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5 février 2009 4 05 /02 /février /2009 17:10
      Pour ceux qui comprennent à peu près l'ère de désinformation dans laquelle nous sommes entrés depuis une vingtaine d'années, faites de publi informations et de publications de nouvelles non vérifiées, le livre de Christian SALMON, chercheur français sur les arts et le langage et fondateur en 1993 du Parlement international des écrivains, apporte de nouveaux éléments sur le fonctionnement de cette ère. Pour ceux qui, gavés de séries télévisées ou de télé-réalités, n'ont pas encore découvert la sauce avec laquelle ils sont mangés, il constitue une première approche enrichissante de la propagande diffuse des médias en général. Les cinéphiles se retrouveront avec cet ouvrage en terrain connu d'ailleurs...
        "Ce livre, nous dit l'auteur, a pour objet de retracer cette évolution (de l'art de raconter des histoires dans les médias utilisé tant dans le commerce que dans la politique) en analysant le développement sans précédent de ces usages instrumentaux du récit... Quelle en est l'origine? Comment expliquer leur essor aux Etats-Unis (puis en Europe) dans des activités jusque-là gouvernées par le raisonnement rationnel ou le discours scientifique? Quels sont les agents de leur production, les enjeux et les figures de leur construction symbolique? Par quels cheminements obscurs ces usages se répandent-ils des appareils centraux du pouvoir jusqu'aux pratiques les plus individuelles? Se diffusent-ils de haut en bas, ou obéissent-ils à des logiques de contagion d'un secteur d'activité à un autre? En quoi se légitiment-ils de l'approche narrative dans les sciences sociales? Quel rôle attribuer à la technique ou à l'idéologie dans leur prolifération?"
   
     Les récits dans une société polarisent toujours l'attention sur des réalités ou des vécus pour en occulter d'autres, mais à notre époque, qui se vante de rationalités de tout ordre, leur prolifération et la confusion entretenue par les nouveaux discours atteignent des niveaux sans précédents. L'émergence et l'installation durable d'Internet, l'alliance entre  toutes ces sociétés de communication, de marketing, d'"entertainment" (qui se traduit bien par entreprises de distraction, voire de détournement d'attention), de gestion de ressources humaines, d'entraînement militaire... tout cela, l'auteur le détaille en sept chapitres très informés.
"Ainsi, écrit l'auteur dans son Introduction, l'art du récit qui, depuis les origines, raconte en l'éclairant l'expérience de l'humanité, est-il devenu à l'enseigne du storytelling l'instrument du mensonge d'État et du contrôle des opinions : derrière les marques et les séries télévisées, mais aussi dans l'ombre des campagnes électorales victorieuses, de BUSH à SARKOZY, et des opérations militaires en Irak ou ailleurs, se cachent les techniciens appliqués du storytelling. L'empire a confisqué le récit. C'est cet incroyable hold-up sur l'imaginaire que raconte ce livre".
     
    Livre polémique certes, Storytelling a le mérite de renouvelé l'analyse des propagandes politiques et économiques, notamment depuis les années 1990. Dans la manière d'utiliser le langage, dans l'utilisation et la maitrise de la rhétorique,  il apporte des éléments très intéressants : cette dernière n'est pas seulement un discours philosophico-politique, c'est aussi, aujourd'hui, une technique d'action sur les émotions de la population à des fins pas toujours avouables, et qui entretient une confusion constante entre la réalité et la fiction
   
    Une "postface à l'édition de 2008", suite à l'élection de Nicolas SARKOZY à la présidence, prolonge la réflexion. Une première édition avait eu lieu en 2007, dans la collection "Cahiers libres" aux Éditions La Découverte.
    L'éditeur présente ainsi l'ouvrage en quatrième de couverture : "Depuis qu'elle existe, l'humanité a su cultiver l'art de raconter des histoires, un art partout au coeur du lien social. Mais depuis les années 1990, aux Etats-Unis puis en Europe, il a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l'appellation anodine de "storytelling". Derrière les campagnes publicitaires, dans l'ombre des campagnes électorales victorieuses, de Bush à Sarkozy, se cachent les techniciens sophistiqués du storytelling management ou du digital storytelling, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens. C'est cet incroyable hold-up sur l'imagination que révèle Christian Salmon dans ce livre, au terme d'une longue enquête consacrée aux applications toujours plus nombreuses du storytelling : le marketing s'appuie plus sur l'histoire des marques que sur leur image, les managers doivent raconter des histoires pour motiver les salariés, les militaires en Irak s'entraînent sur des jeux video conçus à Hollywood et les spin doctors construisent la vie politique comme un récit.. Christian Salmon dévoile ici les rouages d'une "machine à raconter", qui remplace le raisonnement rationnel, bien plus efficace que toutes les imageries orwelliennes de la société totalitaire."  
 
