Depuis les débuts de l'anthropologie, une démarche évolutionniste (TYLOR, 1871 ; MORGAN, 1877) se donne pour double objectif la description historique de stades de développement de l'économie et de la culture, donc aussi de la famille et l'adéquation idéale entre société et individu (au XVIIIe siècle), entre société et civilisation (XIXe siècle).
Comme le rappelle Anne Christine TAYLOR, "à quelques détails près, les schémas de développement de l'humanité sont du reste presque identiques d'un siècle à l'autre : on passe ainsi du stade de la sauvagerie, caractérisé par des économies de chasse-cueillette ou pastorale, à celui de la barbarie, marqué par l'intervention de l'agriculture, puis au commerce et à l'industrie, apanage de la civilisation, chaque étape étant associée à une certaine organisation familiale et sociale : la famille nucléaire, puis le patriarcat (au XVIIIe siècle), la horde puis le matriarcat (au XIXe siècle), les chefferies tribales, les royautés primitives, etc." Cet évolutionnisme a beaucoup moins cours dans le XXe siècle, mais, l'anthropologie se centrant surtout sur l'explication du fonctionnement des sociétés plutôt que sur l'antériorité d'une forme sur une autre, et cela est particulièrement vrai pour la famille.
La notion de famille...
Françoise HERITIER-AUGÉ constate "qu'aussi vitale, essentielle et apparemment universelle que soit l'institution familiale, il n'en existe pas, tout comme pour le mariage, de définition rigoureuse", en parcourant les différents grands dictionnaires, que ce soit le Littré ou l'Encyclopedia Britannica.
"Qu'on insiste sur ses conditions d'émergence - la reconnaissance sociale nécessaire de l'union de deux partenaires sexuels, procréateurs et coopérant économiquement, la résidence commune, les liens du sang ou la transmission dans le temps - on voit bien s'esquisser un modèle tendant à définir à quoi sert la famille, cellule de base de toute société, mais sans qu'on puisse fournir de définition universellement juste qui ne soit quelque peu tautologique : la famille sert à faire des enfants pour reproduire la société, l'organisation sociale sécrète l'obligation de l'échange et la constitution de familles qui ne pourrait se perpétuer sans cette obligation."
Si la famille conjugale est pratiquement universelle, elle représente (Claude LÉVI-STRAUSS, 1956) "un équilibre instable entre des extrêmes plutôt qu'elle ne résulte d'un besoin permanent et constant exprimant les exigences les plus profondes de la nature humaine".
Elle peut revêtir parfois des formes singulières où les relations entre les sexes, l'intervention de la parentèle, la responsabilité des enfants... peuvent être très différentes. L'élément commun, en dehors de la légalité, qui impose partout une forme stable et réglementée de rapports sexuels, est la prestation de services mutuels entre les conjoints, selon une répartition des tâches entre les sexes qui n'est pas fondée non plus sur des impératifs physiologiques et qui ne fait pas l'objet d'un contrat commercial. Arbitraire, écrit Françoise HERITIER-AUGÉ, "elle a pour effet de rendre les deux sexes dépendants l'un de l'autre et donc de pousser à l'établissement d'une relation durable entre les individus. Au contrat d'entretien est associé la régulation des prestations sexuelles, la famille fondée sur le mariage étant le lieu privilégié de la reproduction, mais il n'y a pas de lien logiquement nécessaire entre ces deux ordres de faits : entretien mutuel, gratification sexuelle et reproduction. Des contrats de ce types auraient pu être passés entre consanguins, l'humanité étant peuplée alors de groupes clos, hostiles entre eux et recourant à la force pour se procurer des partenaires s'il venait à en manquer. Cette constatation, qui tient à des aléas démographiques, montre que nulle forme stable de société n'aurait été possible sur ces bases. La société a dû se construire contre la consanguinité."
Il semble bien que ce soit ce seul élément commun à toutes les sociétés qui soit réellement bien mis en évidence, même si l'on peut mettre en avant également des stratégies matrimoniales princières ou royales qui défient ces lois contre la consanguinité.
Les études féministes de la famille...
Les études féministes, même si par tactique idéologique on les appelle plutôt études sociologiques du genre, ont remis en question un certain "andocentrisme" (male bias) de la pensée scientifique en général et de la pensée anthropologique en particulier. Elles rééquilibrent une vision de la famille trop centrée sur le père ou le chef de famille, non pas forcément pour contester la réalité de la domination masculine, mais pour en contester la légitimité, surtout lorsqu'elle tend vouloir se faire sur des bases biologiques.
