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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 15:04

         La diversification et la conversion des industries d'armement constituent les deux voies principalement adoptées par des entreprises d'armement en difficulté, soit de par une volonté politique délibérée de réduction des dépenses militaires, soit le plus souvent, du fait de changements stratégiques ou militaires. 

 

      La diversification implique un accroissement dans l'hétérogénéité des marchés développés individuellement par les firmes militaires. Elle réduit l'importance du secteur militaire dans l'activité de l'entreprise, alors que la conversion conduit à l'élimination progressive du volet militaire. La diversification constitue en fait une adaptation au marché des armements des entreprises du secteur. Elle peut être réalisée par l'acquisition et/ou le désinvestissement, sans essai d'utilisation du capital et des actifs humains disponibles. Cependant, il y a peu d'entreprises capables de développer des technologies duales, non du fait de la nature de leur activité (électronique, informatique, systèmes de guidage par exemple), mais parce que les autorités militaires fonctionnent souvent à la frontière de ce qui est possible (quitte à provoquer des maximisations des coûts), alors que le secteur civil se préoccupe d'abord du profit. Nous pouvons distinguer six politiques de diversification :

- la diversification du marché. Elle consiste à rechercher des débouchés civils à des produits militaires (par l'intermédiaire du marché de la sécurité au sens large) et favorise le développement de technologies duales, répondant à la fois aux besoins civils et militaires. Elle engendre une réorganisation, une spécialisation des maîtres d'oeuvre et une plus profonde intégration des sous-traitants dans le processus de production. Souvent, cette stratégie échoue, tant les coûts proposés s'avèrent élevés au regard des critères commerciaux. A moins d'être soutenue par l'État par des subventions plus ou moins déguisées. Certaines entreprises la pratiquent avec succès, comme la Sagem en France, parce qu'elle a su éviter la dispersion de ses ressources en sélectionnant quelques créneaux prometteurs, en s'assurant des débouchés et en multipliant les accords de partenariat de manière à limiter et à partager les coûts de développement. 

- la diversification géographique qui permet des relocalisations. Ainsi l'Aérospatiale a acquis des installations aux États-Unis afin d'accéder plus aisément aux contrats américains et de contourner une législation protectionniste. Cette stratégie n'est pas toujours efficace dans le cas d'un marché en baisse, surtout lorsque jouent encore les critères de préférence nationale.

- la diversification de portefeuille qui repose sur des opérations financières d'achats et de ventes d'entreprises. Les grandes firmes d'armement sont souvent contrôlées par de puissants conglomérats financiers. Cette diversification permet d'assurer la survie des grandes superstructures financières, mais elle n'offre aucune garantie de non fermeture des entreprises elles-mêmes. C'est ainsi qu'aux États-Unis, General Dynamics a été remarquée pour ses performances boursières, que certains experts ont attribués à l'habilité de ses dirigeants à dépecer une société, grâce à de savantes combinaisons comptables imaginatives.

- la diversification de la production. Elle s'adresse aux unités de production et se rapproche de la conversion. Elle recherche des solutions à l'emploi et à la stabilisation des économies locales.

- la réduction des activités de l'entreprise. Ce n'est pas une stratégie de protection sauf lorsque les activités restent militaires. Elle rend l'entreprise plus vulnérable à de nouvelles réductions des dépenses, érodant encore ses bases technologiques.

- la diversification externe qui conduit à l'acquisition ou à des accords stables et durables avec d'autres firmes. Très utilisée, elle permet la diversification par des alliances stratégiques entre les fournisseurs, les consommateurs et l'État. Cependant, cette action, souvent suscitée par l'État, peut n'être que temporaire ou limitée.

 

        La conversion suppose de répondre à une question clé et préalable : veut-on maintenir, développer ou diminuer l'activité de l'entreprise, avec en toile de fond la volonté de préserver l'emploi? Il faut distinguer alors conversion et politique d'ajustement ou politique industrielle, qui s'attachent à la mise en valeur des capacités d'une communauté donnée. La conversion fait appel à la réutilisation d'une ancienne installation militaire (ce peut être une base militaire ou un outil de production) afin de la transformer de manière à lui donner des usages civils (centre d'éducation ou de santé ou atelier de production civile). Or, avec la domination de l'idéologie du "laissez faire" et la disparition de l'idée de planification (très sensible en France notamment), le processus de conversion s'individualise, se régionalise, alors même qu'il devrait constituer un enjeu national et même international faisant intervenir les différentes parties concernées. Idéalement, il est préférable de convertir les armes en faveur de biens socialement utiles, avec, aujourd'hui, une nouvelle préoccupation environnementale. Nous pouvons distinguer trois sortes de conversion :

- la conversion par commande de l'État dans un contexte planifié. Elle n'a pas démontré son efficacité en Russie. Cependant, les efforts publics engagés n'ont pas encore été à la hauteur des objectifs de conversion pour juger de leur opportunité globale.

