25 avril 2008
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Julien FREUND, préfaçant la traduction du chapitre IV des études de l'ouvrage de Georg SIMMEL sur la sociologie, consacré au Conflit, met l'accent sur le fait que pour l'auteur, le conflit "n'est pas un accident dans la vie des sociétés" et qu'il en est partie intégrante. Il est même directement une forme de socialisation. "Sympathie et hostilité se mêlent sans cesse dans la vie des peuples, comme dans cette des individus, au hasard des péripéties de l'histoire".
En un seul long texte (153 pages ininterrompues dans l'édition Circé), le sociologue égrène une conception du conflit qui en fait le chaînon entre d'autres conflits, un conflit étant déjà la résolution des tensions antérieures entre contraires. Il en vient d'ailleurs à considérer la "facilité incroyable avec laquelle le climat d'hostilité peut être suggéré à autrui" et cela le conduit à l'idée d'un besoin "tout à fait primaire d'hostilité".
En un seul long texte (153 pages ininterrompues dans l'édition Circé), le sociologue égrène une conception du conflit qui en fait le chaînon entre d'autres conflits, un conflit étant déjà la résolution des tensions antérieures entre contraires. Il en vient d'ailleurs à considérer la "facilité incroyable avec laquelle le climat d'hostilité peut être suggéré à autrui" et cela le conduit à l'idée d'un besoin "tout à fait primaire d'hostilité".
Plus loin, SIMMEL montre la coexistence du principe du combat et de celui de l'union dans toute société, et indique notamment l'intensité remarquablement plus grande des conflits entre personnes proches, entre membres d'un même groupe, d'un même ensemble social, par rapport à celle des conflits entre personnes éloignées, entre membres de groupes éloignés les uns des autres et dont l'antagonisme est généralement le plus souligné.
La conscience de proximité et d'égalité entre personnes aiguise généralement leur antagonisme. D'où "la violence tout à fait disproportionnée avec laquelle des hommes par ailleurs tout à fait maîtres d'eux-mêmes se laissent parfois emporter justement contre leurs intimes les plus proches". La jalousie et l'envie semblent être des ressorts fondamentaux dans l'élaboration des rapports humains. Annonçant en quelque sorte les études de René GIRARD, Georg SIMMEL décrit le désir envieux d'un objet, non par sa désirabilté par le sujet, mais par le fait même que l'autre le possède.. De ce fait, la concurrence moderne, au coeur du libéralisme, est le combat de tous contre tous et aussi le combat de tous pour tous. Comment, dans ces conditions, une société parvient-elle à vivre?
La conscience de proximité et d'égalité entre personnes aiguise généralement leur antagonisme. D'où "la violence tout à fait disproportionnée avec laquelle des hommes par ailleurs tout à fait maîtres d'eux-mêmes se laissent parfois emporter justement contre leurs intimes les plus proches". La jalousie et l'envie semblent être des ressorts fondamentaux dans l'élaboration des rapports humains. Annonçant en quelque sorte les études de René GIRARD, Georg SIMMEL décrit le désir envieux d'un objet, non par sa désirabilté par le sujet, mais par le fait même que l'autre le possède.. De ce fait, la concurrence moderne, au coeur du libéralisme, est le combat de tous contre tous et aussi le combat de tous pour tous. Comment, dans ces conditions, une société parvient-elle à vivre?
Dans son développement, le sociologue indique qu'il y a une relation entre la structure de chaque cercle social et la quantité admissible de conflit entre ses éléments. Dans la famille comme dans un groupe religieux, comme dans un Etat, l'existence d'un ennemi bien défini constitue le liant entre membres capable de contrebalancer les effets délétères d'une telle concurrence.
Au trois quarts de son analyse, Georg SIMMEL introduit l'idée que "le contraire et la négation de la concurrence n'est pas le principe d'hégémonie et l'intérêt social" ou la lutte contre l'ennemi extérieur, mais "seulement une autre technique que celui-ci constitue pour lui-même, et qu'on appelle le socialisme". L'auteur n'explique pas complètement ce qu'il entend par là, mais il argumente ensuite que l'organisation du travail de tous les individus est essentielle et pour lui la "question (est) de savoir s'il faut confier la satisfaction d'un besoin, la création d'une valeur à la concurrence des forces individuelles ou à leur organisation rationnelle." Question qui appelle selon lui mille réponses, même s'il pense que le socialisme l'emporte sur le gaspillage des forces... mais ceci "dans la mesure où des individus sont attirés par cette atmosphère"...