L'impulsion de départ de ces études, comme le rappelle Nicole-Claude MATHIEU "est objectivement liée à la (re)naissance et à l'impact des mouvements de libération des femmes dans les pays occidentaux comme dans le tiers-monde. De même que l'analyse par Marx du rapport prolétariat/capital, suscitée par une vision critique de l'organisation sociale, diffère des descriptions de Villermé ou de Le Play sur la "condition ouvrière", les études féministes diffèrent des travaux antérieurs sur la "condition féminine".
Depuis les années 1960 dans les sciences humaines, s'introduit une nouvelle critique, et singulièrement en ce qui concerne la famille. Critiques à la fois sur le fond et militantes, multitudes d'essais de luttes féministes qui ne font pas toujours le partage clair entre propositions politiques et réinterprétations de l'histoire des familles de l'espèce humaine.
C'est ce que mentionne entre autres Nicole-Claude MATHIEU : "Que l'on voie entre féminisme et anthropologie une relation difficile (M. STRATHERN, 1987, An awkward relationship : the case of feminisme and anthropology, dans Journal of Woman in culture and society n°12), ou une alliance possible (H. DAGENAIS, 1987, Méthodologie et anthropologie : une alliance possible, dans Anthropologie et société n°11), il existe, au-delà du consensus sur l'andocentrisme, une diversité de positions théoriques dans la réinterprétation des données et l'orientation des recherches nouvelles. Cette diversité reflète les différents niveaux de critique de l'andocentrisme et les tendances internes aux mouvements de femmes, mais rappelle aussi les divergences d'analyse de l'anthropologie précédente :
- Certains études, d'inspiration fonctionnaliste et encore traditionnelle, voient l'idéologie andocentrée de la plupart des sociétés plutôt comme un effet de surface, et insistent sur le pouvoir "réel" quelquefois moins visible, des femmes dans la complémentarité des sexes (conçue comme symétrique ou asymétrique). Ici sont en cause les définitions du pouvoir, du statut, de l'autonomie, etc. Mais la question est-elle de savoir si les femmes ont "du pouvoir", ou de la valeur, dans le domaine qui leur est assigné, ou si elles ont, sur les hommes et la société, le pouvoir de décision finale et globale qu'ils ont sur les femmes et la société?
- Une autre tendance, prolongeant les travaux d'Engels, et qui se nomme elle-même féministe-marxiste aux États-Unis, s'attache aux conditions d'apparition de l'inégalité entre les sexes selon les contextes socio-historiques : changements de modes de production, formation des classes, de l'État, déstructurations dues à la colonisation, au capitalisme, etc. Sous nier la domination masculine dans nombre de sociétés, elle affirme l'existence de sociétés égalitaires du point de vue des sexes, surtout parmi les chasseurs-cueilleurs, ce qui est contesté (E. LEACOCK, 1978, Women'e statuts in egalitarisme society : implications for social evolution, dans Current Anthropology n°19).
- Si les deux premières tendances tentent de rendre visible les femmes dans l'analyse des relations "entre" les sexes, une troisième orientation tente plutôt de rendre visible l'oppression des femmes à travers la construction même de la différence sociale des sexes. D'inspiration "radicale", matérialiste ou marxienne (plutôt que marxiste), elle souligne la nécessité de dépasser la vision fixiste des sexes fondée sur une conceptualisation naturaliste des femmes et sur l'idée d'une "naturalité" de la procréation et de la division sexuelle du travail. Elle ne voit pas "l'universalité" (en l'état actuel des connaissances) de la subordination des femmes comme inéluctable, mais s'attache aux mécanismes sociaux, matériels et idéels, de la différenciation, qui définissent dialectiquement les deux catégories ou "classes" de sexe : notamment les modes de contrôle masculin sur le travail, la sexualité et la conscience des femmes.
D'une manière générale - et au-delà des oppositions entre auteur(e)s, y compris à l'intérieur des tendances ici simplifiées -, les études féministes ont problématisé le concept de sexe en systématisant ceux de genre (gender) et de sexe social, ce qui a aussi entrainé de nouvelles recherches en anthropologie symbolique quant à la variabilité des agencements cognitifs de la catégorie de sexe selon les sociétés."
