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29 mai 2013 3 29 /05 /mai /2013 12:32

      L'individualisme radical de Max STIRNER connut un sort "extrêmement curieux" selon Henri ARVON. "L'Unique et sa propriété, tombé peu d'années après sa publication dans un oubli total, connaît vers la fin du siècle une vogue étonnante. Surpris et enchantés de rencontrer chez un auteur d'avant 1848 les premiers accents d'une philosophie radicalement individualiste, les voix les plus autorisées le sacrent précurseur de Nietzsche. C'est grâce à ce patronage posthume qu'il est accepté enfin dans l'histoire de la philosophie. Mais ce n'est là - et nous pesons bien nos mots - qu'une hypothèse à peine défendable. Quant à Nietzsche lui-même, il ce cite jamais Stirner. Aussi Albert Lévy, auteur d'une thèse sur "Stirner et Nietzsche", s'est-il obligé de constater que "il n'y a pas de document qui permette d'affirmer que Stirner ait eu une influence sur Nietzsche". 

Par contre, Benjamin TUCKER, père de l'anarchisme américain, s'inspire du code éthique stirnéen. C'est un aspect inconnu de l'influence stirnéenne que nous tenons à relever. Mais c'est surtout aux efforts enthousiastes du poète John Henry Mackay (1864-1933) que nous devons la renaissance de la doctrine (stirnérienne). C'est grâce à lui que L'Unique et sa propriété devient le bréviaire de l'individualisme anarchiste. En France, deux traductions de son oeuvre, dues aux plumes de Reclaire et Lasvignes paraissent dans la même année de 1900. Traductions pleines de contresens d'ailleurs et pour ainsi dire inintelligibles qui desservaient la pensée stirnérienne plus qu'elle ne la servaient, au point que l'une des traductions, celle de Lasvignes, publiée par la Revue blanche, faisait dire à André Gide que L'Unique et sa propriété tant vanté n'était qu'un "pâté d'arêtes". Il n'en reste pas moins que Stirner, replacé dans sa véritable perspective qui est celle de l'hégélianisme, semble bien avoir été le penseur le plus original et le plus conséquent de l'anarchisme."

 

Deux types distincts d'individualisme aux États-Unis

    Max STIRNER est tout de même considéré comme le fondateur et le premier théoricien de l'individualisme anarchiste, même s'il se défend dans L'unique et sa propriété d'être anarchiste. En fait, l'individualisme radical a peu d'impact sur le développement de l'anarchisme au XIXe siècle. Lequel a bien d'autres influences et provient de bien d'autres courants philosophique et politique. 

     Les théories unicistes de Max STIRNER ont été lues, commentées et assimilées principalement en France et aux États-Unis, où elles ont donné naissance à deux types distincts d'individualisme anarchiste.

     Aux États-Unis, la pensée individualiste américaine, peu concurrencée par les théories holistes radicales portés par le mouvement ouvrier européen, évolue, au cours du XIXe siècle, d'un libéralisme influence par John Stuart MILL et SPENCER vers une position ultra-libérale, anti)étatiste et anti-autoritaire. S'appuyant sur des expériences pratiques de libre entreprise privée (comme pour Josiah WARREN), de vie en autarcie (expérimentée par exemple par THOREAU) ou d'actions juridiques anti-étatistes (comme celles de Lysander SPOONER), ce courant ultra-libéral, exposé à l'individualisme stirnérien et au mutualisme proudhonien, se mue en une forme d'anarchisme original et spécifiquement américain.

Deux penseurs font figure d'inspirateurs, Josiah WARREN et James L WALKER, qui posent dès les années 1860 les bases d'une philosophie faisant de l'égoïsme l'unique base de toutes les actions humaines. Les thèses anarchistes de WARREN et de WALKER sont ensuite reprises par Lysander SPOONER et surtout Benjamin TUCKER qui, bien avant MACKAY, découvre et vulgarise l'égoïsme stirnérien.

De façon générale, les anarchistes individualistes américains préconisent la libre association et rejettent les révolutions violentes. Ils optent plutôt pour la résistance passive et le refus d'obéissance comme moyen de faire advenir l'anarchie. Par exemple, TUCKER préconise le refus de pays l'impôt ainsi que la création de coopératives indépendantes, pratiquant le libre-échange commercial et même la fondation d'un système bancaire dégagé de l'emprise de l'État.  Il va de soi que ce genre d'entreprise ne s'arrête pas à la doctrine de Max STIRNER, qui constitue plus une référence qu'inspirant des programmes réels d'action. 

