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19 février 2013 2 19 /02 /février /2013 09:10

             Parmi les conflits religieux les plus durs, ceux entre le Christianisme et le Judaïsme retiennent l'attention des historiens comme des théologiens. Entre la religion du Livre, qualifié par le premier de religion de l'Ancien Testament et la religion dite du Nouveau Testament, les combats sont acharnés depuis le début de l'ère chrétienne.

D'abord conflit entre sectes juives, ce conflit se transforme peu à peu en conflit entre vérités absolues de deux religions qui se veulent complètement différentes. Tout en empruntant au judaïsme un grand nombre de croyances et de pratiques, les chrétiens se livrent à une lutte féroce contre lui, au sein de l'Empire Romain d'abord, puis au sein du monde féodal et royal européen. Luttes d'influences, massacres, destructions matérielles (de biens intellectuels), constituent la trame des relations entre les deux religions. Il apparaît essentiel à la Chrétienté de ruiner en terre de mission, en Palestine et partout ailleurs, la puissance et le prestige du Juif (saint Jean Chrysostome) et de s'en servir en le gardant en tant que témoin avili de la Passion du Christ (saint Augustin), dont le peuple déicide était accusé de porter la responsabilité. Qualifié de faux Messie par l'une, qualifié de Sauveur pour l'autre, la figure de Jésus se fige dans le canon chrétien jusqu'à en faire une incarnation de Dieu dans une trinité (Père, Fils et Esprit) qui apparaît aux yeux du Juif (au strict monothéisme) blasphématoire. 

      L'enseignement du mépris (qui est au départ en partie réciproque) de la part des autorités chrétiennes se renforce d'une législation qui organise contre le Juif un impitoyable système d'avilissement (Jules Isaac) : sanctions rigoureuses contre le prosélytisme juif, contre les mariages mixtes, interdictions de bâtir ou de réparer les synagogues, exclusion de toutes les fonctions publiques, interdiction de posséder des esclaves chrétiens, dont la pratique l'exclue de fait de l'agriculture et de l'industrie, interdiction de commerce avec les Chrétiens... Des vagues d'expulsions et de bannissements frappent les populations juives, successivement d'Angleterre (1290), de France (1394), d'Espagne (1492) : elles n'ont le choix qu'entre l'expulsion et la conversion forcée... Parqués, volontairement ou de force, dans des quartiers réservés (ghettos à partir du XVIe siècle), les Juifs ne gardent pour subsister que le petit commerce, l'artisanat ou le commerce d'argent interdit aux Chrétiens. Cette dernière activité est pour eux, à travers les réseaux qui subsistent, source d'enrichissement parfois prodigieux mais aussi de persécutions jalouses d'États dans le besoin pour financer leurs guerres.

La ségrégation d'avec la culture chrétienne devient peu à peu absolue : les Juifs d'Europe, pendant le Moyen-Age, ne connaissent la théologie et la philosophie que ce qu'ils reçoivent un temps des Juifs d'Espagne. Ils ne produisent aucune oeuvre de théologie, de philosophie, de science ou de poésie digne d'être retenue. Sauf pour le cas notable toutefois, de la médecine... ce qui attire périodiquement sur eux l'accusation de sorcellerie... Leur culture est exclusivement biblique et talmudique. Leur littérature se constitue d'innombrables oeuvres d'exégèse de la Bible, des commentaires du Talmud. C'est essentiellement sur le plan mystique que le judaïsme d'Occident exprime son âme profonde, sur les bords du Rhin, au XIIe siècle, en Pologne au XVIIIe siècle. (André CHOURAQUI)

 

Kabbale et Hassidisme

     Au milieu des persécutions, se développent en Europe, dans des communautés juives fermées sur elles-mêmes, deux mouvements religieux principaux, la Kabbale et le Hassidisme. Si la Kabbale, entendu ici comme mouvement juif spécifique semble plonger selon plusieurs sources (aujourd'hui remises en question) ses racines au Ier siècle avant J-C. et se développer jusqu'au Xe siècle siècle avant de constituer le courant majeur juif européen vers le XIIe siècle, le Hassidisme est historiquement bien daté, naissant en Pologne et croissant du XVIIe au XVIIIe siècle.

