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24 juillet 2012 2 24 /07 /juillet /2012 13:53

       Comme pour toute religion, l'attitude envers le conflit peut se comprendre soit à partir des textes (philosophie du monde, cosmologie...), soit à partir des pratiques. Le bouddhisme, comme le christianisme ou l'Islam, ou encore le judaïsme (mais il s'agit ici d'une religion non révélée), offre une tonalité parfois bien différente selon que l'on se fie aux textes ou qu'on se réfère à la pratique. Le rôle du bouddhisme dans l'éthique pratiquée dans les lieux de son implantation est à mettre en parallèle avec sa pratique monastique, la méditation constituant un élément que l'on retrouve omniprésent.

A noter que si l'historiographie (notamment critique) des trois religions révélées fait état de multiples entrecroisements entre politique, morale et religion, entrecroisements qui les éloignent parfois notablement des textes fondateurs, l'historiographie du bouddhisme, comme celle de l'hindouisme mais à plus grand degré, ne bénéficie pas encore du traitement de maintes informations sur ces enchevêtrements, sans doute car l'histoire de ce dernier est diffuse et mêlée à celles d'autres philosophies ou religions orientales. Mais là où il est implanté comme ailleurs pour les autres religions, le bouddhisme est partie prenant d'un ordre social et d'une économie.

 

Pratiques différentes au Nord et au Sud

      Peter HARVEY présente le rôle et fondement de l'éthique dans le bouddhisme en faisant souvent la différence entre une pratique du "bouddhisme du Nord" et celle du "bouddhisme du Sud".

"Dans le bouddhisme, la vertu morale est le fondement de la voie spirituelle, mais un attachement rigide aux préceptes et aux vertus éthiques est considéré comme l'une des "entraves" au progrès intérieur. La vertu libère du remords, ce qui engendre la joie et le contentement, puis mène au calme de la méditation, à la profonde connaissance intuitive et à la libération. Ce modèle d'éthique, qui constitue une partie d'un "chemin", prédomine tout en étant modifié dans certaines écoles mahayanistes, en particulier au Japon. Le Zen Sôtô considère la moralité comme la manifestation de la nature-de-Bouddha innée d'une personne, tandis que dans le Jôdo-shin, elle exprime simplement la gratitude envers Amitâbha pour avoir été sauvé. Eliminer dukkhat, la souffrance, en soi-même et en les autres, est la préoccupation majeure du bouddhisme, et l'action éthique y contribue.

Celui qui veut acquérir la prospérité, des relations sociales amicales ou une bonne réputation, la confiance en soi, le calme et la joie, une bonne renaissance, ou progresser vers le Nibbâna, alors qu'il agisse de telle ou telle façon, dit le bouddhisme : car c'est ainsi que les choses sont engendrées. Se comporter autrement entraînera des souffrances dans cette vie et dans les vies suivantes, parce qu'elles seront un résultat naturel (karmique) des actions négatives. Il est dans la nature des choses qu'une conduite éthique diminue la souffrance et augmente le bonheur, pour soi et pour ceux qui sont en contact avec nous. Une vie morale ne représente pas une obligation pesante ni une série de "devoirs" mais une source de bonheur et d'élévation spirituelle, où le sacrifice de moindres plaisirs facilite l'expérience de joies plus satisfaisantes et plus enrichissantes. (...) La première activité éthique qu'un bouddhiste apprend à développer est la générosité, dâna ; c'est la base des dix actes bénéfiques engendrant du progrès moral et spirituel.

