L'historien doit effectuer un certain travail sur les sources pour comprendre comment l'on peut passer d'écrits anecdotiques sur les chrétiens - si l'on excepte bien sûr les écrits propre aux communautés chrétiennes - à une véritable histoire, tout au long des trois premiers siècles de leur religion alors qu'ils semblent faire irruption soudaine dans l'Histoire avec l'établissement vers 325 de celle-ci comme religion officielle de l'Empire romain.
En fait, il semble bien l'élaboration de cette histoire ait progressé de manière patiente, lente tout ce temps-là parmi des populations qui intéressent peu les auteurs romains, à savoir les pauvres, les esclaves, les femmes et les déshérités. Précisément les populations visées en premier lieu par la prédication chrétienne ; des fidèles qui, assez loin des débats des Pères de l'Église, vivent de manière intense leur foi... et leur solidarité fraternelle.
Une histoire du christianisme pleine de conflits
Se tenant à distance des entreprises de séduction des patriciens romains à coup de fêtes, de jeux et de distributions épisodiques de vivres, ces communautés grandissent dans une relative unité - malgré les distances - fondée sur une fidélité affichée de plus en plus ouvertement envers la tradition venue - oralement surtout - des apôtres et sur une grande ressemblance entre leurs confessions de foi et leur canons scripturaires. Etienne TROCMÉ décrit cette montée en puissance des communautés chrétiennes, surtout au IIIe siècle, en quantité, par le nombre des fidèles, et en qualité, par les classes sociales de plus en plus diverses et aisées sensibilisées à la nouvelle religion. Ce progrès de la religion chrétienne ne va pas sans conflit entre des approches qui se veulent rigoureuses des textes fondateurs et des tendances à l'édulcoration d'un rigorisme moral traditionnel, dénoncées par exemple par CLÉMENT d'Alexandrie. Mais même les auteurs proches ou membres des cercles dirigeants doivent admettre la légitimité de certains raffinements dans la toilette, la table, la tenue vestimentaire... Si les spectacles restent condamnés, si la pratique du commerce représente un risque grave par la richesse qu'elle peut entraîner, si la participation à la fonction publique (magistrats et soldats surtout) reste limitée (on ne contraint plus les fonctionnaires convertis à démissionner...), les chrétiens ne sont plus tenus à vivre à l'écart des païens. La morale sexuelle reste de rigueur dans les relations entre hommes et femmes, les périodes de jeûne et de prière - nombreuses - restent respectées et surtout l'idolâtrie est combattue avec opiniâtreté et obstination.
En fait la masse des chrétiens est surtout soucieuse de morale plus que de théologie, a fortiori de théologie de la guerre. C'est un combat moral qu'elle livre, à la fois contre les tentations des autres religions orientales, contre le paganisme et... contre les communautés juives. L'influence de la nouvelle religion chrétienne sur ce plan est telle que l'on peut parler, surtout après 250, de résistance philosophique à la menace chrétienne, avec PLOTIN (Contre les gnostiques, 264) et PORPHYRE (Contre les chrétiens, 275) en tête. D'importantes réactions populaires suscitées par l'expansion rapide de la foi chrétienne s'amplifient et appuient des persécutions périodiques, souvent limitées dans le temps et dans l'espace, au départ sans législation précise, persécutions qui mettent dans le même sac souvent Juifs et Chrétiens. Entre 250 et 325, ce sont surtout les Chrétiens qui sont visés, face à une communauté qui se dote d'une véritable organisation hiérarchique bénéficiant d'une masse de fidèles disciplinés : l'État romain pense devoir résoudre la "question chrétienne". L'Empereur DECIUS promulgue un édit en 250, très rigoureux, qui interdit le prosélytisme chrétien, le culte public et demande aux fidèles de sacrifier au dieux officiels, sous peine d'emprisonnement ou de torture, cherchant, comme d'ailleurs toute une série d'édits du même genre par la suite, plus à obtenir l'apostasie des chrétiens, soumis à la discipline qui interdit toute participation à un culte païen qu'à imposer un véritable conformisme religieux ou à noyer les Églises dans le sang.
