Yves SANTAMARIA décrit cette sorte de pacifisme en France de 1939 à 1947, sous le nom de pacifisme de drôle de guerre prolongée. D'abord sous l'espoir des accords en 1938 des accords de Munich, éloignant le spectre de la guerre, nombreux sont ceux qui, en pensée et/ou en action, tentent de mettre le pays à l'écart des destructions de la guerre, même si cela se fait au prix d'une soumission à l'Allemagne et au régime nazi (parfois pensés séparément...). Bien entendu, son étude se restreint à la France, on conçoit que la situation soit totalement différente en Allemagne et aux États-Unis, les configurations sont encore différentes.
L'analyse, pas facile à faire, de la situation du pacifisme en France durant cette période doit distinguer au moins trois période, au climat intellectuel et à l'état de l'opinion publique différents, celle de la "drôle de guerre" proprement dite qui s'arrête à l'invasion de 1940, d'un pacifisme qui suit de près l'évolution des périodes précédentes, celle de l'occupation, où la polarisation entre les différentes collaborations et les différentes résistances se fait de plus en plus forte et celle de l'immédiat après-guerre, faite d'une redistribution forte des cartes politiques et idéologiques.
Pendant la "drôle de guerre" proprement dite (1939-1940)
Il faut se resituer dans les perceptions des rapports de force entre France et Allemagne, les armées françaises figurant - en hommes et en matériels - en force en Europe, même du point de vue allemand. Un climat d'optimisme règne sur la capacité française de se défendre, étant donné que même l'état-major se refuse à une posture offensive. Comme l'écrit SANTAMARIA, "ce climat d'optimisme ne va pas faciliter la tâche des pacifistes, dont on a bu qu'ils étaient sur la défensive depuis qu'Hitler ne se donnait plus la peine de camoufler son expansionnisme sous les oripeaux du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (et à choisir la Grande Allemagne). Mais s'il laisse ainsi les coudées franches aux responsables de la conduite de la guerre, le relatif sentiment de puissance n'est pas sans effets émollients. Il alimente en particulier l'espoir d'une incapacité de l'Allemagne à conclure à l'Ouest avant d'être asphyxiée par la supériorité économique des alliés. Paradoxalement, cette croyance dans la possibilité de laisser de facto le pays en dehors du conflit survivra à la défaite, y compris lorsque la guerre embrasera les cinq continents. Il est difficile de les dénombrer, mais ils devaient se compter par millions ceux qui "ont vécu une drôle de guerre prolongée de 1939 à 1944, en espérant que leur pays soit le plus possible épargné" (selon la formule de Pierre LABORIE dans L'opinion française sous vichy, Seuil, 1990). Le sentiment de la faiblesse nationale est venu, après juin 1940, justifier leur attitude aux yeux de ceux qui se contentaient d'attendre la paix. Derrière les postures et les silences, ce sentiment est déjà présent, à la fin de l'été 1939, chez ceux qui entrent à reculons dans la guerre."
Dans l'effort de maintenir une relative quiétude, de nombreuses associations, officielles ou non, comme le Comité de liaison contre la guerre rassemblant des parlementaires toutes tendances confondues, sauf du radicalisme et du communisme. Marginalisés institutionnellement, ces parlementaires tiennent compte du climat général et les soldats mobilisés participent de cette ambiance, où même l'état-major effectue une sorte de service minimum, réduisant les exercices et les occasions d'alerte. Côté gouvernemental s'affrontent des partisans d'un néo-pacifisme (PÉTAIN, WEYGAND, BAUDOIN) et des partisans, en minorité et vite neutralisés, d'une préparation ferme à la défense (REYNAUD, de GAULLE, alors très instrumentalisé comme alibi). Perce au parti communiste, une ligne ni Berlin ni Londres, en attendant que la Grande Bretagne contre toute attente résiste et résiste fortement. Isolationnisme, antiaméricanisme et pacifiste constituent, comme l'écrit SANTAMARIA, "le lot commun des opposants du retour de la France dans la guerre, du bout à l'autre de l'échiquier politique", et se prolongent tout au long de la guerre.
Pendant l'occupation, un certain pacifisme révèle son vrai visage...