Dans le bouddhisme du Sud, c'est le premier des dix actes bénéfiques engendrant du "mérite" : donner, observer des préceptes, méditer, partager le "mérite, se réjouir du "mérite" des autres, rendre service, respecter autrui, enseigner le Dhamma, écouter le Dhamma, et agir avec la vue juste. La générosité est principalement dirigée vers le Sangha monastique, qui dépend des laïcs pour les aumônes de nourriture, le vêtement, les médicaments et l'habitation. En retour, par leur enseignement et leur exemple, moines et nones font un don encore plus grand, car le "don du Dhamma surpasse tous les dons". Ces actes de générosité réciproque forment un trait essentiel de la relation entre la congrégation monastique et les laïcs. (...) Une pratique assez répandue consiste à contribuer aux frais d'impression de livres bouddhiques qui seront gratuitement distribués. Les bouddhistes tiennent aussi à offrir leur aide, des choses matérielles et de l'argent lors d'une ordination, de funérailles, d'une fête, ou en cas de maladie, afin d'engendrer du "mérite" et de le partager avec les autres. Les communautés sont unies par l'accomplissement commun d'actes de "mérite", et on s'acquitte d'une dette de reconnaissance en contribuant à une cérémonie parrainée par quelqu'un qui vous a aidé auparavant de cette manière. Certaines cérémonies sont parfois onéreuses et une personne riche pourra donc aider à parrainer l'ordination du fils d'une personne peu aisée. (...)

Le premier précepte, considéré comme le plus important, est la résolution de ne tuer ou blesser aucun être humain, ni aucun animal (...). Si la majorité des bouddhistes n'ont pas toujours été pour autant des pacifistes, le pacifisme a en tout cas représenté l'idéal. Les "mauvais moyens d'existence" que constitue le "commerce des armes" désignent le marchand d'armes et non le soldat en tant que tel ; pourtant, un soldat de métier mort au combat renaît dans un monde infernal ou animal, dit un sûtra. La guerre, est-il souligné, est futile et ne résout rien : "La victoire engendre la haine ; les vaincus vivent dans la douleur ; les pacifiques vivent heureux en délaissant victoire et défaite" "Celui qui tue sera un jour tué, le conquérant sera conquis à son tour".

Ainsi le bouddhisme contribua à la fin de l'expansion sanguinaire de l'empire d'Asoka et adoucit le tempérament belliqueux des Tibétains et des Mongols ; les bouddhistes chinois avaient la réputation d"'esquiver leurs devoirs militaires", et un des premiers présidents des Nations Unies, le Birman U Tant, était un fervent bouddhiste. Cependant, la plupart des bouddhistes laïcs savent qu'ils peuvent être amenés à briser le premier précepte dans des cas de légitime défense et beaucoup ont participé à la défense de leur pays ou de leur communauté. En Thaïlande, l'armée est respectée pour son rôle d'aide et de service dans l'administration du pays. En Corée, en réponse à une invasion japonaise en 1592, un moine éminent rassembla même une milice de 5 000 moines! L'histoire des pays bouddhistes n'a pas été exempte de guerres, et des sectes bouddhistes se sont parfois combattues. Le conflit entre communautés qui éclata à Sri Lanka en 1983, dressant les Tamouls (en majorité hindous) contre les Cinghalais (en majorité bouddhistes), montre malheureusement que les bouddhistes laissent parfois la partialité communautaire leur faire oublier certains de leurs principes. (...)"

Dans un chapitre sur les autres préceptes, Peter HARVEY poursuit : "(...) Parmi les pays bouddhistes, les niveaux de développement économique varient beaucoup. Un extrême est le Bhoutan, qui émerge peu à peu d'un mode de vie médiéval pour entrer dans le monde moderne. Les gens y sont pauvres, mais semblent généralement satisfaits, et le roi s'est déclaré plus intéressé par le "Bonheur National Brut" que par le "Produit National Brut". L'extrême opposé est le Japon. Sa modernisation rapide a été facilitée par la valorisation de l'idéal de servir le groupe (enraciné dans les méthodes traditionnelles de l'agriculture, mais renforcée par le confucianisme), par l'éthique des samouraïs qui devaient loyal service au seigneur féodal et à l'État, et par l'insistance bouddhique sur le détachement et l'attitude désintéressée, pratiqués en l'occurrence de manière active et engagée. Mais les Japonais semblent maintenant se consacrer au travail presque comme une fin en soi ; certains se soucient de voir que ce système laisse trop de temps pour la détente et la spiritualité". (...)