A chaque prise d'édits de ce genre, mais c'est surtout le premier (de 250) qui prend les autorités chrétienne au dépourvu qui a un effet retentissant, avant longtemps, un double mouvement s'ensuit : une vague d'apostasie qui désorganise les communautés chrétiennes et un renforcement en réaction de la discipline religieuse (sous peine d'exclusion de tout le réseau d'entraide). Autre effet : l'émergence de véritables hérésies par rapport au canon officiel au succès redoutable qui se propagent en l'absence de cadres capables de les combattre. Autre effet encore, lorsque la répression devient massive : une accumulation de martyrs, de la part de fidèles qui refusent jusqu'au bout toute apostasie, qui se traduit à la fois par une désorganisation, encore, des communautés et par une notoriété accrue dans la population impressionnée par leur courage. A un tel point que le martyre devient un instrument de conquête des coeurs et des esprits...
La querelle entre Églises (Carthage et Rome par exemple) s'en trouve vivifiée, au sujet du baptême des hérétiques, du pardon aux apostasies, car les fidèles fautifs tentent, et c'est à chaque fois les mêmes vagues après la fin de chaque répression, de revenir dans les communautés. Des schismes sont d'ailleurs consommés, sous l'impulsion par exemple du prêtre NOVAT et du diacre FELISSIMUS, partisans d'un rigorisme sévère (et partisans du retour à une secte pure et dure). Dans cette période de la deuxième partie du IIIe siècle, l'Empire est traversé par plusieurs guerres civiles successives entre différents prétendants au titre d'Empereur et ce n'est qu'en 303, que l'Empire redevient un État fort et une société en bonne voie de restauration, lequel État tente alors d'apporter à la question chrétienne une solution finale. De son côté, le christianisme sort de la terrible crise hémorragique de 250-260. Si le gnosticisme, le marcionisme et le montanisme ne constituent plus une menace, ayant été en grande partie intégré au canon chrétien, les églises catholiques doivent combattre le manichéisme. Elles le font en s'organisant de manière centralisée, en multipliant les ministères de prédication, en établissant pour la première fois des paroisses, avec tout leur appareil économique et de culte, cela étant facilité par l'acquisition à la foi chrétienne de familles riches ou très riches, jusqu'à une partie de l'aristocratie romaine lasse des guerres civiles, et cela pratiquement dans toutes les provinces. Il s'effectue un véritable calque sur l'organisation administrative de l'Empire romain, ne serait-ce sans doute parce les fidèles venant de la fonction publique font bénéficier à la hiérarchie ecclésiastique de toute leur expérience. A côté de cette dernière structure administrative, se forment de petites communautés plus autarciques, attachées à l'exercice d'un culte et d'une morale plus rigoureuses, véritables précurseurs du monachisme, dont le IVe siècle, après l'établissement de l'Empire chrétien, voit la diffusion rapide.
Comme l'écrit Etienne TROCMÉ, "de plus en plus nombreuses, comptant des adhérents généreux et parfois fortunés, les Églises chrétiennes de la seconde moitié (du IIIe siècle) avaient accumulé un certain capital et disposaient de revenus appréciables, qu'elles distribuaient d'ailleurs libéralement à leurs membres nécessiteux. Elles obtinrent après 260 la restitution des immeubles confisqués pendant la persécution et veillèrent par la suite à préserver partout ces biens, dont elles avaient bien besoin pour assurer le culte et le logement de leurs principaux ministres. De ce fait, les Églises étaient obligées de ménager les autorités et n'avaient plus la même splendide indépendante qu'aux Ier et IIe siècles. Le moment des accommodements entre l'Église et l'État s'en trouvait rapproché." Et singulièrement, les paroles contre l'État, la guerre et le service militaire font l'objet, certainement, de la discipline de la hiérarchie catholique... Et cela d'autant plus que les cadres intellectuels des Églises ont été décapités, surtout parmi les théologiens, laissant un niveau intellectuel appauvri, à l'exception du groupe des disciples d'ORIGÈNE (METHODE) et de celui des disciples de LUCIEN d'Antioche (240-312). Ces derniers forment (lucianisme) une véritable théologie qui s'oppose à la tendance de faire de Jésus une divinité : une christologie restrictive qui est vivement combattue.
C'est seulement vers le IVe siècle, alors que l'Église d'Alexandrie bascule dans un pieux obscurantisme, qu'avec surtout ARNOBE (240-304?), LACTANCE (250-325) et COMMODIEN, une certaine littérature chrétienne, poétique et rhétorique, renaît véritablement, mais il faut attendre un peu plus tard, pour que l'élite intellectuelle chrétienne renoue avec la théologie (avec AUGUSTIN par exemple).
