suit historiquement le moïsme, entre deux héritiers directs de CONFUCIUS, entre MENCIUS (380-289 av J.C.) et XUNZI (340-305 av J.C.) sur la question de la nature humaine. Dans son choix de texte dans cet ouvrage bienvenu, quoique incomplet, sur les Philosophies d'ailleurs, il donne en lecture alternée ces deux conceptions, sous un titre légèrement racoleur : Est-bon? Est-il méchant? :

"Toute la pensée de Mencius tend à mettre en valeur la moralité. Sur le plan individuel, il défend la thèse selon laquelle tout homme porte en lui une inclination spontanée vers le bien qui peut être soit développée par l'éducation, soit étouffée par l'influence pernicieuse du milieu ; sur le plan politique, il tente de démontrer qu'il suffit à un prince de faire oeuvre de bienfaisance pour que toutes les populations accourent à lui et se soumettent de plein gré à son autorité. Enfin Mencius explicite l'intuition confucéenne selon laquelle, en développant complètement les inclinations positives de sa conscience morale, l'homme est à même d'appréhender sa nature fondamentale, ainsi qu'à travers celle-ci, d'appréhender le "Ciel" ; conception particulièrement importante pour toute la tradition néo-confucéenne parce qu'elle fait de l'éthique la seule voie d'accès à la transcendance et met en valeur, du point de vue de la conscience individuelle, l'articulation cosmologico-morale sur laquelle se fonde cette tradition."

"Prenant le contre-pied de la théorie de Mencius, Xunzi est l'un des premiers, dans l'histoire universelle, à avoir reconnu l'origine sociale de la morale : pour lui, la nature humaine à l'état brut ne saurait être autre chose qu'un complexe de tendances égoïstes et anarchiques ; le bien et la raison n'apparaissent qu'avec la régulation qu'impose la vie en société. C'est la civilisation, avec ses institutions, qui forme l'individu et élève l'humanité. Parmi les penseurs de l'Antiquité chinoise, Xunzi est aussi l'un de ceux qui vont le plus loin dans le sens d'une argumentation philosophique : par le travail de conceptualisation auquel il soumet la langue, par son souci des articulations logiques, par le caractère très organisé et démonstratif de ses développements. Sans doute est-ce ce dernier aspect, en même temps que l'opposition qu'il établit entre nature et moralité, qui l'ont condamné à être moins pris en considération par la tradition lettrée." (Il est vrai que contrairement à Mencius, il est difficile à trouver dans le Dictionnaire de la sagesse orientale!).

 

       MENCIUS (Mengzi ou encore Meng-tzu), décrit une véritable physiologie morale de l'homme, les germes de bonté ne demandant qu'à donner un arbre droit. Il reprend à son compte une partie du taoïsme, en faisant le lien entre la valorisation taoïste de l'énergie vitale et la conception confucéenne de la nature humaine comme morale. "Chez Mencius, la nature humaine telle qu'il la conçoit prend en charge la vision totalisante de l'homme comme être éthique contenue dans le ren confucéen. Ce dernier se retrouve aussi sur le même plan que le sens du juste, le sens des rites et le discernement, les "quatre germes" de bonté inhérents à la nature humaine. La capacité d'agir moralement étant indissociable de celle de discerner le vrai du faux, la sagesse consiste donc avant tout en une connaissance, non tant au sens d'une cognition que d'une identification dans l'expérience vécue. Il s'agit d'atteindre une vision d'ensemble de tout le potentiel de la nature humaine, qui doit permettre de replacer chaque inclination dans le droit fil de la nature." (Anne CHENG). Le mal ne peut avoir d'autre contenu, dans cette perspective, que l'égoïsme qui consiste à nier la solidarité radicale des existences avec la vaine intention de ne vivre que pour soi. Il n'y a pas plus de place dans la perspective confucéenne que MENCIUS entend incarner, pour le Mal en soi que pour une quelconque idée de liberté ou de libre arbitre. Il existe par contre bel et bien un sens de la responsabilité qui nous fait pleinement assumer la charge qui nous est impartie par le Ciel. Anne CHENG fait, dans une note, le rapprochement de cette conception de la nature humaine, au niveau de la confiance placée en elle, avec celle de Jean-Jacques ROUSSEAU.

 

      Alors que MENCIUS serait l'héritier spirituel de CONFUCIUS, XUNZI en serait l'héritier réaliste (Anne CHENG). Ce dernier compta parmi ses plus éminents disciples Hans FEIZI, qui donna au légisme ses "lettres de noblesse" philosophiques et Li SI, ministre aux méthodes autoritaires de celui qui devint le Premier Empereur de Chine. Il va à contre courant de la tendance, de plus en plus marquée à son époque, à établir une correspondance entre Ciel et homme, et tente d'établir entre eux des démarcations. Plus rationaliste que ceux qui l'ont précédé dans le confucianisme, il se pose en réaliste en affirmant que la nature humaine est mauvaise. Cette formule est d'ailleurs le titre du chapitre 23 du Xunzi, cet ouvrage qui sans doute ne serait pas attribuable à un auteur unique, mais à toute une école se réclamant de l'enseignement de Maitre Xun. L'inné, décrit comme amour du profit, haine et jalousie, désirs sensuels, ne comporte rien qui prédispose la nature humaine à la moralité. L'homme n'émerge de l'animalité que par la force de son intelligence. "l'homme est susceptible de moralité par sa capacité de discernement (zhi) qui lui représente ce qui vaut le mieux pour lui, à savoir un ordre harmonieux, qui lui permettra de satisfaire ses désirs, idée moïste par excellence. Le zhi, qui figure parmi les quatre "germes de moralité" de Mencius comme capacité intrinsèque de discernement moral, devient avant chez Xunzi une forme d'intelligence faite de bon sens. Nous nous rendons ainsi à l'évidence que les pulsions de la nature ne sont mauvaises que dans la mesure où elles sont anarchiques et qu'il nous suffit d'y mettre bon ordre pour pouvoir les satisfaire." (Anne CHENG). La moralité n'a pas du tout sa source dans la nature humaine, et les rites lui permettent d'en trouver le chemin.

 

Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997. Qi CHONG, présentation de la pensée chinoise, dans Philosophies d'ailleurs, tome 1, Hermann, 2009. Dictionnaire de la sagesse orientale, Robert Laffont, collection Bouquins, 1986.

 

                                                                                              PHILIUS

 

Relu le 10 décembre 2019

 

 

 

 

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