      Considéré par une grande partie de la presse comme un essai décapant (Hubert ARTUS par exemple dans Rue89, Cabinet de lecture), cet ouvrage survole pourtant plus qu'il n'analyse les tenants et aboutissants de cette manière de communiquer, de fabriquer, la réalité. Christian SALMON, ex président de l'ancien Parlement International des écrivains (jusqu'en 2003) créé en 1993 autour de la solidarité entre écrivains persécutés, chercheur au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL EHESS)  écrit là son livre le plus édité, très commenté par la presse internationale (L'agence Capa a même réalisé un documentaire sur ce livre, pour Canal+).
     Ouvrage polémique, Storytelling est critiqué par ailleurs sur le fond par Frédéric MARTEL (Nonfiction.fr), pour lequel Christian SALMON signe là "un ouvrage de propagande contre la propagande, aussi hasardeux que faux, qui a aveuglé nombre de journalistes français." "Largement américaine, dans l'esprit de notre auteur, cette histoire mérite d'être décrite avec une large loupe, à travers les hommes politiques, le Pentagone, la guerre en Irak comme à travers les idées et les marques. L'auteur entend dévoiler le fil rouge qui relie les nouvelles techniques de management et de communication, de gouvernance et de divertissement, procédés qui, les nouvelles technologies aidant, se répandent jusqu'en France. L'hypothèse est intéressante et le sujet passionnant, mais là s'arrête l'intérêt de l'ouvrage".
Cela pour plusieurs raisons qui sont autant de problèmes... "Le premier problème du livre, c'est qu'il méconnaît assez largement l'histoire qu'il prétend écrire et, déjà, passe sous silence la longue tradition de cet "art de raconter des histoires". Il est vrai que la mise en scène de la politique est vieille comme le monde, de la relation de la bataille de Kadesh aux cérémonies de triomphe du monde romain. L'auteur aurait dû, au minimum, faire référence aux histoires diffusées dans l'Amérique de l'esclavage puis de la ségrégation. "Le deuxième problème du livre, c'est qu'il construit une propagande d'extrême gauche, pour réponde à ce qu'il prétend être une propagande de droite extrême et cette dérive est particulièrement visible dans le chapitre consacré à la politique." Il aurait dû effectivement se souvenir de la saga construite autour des Kennedy, ou même de Jimmy Carter. Frédéric MARTEL reproche en outre de "découvrir" ces pratiques avec au moins quarante ans de retard, et sans doute plus grave de faire plusieurs erreurs factuelles, au sujet de Bush. Christian SALMON a raison de dénoncer un journalisme qui "favorise une version anecdotique des événements, une représentation en noir et blanc de l'actualité, et contribue comme jamais à brouiller la frontière entre la réalité et la fiction", mais il tombe sans doute dans le travers qu'il dénonce, dans un objectif idéologique inverse. Frédéric MARTEL est particulièrement sévère à son encontre, allant jusqu'à écrire que la déception suite à la lecture de son ouvrage, risque d'avoir l'effet inverse à celui recherché, en racontant à son tour, une autre histoire.
     Sans doute cette critique provient-elle d'un décalage de registre. Alors qu'on pourrait chercher une étude critique sociologique approfondie, telles que les mène Noam CHOMSKY, on se trouve en face d'un objet littéraire qui fait figure plutôt de pamphlet. On peut préférer, avec Frédéric MARTEL, l'ouvrage fouillé de Viktor KLEMPERER, LTI, La langue du IIIe Reich (Pocket Agora), qui circonscrit bien son ample objet d'étude, mais, dans le monde de la littérature, Storytelling mérite par une aptitude à provoquer la réflexion....
 

 

   
    Christian SALMON écrit en 2010, Kate Moss Machine (La Découverte)  qui étend la réflexion à l'univers de la mode. Il est l'auteur également de Le rêve mathématique de Nicolaï Boukharine" (Le Sycomore, 1980), Tombeau de la fiction (Denoël, 1999), Verbicide (Actes Sud-Babel, 2007) et de Ces histoires qui nous gouvernent (JC Gawzewitch, 2012).

Christian SALMON, Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Éditions La Découverte/Poche, 2008, 251 pages
 
Complété le 12 Août 2012. Relu le 20 janvier 2019.
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