En posant cela, dans l'ambiguïté, Georg SIMMEL entend mettre en avant la complexité des causes et des effets du conflit. L'achèvement d'un conflit, par victoire, par compromis, par réconciliation est toujours provisoire et fragile, pour ne pas rebondir sur une autre conflit de nature semblable ou différente. Il termine d'ailleurs ce long texte sur l'ombre du conflit qui pèse dans beaucoup de cas sur la paix, surtout lorsqu'il n'y a pas conciliation.
Annie GEFFROY, en 1993, livre une critique de ce livre : "(...) De lecture aisée malgré (l')absence de balises (livre d'une traite), il développe en variations fines sa thèse initiale : le conflit, opposé aussi bien à l'indifférence qu'au rejet, est un "moment positif qui tisse avec son caractère de négation une unité conceptuelle".
Cet essai, poursuit-elle, structuraliste avant la lettre, est tout à fait convaincant. G. Simmel prend ses exemples dans toutes les unités sociales, des plus petites aux plus grandes (couple, famille, tribu, parti, nation, alliance entre nations, église), des plus anciennes aux plus récentes, des plus européennes aux plus exotiques. Réflexions de psychologie, d'histoire, d'anthropologie, il y a un peu de tout, avec, me semble-t-il, une prédilection pour l'examen des ressorts de l'action individuelle, vus (peut-être un peu à tort?) comme clés de l'explication sociale et historique.
Dans tous ces groupes, G. Simmel examine le rôle du conflit. Celui-ci est, certes, destructeur : telle est la vision dominante, nul besoin donc d'y insister. Mais il est aussi constructeur du groupe, à quelque niveau qu'on le définisse. Le sentiment d'hostilité est peut-être plus nettement observable au stade embryonnaire des sociétés, mais il accompagne et contribue à fonder tout groupe. Le conflit juridique, dès qu'on renonce à la loi du plus fort physiquement, repose sur des normes communes aux deux parties. Dans des ensemble unifiés (Etat centralisé, Eglise), les conflits prennent des proportions étonnantes, qui laissent subodorer l'importance de la non-union, aussi forte que l'union elle-même. G. Simmel analyse ce que Freud appeler le "narcissisme des petites différences". Le prototype du conflit, qui allie "l'extrême violence de l'excitation antagoniste au sentiment d'une appartenance étroite" est pour le sociologue la jalousie. Il analyse ses manifestations, avec des subtilités qui font penser à La Bruyère, en la distinguant de l'envie, du dépit, de la concurrence. Avec cette dernière, on passe au domaine économique. A partir de nombreux exemples historiques, G. Simmel montre l'unité conflictuelle qui se manifeste, par exemple, dans les affrontements entre patronat et syndicats. Puis, il montre l'unification interne de chacune des parties engagées dans un conflit : les organisations créées pour et par la guerre sont bien plus cohérentes, plus fortes, que celles créées pour la paix. Corollaire : un Etat despotique à l'intérieur est souvent, aussi, belliqueux à l'égard de ses voisins. Mais une certaine élasticité de la forme unifiante est nécessaire, pour éviter l'éclatement interne à l'occasion d'un conflit.
Après les évocations du passage de la paix à la guerre, le chemin inverse, toujours plus difficile. Il peut prendre plusieurs formes : victoire, compromis, réconciliation, pardon, ces deux derniers processus sociologiques étant aussi/déjà religieux. G.Simmel termine par de fines observations sur les différences entre la relation réconciliée après conflit et celle qui n'a jamais été rompue.
Alors, au lieu de poser comme première, par besoin d'explication, soit la différence, soit l'unité, ne vaut-il pas mieux voir l'histoire humaine comme un "rythme infini", un flux interrompu dans lequel seul notre regard découpe des successions de guerres et de paix? Cette vision, en analysant tous les types de conflits comme "le" conflit (de la rupture dans un couple aux guerres mondiales), apparait parfois un peu trop générale. Mais on a droit à tant de vues conjoncturelles et myopes sur l'histoire et ses prétendues "nouveautés", qu'un survol un peu "siriusien" ne fait pas de mal...
Pr accumulation de réflexions, ce chapitre de la Sociologie construit donc une vision de l'histoire qui a le mérite de ne pas exiger ou postuler une quelconque "fin" ou utopie consolante. Vision qui me semble rendre compte de l'observation, quotidiennement renouvelée, et à toutes les échelles possible de temps et d'espace, de la fragilité des ensembles sociaux, et de leur plasticité infinie."

Le Conflit, Georg SIMMEL, Circé/poche, 2003 (info@editions-circe.fr), 159 pages avec les notes. traduction de l'allemand de Sibylle MULLER. Publié par Duncker & Humblot, à Berlin, en 1908.
Annie GEFFROY, le conflit de Georg Simmel, Mots n°1, volume 37, numéro thématique sur Rhétorique du journalisme politique, 1993, www.persee.fr
Complété le 1 septembre 2017.