Ce livre en deux volumes rassemble un grand nombre de textes théoriques écrits par Christine DELPHY (chercheuse au CNRS depuis 1966) au sujet de la "condition féminine" ou "question des femmes", et qu'avec la deuxième vague du féminisme du 20ème siècle, elle appelle "l'oppression des femmes et la question du patriarcat".
Le premier volume contient des textes de 1970 à 1978, le second de cette date aux années 1990. L'auteure participe dès 1968 à la construction des groupes fondateurs du Mouvement de Libération des Femmes et co-fonde avec Simone de BEAUVOIR les revues Questions féministes et Nouvelles Questions féministes.
Le premier volume, sous-titré Économie politique du patriarcat, reprend les problématiques fondatrices du féminisme matérialiste. Qui est l'ennemi principal?. Pour Christine DELPHY, il ne s'identifie ni à l'Homme, ni aux hommes en général. Ce n'est en effet ni une essence ni un groupe naturel : c'est un système. Or ce n'est pas non plus, ou plutôt pas principalement, pour elle, qui s'inspire de Karl MARX dans un parfait esprit hétérodoxe, le système capitaliste. L'Ennemi principal, c'est ce qu'elle a choisi d'appeler le patriarcat : à savoir un système autonome d'exploitation et de domination. Elle entreprend depuis plus de 20 ans d'en constituer la théorie. L'ennemi principal est le titre également de l'article de Christine DELPHY publié en 1970, la première année du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) qui marque le début d'une révolution dans la réflexion féministe. Elle introduit l'idée totalement nouvelle du patriarcat défini comme structure sociale hiérarchique et inégalitaire, en refusant toute explication de la subordination en termes idéalistes - que ce soit sur des bases biologiques, naturalistes ou essentialistes, ou bien encore fondées sur l'idéologie ou le "discours". Que ce féminisme soit un matérialisme signifie que ce sont les pratiques sociales matérielles qui rendent compte de la domination patriarcale sur les femmes.
Le second volume, sous-titré Penser le genre, présente la suite de son analyse matérialiste de la société, une analyse en termes de rapports sociaux et donc politiques, fondamentale pour la compréhension de toutes les oppressions, fondamentale à tout projet d'émancipation. Dans sa préface, "Critique de la raison naturelle", elle s'attache à "faire entendre des propos logiques", ce qui est moins facile qu'on ne l'imagine. Elle sait renverser les perspectives, contredire ce que l'on tient pour des évidences, cherchant à substituer une démarche scientifique aux discours quasi mystiques qu'on entend généralement sur ce sujet. Et constamment, elle demande à son lecteur d'essayer de penser au lieu d'être dans une passive empathie et d'adhérer par sympathie pour la cause.
Nous pouvons donc lire dans le premier tome, L'ennemi principal, publié dans Partisans, numéro spécial "Libération des femmes", de novembre 1970 : Travail ménager ou travail domestique? (paru en 1978, aux PUF, dans Les femmes dans la société marchande) ; Famille et consommation (La famille et la fonction de la consommation, Cahiers internationaux de sociologie, 1975) ; La transmission héréditaire (inédit, 1977) ; Mariage et divorce (dans Mariage et divorce, l'impasse à double face, Les Temps Modernes, mai 1974) ; Les femmes dans les études de stratification (dans Femmes, sexisme et sociétés, sous la coordination d'Andrée MICHEL, PUF, 1977) ; Nos amis et nous, Fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes (dans Questions Féministes, novembre 1977, éditions Tierce) ; Proto-féminisme et antiféminisme (Les Temps Modernes, mai 1976).
L'éditeur présente ce premier volume de la manière suivante : "Qui est l'ennemi principal? Pour la féministe matérialiste qu'est Christine DELPHY, il ne s'identifie ni à l'Homme - avec une majuscule -, ni aux hommes en général. Ce n'est en effet ni une essence ni un groupe naturel : c'est un système. Or ce n'est pas non plus, ou plutôt pas principalement, pour cette théoricienne qui s'inspire de Marx mais dans un esprit parfait d'hétérodoxie, le système capitaliste. L'Ennemi principal, c'est ce quelle a choisi d'appeler le patriarcat ; à savoir un système autonome d'exploitation et de domination. Elle a entrepris depuis plus de vingt ans d'en constituer la théorie, très exactement l'économie politique du patriarcat.
"L'Ennemi principal", c'est aussi le titre de l'article de Christine Delphy qui, publié en 1970, marque le début d'une révolution dans la réflexion féministe. Delphy introduit l'idée totalement nouvelle du patriarcat défini comme structure sociale hiérarchique et inégalitaire, en refusant toute explication de la subordination es femmes en termes idéalistes - que ce soit sur des bases biologiques, naturalistes ou essentialistes, ou bien encore fondées sur l'idéologie ou le "discours". Que ce féminisme soit un matérialisme signifie que ce sont les pratiques sociales matérielles qui rendent compte de la domination patriarcale sur les femmes. Traduits en anglais, en italien, en espagnol, en allemand, en grec ainsi qu'en turc et en japonais, les textes de ce recueil son désormais accessibles dans leur ensemble au public français.