Travaillée par la propagande allemande, brouillée par la censure militaire qui interdit de se faire une idée de la réalité des rapports de force en Europe, s'accrochant à l'illusion d'une certaine forme de paix, une grande partie du pacifisme est emmené par des leaders qui n'en savent pas plus que la plupart de leurs compatriotes, mais qui moitié par opportunisme, moitié par illusion d'une grande Europe germano-française, situé dans à droite (Marcel DÉAT, du Rassemblement National Populaire) ou même à gauche (Part Populaire Français de DORIOT), ou à l'extrême droite (Marcel BOCARD, du Parti franciste). Cette frange du pacifisme, qui verse dans la collaboration, est également influencée par tout un courant littéraire dominant, où officie par exemple des intellectuels comme CÉLINE. Comme l'écrit encore SANTAMARIA, "le pacifisme peut ainsi être une vois d'accès au fascisme, dans la mesure où il se traduit par l'abandon de la référence française au profit d'une identité européenne englobante, portée par l'Allemagne, ce qui pourrait, dès lors, mériter qu'on lui concède l'impôt du sang. La guerre contre l'URSS éveille d'ailleurs des prurits inattendus chez le pacifiste Céline, qui suit avec intérêt les succès de l'opération Barbarossa, au point de songer - un temps - à s'engager dans le corps sanitaire de la LVF, qui rassemblent de l'initiative de Français, les nationaux qui veulent combattre le bolchévisme sous l'uniforme (ils seront forcés de la faire sous l'uniforme... allemand). Jusqu'à la défaite des troupes soviétiques à Stalingrad, la résistance sera perçue, même de ses chefs comme Jean MOULIN, comme une histoire violente et de mort. La répartition des Français et notamment des pacifistes entre Collaboration et Résistance se fait selon des paramètres nombreux, ce qui réduit parfois les deux à une multitude de parcours individuels, où comptent beaucoup l'aisance matérielle de départ, la simple possibilité d'agir, sans avoir toujours à se préoccuper, comme l'immense majorité de leurs compatriotes, à se soucier exclusivement du ravitaillement. La haine des Allemands, ou des Anglais, ou des Communistes, l'évolution de la situation militaire, surtout au fil des années où l'information circule de plus en plus parmi la population, la volonté d'engagement, la perception du devoir moral, notamment face aux répressions et aux déportations,
Moitié parce qu'elle est favorisée parfois par l'occupant, moitié parce de nombreux réseaux solidaires perdurent, gardant intacte l'audience et la portée des idées diffusées dans l'entre-deux-guerres, une activité pacifiste se déploie, jusqu'à influencer de façon notable le RNP et le PPF, du moins au niveau des adhérents (pas du sommet, très surveillé). On trouve d'ailleurs autour de ces deux gros partis (mais surtout du RNP) des personnalités qui s'agitent et qui évoluent parfois fortement, suivant la situation militaire et les informations sur les exactions nazies : Georges DUMOULIN, Pierre VIGNE (qui fondent en décembre 1940 l'hebdomadaire L'Atelier), André DELMAS, Paul FAURE, René CHATEAU, Marcel GITTON, Marcel CACHIN).... Il faut dire que nombre de personnalités plus ou moins pacifistes, en plus des informations sur les échecs allemands et l'horreur nazie, ont d'abord été auparavant rebuté par l'attitude des Allemands qui réfutent toute cette illusion d'une Europe germano-française et qui se méfient même des initiatives de participation directe à la lutte contre le bolchévisme (les nazis ont commencé à les accepter lorsque... ils commençaient à accumuler les échecs...). SANTAMARIA met en garde de généraliser à propos des itinéraires des acteurs cités plus hait, car leurs groupes mêmes ne les suivaient pas toujours dans les méandres de leurs initivatives... Et de plus, celles-ci ont énormément fluctué de 1940 à 1945. Le collabo-pacifisme manifeste d'ailleurs une cécité persistante et parfaite par rapport à la nature réelle du régime nazi. Si le régime de Vichy puise parfois dans le vivier pacifiste (Robert JOSPIN, Marcelle CAPY, Louise SAUMONEAU, pris dans la propagande (du bouclier contre des excès de l'occupant comme de la Restauration Nationale...) pour soutenir administrativement ou idéologiquement sa politique de collaboration, le mirage d'un néo-socialisme étant persistant (comme il l'avait fait en Allemagne même par le parti de HITLER), il peine à les retenir d'une attitude de plus en plus réservée, voire sympathisante dans les derniers mois envers la Résistance même. On ne dira jamais assez que jusqu'au bout de l'existence de l'État français, cette fiction d'un socialisme dans le nationalisme, est opérationnelle jusque dans les sphères du pouvoir.
Tout change (comme par miracle les millions de collaborationnistes deviennent résistants de la dernière heure à la Libération) lors des soulèvements insurrectionnels et de l'arrivée des Anglo-Saxons. Il faudra toute l'habileté de de GAULLE et de ses collaborateurs pour place l'État Français entre parenthèses dans l'histoire de France.
