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Sous-titré L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, l'ouvrage de Kohei SAÏTO, maitre de conférences en économie politique à l'Université d'Osaka au Japon, fait partie de l'édition d'un ensemble d'ouvrages réévaluant l'apport du marxisme, sous l'éclairage de nombreux écrits jusqu'à notre période inédits. L'auteur entend évaluer une "écologie de Marx", perçue pendant des décennies comme un oxymore, tant l'approche productiviste a été dominante de la part des continuateurs du co-fondateur du marxisme.
"Tant, écrit-il, l'hypothèse maxienne d'une croissance économique et technologique illimitée que le prosélytisme en faveur d'une maîtrise absolue de la nature paraissaient strictement antagoniques à toute discussion sérieuse concernant le stock limité des ressources naturelles et les sollicitations excessives subies par l'écosphère. Dans les années 1970, alors que les sociétés occidentales commençaient à se rendre compte que divers problèmes écologiques faisaient courir des risques sérieux à la civilisation humaines, Horst Kurnitzky reprochait à Marx de "refuser de voir le caractère destructeur présent dès les origines dans les sciences de la nature et l'industrie", le fondateur du socialisme se situant encore "dans la continuité de l'entreprise bourgeoise visant à une domination achevée de la nature" (1970, Versuch über Gebrauchsvert : Zut Kultur des Imperialismus, Berlin, Klaus Wagenbach). John Passmore souscrivait à la critique et affirmait même dans Man's Responsability for Nature : "Rien, dans le domaine de l'éconologie ne pourrait être plus pernicieux que la doctrine hégéliano-marxiste" (1974, Londres, Argument).
Reprenant à grand frais une partie importante de l'oeuvre de Karl MARX et Friedrich ENGELS, notamment les cahiers publiés pour la première fois de lecture de Marx consacrés aux sciences de la nature, Kohei SAÏTO entend éclairer leur véritable démarche. Sa contribution a pour but essentiel de présenter systématiquement la critique écologique de MARX comme un moment indispensable de son système économique. Il défend l'idée que le vrai but de la critique marxienne de l'économie politique ne peut être correctement et véritablement compris si on néglige l'aspect écologique. L'analyse écologique de MARX n'est pas seulement de sa manière de voir le socialisme, elle propose aussi un solide point d'appui pour la critique de la destruction capitaliste de l'environnement à l'échelle mondiales. C'est là qu'apparait, selon l'auteur, une actualité de la théorie de MARX. S'il a été plutôt "prométhéen" au début, dans le développement de sa pensée, après l'étude d'ouvrages portant sur les sciences de la nature, tend vers la compréhension du problème de la destruction de la nature en tant qu'elle constitue une limite à la valorisation capitaliste. Il y a dans le troisième Livre du Capital, reconstitué par ENGELS, un certain nombre d'éléments dans ce sens. Et d'un autre côté, un certain nombre de motifs importants de sa théorie écologique sont déjà présents dans les Manuscrits de Paris, où dès 1844, MARX voit dans la relation entre l'être humain et la nature une question centrale de sa théorie de l'aliénation. Pour lui, la rupture radicale de l'unité primitive entre l'être humain et la nature est à l'origine de la vie aliénée moderne, et il lui opposer l'idée émancipatrice de la réunification de l'humanité et de la nature sous la formule "humanisme = naturalisme.
Dans L'idéologie allemande, comme l'écrit notre auteur dans son Introduction à l'ouvrage, Marx reconnut cependant qu'il ne suffisait pas d'opposer simplement une "idée" philosophique à la réalité aliénée. "Ayant, écrit-il toujours, dans la foulée pris congé de la philosophie feuerbachienne, Marx a alors de plus en plus tendance à définir la relation entre humanité et nature en recourant à un concept physiologique, celui de "métabolisme", et il commence à critiquer "le trouble" de ce métabolisme comme contradiction du capitalisme. Le concept de métabolisme livre donc un fil conducteur pour toute la recherche concernant son écologie. Il retrace l'histoire du concept et montre comment il apparait pour la première fois chez Marx dans les Cahiers londoniens - auxquels on a prêté peu d'attention - et s'approfondit dans les Manuscrits de 1857-1858 (Grundrisse). Avec ce concept de métabolisme, Marx appréhende une condition naturelle générale et transhistorique de la production humaine, mais à laquelle, dans le système moderne, l'élargissement de la sphère de production capitaliste et l'augmentation de la productivité font subir des modifications qui sont plus radicales qu'elles ne l'ont jamais été. Mars analyse de quelle manière la dynamique spécifiquement capitaliste de la production au service de l'accumulation du capital construit un rapport très spécial entre les êtres humains à leur environnement et entraîne toute une série de dysharmonies et de décalages dans la nature elle-même. La contribution historique de Marx à la question de l'"écologie", c'est l'appréhension de cette spécifité historique du rapport humanité-nature sous le capitalisme."
Se situant dans le courant de l'édition MEGA 2 des oeuvres de Marx, livrée depuis 2012, que l'on peut retrouver sur Internet, Kohei SAÏTO recherche dans son travail inachevé les éléments d'une véritable critique écologique du système capitaliste. Ce n'est sans doute pas la seule étude sur une écologie marxiste ou marxienne, mais ce livre, rédigé en allemand et traduit par Gérard BILLY, qui a valu à son auteur le prix en mémoire d'Isaac et Tamara DEUTSCHER en 2018, en est une réalisation des plus récentes et des plus complètes.
Kohei SAÏTO, La nature contre le capital, L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, M/page2/Syllepse, 2021, 350 pages.