La sociologie critique de Christine Delphy dévoile le parti pris andocentrique de la science sociale dominante et met en question sa prétention à l'objectivité. (Michael LÖWY)
Dans le deuxième tome, nous retrouvons, après la préface, Critique de la raison naturelle, Le patriarcat : Une oppression spécifique (le féminisme et ses enjeux, FEN, Edilig, 1988) ; Libération des femmes ou droits corporatistes des mères? (Nouvelles Questions Féministes, n°16-17-18, 1991) ; Un féminisme matérialiste est possible (Nouvelles Questions Féministes, n°4, Août 1982) ; Agriculture et travail domestique : la réponse de la bergère à Engels (NQF, n°5, 1985) ; L'état d'exception : la dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée (NQF, n°4, 1995) ; Le patriarcat, le féminisme et leurs intellectuelles (NQF, n°2, octobre 1981) ; Penser le genre : problèmes et résistances (Sexe et genre, Presses du CNRS, Sous la direction de M C HURTIG, 1991) ; Égalité, équivalence et équité (Version abrégée de Égalité, équivalence et équité : la position de l'État français au regard du droit international, NQF, n°1, 1995) ; Genre et classe en Europe (version abrégée de Marxisme, féminisme et enjeux actuels des luttes en France, Colloque Marx International, PUF, 1996) ; L'invention du "French Feminism" : une démarche essentielle (NQF, n°1, 1996) ; Les femmes et l'État (NQF, n°6-7, printemps 1984).
L'éditeur présente ce deuxième volume de la manière suivante : ""J'étudie l'oppression des femmes. Mais l'oppression des femmes est spécifique non pas parce que les femmes seraient spécifiques, mais parce que c'est un type d'oppression unique"." Après Économie politique du patriarcat (1998), Penser le genre constitue le tome 2 de L'Ennemi principal. L'auteure nous présente la suite de son analyse matérialiste de la société, une analyse en termes de rapports sociaux et donc politiques, fondamentale pour la compréhension de toutes les oppressions, fondamentale à tout projet d'émancipation.
"Voici un travail qui rompt avec le lyrisme, la religiosité, les proclamations à propos de la "différence des sexes" auxquels on est habitué depuis quelques années. Avec Christine Delphy, qui, dans sa méthode de sociologie, privilégie "la lenteur et la précaution", on n'est pas sommé de prendre position avant d'avoir observé, enquêté, étudié. Dans sa préface, "Critique de la raison naturelle", à elle seule un court essai problématisant l'ensemble du livre - composé d'interventions (entretien, études) sur des questions spécifiques -, elle s'attache à "faire entendre des propos logiques", ce qui est moins facile qu'on ne l'imagine. Elle sait renverser les perspectives, contredire ce que l'on tient pour des évidences, cherchant à substituer une démarche scientifique aux discours quasi mystiques qu'on entend généralement sur ce sujet. Et constamment, elle demande à son lecteur d'essayer de penser au lieu d'être dans une passive empathie et d'""adhérer". Autant dire qu'elle a du courage et qu'elle prend des risques en un temps où, comme elle le relève, "tout se passe comme si la différence des sexes était ce qui donne sens au monde"." (Josyane SAVIGNEAU)
Les deux volumes présentent chacun une bibliographie de référence.
Pour comprendre la position et les analyses du féminisme matérialiste, la réunion de ces articles est bienvenue. Loin d'être un ouvrage "dédié" seulement (ce qui serait déjà bien) à une militante et une théoricienne, il fournit des informations rarement présentées en provenance d'un ensemble assez grand d'actrices et d'acteurs du féminisme. il indique comment des analyses produites dans les années 1970 éclairent les débats récents concernant les relations entre les hommes et les femmes.
Christine DELPHY(née en 1941), chercheuse au CNRS depuis 1966 dans le domaine des études féministes ou "études genre, cofondatrice de Questions féministes (1977) et de Nouvelles Questions Féministes (1980), est aussi l'auteure d'autres ouvrages : Close to Home, (London, Hutchinson & The University of Massachisetts Press, 1984), Classer, dominer : qui sont les autres (La Fabrique, 2008), Un universalisme si particulier, Féminisme et exception française (Syllepse, 2010). Elle est co-auteure de Cinquantenaire du Deuxième sexe (Direction avec Sylvie CHAPERON, Syllepse, 2001), Le foulard islamique en question (Amsterdam, 2004), Un troussage de domestique (Direction, Syllepse, 2001)...
Christine DELPHY, L'ennemi principal, tomes 1 et 2, Éditions Syllepse, collection Nouvelles Questions Féministes, 1998 (réédition en 2002), 293 et 389 pages.
Complété le 17 janvier 2013. Relu le 13 novembre 2020