Sur l'aide aux malades et aux mourants, point crucial de l'importance, en tout cas à l'origine de nombreuses religieux, "L'idéal est de mourir dans un état d'esprit calme, conscient, en se rappelant avec joie les actes positifs accomplis plutôt que de les regretter ; on obtient ainsi la meilleure renaissance possible (...)". "Dans le bouddhisme du Sud, la nourriture est offerte aux moines au nom d'un mourant ; il est apaisé par la psalmodie des nonnes et on lui rappelle également ce qu'il a fait de bien. (...) Dans le bouddhisme du Nord, on lira à une personne mourante ou récemment défunte le Bardo-Thödröl, connu sous le titre occidental du Livre tibétain des morts. Cette lecture est destinée à le guider à travers les expériences des quarante-neuf jours intermédiaires entre deux vies, en l'aidant à surmonter l'attachement subsistant pour son corps et sa famille, ou même à obtenir la profonde connaissance intuitive libératrice."

 

Le rôle important du monachisme

     Le rôle du monachisme est très important dans le bouddhisme. "Les membres du Sangha, écrit toujours Peter HARVEY, ont sans doute constitué le clergé le plus nombreux du monde. Malgré l'hostilité des gouvernements communistes qui ont amputé leur nombre de plus d'un million au milieu de notre siècle (il s'agit du XXe), ils sont encore au moins le quart de ce chiffre. leur vie n'est ni une "fuite", ni "égoïste", comme on le pense parfois. Un laïc peut chercher à échapper aux réalités de la vie et à ses propres faiblesses par des distractions, des divertissements, la boisson ou la sexualité. Mais la vie monastique, toute simple, est conçue pour donner lieu à peu de distractions, afin que chacun ait moins d'occasions d'ignorer l'avidité, la haine et l'illusion, et ainsi de travailler à réduire ces défauts en soi-même et à guider les autres dans cette voie. C'est ce que la majorité des moines s'efforcent de pratiquer, bien que quelques uns entrent effectivement dans les ordres pour gagner leur vie sans rien faire. Quant à l'"égoÏsme", tout le but de la vie monastique est au contraire d'aider à diminuer l'attachement au soi et à son cortège de désirs et d'aversions. (...) La plupart des écoles bouddhiques considèrent (...) le monachisme comme un mode de vie supérieur, que tous devraient respecter et souhaiter rejoindre dans cette vie ou dans une vie future.

Dans le Theravâda, il est dit qu'un laïc Entré-dans-le courant devrait même s'incliner devant un moine d'un moindre degré d'accomplissement, en signe de respect pour son mode de vie. (...) Dans la tradition du Mantrayâna qui prédomine dans le bouddhisme du Nord, le lama est en général un moine, ou une nonne, ordonné depuis longtemps ou doué d'un charisme spécial ; cependant, un laïc accompli en méditation ou en rituels tantriques peut aussi être un maître très respecté et appelé Lama. Dans l'école Nyingmapa, cette coutume des lamas laïcs est particulièrement courante (...). Certaines écoles permettent également à des moines doués d'une grande expérience de suspendre temporairement leur voeu de chasteté pour accomplir des rites tantriques impliquant un yoga avec une pratique sexuelle. (...) Au Népal, des siècles d'influence hindoue entraînèrent l'extinction d'une Sangha monastique parmi les bouddhistes Newars (mais il reste vivant parmi les minorités de culture tibétaine (...). Au Japon, l'importance de la distinction entre laïcs et moines diminua peu à peu."

 

Quels types de relations économiques?

Quel que soit en fait les différences de relations entre moines et laïcs concernant les pratiques méditatives et le prestige qui s'y rattache, ce qui importe, ce sont le type de relations socio-économiques entre les communautés de moines et l'ensemble des sociétés. D'une manière ou d'une autre, il s'effectue une sorte d'échange (mais le terme échange est sans doute inapproprié) entre "prestations spirituelles" et "prestations matérielles". Les prestations spirituelles sont liées à tout un ensemble d'activités d'enseignement (de la lecture/écriture aux techniques) , de santé, parfois de constructions des villages, souvent administratives. Les prestations matérielles se présentent sous la forme des dons (parfois très importants) des fidèles aux monastères. L'intensité et la nature de ces "échanges" sont liés à la règle monastique en vigueur.