Vers 300 se font face alors deux véritables puissances : l'État romain et les Églises. Cela d'autant plus que la vivacité des débats entre chrétiens en arrive à l'éclosion de véritables troubles qui oblige les autorités romaines, au nom de l'ordre public (même si d'autres intentions président aux nouveaux édits), à entamer de nouvelles persécutions contre eux. Cette persécution sauvage et efficace (s'attaquant à la fois aux biens et aux personnes) aurait pu, si nous suivons Etienne TROCMÉ, décapiter le christianisme si à partir de 306, l'Empire n'était pas secoué par une nouvelle guerre civile entre armées romaines, sans doute moins dévastatrice que les précédentes, mais coûteuses en empereurs potentiels. L'échec de la nouvelle offensive chrétienne est alors un échec patent, même si la situation est très différente en Orient et en Occident, et partout, l'appui des chrétiens apparaît comme un facteur politique important dans les luttes pour le pouvoir, ne serait-ce qu'alors une partie non négligeable de certaines armées est composée de fidèles chrétiens. Ce qui n'empêche pas, qu'au moment de l'édit de 311, de CONSTANTIN et de LUCINIUS, qui établit la liberté de culte et ordonne la restitution d'un certain nom de biens, le bilan est très lourd pour les chrétiens : des dizaines de milliers de victimes, parmi lesquels des évêques et des théologiens, notamment sans doute de ceux qui étaient proches d'une lecture rigoureuse des textes fondateurs (notamment par rapport au service militaire ou à la guerre). Si les historiens discutent de la nature de la conversion au christianisme de l'Empereur CONSTANTIN, toujours est-il qu'il en est en mesure d'organiser un concile extraordinaire (ARLES, 313), d'intervenir dans tous les aspects organisationnels et doctrinaux de l'Église si affaiblie. Sous son règne, progressivement, il donne au christianisme des attributions juridiques, économiques et politiques dominantes, privilégiées par rapport aux autres religions. Alors que la victoire en Occident est complète, reste à conquérir pour l'Empereur l'Orient, dont les Églises, plus nombreuses que celles de l'Occident s'organisent entendant se doter de règles doctrinales et organisationnelles de manière indépendante, tant des Églises dépendantes encore de Rome que de l'État. LUCINIUS, qui avait hérité de la partie orientale de l'Empire réagit à ces "empiètements" et entreprend dès 320 une répression qui désorganise les Églises d'Orient, au moment même de la rupture avec CONSTANTIN.
Étienne TROCMÉ qualifie de guerre qui s'ensuit entre les deux rivaux (323) de guerre de religion, qui aboutit au triomphe constantinien du christianisme en Orient. Dès 325, des dotations foncières considérables sont affectées à l'alimentation d'un véritable budget du culte chrétien qui sert surtout à financer la construction de certaines grandes églises auxquelles la famille impériale s'intéresse particulièrement. Vu l'état d'avancement de l'intégration du christianisme dans la société, cette politique enthousiasme les masses chrétiennes qui adoptent cette assimilation croissante entre l'État et l'Église, sauf toutefois dans certaines régions (Palestine, Syrie...).
Triomphante, l'Église catholique doit faire face à la querelle arienne, qui porte entre autres sur la théologie de la Trinité, ARIUS cherchant à sauvegarder le rang du Père, seul à n'être ni engendré ni advenu, le Fils lui étant nettement subordonné. C'est encore autour de la lecture du Nouveau Testament que le conflit porte, ARUS voulant combattre une piété populaire qui confond presque entièrement le Christ et Dieu le Père. Face aux désordres entre chrétiens, CONSTANTIN organise le fameux Concile de Nicée (325), premier synode oecuménique qui rassemble réellement tous les représentants des Églises de la chrétienté, aux frais de l'État. Éblouis par le faste et le charisme de CONSTANTIN, les évêques adoptent un ensemble de dispositions (un symbole énonçant la christologie orthodoxe, encouragement du retour dans l'Église officielle des novatiens et de partisans hérétiques, règles de la hiérarchie) qui, même si elles donnent pour la première fois à l'unité des Églises catholiques une forme visible, connaissent des destins très divers. Les évêques se rendent compte un peu tard par la suite qu'ils entérinent finalement leur dépendance vis-à-vis de l'autorité impériale, ce qui se vérifie à la manière brutale dont par la suite CONSTANTIN réagit aux manquements de dispositions adoptées pendant le concile. Évidemment, toute théologie de la guerre doit obligatoirement alors prendre en compte la nouvelle configuration des rapports entre l'Église et l'État...
