Les ondes sonores agissent directement sur notre cerveau, ceci est établi depuis un moment. La perception de ces sons peut engendrer, dans certaines circonstances et suivant leur intensité, un sentiment de violence exercée sur l'ensemble de notre personne. L'augmentation du niveau sonore de notre environnement, notamment depuis l'ère industrielle, dans de multiples lieux (et notamment dans les transports et venant du voisinage, à l'heure d'un surpeuplement urbain) constitue selon de nombreux organismes, officiels ou non, une augmentation de nuisances qui sont ressenties comme autant de violences. En retour, ces bruits engendrent des conduites agressives très étudiées.
Les effets multiformes du bruit
En France, par exemple, pour l'Association Française de Normalisation, comme le rappellent Alain MUZET et Patricia TASSI, le bruit "est un phénomène acoustique n'ayant pas de composantes définies et produisant une sensation auditive désagréable". Ils citent le Petit Robert pour lequel le bruit est tout ce qui n'est pas perçu par l'ouïe comme son musical, un phénomène acoustique dû à la superposition des vibrations diverses non harmoniques. L'activité humaine, sous toutes ses formes, crée un niveau sonore, constitué de "bruits" et de "non-bruits" selon la nature et la pertinence des phénomènes acoustiques produits. Certains de ces phénomènes sonores sont considérés comme étant acceptables ou même désirés (communication verbale, musique...), tandis que d'autres sont franchement indésirables, voire insupportables (bruits de voisinage, de circulation automobile ou aérienne...) Il s'agit donc, pour ces deux auteurs, sur le plan acoustique, d'une agression, d'une forme de violence. Et comme toutes les formes de violence, le bruit peut avoir des répercussions négatives sur la santé.
La définition de la santé dépend quant à elle du contexte social et culturel dans lequel elle est employée. Pour l'Organisation Mondiale de la Santé, "la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et non pas simplement l'absence de maladie ou d'infirmité."
Il faut distinguer les effets directs et indirects de ces bruits.
La répétition des phénomènes sonores peut constituer une véritable agression de l'organisme. Cette agression va parfois jusqu'à constituer un danger pour l'intégrité de l'individu. De plus, la personne "agressée" par le bruit devient plus vulnérable à l'action d'autres facteurs de l'environnement, que ces derniers soient physiques, chimiques ou bactériologiques. On peut observer plusieurs effets directs du bruit :
- la fatigue auditive ;
- la surdité ;
- la déstructuration du sommeil.
Les effets du bruit ne se limitent pas à l'appareil auditif, aux voies nerveuses et aux aires cérébrales spécifiques à l'audition. Du fait de l'étroite interconnexion des différentes voies nerveuses, les messages nerveux d'origine acoustique atteignent de façon secondaire d'autres centres nerveux et provoquent des réactions plus ou moins spécifiques et plus ou moins marquées au niveau d'autres fonctions physiologiques et psychologiques. Ainsi les effets indirects du bruit sont multiples :
- sur la sphère végétative, dans le système cardio-vasculaire ;
- sur le système endocrinien, le bruit entraînant une élévation de la sécrétion d'hormones liées au stress (adrénaline, noradrénaline, cortisol), notamment pendant la période de sommeil ;
- sur le système immunitaire, du fait des modifications au niveau endocrinien ;
- sur le psychisme, notamment chez les personnes présentant un état dépressif ;
- sur l'apprentissage, dans un premier temps effet positif d'activation de l'attention puis dans un second temps effet négatif par fatigue précoce.
On peut consulter l'ouvrage de J. P. CIATTONI (Le bruit, Privat, 1997) ou de A. MUZET (le bruit, Flammarion, 1999) sur les aspects généraux et de manière plus spécifique l'ouvrage de P. CHAMPELOVIER et de ses collaborateurs (Evaluation de la gène due à l'exposition combinée au bruits routiers et ferroviaires, INRETS, 2003) ou de J. P. GUALEZZI (le bruit dans la ville, Rapport du Conseil économique et social, Journaux Officiels, 1998). L'AFFSET publie un ouvrage beaucoup utilisé, Santé et environnement : enjeux et clés de lecture (2005). Les synthèses de l'ASEF (Association Santé Environnement France, www.asef-asso.fr) sont très instructives dans ce domaine des effets du bruit.
Le facteur bruit dans les conduites agressives
Dans son étude globale sur les conduites agressives, Farzaneh PAHLAVAN pose la question : le bruit peut-il augmenter la probabilité de l'agression? "Le bruit peut aussi être à l'origine de symptômes d'agression de même que le stress ou l'absence de comportement d'aide et de courtoisie".