Longtemps, suivant en cela une tradition implantée par les kabbalistes eux-mêmes, on a pensé ce courant profond et secret comme complétant, sans la contredire, l'initiation biblique et talmudique. D'essence ésotérique au départ et normalement en principe (les entorses sont de plus en plus nombreuses au fil des siècles...), ce courant est alimenté par plusieurs oeuvres :

- Le Livre de la Création (Sepher Yetsira), bref traité de moins de 1600 mots que la critique moderne date du IIIe au VIe siècle (SHOLEM, VAJDA). Il est enseigné et commenté sans discontinuité, jusqu'au XVIIIe siècle ;

- A partir de 1200, une abondante littérature kabbalistique circule en Provence et en Espagne ; elle déclare s'appuyer sur la tradition reçue des Anciens ou, fait nouveau, sur la grâce d'une inspiration divine. Abraham ben Samuel ABOULAFIA (1240-1292) de Saragosse, nourrit sa pensée aux deux sources de la théologie de MAÏMONIDE et de la littérature kabbalistique (Livre de la Création) pour rédiger plusieurs oeuvres : Le livre de la Vie Éternelle, La Lumière de l'Intelligence, Les paroles de la Beauté, La Livre de la Substitution. Il s'agit d'atteindre la délivrance intérieure par une science de la contemplation et de la combinaison des lettres ;

- En Allemagne, le mouvement mystique - mais ce n'est pas seulement une mystique - connaît un essor qui joue un rôle déterminant sur l'avenir du judaïsme européen (1150-1250). Trois figures surtout marquent ce mouvement, trois fondateurs du Hassidisme allemand, qui appartiennent à la même famille des Calonimos, d'origine italienne, Samuel le Saint (à Spire, au milieu du XIIe siècle), Yehouda le Saint (mort à Ratisbonne en 1217) et Eléazar ben Yéhouda de Worms (mort en 1228). BAER souligne les similitudes entre ce mysticisme juif médiéval et le mouvement monastique chrétien.

La position historique de rabbi Yehouda he-Hassid est voisine de celle de saint François d'Assise, son contemporain. La doctrine du Sepher Hassidim exige du disciple un renoncement ascétique aux choses de ce monde ; la pratique constante d'une stricte chasteté se complète par des pénitences souvent furieuses. Cette ascèse doit conduire à la contemplation sereine du mystère de Dieu. L'accomplissement de la volonté de Dieu, l'illumination qui laisse place uniquement à Dieu par le renoncement parfait à sa volonté (au détriment de soi) devient dans l'âme du fidèle un pur acte d'amour, souvent décrit dans le style du Cantique des Cantiques de la Torah, avec le vocabulaire et les images de l'érotisme, ce qui lui donne une apparence sulfureuse à l'extérieur. 

- Le Livre de la Splendeur (Sépher ha-Zohar) est le lieu de rencontre, selon celui-ci, des spiritualités juives, chrétiennes et musulmanes. C'est en Espagne que part l'essor de ce livre qui se situe immédiatement après la Bible et le Talmud, pour l'influence qu'il exerce pendant plusieurs siècles sur toute la judaïcité. Attribué au début  à Rabbi Siméon bar Yahaï, au IIe siècle, écrit ou compilé en réalité selon la critique moderne par Moïse de Léon (1250-1305), il se présente comme un véritable roman mystique, en araméen, commentaire des principaux passages du Pentateuque, entre lesquels s'intercalent différents traités particuliers. Immense théologie mystique du judaïsme, dont le but est de décrire la vie intérieure de Dieu et l'itinéraire de l'homme en marche vers l'union mystique, cette oeuvre sert de ralliement dans la communauté juive persécutée.