Etienne TROCMÉ termine son survol (très détaillé et que nous conseillons de lire) de l'histoire du christianisme primitif, par le constat de la frayeur des évêques devant la police de la foi opérée par l'Empire: "Ils n'avaient pas tort, car, au cours des décennies suivantes, les autorités impériales allaient faire du pouvoir ainsi acquis l'usage le plus imprévisible et le plus préjudiciable aux intérêts véritables des Églises qu'elles prétendaient défendre. L'Église avait cru se trouver un ami haut placé ; elle s'était donné un maître. Elle allait avoir fort à faire pour échapper à la captivité dorée qui lui était brusquement imposée. L'honneur de l'Église du IVe siècle est d'y avoir, au prix d'un gigantesque effort, à peu près réussi malgré son faux pas initial et bien des péripéties difficiles." Nous aurions plutôt tendance à penser que cette captivité si, sur le plan institutionnel, est effectivement de courte durée, laisse des traces indélébiles sur le plan théologique. Et notamment sur l'attitude des Églises sur la guerre.
Les contradictions entre textes et pratiques...
Les contradictions flagrantes qui règnent, selon Pierre CREPON, "entre le pacifisme du message évangélique et toutes les exactions commises au nom du Sauveur de l'humanité demeurent une source d'interrogation pour tous ceux qui se penchent sur l'épopée du christianisme."
C'est en invoquant successivement le loyalisme de Paul, une certaine attitude militante (et un langage parfois militaire ou guerrier) pour soutenir la foi chrétienne et la difficulté de soutenir le message évangélique dans une alliance entre l'État et l'Église après CONSTANTIN qu'il tente de montrer la logique qui conduit aux réflexions d'AUGUSTIN (354-430) et à la théorie de la guerre juste. L'aspiration originelle du christianisme à l'universalisme et une certaine propension des Pères de l'Église au dogmatisme fournissent également une explication à la véhémence des princes chrétiens désireux de conduite les masses pieuses dans des Croisades.
Face à l'Empire hostile, pendant les trois premiers siècles, les penseurs de l'Église durent poser les pierres d'une réflexion sur les rapports entre les communautés chrétiennes et l'État. La réflexion de PAUL, de la tendance paulienne du christianisme originel, s'oriente dans ses Épîtres, vers un loyalisme qui veut développer la position de Jésus. Il n'est pas question de nier l'autorité de l'État, mais il faut la replacer à l'intérieur de son domaine propre. L'attitude paulienne est double : d'une part il faut se soumettre à l'autorité de l'État dans la mesure où celui-ci participe à l'ordonnance du monde qui est voulu par Dieu. D'autre part, l'État est un phénomène passager, dans l'attente de la Fin des temps, auquel on ne peut se plier entièrement, surtout s'il veut s'ériger en absolu et s'approprier le domaine qui revient à Dieu.
Nous pouvons lire dans l'épître aux romains : "Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n'y a d'autorité que Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s'oppose à l'autorité se rebelle contre l'ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas avoir à craindre l'autorité? Fais le bien, tu recevras ses éloges, car elle est au service de Dieu pour t'inciter au Bien. Mais si tu fais le mal, alors crains. Car ce n'est pas en vain qu'elle porte le glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur. C'est pourquoi il est nécessaire, non seulement par crainte de la colère, mais encore par motif de conscience (...)". Un tel texte peut être pris pour commandement d'obéissance (et il a été utilisé dans ce sens...), mais il faut le replacer dans l'ensemble de l'Épitre, qui exhorte les chrétiens au commandement de l'amour : "Ne te laisse pas convaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le Bien" ; "(...) celui qui aime son prochain a pleinement accompli la loi". Du coup, la légitimité du pouvoir de l'État est seulement fonction de sa capacité à faire le bien, soit à régner pour permettre un ordre propice à l'accomplissement de la volonté divine, ce que Paul lui-même met en doute à plusieurs reprises lors de ses prédications (Lettres aux Corinthiens, par exemple). Tant que ce pouvoir est attaché à la célébration des cultes païens, il ne peut recevoir l'obéissance, ce que les écrits de TERTULLIEN et ORIGÈNE confirment (Contre Celse, d'ORIGÈNE...).
