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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 08:00

          La délinquance est ici considérée comme un tout : crimes, délits, toutes sortes de crimes, toutes sortes de délits, tous les comportements illégaux. En effet, la sociologie criminelle semble (mais en fait elle est plus large que cela) s'occuper surtout des crimes et souvent par délinquance, on pense généralement aux vols ou aux viols en oubliant la grande délinquance (ce qui coûte le plus cher sur de nombreux plans à la société), dite en "col blanc", la délinquance financière.

Dans le mouvement général des idées sur la délinquance, les divers auteurs passent des préoccupations liées à l'urbanisation croissante et aux "désordres sociaux" à des approches plus critiques sur la constitution des normes et des règles sociales. Les études se concentrent souvent sur un seul aspect de la délinquance, très peu aborde l'ensemble du phénomène et rarement font une approche critique des délinquances en fonction du système social, le lien entre injustices sociales et existence de ces crimes et délits. Toute la sociologie de la délinquance, comme toute la sociologie criminelle (mais moins pour cette dernière, plus focalisée sur la personnalité criminelle), est partagée entre deux conceptions : les délinquances sont plutôt dues à l'environnement social ou plutôt dues aux caractères des acteurs sociaux. Cela rejoint la grande distance entre une sociologie dite holiste et une sociologie dite individualiste (pour reprendre pour chacune un vocable plutôt voulu comme péjoratif)...

 

Le positivisme confronté à la délinquance...

               Dans l'histoire de la naissance de la sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Jacques FAGET met l'accent sur la difficulté pour une pensée positiviste (celle héritée d'Auguste COMTE) d'aborder un domaine où semblait régner l'irrationnel. "Quelques médecins, juristes, démographes ou réformateurs sociaux tentèrent de mettre en oeuvre une approche rationnelle du crime. Ils ne le firent que de manière peu systématique dans une démarche se préoccupant de considérations sociales plus générales. On peut cependant qualifier leurs approches de pré-sociologiques dans leur façon de souligner l'importance des causes sociales sur la criminalité et de se démarquer des discours dominants sur les facteurs innés.

Le débat opposa globalement les juristes, partisans du dogme de l'autonomie de la volonté selon lequel les individus sont maîtres de leurs décisions et doivent être considérés comme pleinement responsables de leurs actes - le fameux traité des délits et des peines de Cesare BECCARIA (1764) illustre cette posture -, à celle des médecins et des philosophes portant l'accent sur les conditionnements de l'activité humaine." Il évoque certaines étapes de la constitution d'une sociologie du crime, à travers les oeuvres du baron de MONTYON (Observations sur la moralité en France), de Jacques Guerry de CHAMPNEUF (Compte général de la justice criminelle, 1827), de André-Michel GUERRY (Essai sur la statistique morale en France, 1833), d'Adolphe QUETELET (Essai de physique sociale, 1835), de DUCPÉTIAUX (Condition physique et morale des jeunes ouvriers, 1843), d'ENGELS (Situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845), de Karl MARX (Matériaux pour l'économie, 1861-1865), de COLAJANNI (1884), de BONGER (Criminalité et conditions économiques, 1905), de FERRI (Sociologie criminelle, 1893), d'Alexandre LACASSAGNE, de Gabriel TARDE (Philosophie pénale, 1890), de Henri JOLY (Le crime, 1888) avant de s'arrêter sur l'apport déterminant d'Émile DURKHEIM. 

    Rappelons que le fondateur de la sociologie française définit le crime comme "tout acte qui, à un degré quelconque, détermine contre son auteur cette réaction caractéristique qu'on nomme la peine".

A partir de là, le crime consiste en un acte réprouvé universellement ou presque par les membres de chaque société ; c'est une offense aux sentiments collectifs. Il est donc relatif. Ce n'est pas une maladie, mais un phénomène sociologique normal. De plus, il est utile car, pour que la conscience sociale puisse évoluer, il faut que la norme subisse concrètement une transgression.