Rejetés hors du monde "qui compte" les Juifs se raccrochent à des possibilités d'atteindre individuellement et collectivement Dieu. Comme l'écrit André CHOURAQUI, "... cette oeuvre monumentale, pas plus que la Bible ou le Talmud, ne supporte d'être résumée ; Israël à nouveau se reconnut dans ce livre parce qu'il n'était pas de ceux qu'on lit, mais auxquels on se donne : sa méditation, menée de pair avec celle de la Bible et du Talmud, allait désormais conquérir des cercles de plus en plus grands de dévots de la Diaspora par l'ardente prédication des Kabbalistes des écoles de Safed". 

- L'expulsion d'Espagne (1492) marque le début d'un exil plus rigoureux d'hommes qui attendaient et annonçaient la rédemption : progressivement, les tendances apocalyptiques et messianiques du judaïsme se fondent avec l'eschatologie de la Kabbale. Les regards des Kabbalistes se tournent vers la Terre sainte, notamment pour renouer avec la transmission interrompue pendant la persécution d'Hadrien. Cette tentative de réunification du peuple juif, avec toute l'édification d'une nouvelle hiérarchie religieuse afin de renouer les fils cassés de la transmission (l'Ordination officielle) est menée notamment par Jacob BERAB (qui d'Espagne vient à Safed en 1534), où il réunit un Concile de docteurs de la foi.

Cette reconstitution du Sanhédrin est contestée par le rabbin de Jérusalemn Lévy ibn HABIB, qui estime et rappelle que seul le Messie, prêtre et roi, peut donner le pouvoir que l'Ordination avait pour but de transmettre. Du coup, ce vaste plan, pourtant soutenu par une littérature impressionnante (et un sens réel de la propagande...) échoue. Et Joseph CARO (1488-1575) prend acte de l'échec de cette réforme, empruntant d'autres moyens : il faut attendre tout de la volonté du Seigneur, et dans la déréliction de l'exil, force la grâce par la prière ; et monter l'ardente garde dans les ténèbres de la dernière vigile, comme il le présente, dans le style... de la Kabbale. Malgré cet échec, l'école de Safed perdure dans la même intention, remettant le projet à plus long terme, avec plus de ferveur : Isaac LOURIA (1534-1572) et son élève Hayym VITAL (1543-1620) produisent un néo-kabbalisme espagnol. L'enseignement de LOURIA se répand très largement dans chaque foyer juif. la pensée, les croyances, la liturgie, les rites, les pratiques du judaïsme sont modifiés et rénovés.

- A l'intérieur même de Kabbale, des auteurs "impatients" de la venue du Messie font apparaître imminente, contre l'orthodoxie juive, l'Apocalypse tant attendue. Ainsi Sabbataï ZÉVI (1626-1676) se proclame Messie lui-même, entraînant de nombreux fidèles dans les ghettos à entreprendre, dans un élan de ferveur (aiguillonné par une belle propagande encore une fois), le voyage "définitif" vers Israël. Même si l'entreprise (le voyage du "Messie" pour se faire reconnaître Roi d'Israël par le Sultan à Constantinople) tourne court, l'hérésie sabbataïenne allume en Europe de nombreux mouvements prophétiques et messianiques. Il faut noter que l'annonce du Messie sur terre est un phénomène largement récurrent dans le judaïsme, même s'il prend dans les ghettos une ampleur inopinée. Au temps de Jésus déjà, plusieurs Messie s'étaient déclarés...

- Le Kabbalisme de Safed donne naissance en Pologne au Hassidisme, ultime formulation religieuse du judaïsme de l'Exil. Le fondateur du mouvement, Israël ben ELIEZER (ou Israël Baal Shem TOV) (1700-1760), dans les Carpathes, loin de vouloir créer une nouvelle secte, veut promouvoir la réalisation intérieure des enseignements spirituels que les religions ont tendance à professer, sans forcément les vivre.

La situation des Juifs en Europe orientale se dégrade à cette époque énormément (surtout depuis les massacres ukrainiens de 1648, véritable désastre social, économique et culturel), ce qui accentue le repli sur l'étude du Talmud. Mais une partie de la population juive semble avoir trouvé la vue juive académique, sans spiritualité et sans joie. Aussi le Ba'al Chem TOV s'emploie à remédier à cette situation en mettant l'accent sur la célébration, la danse, le chant, la joie, l'affectif, l'enthousiasme et la ferveur. 