Des tentatives de clarification...
La technicité des études sur la parenté, la distance maintenue entre les vocabulaires de l'ethnologie et de l'anthropologie (où l'on discute de la parenté) d'une part et de la sociologie (où l'on parle de la famille) d'autre part, la contestation de la démarche de nombreuses études par le féminisme, l'introduction d'une certaine mythologie, via les études sur le matriarcat, le combat de certaines forces politiques contre la famille elle-même, accusée de nombreux maux sociaux... ne facilitent pas la clarté des débats sur la famille et la parenté.
Aussi, dans un effort pour surmonter la complexité d'une certaine surinformation (foison de matériaux disponible sur les sociétés "traditionnelles" d'Afrique, d'Asie, du Pacifique et d'Amérique Latine..), est-il nécessaire de clarifier des termes souvent employés de manière différente et peu explicitée par différents auteurs. Dans des termes simples, Robert DELIÈGE nous y aide.
"Lorsqu'un homme meurt, il laisse quelque chose derrière lui : un statut, une position sociale, certains biens, des terres, de l'argent, voire quelques autres choses encore." Tout ce patrimoine, loin d'être dispersé dans la communauté, "doit alors passer à quelqu'un d'autre et toutes les sociétés ont émis des règles précises quant à cette transmission. La filiation est le principe gouvernant la transmission de la parenté ; l'héritage (transmission des biens) et la succession (transmission des fonctions) tendent à suivre le principe de filiation.
La majorité des sociétés ont adopté un mode de transmission unilinéaire, à savoir que le statut et l'appartenance se transmettent soit à travers le père, soit à travers la mère. Dans le premier cas, on dira que la filiation est patrilinéaire (terme forgé par les ethnologues, précisons-nous). Ce mode de filiation est le plus commun, et se retrouve dans 248 sociétés d'un échantillon de 565 (...). Dans une société patrilinéaire, un individu appartient au groupe de son père et la famille de sa mère relève d'un groupe différent. (...)
Un nombre non négligeable de sociétés (15% de l'échantillon) (...) a adopté un autre mode de filiation, également unilinéaire, mais la transmission se fait à travers la mère cette fois, (...) (filiation) matrilinéaire." Robert DELIÈGE nous met alors en garde contre une certaine perception : "croire que ce mode de filiation soit lié à la répartition de l'autorité ; ainsi dans les sociétés matrilinéaires, les femmes ne détiennent pas nécessairement plus d'autorité que dans les sociétés patrilinéaires et (elles) ne possèdent pas (forcément non plus) les biens. En fait, "il serait plus correct de parler de filiation "avunculinéaire" car, dans de telles sociétés, la transmission se fait principalement de l'oncle maternel au neveu utérin." Les biens et le statut d'un homme sont transmis aux enfants de sa soeur. "... une société matrilinéaire n'est donc pas matriarcale, (...) (où) les femmes détiennent le pouvoir ou dominent les hommes."
On peut dire qu'une société à filiation matrilinéaire est aussi patriarcale, "même si ce terme n'est plus guère utilisé par les anthropologues contemporains." Il faut se garder aussi de confondre les termes "matrilinéaire" et "patrilinéaire" avec ceux de "matrilatéral" et "patrilatéral" qui signifient tout simplement "du côté de la mère" et "du côté du père". (...) Les ethnologues ont longtemps affirmé que les différents modes de filiation constituaient l'essence même de l'organisation de la parenté. (Ils) considéraient (que) les systèmes de parenté différaient les uns des autres par la manière dont ils organisaient la filiation. Ils parlaient ainsi de "sociétés" matrilinéaires et patrilinéaires. En avançant la théorie de l'alliance, Lévi-Strauss contribua à ébranler cette position à laquelle Leach asséna un coup fatal" même si la filiation, même non considérée comme le principe essentiel régissant les sociétés, existe.
"Un troisième groupe de sociétés s'est doté de ce que l'on a appelé un système de double filiation unilinéaire (...) : dans cette société (...) les biens meubles appartiennent (...) au groupe de la mère alors que les biens immeubles sont transmis de père en fils. (...) le système de double filiation unilinéaire n'est en fait qu'une juxtaposition de systèmes matrilinéaire et patrilinéaire. Il ne fait pas le confondre avec le système de filiation indifférenciée, aussi appelé filiation cognatique, dans lequel la filiation se fait à travers les fils et les filles, un peu comme dans notre société.