La sociologie française aurait pu continuer dans cette voie, mais le premier conflit mondial déplace le pôle de cette nouvelle discipline de la France, de l'Europe, vers les États-Unis. Dans le sillage des études d'Émile DURKHEIM, les travaux de Gabriel TARDE demeurent sans héritiers directs. Cette discipline se poursuit notamment par les recherches des sociologues américains de l'Université de Chicago dans les années 1920. En France, Henri LÉVY-BRUHL (1884-1964) fait renaître la sociologie criminelle (Dans l'Année sociologie, en 1948) et anime une équipe  dont l'un des têtes principales, André DAVIDOVITCH (1912-1986) applique une méthodologie très inspirée d'Émile DURKEIM, dans les années 1960. Philippe ROBERT (né en 1939), par la création d'un service d'études pénales et criminologiques au ministère de la Justice (1968), impulse la création d'une revue spécialisé, Déviance et société (1977). Ce dernier joue un grand rôle dans la formation des chercheurs qui peu à peu assurent, dans les années 1970 et les suivantes, l'enseignement de la discipline dans les universités. 

 

Approches culturalistes... (quoique...)

      L'approche culturaliste de la délinquance provient de recherches au sein de l'École de Chicago, sans que l'on puisse affirmer que cette école est une école culturaliste. Car elle ne se réfère pas aux travaux anthropologiques culturalistes et ne prend pas la culture pour objet d'étude principal.

En fait, les premiers chercheurs se penchent essentiellement sur les conditions et les effets de la désorganisation sociale qui affecte le développement des grands centres urbains. Les thèmes abordés, immigration, relations ethniques, assimilation, socialisation, ont une dimension culturelle. Si bien, sans que les auteurs de ces études le veuillent au départ, que la problématique se déplace de la désorganisation sociale à la désorganisation culturelle. Par École de Chicago, pour reprendre la définition de A. COULON (L'École de Chicago, PUF, Que sais-je?; 1992) et celle de J-M. CHAPOULIE (La tradition sociologique de Chicago, 1892-1961, Le Seuil, 2001), on désigne généralement l'ensemble relativement cohérent des travaux réalisés entre 1915 et 1940 par des enseignants et des étudiants de l'Université de Chicago publiés dans l'American Journal of Sociology ou dans une collection propre à cette université. Ce qui explique que le poids de cette sociologique n'est pas représenté par quelques ouvrages à fort tirage mais par les articles multiples consacrés à cette question et qui influencent de proche en proche un certain nombre d'ouvrages importants. Cette constatation est vraie dans beaucoup de disciplines, mais particulièrement dans la criminologie ou la sociologue criminelle qui puise dans le fonds très important d'études empiriques réalisées sur le terrain. Cette sociologie est de fait également une sociologie réformiste dont l'ambition n'est pas théorique mais pratique, qui cherche à influencer directement les décisions des diverses instances politiques. 

    William Isaac THOMAS (1863-1947) et Florian Witold ZNANIECKI (1882-1958) écrivent une somme de 5 tomes (Le paysan polonais en Europe et en Amérique, 1927, traduit en France en 1998 et publié par Nathan) qui lance la notion de désorganisation sociale, à propos des problèmes multiples d'une population d'immigrants à Chicago entre 1918 et 1920. L'expression désorganisation sociale permet aux sociologues de rompre avec les notions en vogue de problèmes sociaux ou pathologie sociale. Elle recouvre toutes les problématiques relatives à la pauvreté, la criminalité, l'usage des drogues, la prostitution, le jeu, le suicide, les maladies mentales, les ruptures familiales, la corruption politique, les désordres perpétrés par les foules, la violence dans les émeutes. Robert PARK (1864-1944) et ses collaborateurs (dont E. BURGESS) précisent cette notion de désorganisation sociale dès 1925 (The City, The University Press). Elle résulte d'une interprétation des changements sociaux dus au développement de la grande industrie et aux transformations des formes de contrôle social qui en découlent. Alors que celui-ci s'exerce, dans les communautés rurales, de façon spontanée et directe dans le cadre de relations primaires (famille, communauté), il repose dans les villes sur les principes abstraits mis en oeuvre par des institutions formelles comme les Églises, l'école, les tribunaux pour enfants, les associations de parents d'élèves, les clubs de jeunes... Cet affaiblissement des contraintes et des inhibitions des groupes primaires est "largement responsable de la croissance de l'immoralité et du crime dans les grandes villes", notamment dans les populations d'immigration récente qui rencontrent des difficultés d'adaptation. ..