- la conversion par diffusion qui est la règle des économies de marché. C'est aux entreprises individuelles de définir des stratégies de conversion, soit par une diversification planifiée, soit en renforçant les activités civiles.

- la conversion par la communauté (collectivité locale, syndicats, organisations et mouvements pour le désarmement...). Elle n'a pas toujours réussi à maintenir les travailleurs sur le site. Cependant, aux États-Unis, c'est bien au niveau des États (Californie, Massachusetts, Minnoseta, Missouri...) que nous trouvons les tentatives les plus sérieuses conjuguant les efforts de différentes institutions locales, pour amortir les effets des restructurations.

   Dans l'ensemble, les conversions les plus réussies ont été décidées par la direction des entreprises, tandis que les efforts des syndicats dans ce sens sont peu probants. Mais les résultats industriels de la conversion restent globalement décevants.

 

       L'appréciation de la réussite ou de l'échec de la diversification ou de la conversion reste délicate pour deux grandes raisons : d'abord les efforts dans ce sens depuis la fin de la guerre froide, pour prendre une période récente (en dehors des expériences post-première ou seconde guerre mondiale) sont encore récents et manquent de fermeté la plupart du temps ; ensuite, les études globales sur des diversifications ou des conversions manquent.

Si dans les années 1980, des institutions nationales et internationales produisent des études argumentées et optimistes, actuellement la plupart des travaux portent sur des expériences nationales ou régionales. In pursuit of disarmament, de Inga THORSSON, pour ce qui est de la Suède, donnait une vue globale et précise de ce peut apporter la conversion, tandis que les études américaines, russes et françaises se centrent, s'arc-boutent presque, sur les évolutions de l'industrie nationale d'armement (voir par exemple les études réunies par Les Études de la Documentation Française). Defense Conversion, d'Alex GREEN de l'Université de Floride et de Victor CHERNYY du Bureau de reconversion de l'Ukraine, publié en 1996, fait figure d'exception.

    Résultat de trois conférences, organisées entre 1992 et 1994, réunissant divers spécialistes américains, russes et ukrainiens, mais malheureusement avec peu d'européens (au sens des pays de l'Union Européenne), désireux de tirer du processus de reconversion dans leurs pays, des leçons globales, ce dernier livre met en évidence des visions contrastées entre Russes, Américains et Ukrainiens. Ces contrastes trouvent leur source bien entendu dans des réalités bien différentes.

Si le processus de reconversion est important pour l'industrie américaine, il est crucial pour l'économie et la stabilité des anciens pays de l'URSS. La reconversion dans ces pays-là a des effets directs sur la sécurité et l'environnement des pays voisins, et même au-delà. Les collaborateurs américains de cet ouvrage voient la reconversion de manière spécifique, et décrivent des projets précis de reconversion mis sur pied, souvent par des entreprises commerciales. Les Russes et les Ukrainiens examinent d'abord les ramifications de la guerre froide avant d'envisager les possibilités offerts par la reconversion, laquelle touche des industries entières, et est liée à des programmes de destruction d'armes massives (nucléaires et chimiques notamment). Si les Américains s'intéressent aux programmes d'assistance gouvernementale à la reconversion, les Russes et les Ukrainiens s'inquiètent de la fragilité économique de leurs sociétés. De manière générale, la reconversion en Russie et en Ukraine apparaît comme plus problématique qu'aux États-Unis. D'un autre côté, étant donné la centralisation qui orientait autrefois toute l'économie soviétique, on a l'impression que des industries entières peuvent être lancées - techniquement parlant - du jour au lendemain. 

Dans ces trois pays, la reconversion se résume de manière analogue à une lutte dans laquelle les hommes politiques et industriels préférant la voie de l'exportation par rapport à celle de la reconversion forment un noyau de résistance puissant face aux partisans de la reconversion des industries d'armement. Dans ces trois pays également, la production d'armements s'avère concentrée dans des régions bien délimitées et les bouleversements d'une conversion exigent des efforts particuliers.

 

Richard PETRIS, La conversion des industries d'armement, Les armes d'une école de paix, Grenoble, 1993. Inga THORSSON, In pursuit of disarmament, Conversion from military to civil production in Sweden, 2 volumes, liber Allmanna Forlaget, 1985. Sous la direction de Roland de Penanros, Reconversion des industries d'armement, Crise, adaptation sectorielle et développement régional, Les Études de la Documentation Française, 1995. Alex GREEN et Victor CHERNYY, Defense Conversion,1996.

 

                                                    PAXUS

 

Relu le 6 avril 2020

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