Les systèmes de filiation unilinéaire sont étroitement lié à des groupes de filiation. (...) tous les membres d'un même groupe sont censés, d'une manière putative ou réelle, descendre d'un ancêtre commun. La plupart de ces groupes "corporate" sont unilinéaires : 'l'idée centrale est que tous les gens qui sont les descendants d'un même ancêtre (par les hommes ou par les femmes) se considèrent, et sont considérés par les autres, comme formant un groupe distinct." Comme les clans (groupes assez vastes sur de longs espaces), mais ''(le clan) n'est pas un groupe de coopération très efficace ; les segments localisés, appelés lignages le sont bien d'avantages". A la différence des membres d'un clan (dont le lien de parenté est fictif et mythologique), les membres d'un lignage sont "parfaitement capables de retracer leur lien à un ancêtre commun." "Dans une société ainsi divisée, le nombre de clans reste plus ou moins constant alors que le lignage est une unité par essence dynamique puisque tout homme marié est susceptible d'en former un nouveau. Les "sociétés lignagères" ont une nette tendance à la (...) segmentation des lignages." "Les études africaines des anthropologues britanniques ont longtemps conduit à penser qu'il existait partout des groupes de filiation tels que ceux que l'on rencontre en Afrique noire. Or tel n'est pas le cas. Même lorsque de tels groupes existent, ils ne revêtent pas nécessairement une véritable signification sociologique et peuvent être purement formels. Leur existence ne contredit pas non plus la vitalité de la famille conjugale et Elkin (1967) put ainsi affirmer que parmi les aborigènes australiens, la famille composée d'un homme, de ses épouses et de leurs enfants constitue "l'unité fondamentale de la société".
L'institution du mariage...
Le mariage constitue un institution fondamentale des sociétés qu'étudient les anthropologues : c'est le plus souvent à travers l'union matrimoniale que se forge l'alliance entre les groupes et que se noue la solidarité sociale. Celui-ci peut-être monogame ou polygame. Dans ce dernier cas, on distingue le mariage polygamique du mariage, beaucoup plus rare, du mariage polyandrique. "Ces concepts ne sont cependant pas toujours adéquats : ainsi dans de nombreuses sociétés la polygamie est tolérée, voire valorisée, mais elle n'en demeure pas moins peu fréquente, et, dans ce cas, il devient difficile de parler de société polygame."
Il faut comprendre qu'avoir plusieurs femmes pour un homme représente un effort économique important (de la part de sa famille) et que, dans beaucoup de cas, ce sont surtout les classes supérieures les plus riches qui valorisent ce genre de mariage, plus le nombre de femmes étant important, plus bien entendu, le prestige de l'homme est étendu... Car le mariage s'accompagne, très souvent, d'une série de transactions matérielles.
Beaucoup d'écrits anglophones et francophones discutent des modalités de ces échanges, les barrières linguistiques ne favorisant pas beaucoup les compréhensions des différents concepts utilisés. On peut distinguer la dot, forme anticipée d'héritage, du "prix de la fiancée" qui désigne "la pratique selon laquelle les parents d'un garçon doivent donner une compensation matrimoniale aux parents de la jeune fille." "...il s'agit (non d'une transaction commerciale mais) d'une espèce de compensation pour la perte et d'un transfert subséquent de certains droits sur la jeune femme et sa progéniture à naître".
Robert DELIÈGE nous indique que "on a souvent remarqué que le "prix de la fiancée" était caractéristique de sociétés égalitaires ou de mariages isogames (qui unit des conjoints de même statut social) comme les sociétés d'Afrique centrale, alors que la "dot" est au contraire plus fréquente dans les sociétés hiérarchisées et plus particulièrement des mariages hypergamiques (c'est-à-dire ceux dans lesquelles une femme est mariée à un jeune de statut supérieur en opposition au mariage hypogamique), comme par exemple, dans la société indienne.
Des interdits universels...
Contrairement à ce que croyaient les anthropologues (et soulignerons nous, passablement moralistes) évolutionnistes du XIXe siècle, la promiscuité sexuelle n'existe pas dans les sociétés humaines. Toutes les sociétés déterminent donc certaines catégories de personnes que l'on ne peut épouser et avec lesquelles on ne peut pas avoir de relations sexuelles ; d'habitude, mariage et relations sexuelles sont associés, mais pas toujours (...).