    A la suite des analyses de E. BURGESS, découpant la ville en cercle concentrique, Frédéric TRASHER (1892-1970) tente de localiser géographiquement la délinquance juvénile (The Gang. A study of 1313 Gangs in Chicago, University of Chicago Press, 1927). Il constate l'existence de cinq strates urbaines organisées sous la forme de cercles concentriques. Au centre sont installés les commerces, les bureaux, les banques, peuplé le jour, vide la nuit, entouré d'une zone d'habitat délabré et précaire, où il note l'existence 'enclaves ethniques. A sa périphérie, un espace rassemble les travailleurs des classes moyennes et de la classe ouvrière aisée, et parmi eux, les immigrants qui ont réussi leur intégration. Plus loin se trouve une zone résidentielle occupée par les classes bourgeoises entourée par une banlieue encore non urbanisée. La criminalité s'observe dans l'espace "interstitiel" situé entre le quartier des affaires et l'espace résidentiel des travailleurs. C'est là que se rassemblent les immigrants récents, dans cette ceinture de pauvreté. Ces gangs constituent une réponse à la désorganisation sociale, à rebours certainement de certains qui peuvent l'analyser comme en étant la cause. Le gang "offre un substitut à ce que la société ne parvient pas à donner (...), il comble un manque et offre un échappatoire" à la misère. La délinquance dans se contexte est analysée comme le produit d'une logique incontrôlée des forces de l'environnement, un mode de survie dans un contexte difficile.

     Clifford SHAW, ancien contrôleur judiciaire et de probation et Henry Mac KAY, statisticien, développent ensuite un programme de recherches sur la délinquance juvénile et de l'effet des réponses pénales de la société. Ils mettent en évidence trois facteurs qui favorisent la délinquance : le statut économique précaire des habitants, la mobilité de la population et l'hétérogénéité de cette population avec ne forte proportion d'immigrants. Ils montrent également les effets pervers des réponses pénales. Ils se font les apôtres, au lieu d'un renforcement de la répression, encore populaire dans les classes dirigeantes, de réponses à la délinquance orientées vers une meilleure organisation de la communauté, la réhabilitation des quartiers et le développement d'une politique de prévention s'appuyant sur la communauté.

Ces travaux sont très critiqués, notamment par Williams WHYTE (1914-2000) (Street Corner Society, la Découverte, 1995, traduction d'une édition de 1943), qui s'attaque à la notion de désorganisation. S'appuyant sur l'observation participante d'un quartier italien pauvre de Boston, il estime que de nombreux quartiers pauvres sont structurés par un système très dense d'obligations réciproques, même si ce type d'organisation déroge au type le plus répandu dans la société. D'autres changements sociaux et démographiques par ailleurs, dans les années 1930 semblent invalider certaines propositions de Clifford SHAW et Henry Mac KAY. En effet, les zones délinquantes deviennent de moins en moins des zones de résidence d'immigrants récents, ce que ces derniers auteurs reconnaissent par la suite (dans la deuxième édition de leur ouvrage, en 1968). Mais ils continuent de penser que les populations les plus criminogènes sont toujours les dernières arrivées. Par la suite, les études combinent le facteur économique avec la désorganisation sociale.

 

La théorie de l'association différentielle

     Ainsi Edwin SUTHERLAND  (1883-1950), formule des réserves (The Professionnal Thief, The University Chicago Press, 1937 ; Principles of Criminology, 1924) sur la manière dont sont conduites les enquêtes, car ils ne prennent en compte que la délinquance enregistrée, laissant de côté tous les comportements délinquants non repérés ou non enregistrés. Il s'aperçoit dans ses propres enquêtes, entre 1930 et 1935 notamment, que la criminalité se rencontre dans toutes les classes sociales, mais que certaines d'entre elles bénéficient d'une protection sociale face à l'intervention du système répressif du fait de leur statut social élevé.

Du coup, il est amené à formuler la théorie de l'association différentielle qui marque la sociologie américaine pendant un bon quart de siècle.

