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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 12:57

        L'ouvrage de Xavier RENOU, responsable de la campagne "Désarmement nucléaire" de Greenpeace France, dépasse de très loin le simple plaidoyer, pour se hisser au niveau d'une étude de fond sur les mercenaires et les sociétés militaires privées.

L'importance de l'activité contemporaine de ces sociétés privées, montrée par leur chiffre d'affaires en hausse ou le nombre impressionnant de conflits où elles sont présentes, se situe dans le fil droit, malgré des campagnes de relations publiques destinées à brouiller les pistes, non seulement du mercenariat relevé ici ou là depuis la Seconde Guerre Mondiale, mais également de l'histoire de toutes ces compagnies privées (du Moyen-Age à la colonisation) qui participent aux guerres depuis très longtemps. C'est une prise de conscience du véritable rôle tenu par ces sociétés, de la grande place qu'elles prennent dans la guerre moderne (des exemples récents en Irak en témoignent), d'une certaine dévitalisation de la notion de monopole de la violence dévolu officiellement aux États, que l'auteur, avec ses collaborateurs, veulent promouvoir.

Loin d'être anecdotique, leurs activités constituent un obstacle très sérieux à l'émergence d'un monde pacifié et rendu plus juste. Ils posent d'ailleurs la question de l'abolition de ce mercenariat, y compris entrepreneurial (activités militaires et activités civiles autour des opérations militaires) et veulent ouvrir le débat "sur la possibilité d'une armée permanente des Nations Unies comme substitut aux mercenaires, au sein d'une communauté judiridico-politique internationale dans laquelle la notion de paix entre les peuples serait considérée comme un bien public international protégé de l'emprise du marché."

 

            Une première partie offre un éclairage sur l'histoire du mercenariat et des sociétés privées, rappelant notamment qu'une grande partie des guerres furent menées depuis le Moyen-Age par des mercenaires payés sur les conquêtes ou par des compagnies privées appuyées par les États et parfois (comme dans les colonies du XIXe siècle) ayant des prérogatives d'État, jusqu'aux possibilités de recrutement (notamment dans les marines). A une époque plus contemporaine, les multiples formes de la violence privatisée existent, supplétives ou principales, dans la politique des grandes puissances. Chiens de guerre, corsaires, barbouzes, miliciens, paramilitaires et membres des escadrons de la mort, mercenaires recrutés comme soldats réguliers, soldats réguliers employés comme mercenaires, employés de société de sécurité, nervis et employés de sociétés militaires privées, tout cela participe de la même logique : la mise en oeuvre d'une violence sous couvert d'État, au service d'un marché plus ou moins encadré...

             Dans une deuxième partie, les auteurs posent plusieurs questions qui émergent de temps en temps dans l'actualité pour être oubliées ensuite : les mercenaires peuvent-ils être utilisés pour ramener la paix? Les sociétés mercenaires sont-elles contrôlables, neutres, fiables, efficaces et moins coûteuses?

A chacune de ces questions, nombreux faits à l'appui, les auteurs répondent négativement, en se fondant souvent sur des rapports officieux et officiels, et quand ils n'existent pas, sur de nombreuses enquêtes de journalistes qui n'ont pas perdu le sens des mots investigation et indépendance. Des fuites occasionnent parfois des procès qui permettent d'en savoir très long sur les méthodes employées par ces sociétés. On pourrait écrire que l'ensemble des défauts - dont l'instabilité des territoires où elles ont agi n'est pas le moindre - se retrouve de manière condensée et extensive dans les guerres du Golfe. L'Irak constitue encore aujourd'hui le lieu de très bonnes affaires, où l'impunité et l'immunité garantissent des situations criminelles de haute volée, alors que la région a déjà été l'objet de destructions et de déstructurations sociales massives. Philippe CHAPLEAU livre un tableau assez effrayant, avec force noms de sociétés et chiffres d'affaires.