Pendant toute la première période de l'Église, les déclarations de loyalisme envers l'État s'accompagnent d'une pratique intransigeante de la foi et des préceptes évangéliques qui peuvent conduire au martyre. Pour mener une lutte contre les tentations de reniement de cette foi, notamment lors des nombreuses et diverses persécutions, PAUL écrit par exemple : "Pour finir, armez-vous de force dans le Seigneur, de sa force dans le Seigneur, de sa force toute-puissante. Revêtez l'armure de Dieu pour être en état de tenir face aux manoeuvres du diable (...) Debout, donc! à la taille, la vérité pour ceinturon, avec la justice pour cuirasse et, comme chaussures aux pieds, l'élan pour annoncer l'Évangile de la paix. Prenez surtout le bouclier de la foi, il vous permettra d'éteindre tous les projectiles enflammés du Malin. Recevez enfin le casque du salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu". Le refus de tuer inscrit dans le prescription mosaÏque "Tu ne tueras point!" et l'attitude de Jésus, en tout cas celle qui est retenue dans l'élaboration du Nouveau Testament, donne au christianisme une tonalité non-violente, d'ailleurs nettement affirmée par LACTANCE (notamment dans ses Institutes), pourtant contemporain de CONSTANTIN.
Nous pouvons lire ainsi : "L'homme est une créature tellement sacro-sainte qu'il est toujours mal de le tuer (...) en aucun cas on ne peut désobéir à ce commandement de Dieu." Mais ce refus de tuer est évidemment incompatible avec le métier de soldat. S'il est vrai au début que très rarement la conscription est utilisés par les Romains dans les communautés chrétiennes, ce n'est plus le cas au IVe siècle. Si pour les théologiens, le chrétien ne peut mener qu'un combat spirituel même si ce combat est emprunt dans les textes parfois poétiques des Pères de l'Église d'un esprit guerrier, comme en témoigne un texte de CLEMENT d'Alexandrie : "Maintenant retentit la voix puissante de la trompette appelant aux armes les soldats des nations, annonçant la guerre. Mais le Christ qui a lancé ses appels à la paix jusqu'aux extrémités de la terre, Ne rassemblera-t-il pas ses soldats de paix? oui, Homme, par son sang et par sa parole il a appelé aux armes une armée qui ne verse pas le sang; A ces soldats il a remis le Royaume des cieux. La trompette du Christ est son Évangile. Il l'a fait retentir à nos oreilles et nous l'avons entendue. Armons-nous pour la paix, revêtons l'armure de la justice, saisissons le bouclier de la foi, Le casque du salut, Et aiguisons l'épée de l'esprit qui est la parole de Dieu. C'est ainsi que l'Apôtre nous prépare pacifiquement au combat. ce sont là les armes qui nous rendent invulnérables. Ainsi armés, préparons-nous à combattre le Malin. Repoussons ses assauts ardents avec la lame que le Verbe lui-même a trempée dans les eaux du baptême. Répondons à la bonté de Dieu par la louange et l'action de grâce. Honorons à la bonté de Dieu par la louange et l'action de grâce. Honorons-le en répétant par la louange et l'action de grâce. Honorons-le en répétant ses paroles divines : "Tu m'invoques encore", dit le Seigneur, "et me voici'." (texte cité par S WINDASS, Le christianisme et la violence, le Cerf, 1966).
Le caractère parcellaire de la littérature qui nous est parvenue nous interdit de donner le ton dominant de la hiérarchie catholique tout au long de ces trois siècles. Toutefois, nous nous doutons, vu la pratique de détruire les écrits qui n'entrent pas dans la norme du moment, que les autorités acceptant la protection de l'Empire n'ait pas laissé trop diffusé des textes rappelant de manière un peu trop insistante ce commandement de ne pas tuer, ni ceux qui critiquent la présence de plus en plus grande de chrétiens dans les armées.