Cette théorie comporte neuf points :

- Le comportement criminel est appris, autrement dit, il n'est pas héréditaire ;

- Le comportement criminel est appris au contact d'autres personnes par un processus de communication verbale ou par l'exemple (Influence de TARDE) ;

- Il s'apprend surtout à l'intérieur d'un groupe restreint de relations personnelles, ce qui minimise l'influence de journaux ou du cinéma ;

- Lorsque la formation criminelle est apprise, elle comprend l'enseignement des techniques de commission de l'infraction et l'orientation des mobiles, des tendance impulsives, des raisonnements et des attitudes ;

- L'orientation de ces mobiles est fonction de l'interprétation favorable ou défavorable des dispositions légales. Quand certains groupes sont respectueux des règles, d'autres ne cessent de les violer ;

- Un individu devient criminel lorsque les interprétations défavorables au respect de la loi l'emportent sur les interprétations favorables. C'est ce qui constitue le principe de l'association : on devient criminel parce que l'on s'associe à des modèles criminels sans avoir sous les yeux des modèles contraires. Chaque individu apprend la culture de son milieu environnant et ce d'autant plus qu'il n'a pas de modèle de comparaison ;

- Ces associations sont différentielles parce qu'elles peuvent varier en fréquence, en durée, en intensité ;

- La formation criminelle met en jeu les mêmes mécanismes que tout autre formation ;

- Le comportement criminel est l'expression des mêmes besoins et des mêmes valeurs que me comportement non criminel. C'est pour l'argent que les voleurs volent et que les honnêtes gens travaillent. La recherche de la réussite ou du bonheur ne les différencie pas. 

Bien entendu, des critiques mettent l'accent sur le fait qu'il accentue (trop) l'influence de l'entourage délinquant dans le processus de socialisation, au détriment du climat général dans la société. ils mettent aussi en avant une surévaluation des processus d'apprentissage d'une grande partie des actes délinquants qui n'exige pas de compétence particulière. Sans doute de telles critiques se focalisent sur tet ou tel aspect de sa démonstration, mais peu s'attaquent à l'ensemble de la théorie qui inclue tous les aspects de l'apprentissage, pas seulement techniques, ni seulement moraux.

 

L'importance d'une "sociologie noire" aux États-Unis... et au-delà d'une "sociologie de l'immigration"...

    Ce qui précède rend mal compte sans doute de l'importance, dès le début, d'une "sociologie noire" aux États-Unis, car le racisme ambiant préexiste dans cette société qui identifie l'individu souvent en premier lieu par sa couleur (jusque sur certaines cartes d'identité...). Car de nombreuses études portent sur la délinquance "noire", comme celles de Mac KAY et SHAW. 

    Louis WIRTH (1897-1952), poursuivant les études de Robert PARK, dénonce précisément les présupposés racistes et pose les bases de dispositifs d'intégration pour les immigrants. Dans ses travaux (Le ghetto, Champ urbain, 1980, traduction de son oeuvre de 1928 ; Culture conflict and misconduct, dans Social Forces, 1931), il veut démontrer l'importance du conflit de culture dans la genèse du comportement délinquant des populations immigrées. Il fait la comparaison de la délinquance de la première génération avec celle de la seconde qui tend à commettre des infractions sensiblement identiques à celles que commettent l'ensemble des Américains. Ce n'est pas, pour lui, le conflit "objectif" entre les normes de conduite prescrites par deux codes culturels qui serait criminogène. C'est davantage le conflit "subjectif", la manière dont les individus interprètent leur propre culture dont elle est regardée par les autres. De ce point de vue, la délinquance des adolescents pourrait provenir du sentiment d'appartenir à une culture dévaluée, méprisée et non susceptible de leur permettre une identification culturelle. Ils privilégient dès lors les normes qui disqualifient leur propre culture et adhère à leur code moral. Mais cette attraction reste problématique car de nombreux obstacles empêchent cette intégration culturelle. La délinquance n'est qu'une des manières dont ce conflit de culture s'exprime et sans doute ajouterions-nous une manière minoritaire de façon globale. Mais elle peut en constituer l'expression majeure chaque fois qu'un individu se sent stigmatisé en tant que membre d'un groupe disqualifié, lorsque par suite de mutations sociales et culturelles, sa communauté est désintégrée et dans l'incapacité d'assurer sa socialisation, lorsque l'individu appartient à un groupe en conflit avec le reste de la société, lorsqu'une conduite valorisée par son groupe d'appartenance viole la loi du groupes dominant.