          Les auteurs comptent aller beaucoup plus loin que la dénonciation de tels faits en indiquant comment selon eux, les sociétés militaires privées participent à la mondialisation néo-libérale. La domination du capital financier, le retour à un impérialisme sans frein, l'existence de nouveaux appétits autour de richesses de l'Afrique et d'autres parties du monde, la structuration d'un véritable secteur d'activité... dessinent les contours d'une rentabilité de la guerre pour un marché en pleine expansion. Outre la dynamique économique qui se noue autour des sociétés militaires privées (lesquelles peuvent se permettre, tout comme des trafiquants de drogue, de diversifier leurs activités dans tout le secteur civil), elles constituent pour les services secrets ou officiels des États un instrument idéal d'intervention qui leur permettent de violer les principes de la démocratie (déjouer les contrôles parlementaires lorsqu'ils existent), d'agir en dépit de toutes les lois internationales et des droits de l'homme. Et à l'image des impérialismes français, anglais, allemand, hollandais des époques coloniales, rétablir les conditions du marché pour des firmes multinationales. Wayne MEDSEN détaille le cas du mercenariat américain qui rappelle combien le complexe militaro-industriel revêt de formes à notre époque. Celui du mercenariat français, s'il n'a pas les ampleurs de l'allié américaine, constitue de son côté un modèle de structuration "politico-entrepreneurial" original, notamment en Afrique (La françafrique) avec une participation active des milieux d'extrême-droite. 

            Dans un dernier temps, les auteurs reviennent sur la définition du phénomène : sur la notion de conflit armé, sur la motivation et de la rémunération des "employés" et des dirigeants des sociétés militaires privées, sur la nationalité et la résidence des mercenaires. Ils distinguent les cas de non-appartenance aux forces armées en conflit de ceux de non-appartenance aux forces armées d'un pays tiers en mission officielle. Ils font le point sur la législation - insuffisante - internationale, puis française. Ils s'étendent d'ailleurs sur leur campagne pour la ratification de la Convention de l'ONU de 1989 et sur la loi française du 3 avril 2003.

          Un dernier court chapitre évoque les différents débats sur la démocratisation de l'ONU, et les différentes propositions qui permettraient de réactiver enfin les dispositions de la Charte concernant sa force armée. 

       Lucides, les auteurs, dans leur conclusion, rappellent qu'ils sont régulièrement taxés d'angélisme par leurs "adversaires".

"L'argument est empreint de condescendance : il consiste à reconnaître tout le mal que l'on veut des mercenaires, et à s'empresser d'ajouter que dans un monde parfait, il n'y aurait pas besoin d'eux. Mais voilà, parce que l'on ne vit pas dans un monde parfait, il ne faudrait pas avoir d'états d'âme à leur sujet, et ne pas hésiter à faire appel à eux pour les opposer à plus dangereux qu'eux. L'argument est spécieux. C'est justement parce que le monde n'est pas parfait que vendre des prestations militaires ne saurait être considéré comme un travail ordinaire et anodin, dépourvu de conséquences néfastes. C'est parce que la répartition des richesses, et de la puissance, est bien davantage affaire de force que de justice que les mercenaires seraient toujours au service de logiques dominantes, et de leurs bénéficiaires. Les SMP font bien davantage partie des problèmes du monde que de leur solution.

Alors, bien sûr, il est toujours difficile de déterminer la limite exacte entre ce qui doit être inclus dans le mercenariat, et prohibé en tant que tel, et ce qui ne doit pas l'être. Nous retenons dans cette étude un certain nombre de critères, mais fondamentalement, nous espérons avoir montré que c'est le principe même de la sous-traitance en matière militaire (et sans doute aussi, plus généralement, en matière de sécurité comme de tout autre bien public) qui est source d'abus et doit être prohibé. En l'espèce, force est de constater que les SMP relèvent bien de la catégorie générale du mercenariat et, pour être plus exact, d'une sous-catégorie de celui-ci, l'activité corsaire. Elles sont pour la majorité d'entre elles, sinon pour toutes, l'instrument privé de la politique étrangère de leur État de tutelle, le prolongement commercial de ses appareils de sécurité, et le moyen de sa dissimulation. Il est bien d'autres pistes qui méritent d'être explorées, et ne nous semblent pas l'avoir été suffisamment jusque-là. Parce qu'elles ne laissaient pas entrevoir les mêmes profits? Comme les mercenaires modernes sont inséparables de la domination du capital financier, et de ses conséquences sur le monde, les conflits du monde ont également partie liée avec cette domination, et appellent d'abord et avant tout expédient militaire des réponses politiques globales. le problème du mercenariat et des conflits innombrables du Sud est d'abord celui des dépendances confisquées et du néocolonialisme, de l'échange inégal et du pillage des richesses naturelles par les firmes multinationales (...). Bref, du capitalisme d'aujourd'hui."

 

Xavier RENOU, avec Philippe CHAPLEAU, Wayne MEDSEN et François-Xavier VERSCHAVE, La privatisation de la violence/Mercenariat & sociétés militaires privées au service du marché, Agone, Dossiers noirs d'Agir ici/Survie n°21, 2005, 490 pages.

 

 

Relu le 28 février 2020

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