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1 octobre 2009 4 01 /10 /octobre /2009 13:37
               Pierre CLASTRES et Lawrence KEELEY, aux perspectives divergentes, s'accordent sur le fait que dans l'abondante littérature ethnologique/anthropologique/archéologique, très peu d'auteurs abordent comme sujet d'étude majeur la guerre et les sociétés primitives. Même Maurice GODELIER ou Claude LEVI-STRAUSS évacuent à des degrés divers le phénomène guerre.
       Par ailleurs, les études consacrées à ce phénomène dans les sociétés primitives ne s'attardent pas beaucoup, pour la majeure partie d'entre elles, sur la définition même de guerre ni sur celle de sociétés primitives.

           Si Alain JOXE par exemple utilise le mot guerre seulement dans le cadre de relations entre États, situant stricto sensu la genèse de l'État avec l'apparition de l'écriture et l'organisation complexe des parentèles et de la chefferie, Lawrence KEELEY  par exemple considère que les razzias périodiques, les embuscades mettant aux prises des groupes d'hommes en nombre restreints (de 10 à 20 personnes suffisent) constitue déjà la guerre. Il existe, à lire ce second auteur, une continuité entre les vengeances inter-individuelles entre tribus rivales et les batailles rangées d'armées constituées hiérarchiquement.
On trouve dans les études des comparaisons entre nombre de morts et taux d'attrition entre groupes primitifs et États modernes qui rappellent les tristes moments d'un Institut de Polémologie à bout de souffle, réduit à faire des comptages statistiques annuels sur l'intensité des conflits.
De même une société primitive peut être autant une société contemporaine isolée à technologie très réduite de chasseurs-cueilleurs comme en Amazonie qu'une société disparue datant du paléolithique ou du néolithique. On trouve mélangées des considérations sur les unes et sur les autres. Dans certaines pages, on voit insister sur une continuité sur la signification de traces de violences dans des vestiges découverts sur des sites archéologiques ou sur des sites de sociétés plus récentes.
       Enfin beaucoup d'études partant d'aires géographiques bien définies ou de fouilles archéologiques localisées, la plupart des auteurs effectuent des généralisations hâtives, qui enlèvent parfois toute crédibilité à leurs recherches, alors que de très bons éléments y figurent.
       Pour finir tout à fait, les études en ethnologie ou en archéologie mettent aux prises des chercheurs en rivalité à la fois sur les crédits de recherche et sur les conceptions même de leurs travaux, lutte économique et lutte idéologique tout à la fois.

         Les auteurs qui tentent une approche globale du phénomène se livrent souvent à une classification des travaux de leurs prédécesseurs, par exemple Pierre CLASTRES, Lawrence KEELEY, Jonathan HAAS ou plus loin des préoccupations directement ethnologiques, mais plus globalement, comme John KEEGAN.
Partout l'on retrouve un partage entre auteurs qui considèrent la guerre comme une fonction habituelle des sociétés primitives, qualifiées presque toutes de guerrières (Harry TURNEY-HIGH, Napoléon CHAGNON, Lawrence KEELEY lui même...) et auteurs qui considèrent au contraire que les sociétés primitives sont de nature plutôt pacifiques, avec très peu d'activités guerrières proprement dite (Margaret MEAD, Brian FERGUSON, Neil WHITEHEAD...). Ce partage recoupe plus ou moins les écoles naturalistes et les écoles culturalistes, dans un vieux débat sur la nature et la culture.

      John KEEGAN, dans Histoire de la guerre (1993) fait référence précisément à ce dernier débat. Rappelant que les premiers ethnographes du XVIIIe siècle découvrant les Amériques admettaient "que la guerre faisait partie intrinsèquement des sociétés qu'ils étudiaient", le professeur d'histoire militaire décrit les approches des écoles en ethnologie, puis en anthropologie. Citant surtout Ruth BENEDICT, Margaret MEAD, Brosnislav MALINOWSKI, Claude LEVI-STRAUSS et Harry TURNEY-HIGH, il met l'accent sur le débat qui oppose ceux qui pensent que la guerre s'inscrit dans la nature même des hommes et d'autres qui pensent au contraire que les sociétés ont toujours le choix entre les relations pacifiques et les relations guerrières.
     
    Jonathan HAAS, dans l'introduction de The Anthropology of War (1990), définit trois écoles de pensée :
- matérialiste/écologique : Brian FERGUSON, Robert CARNEIRO et lui-même ;
- bioculturelle : Napoléon CHAGNON et Rada DYSON-HUDSON ;
- historique : C ROBARCHECK, T GIBSON et Neil WHITEHEAD.
    
     Pierre CLASTRES, dans Archéologie de la violence (1997) répartit les auteurs entre :
- les économistes : Maurice DAVIES, Marvin HARRIS, D R GROSS, Marshall SAHLINS ;
- les naturalistes : André LEROI-GOURHAN, et beaucoup d'autres ;
- les échangistes : Claude LEVI-STRAUSS.
   
      Lawrence KEELEY, dans Les guerres préhistoriques (1996) qualifie certains auteurs de théoriciens de la guerre primitive, très différente de la guerre réelle, vraie ou civilisée : Quincey WRIGHT et Harry TURNEY-HIGH. Ces auteurs se contentent tout simplement "d'endosser la conception rousseauiste selon laquelle l'homme n'est un ennemi pour les autres que sous l'emprise de la faim". Les "matérialistes" comme il les qualifie "ne sont pourtant nullement des adeptes purs et simples de Rousseau ; nombre d'entre eux (ainsi Andrew VAYDA, Robert CARNEIRO, Marvin HARRIS et William DIVALE) laissent entendre que la guerre tribale peut se révéler exceptionnellement acharnée et causer des pertes élevées." Napoléon CHAGNON, en revanche soutien, d'après l'auteur, "que ces tribus (Yanomano du Venezuela et du Brésil) constituaient une illustration exacte de la pensée de Hobbes". Au final de l'examen d'abord rapide des auteurs s'intéressant à la guerre, Lawrence KEELEY estime que "la théorie anthropologique récente se partage en deux conceptions extrêmes et opposées : d'un côté la guerre primitive est rare mais gratifiante, d'un autre, elle est banale et inutile". Outre le fait que cette opinion révèle un cloisonnement anglo-saxon et même américain du Nord inquiétant, elle met de côté les réflexions de fond inscrivant la guerre dans le fonctionnement habituel des sociétés primitives. Sans faire de ces sociétés des sociétés purement guerrières, elles montrent que la guerre fait partie intégrante des relations entre tribus, comme le montre par exemple Pierre CLASTRES.

       Dans un second temps, nous allons examiner les différentes conceptions classées par ces différents auteurs, auteur par auteur, laissant peut-être à plus tard une sorte de revue des sociétés examinées par les ethnologues dans le monde, par aire géographique, et les conclusions qu'ils ont tirées de leurs observations.
 
Lawrence H KEELEY, Les guerres préhistoriques, Editions Perrin, 2009. Pierre CLASTRES, Archéologie de la violence, La guerre dans les sociétés primitives, Editions de l'aube, 1999. John KEEGAN, Histoire de la guerre, Du néolithique à la guerre du Golfe, Editions Dagorno, collection Territoire de l'histoire, 1996. Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines, Ce que nous apprend l'anthropologie, Albin Michel, collection Bibliothèques Idées, 2007. Alain JOXE, Voyage aux sources de la guerre, PUF, collection Pratiques Théoriques, 1991. Maurice DAVIES, La guerre dans les sociétés primitives, Payot, 1931.
  
                                                                                ANTHROPUS
 
 
Relu le 5 juillet 2019

  
    
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