Thorsten SELLIN (1896-1994), associé de Edwin SUTHERLAND, adhère à cette perspective (Conflits de culture et criminalité, Pédone, 1984, traduction de l'édition de 1938). L'homme nait dans une culture et y apprend les manières d'agir et de penser qu'on y diffuse et aussi les significations que l'on y donne "aux coutumes, aux croyances, aux objets et à ses propres relations avec ses semblables ou avec les institutions sociales". Poursuivant les travaux de Louis WIRTH, il propose un modèle explicatif de la criminalité dans des situations de pluralisme culturel. Son analyse est centré sur les conflits susceptibles d'exister entre les normes américaines et les normes culturelles des immigrés, mais peut s'appliquer également à nombre de situations européennes ou dans les situations coloniales. Il développe l'analyse d'un relativisme culturel qu'il retrouve dans le code français (d'alors) qui ne permet pas par exemple de tuer pour sauver son honneur, tandis que les normes kabyles acceptent la réaction meurtrière du mari face à l'adultère de son épouse. La modification des caractères de la criminalité d'une génération à l'autre constitue un indice du comblement d'un fossé culturel originel. Les conflits de culture peuvent d'après lui se produire dans trois contextes :

- à la frontière de zones de cultures contiguës, par simple contact ;

- quand la loi d'un groupe culturel est étendue pour couvrir le territoire d'un autre groupe ;

- lorsque les membres d'un groupe culturel émigrent dans un autre groupe. 

Le même auteur considère que les crimes des immigrants - surestimés dans les statistiques parce qu'ils constituent des populations plus surveillées que d'autres - sont la résultants soit d'un conflit entre les normes de conduite de la culture nouvelle et celle de l'ancienne, soit du changement d'un environnement rural pour un environnement urbain, ou bien du passage d'une société homogènes bien organisée à une société hétérogène désorganisée. Il examine pour le montre les modalités du contrôle parental. Il fournit là un modèle explicatif de la délinquance des étrangers et des migrants qui est utilisée par la suite dans un nombre considérable de travaux sociologiques. Il ne nie pas l'influence possible de la position sociale ou économique des individus dans la société mais souligne la dimension culturelle d'un certain nombre de particularismes comportementaux sans la prise en compte desquels on ne peut comprendre l'usage immodéré des armes, les rituels de vengeance ou les querelles d'honneur. Son schéma explicatif est bien entendu critique par ailleurs, sur principalement trois points :

- il accorderait une force trop grande au processus de socialisation en considérant que toutes les normes culturelles doivent être nécessairement intériorisées ;

- il surestimerait les différences entre les codes culturels, alors que des préceptes majeurs se retrouvent dans toutes les civilisations (sur le vol, sur le meurtre...) ;

- il n'éclairerait pas le paradoxe suivant lequel la première génération, la plus violemment confrontée au conflit de culture, ait une moins grande propension à la délinquance que la deuxième génération. Mais sur ce point, sa critique des statistiques devrait éclairer.

 

Théories des conflits de culture...

   Jean-michel BESSETTE, même s'il présente les théories des conflits de culture et de socialisation différentielle, dans un ordre inverse, rejoint sur le fond celle de Jacques FAGET.

Pour Thorsten SELLIN, le phénomène criminel, d'une manière générale, révèle ce qu'il désigne comme des conflits de culture. Plus une société se complexifie, écrit-il, plus tend à s'élargir le nombre de groupes normatifs (producteur de normes et de régulations spécifiques) - familial, professionnel, politique, religieux, de loisir... - auxquels est susceptible de se rattacher l'individu, et plus il est probable que les normes de ces groupes multiples feront apparaître des divergences et cela, quels que soient les traits communs dus à l'acceptation générale de certaines normes. Il y a conflit de culture (de valeurs et de normes), lorsque les règles de conduite, plus ou moins divergentes, viennent concurremment régir l'économie de telle ou telle situation particulière dans laquelle se trouve, à un moment donné, un individu. Ce genre de situation engendre un état de désorganisation sociale, état consécutif à l'éclatement des valeurs résultant de l'atomisation du corps social (la multiplication des groupes secondaires) et peut placer l'individu dans une situation d'anomie. 