L'interdit de l'inceste étant universel, toute société définit, d'une manière plus ou moins institutionnalisée, un groupe à l'intérieur duquel on ne peut pas se marier." Il est obligatoire de se marier en dehors de ce groupe et McLennan, juriste écossais du XIXe siècle a appelé exogamie, cette obligation. "En général, les groupes de filiation unilinéaire (...) sont exogames puisqu'ils rassemblent des personnes considérés en tant que descendants d'un ancêtre commun. la règle d'exogamie a des conséquences sociales importantes (car) elle force en quelque sorte à épouser une personne qui est, d'une manière ou d'une autre, étrangère et parfois même issue d'un groupe hostile. (...) L'exogamie permet alors de créer ou de renforcer des liens entre groupes différents qui composent une même société. Sans ces alliances matrimoniales, ces groupes seraient bien plus isolés et bien moins solidaires."
Nous sommes bien là au coeur d'une institution centrale qui, en regard des nombreux conflits entre personnes et groupes, tend à les diluer pour en contrôler le degré de violence.
"L'exogamie a cependant des limites que l'on préfère ne pas franchir et les sociétés humaines ont, pour la plupart, défini des groupes à l'intérieur desquels on doit se marier : on parlera alors d'endogamie. Ainsi une tribu est généralement endogame dans le sens où ses membres ne sont pas autorisés à se marier en dehors de ces limites. L'endogamie est souvent associée à une certaine idée de pureté et c'est ainsi que la caste est le groupement endogame par excellence ; se marier en dehors du groupe risque de mettre en péril la pureté du groupe tout entier (Deliège, 2004)."
Concernant le lieu de résidence du nouveau couple, le "patrilocal" (ou virilocale) et le "matrilocal" (ou uxorilocale), constituent des choix qui éloigne l'un des deux partenaires de son univers familier. "Dans l'échantillon de 250 sociétés étudiées par Murdock, 146 sont virilocales, 38 uxorilocales, et 17 néolocales (établissement dans un autre lieu) ; le reste se divise entre solutions hybrides. (...) Les rapports entre une personne et sa famille/belle-famille varient considérablement selon le mode de résidence choisi. La résidence néolocale favorise clairement le développement de la famille nucléaire. D'ailleurs les variations des conditions de vie engendrent automatiquement des changements de résidence : l'émigration, la surpopulation favorisent la néolocalité.
En adoptant l'agriculture, les peuples de chasseurs ont souvent préféré la résidence matrilocale car les activités agricoles étaient, chez eux, largement féminines. Tout changement culturel et économique renforçant l'influence des hommes par rapport aux femmes est susceptible de conduire à la virilocalité ; ainsi le labourage ou le pastoralisme. De même, la polygynie s'accommode mal de la matrilocalité. Le passage à la néolocalité entraîne presque naturellement le démantèlement des groupes de filiation unilinéaire."
Cet effort de clarification reflète aussi un état de la réflexion sur la parenté, assez orientée dans le sens d'une certaine uniformisation des habitudes. Ainsi, l'accent mis sur l'unité de base, le couple mari-femme(s)-enfants - à contrario de celui mis en avant auparavant sur la parentèle élargie n'est-il pas influencé par la généralisation à toute la planète du modèle occidental?
Au fur et à mesure que nous avançons dans le temps, le nombre de société "non contaminées", "isolées" plus proches des temps anciens que des nôtres, diminue, jusqu'à leur disparition. Non seulement par la diffusion des connaissances et le progrès de certains prosélytismes, mais aussi parce que d'anciens modes de vie sont condamnés à disparaître en même temps que leur milieu naturel. Aussi, même si nous pouvons voir plus clair dans l'influence des formes familiales sur la nature des conflits et leurs modalités d'expressions, le nombre de "points de comparaison" diminue inexorablement.
Nicole-Claude MATHIEU, article Etudes féministes en anthropologie ; Françoise HERITIER-AUGÉ, article Famille ; Anne Christine TAYLOR, article Évolutionnisme, dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, PUF, 2002. Robert DELIÈGE, Anthropologie de la famille et de la parenté, Armand Colin, collection Cursus sociologie, 2011.
ANTHROPUS
Relu le 30 octobre 2020