Le pacifisme affirmé de la morale évangélique et la non-violence des premiers martyrs ne survécurent pas au mariage de l'Église et de l'État, écrit Pierre CREPON. "L'Église fut prise dans l'engrenage infernal de la justification théologique des actions commises par le pouvoir temporel. Elle devient même la source d'une nouvelle violence, dans son obstination à croire qu'elle était la seule détentrice d'une vérité valable pour toute l'humanité. Aux conflits traditionnels, le christianisme ajouta la guerre aux dieux païens et la chasse aux hérétiques, sans compter le retour aux vieux rêves eschatologiques d'où surgirent les milices du Christ porteurs, cette fois, d'armes bien réelles." Dans la littérature théologique se côtoient alors les écrits justifiants les violences du pouvoir, ceux qui tentent de rappeler les préceptes contenus dans le Sermon sur la montagne et ceux encore qui tentent d'élaborer une doctrine théologique, comme AUGUSTIN, contemporain de la désagrégation de l'empire et de la menace croissante des déprédations des troupes barbares, qui veut concilier violence et Écriture.
Des ruptures affirmées entre ancienne et nouvelle alliance, notamment par rapport à la violence....
Georges MINOIS, rappelle que "le Nouveau Testament modifie radicalement les perspectives dans la mesure où il ne s'inscrit plus dans une optique collective. C'est là peut-être la rupture la plus spectaculaire entre l'ancienne et la nouvelle Alliance" faisant référence à une lecture qui ne devient courante, mais sans doute à peine dominante, qu'au IIe siècle, tant les Évangiles dits apocryphes circulent encore longtemps.
"Le Christ ne s'adresse pas à un peuple, mais à des individus, d'où le caractère déroutant de son enseignement pour ceux qui se situent toujours dans l'esprit de l'Ancien Testament. Ils essaient de déchiffrer dans les paroles de Jésus des indications sur le sort d'Israël, dans la ligne des anciens prophètes. Le Royaume ne saurait être que l'institution bien terrestre d'un État hébreu, la restauration de l'ancien Israël, de la monarchie davidique. D'où l'accumulation des malentendus et ambiguïtés."
Ce malentendu pourrait d'ailleurs avoir été l'interprétation dominante au moins jusqu'à la destruction de l'Église de Jérusalem, vers 70. "L'Ancien Testament était plein de guerres entre les peuples; le Nouveau Testament est centré sur le destin individuel, et s'il y est question de guerre, c'est d'une guerre intérieure à l'âme qu'il s'agit, d'un combat spirituel contre le péché. Chercher un enseignement du Christ sur la guerre est vain. La guerres est un affrontement violent entre des collectivités organisées ; Jésus ne s'est intéressé qu'au comportement individuel. Cela expliquerait le caractère obscur et contradictoire des propos qui lui sont prêtés si l'on veut y voir un enseignement sur la guerre. Chacun croira y trouver son compte" en accumulant les citations prises ici ou là. "pendant des siècles, les chrétiens vont puiser dans ces paroles et dans ces gestes des justifications totalement opposées de la paix et de la guerre (...)". En fait, l'enseignement de Jésus ou du Christ ou de Jésus-Christ, ne parle pas de la guerre, mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut se livrer à une analyse plus profonde. Jésus n'est sans doute pas l'équivalent d'un pacifiste, et fait figure plutôt d'agitateur politique. On peut se poser la question de savoir si l'échec des révoltes armées menées par les zélotes, celui aussi de la secte essénienne qui raconte dans le Rouleau de la guerre des fils de lumière contre les fils de ténèbres, le déroulement du combat de l'Apocalypse... ne conduisent pas après la destruction de Jérusalem par TITUS en 70, les divulgateurs oraux ou écrits de la parole du Christ à atténuer ou gommer ses propos et attitudes belliqueuses... Le malentendu paraît si énorme pour Georges MINOIS s'interroge là-dessus. Quoi qu'il en soit, les succès ultérieurs de la prédication chrétienne sont portés, surtout à partir du IIe siècle par des textes qui, s'ils font silence sur la guerre, n'en délivre pas moins un message pacifique : Aimez-vous les uns les autres, même vos ennemis...
Georges MINOIS, L'Église et la guerre, Fayard, 1994 ; Étienne TROCMÉ, Le christianisme jusqu'à 325, dans Histoire des religions II*, Gallimard, 2001 ; Pierre CRÉPON, Les religions et la guerre, Albin Michel, 1991.
On consultera pour se rendre compte de la variété des Évangiles en circulation : Évangiles apocryphes, Réunis et présentés par France QUÉRÉ, Éditions du Seuil, 1983.
RELIGIUS
Relu le 25 juillet 2020