Edwin SUTHERLAND (Criminology, 1939, voir aussi, avec Donalds CRESSEY Principes de criminologies, Cujas, 1966, Oeuvre de 1924) développe un analyse assez proche, intégrée dans un modèle explicatif plus global, dans sa théorie de l'association différentielles. A travers cette théorie, le sociologue américain s'efforce de décrire le processus selon lequel un individu devient délinquant. "La criminalité apparaît comme étant fonction de l'organisation sociale, comme l'expression de l'organisation sociale".

 

La délinquance comme réponse à un stimulus...

    Jean PINATEL explique que la criminologie américaine étudie la conduite de l'homme comme une réponse à un stimulus. Elle est dominée par la théorie du comportement ou béhaviorisme, établie par J-B. WATSON, ce qu'on a peut-être tendance à oublier, par nos européens, qui avons d'autres soubassements culturels. C'est contre cette domination que de nombreux sociologues et psycho-sociologues américains, imbus de l'idéologie démocratique, élaborent la théorie des associations différentielles. Ils minimisent le rôle des conditions économiques au profit de la culture, négligent l'hérédité et ses penchants, et, inspirés par Émile DURKHEIM, se réfèrent, d'autre part, au modèle culturel et à l'apprentissage.

C'est dans cette perspective que se situe cette théorie de E. H. SUTHERLAND. Réservée au début à la genèse du crime "systématique", elle est étendue par la suite par son auteur à tout comportement criminel. Sa systématisation repose sur des bases solides. Il est unanimement admis, écrit le criminologue français, qu'on n'hérite pas d'un comportement  en tant que tel (encore qu'il nous soit permis d'en douter de la réalité de cette unanimité). Et TARDE a eu, bien avant SUTHERLAND, l'intuition de l'importance des relations interpersonnelles dans la genèse d'un carrière criminelle. L'existence de milieux sous-prolétariens et de milieux criminels vont également dans le sens de la théorie de SUTHERLAND. Il ne faut pas oublier, non plus, que la psychanalyse souligne que si la formation du SurMoi dans un milieu de criminels s'effectue normalement, l'enfant fait sien le code de ses parents. En revanche, poursuit Jean PINATEL, la théorie de SUTHERLAND a des limites évidentes : elle ne tient pas compte des dispositions héréditaires, de la fragilité du terrain, des différences individuelles. Elle escamote les problèmes de personnalité. Il n'est pas vrai que chaque personne assimile inévitablement la culture environnante, à moins qu'il n'y ait d'autres modèles en conflit avec elle. En effet, le prestige des modèles culturels n'est pas le même pour tous ; ne sont retenus que ceux qui sont en harmonie avec la personnalité de celui à qui ils sont proposés. SUTHERLAND l'a pressenti lorsqu'il a parlé de relations émotionnelles connexes aux associations différentielles.

Sur les conflits de culture, le même auteur, qui souligne le succès en France de l'ouvrage paru aux États-Unis en 1938 de Thorsten SELLIN, écrit qu'elle a une portée générale. Conçue à l'origine dans l'étude des problèmes de l'immigration, elle s'applique également dans les domaines politiques (lorsque triomphe une idéologie de classe), moral (lois arbitraires ou favorisant la corruption), social (Bohémiens), criminologique (subcultures criminelles des aires urbaines). Cette théorie a le mérite de souligner que les valeurs morales et sociales exprimées par le code pénal peuvent n'être pas assimilées ou comprises par de nombreux citoyens ou être en contradiction avec leur idéologie et leur morale.

 

Jean PINATEL, Le phénomène criminel, MA éditions, l'encyclopédie de poche, collection Le monde de..., 1987. Jacques FAGET, Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Editions érès, 2007. Jean-Michel BESSETTE, Sociologie criminelle, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002. 

 

SOCIUS

 

Relu le 15 décembre 2020

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