Les anarchistes individualistes américains ne sont pas opposés par principe à la propriété privée mais en critiquent l'utilisation qu'en font les institutions de domination sociale que sont la grande entreprise et l'État. Reconnaissant pour l'essentiel la notion de possession telle que définie par PROUDHON, ils ne s'opposent en réalité qu'à la nue-propriété et donc à tout revenu de prêt - tels que les bénéfices, les loyers et le salariat - tout en reconnaissant à chacun le droit de posséder son logement ou de travailler ses terres. C'est, selon les anarchistes américains, en ce sens l'usage seul qui fonde et légitime la propriété individuelle.

 

Le libertarianisme et l'anarcho-capitalisme

      Après la Seconde Guerre mondiale, les principaux thèmes de la pensée individualiste anarchiste américaine sont repris par Ayn RAND, considérée comme la fondatrice du libertarianisme et de l'anarcho-capitalisme. Ses disciples, dont Murray ROTHBARD est le plus brillant représentant, proposent, à partir des années 1960, une forme radicale de libertarianisme économique préconisant le remplacement du gouvernement par une simple agence rétribuée, chargée de protéger les individus, et un capitalisme libéré de toute ingérence étatique. Les héritiers de l'individualisme anarchiste américain sont actuellement divisés entre les minarchistes du Parti Libertarien et les "anarcho-capitalistes" qui souhaitent la dissolution de l'État dans le marché par la prise en main de tous ses pouvoirs par l'entreprise privée.

 

Des conceptions différentes en France et aux États-Unis

     En France, la philosophie de Max STIRNER se développe dans un terreau riche d'une longue tradition de luttes sociales. Alors que l'individualisme stirnérien se greffe aux États-Unis sur un support libéral et capitaliste, ce même individualisme se greffe en France sur un support plus révolutionnaire et résolument anticapitaliste. L'individualisme anarchiste français conserve donc des préoccupations sociales et égalitaires qui n'apparaissent pas chez les individualistes "anarcho-capitalistes" américains. Certains anarchiste comme Charles-Auguste BONTEMPS vont jusqu'à parler d'individualisme social, en considérant le Marché et la Propriété comme des fantômes stirnériens, des idées oppressives qui exigent le sacrifice de l'individu. 

     Actuellement, ce double héritage fait que certains anarchistes américains, collaborateurs de la revue Anarchy, a Journal of Desire Armed (Jason MCQUINN, Hakim BEY ou Bob BLACK) refusent cette étiquette individualiste même si leur pensée rejoint pour l'essentiel celle des individualistes anarchistes français, principalement par souci de se démarquer des libertariens et des "anarcho-capitalistes". Ils se disent partisans de l'anarchie post-gauchiste ou de l'anarchie, tout simplement.

     Au final, et cela dans le fil droit d'une dynamique de la pensée individualiste, les anarchistes, mêmes s'ils militent ou travaillent dans les mêmes organisations politiques ou organismes économiques, ne défendent jamais les mêmes théories : chaque anarchiste individualiste a sa philosophie de l'individualisme anarchique!  

Dans tous les cas, la plupart des individualistes anarchistes font une nette distinction entre la Société et leur association. Foncièrement aussi, l'individualiste anarchiste s'oppose généralement à l'idée révolutionnaire et des rêves du Grand Soir. Ils pensent généralement que les mouvements d'insurrection sombrent fatalement dans un organisationnisme militarisé aux antipodes de l'intérêt de l'individu. C'est donc à l'individu de se libérer, "ici et maintenant" selon une formule dont ils ne revendiquent pas le monopole, par son activité concrète.

Il s'agit de mettre en pratique leurs convictions libertaires, et cela dans tous les domaines de la vie, économique, sociale, politique, sexuelle. L'expérience immédiate de la liberté, pour beaucoup qui ne peuvent pas entreprendre des activités qui mettent entièrement en cause la vie quotidienne dans la Société, passe par des pratiques de végétarisme, de construction d'espaces libres, d'amour libre ou/et de naturisme. Tous ne partagent pas cette vision et veulent, par des activités politiques, oeuvrer à la libération sociale globale non imposée des individus, car ils estiment qu'elle est un préalable pour vivre réellement selon leurs aspirations.

 

Henri ARVON, L'anarchisme, PUF, collection Que sais-je?, 1971. Individualisme anarchiste, dans le site Internet http://fra.anarchopedia.org. 

 

PHILIUS

 

Relu le 20 avril 2021

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