Effrayés par un certain déferlement d'enthousiasme mystique qui gagne nombre de communautés juives d'Europe orientale, les rabbins s'y opposent énergiquement. Les communautés sont à nouveau traversées par un schisme : d'un côté les hassidim, mus par un élan religieux qui les conduit parfois à des réalités qu'ils jugent authentiques de la vie de l'esprit, de l'autre les Mitnagdim, les opposants qui s'enferment dans un intellectualisme le plus austère. ELIE, le gaon de Vilna (1720-1797) représente cette dernière tendance, très présente également en Lituanie.

Les Hassidims s'organisent en communautés propres, avec leurs lieux de culte et leurs écoles. Certaines oeuvres hassidiques n'échappent pas à un certain panthéisme (Tania). La spiritualité du Hassidisme vulgarise en Europe les thèmes essentiels de la Kabbale en les réinterprétant avec le souci de les rendre accessibles aux masses pieuses. Sa littérature abondante fait parvenir la Kabbale au bout d'un processus, de l'ésotérisme le plus strict à l'exotérisme le plus poussé, en tout cas en apparence, de la communication d'une pensée qui est plus mystique et passionnelle que construite et logique, avec l'extrême avantage de vouloir toucher le maximum de fidèles à travers une revitalisation (exaltante) de l'Espoir de la fin de l'Exil. Le Hassidisme est aujourd'hui l'une des deux forces majeures (avec le mitnagdisme) de l'orthodoxie juive

 

Au judaïsme de nos jours....

      Les revendications d'une ancienneté et d'un retour aux sources du judaïsme de la Kabbale fut longtemps admises par les différents auteurs experts dans ce domaine. Mais Gershom SCHOLEM (1897-1982), après les avoir longtemps admises, étant lui-même proche des milieux kabbalistiques, a entrepris des études, d'abord favorables à cette thèse, puis défavorables. Dans son oeuvre impressionnante sur la Kabbale et tout ce qu'il y a autour, l'historien du judaïsme établit plusieurs sortes de mises au point :

- La Kabbale n'est pas aussi ancienne qu'elle le revendique, son apparition datant de la fin du XIIe siècle. Auparavant, elle n'existe pas sous la même forme structurée. Si nombre de ses sources se trouvent dans les idées et les images élaborées dans le judaïsme ancien, (mais elle n'est pas la seule à se l'approprier, on les retrouve sous une autre forme dans le judaïsme "officiel") sa symbolique n'apparaît qu'au Haut Moyen Age. Sous la plume de l'historien, suivant la période (avant ou après 1939), apparaissent les deux origines (supposée et réelle) de la Kabbale ;

- Le judaïsme ne se confond pas avec la Kabbale, même au niveau ésotérique. Et avec le temps, après le Moyen Age, leurs destinées ont tendance à bien se distinguer ;

- La Kabbale n'est pas seulement une mystique, mais aussi une théosophie qui cherche à dévoiler les mystères de la vie cachée de Dieu ainsi que les relations existantes entre la Vie divine d'une part et la vie de l'homme et de sa création d'autre part. Strictement, elle est une doctrine ésotérique et malgré les dénégations de ceux qui se disent kabbalistes après le Moyen Age, elle perd une grande partie de sa profondeur et de sa qualité. La liste des conditions de diffusion de cette doctrine est assez impressionnante (dans le Or Ne'erav de Moïse CORDOVERO par exemple) mais dans la pratique, malgré les protestations de nombreux kabbalistes, ces restrictions sont souvent négligées, et cela, dès le Haut Moyen Age. 

 

Gershom SCHOLEM, La Kabbale, Cerf, 2011. André CHOURAQUI, Histoire du Judaïsme, PUF, 1983. Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, Cerf/Robert Laffont, 1996.

 

RELIGIUS

 

Relu le 17 mars 2021

 

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