Elle évoque plusieurs études qui vont dans ce sens :
- L'étude de DONNERSTEIN et WILSON (The effect of noise and perceived control upon ongoing and subsequent aggressive behavior, Journal of Personnality and Social Psychology n°34, 1976) sur des sujets participant à une tâche d'apprentissage au cours de laquelle ils ont la possibilité d'administrer des chocs électriques à leur provocateur. "Pendant la tâche d'apprentissage, les sujets portent un casque à travers lequel ils entendent pendant une seconde soit un son intense (95 décibels), soit un son moins intense (65 décibels). Les résultats montrent que les sujets provoqués administrent plus de chocs lorsqu'ils sont exposés à un son intense" ;
- L'étude de R. G. GEEN et de E. J. MCCOWN (Effects of noise and attak on aggression ans physiological aousal, Motivation and Emotion n°8, 1984) sur des sujets également provoqués. Ils constatent que ceux-ci "agressent moins lorsqu'ils ont la possibilité d'arrêter un son intense de deux secondes (85 décibels), ou lorsqu'ils sont informés que le son peut augmenter leur niveau d'éveil physiologiques" ;
- L'étude de J. F. DOVIDIO et W. N. MORRIS (Effects of stress and commo-nality of fate on helping behavior, Journal of Personnality ans Social Psychology, n°31, 1975). Les auteurs montrent que "la présence physique du sujet jugé inverse le résultat obtenu dans les expériences de jugement d'un sujet fictif. (Ils) ont étudié le jugement émis par des sujets concernant un partenaire présent en même temps qu'eux dans la salle d'expérience, mais aussi un autre individu inconnu et absent. Ces jugements ont été émis d'abord dans un environnement bruyant (95 décibels), puis dans un environnement neutre (32 décibels). Les jugements portant sur une personne présente sont plus favorables lorsque la personne qui juge et celle qui est jugée sont soumis à la stimulation "aversive" que lorsqu'elles se trouvent dans la situation neutre. Lorsqu'il s'agit de juger un inconnu absent, les jugements les plus favorables sont exprimés en situation neutre."
Pour Farzaneh PAHLAVAN, "ces études indiquent l'importance du lien entre l'effet de contrôle et l'éveil physiologique concernant la relation entre bruit et agression. Un son désagréable peut certes augmenter l'éveil physiologique et la probabilité de l'agression. cependant, lorsque l'individu sait que le bruit peut être contrôlé ou qu'il connaît l'origine de son état physiologique, cela peut réduire les changements sur ces deux niveaux du fonctionnement psychologique."
Dans une autre étude de 1978, ROTTON, FREY et SALER, cité par BARON et ses collaborateurs (Human Agression, Plenum Press, 1994), montrent "que des sujets jugeant un autre individu qu'ils tiennent pour assez similaire à eux-mêmes émettent des évaluations plus favorables lorsque le sujet et celui qu'il juge sont dans la pièce où a été diffusée une odeur "aversive" plutôt que dans une pièce "neutre". Cherchant à montrer que ces résultats s'expliquent en fonction du modèle du "malheur partagé", ROTTON, FREY, BARRY, MILLIGAN et FITZPATRICK (1979, toujours cité par BARON en 1994) ont utilisé une situation identique à la précédente, dans laquelle les sujets avaient à juger un individu fictif absent. Ils ont constaté que les jugements émis en situation "aversive" sont plus négatifs que ceux exprimés en situation neutre."
Même s'il s'agit là d'expériences de type behavioriste, elles fournissent déjà des indications. Des études sur une large échelle (en milieu scolaire par exemple), avec des comparaisons entre zones bruyantes et zones calmes renforceraient sans doute ces indications. L'augmentation du nombre des agressions entre voisins ayant pour cause le bruit, avec le même type de comparaison serait une constatation importante dans le même sens. Si une enquête de l'INSEE pour la France a montré il y a une quinzaine d'années que 43% des ménages vivant dans un milieu urbain se plaignaient du bruit, il est fort probable (Alain MUZET et Patricia TASSI) que cette proportion a augmenté depuis.
Alain MUZET et Patricia TASSI, article Bruit, dans Dictionnaire de la violence, PUF, 2011. Farzaneh PAHLAVAN, Les conduites agressives, Armand Colin 2002.
SOCIUS
Relu le 6 janvier 2021