Reprenons ce qu'en écrit Peter HARVEY : "L'idéal originel du bhikkhu et de la bikkhunî était de mener une vie simple avec le minimum de possession, nourri par des dons laïcs plutôt que par une occupation rémunératrice. La liste canonique des "objets personnels indispensables" d'un moine, considérés comme sa propriété, (est relativement courte). (...) Dans le bouddhisme du Nord et du Sud, il y a un certain paradoxe entre les tendances ascétiques du Sangha et le désir des laïcs d'engendrer davantage de "mérite" en donnant aux moines les plus sobres et les plus ascétiques. Ainsi, un moine citadin ayant une bonne réputation se verra peut-être offrir un réfrigérateur ou même l'usage d'une voiture. S'il est à la hauteur de sa réputation, cependant, il les utilisera avec détachement (il ne peut conduire lui-même) et laissera d'autres moines en profiter. Le pindapâta, ou quête d'aumônes, est le symbole archétypique de la dépendance des moines et des nonnes envers les laïcs, bien qu'elle ait fini par être pratiquée à des degrés extrêmement divers." A Sri Lanka et en Chine, des monastères importants possédaient de vastes domaines, qui comprenaient des plantations, des systèmes complexes d'irrigation, et les habitants des villages qui en dépendaient s'y livraient à des travaux. Ces grands monastères s sont aussi engagés dans des activités commerciales importantes.

"L'engagement monastique dans la politique est peut-être la forme d'interaction avec le monde laïc la plus opposée à l'archétype du moine, le renonçant au monde, non engagé. Cependant, puisque le bouddhisme répandait l'instruction et la culture dans nombre de sociétés en voie d'unification et d'organisation politiques, il n'est guère surprenant que le Sangha ait fini par exercer une influence ou même son pouvoir politique dans plusieurs pays. Le pouvoir politique du Sangha atteignit son apogée dans le Tibet pré-communiste, dont le chef d'État était le Delaï-Lama avant l'invasion chinoise. Pendant les siècles de son ascendant en Chine, le bouddhisme eut une influence considérable sur l'élite laïque dirigeante, et le Japon possède un long passé historique de contacts étroits entre le Sangha et l'État. Dans les pays du bouddhisme du Sud également, les moines pouvaient exercer une forte influence politique et, au XXe siècle, ils ont été politiquement actifs à Sri Lanka et en Birmanie."

 

Des logiques différentes en Orient et en Occident

   Dans son étude sur les bouddhisme, Bernard FAURE indique, à propos des destins différents de la logique en Occident et en Orient : "A la structure rectiligne de la logique (occidentale), on pourrait également opposer la pensée chinoise du détour et de l'oblique, si une telle opposition ne relevait encore de la logique du tiers-exclu. Mais, dira-t-on, la Chine n'a pu faire la révolution scientifique. Cette objection n'a pas le poids qu'on veut lui donner. Car le retard chinois est dû moins à une quelconque déficience intellectuelle qu'à une résistance du tissu social. Si la connaissance scientifique - qui démarre plus tôt en Chine qu'en Grèce et peut se targuer de succès supérieurs - n'a pas renversé le féodalisme chinois comme elle renverserait le féodalisme européen, c'est paradoxalement parce que la Chine était socialement et politiquement mieux intégrée que l'Europe. L'idéologie "scientifique" chinoise avait fourni à la domination féodale une base "naturelle" à long terme plus solide que l'idéologie européenne du "droit divin" des rois. L'invention de la poudre, comme l'imprimerie, a pu sonner en Europe le glas des châteaux forts et des armées féodales, alors qu'en Chine elle alimentait surtout les pétards du Nouvel An.(...)". 

La force de la philosophie et de la religion bouddhiques, sa prégnance dans le corps social, et dans les esprits, qui n'exclue pas les conflits, mêmes très violents, constitue une réalité incontournable dans ces pays d'Orient. A un point tel que même si sa domination politique n'a pas duré, ses liens-mélanges avec les traditions locales lui font garder sa force idéologique.

 

Bernard FAURE, Bouddhismes, philosophies et religions, Flammarion, Champs essais, 1998. Peter HARVEY, Le bouddhisme, Seuil, 1993.

RELIGIUS

 

Relu le 19 décembre 2020

 

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