A la Libération et dans l'immédiat après-guerre, la ferveur nationaliste ressort bien plus que la tendance pacifiste...
Des personnalités comme Albert CAMUS, qui s'étaient couchées devant le fascisme pendant près de 5 ans, se retrouvent dans le camp des vainqueurs, et d'ailleurs même des collaborationnistes (eux pas pacifistes pour un sou...) de premier plan (Paul TOUVIER et René PAPON par exemple) se retrouvent dans les cadres de la France issue de la Libération... Dans le mouvement de l'épuration, le pacifisme, objet difficilement cernable par l'institution militaire comme par une partie de la population désireuse de régler quelques comptes, ne relève donc pas ni de la répression légale ni d'un procès populaire... A part ceux qui, dans les 3 partis collaborationnistes surtout, avaient exercé au grand jour des responsabilités dans la lutte contre la Résistance. Pourtant, à contrario des responsables de la grande collaboration économique ou administrative, la collaboration pacifiste est sévèrement sanctionnée. "Bien représenté chez les intellectuels et les journalistes, écrit SANTAMARIA, les pacifistes étaient d'autant plus exposés que les engagements de ces derniers occupaient dans l'imaginaire national une place surdimensionnée (...). Le cas de Robert BRASILLAH défraie la chronique, mais à l'inverse, la justice est plutôt clémente envers Félicien CHALLAYE et Michel ALEXANDRE, des figures du pacifisme de l'entre-deux-guerre qui se sont fourvoyés dans un soutien idéologique à l'Allemagne nazie. Mais dans les mouvance à gauche, à la SFIO, et singulièrement au Parti communiste français, la pression est plus grande contre l'esprit munichois, d'autant qu'une polémique éclate (et perdure ensuite d'ailleurs) sur son attitude entre 1939-1940. Alors que des intellectuels comme Daniel MAYER et Auguste LAURENT ont freiné jusqu'au bout l'ardeur de la Résistance, la SFIO, comme le PCF, épure dans leurs propres rangs, bien plus que dans le territoire, on épure dans les administrations et à la tête des entreprises. Nombreux sont marginalisés, même lorsqu'ils étaient parlementaires, et ils se retrouvent dans l'opposition au "système", ce qui les conduit à côtoyer d'autres vaincus de 1945 situés plus à droite et à délaisser la thématique pacifiste face à la "menace soviétique". Ce qui tend ensuite à brouiller les cartes de l'échiquier politique français et ce qui permet également à de nombreux collaborateurs bien placés dans l'administration française d'échapper à des poursuites tant judiciaires que politiques.
Ceci d'autant plus que les explosions atomiques au Japon rebattent les perceptions des menaces contre la paix. L'existence de la Bombe, comme on l'appelle alors, ne pas vécue consciemment en 1945, tant l'opinion est préoccupée de survie et de reconstruction dans les ruines. Mais tout de même, ici et là, Le journal la Croix et Albert CAMUS par exemple, on souligne le saut quantitatif dans les potentiels de destruction. Mettre la Bombe hors-la-loi, et ce dans un contexte où l'opinion reste favorable à sa construction pour la France, semble être, assez tardivement d'ailleurs, plutôt vers 1947, un point de ralliement pour une partie des pacifistes, qui mettent en avant également, suite logique de la défense de la SDN d'avant-guerre, la possibilité (la chance disent certains) d'élaborer, via l'ONU, "une véritable société internationale". Mais ce point de ralliement rassemble surtout le voisinage de la SFIO, par rapport aux PCF, qui n'entre pour l'heure, pas du tout dans cette problématique. Très vite, le pacifisme entre dans une nouvelle période, au diapason de la nouvelle frontière Est-Ouest.
Dans une grande mesure, ce pacifisme dans la guerre, de la deuxième guerre mondiale, qui ne ressemble pas du coup à celui de la première, trouve vite, dès 1939, des lignes de fracture nouvelle : entre les pacifistes qui ne pensent "qu'à la paix et la tranquillité", ceux qui se soucient de la nature du régime nazi, ceux qui malgré leur conviction s'engagent malgré tout dans la Résistance contre ceux qui s'efforcent jusqu'au bout de croire à l'alliance du nationalisme et du socialisme, entre in fine ceux qui possèdent une conception morale, sociale ou politique de la société et ceux qui placent encore malgré tout, et souvent en dépit d'une analyse sérieuse des actes et des pensées des pouvoirs en place, la paix en priorité absolue, qui constitue pour eux la condition sinon qua non de la vie, voire de la survie de l'espèce humaine.
Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005.
PAXUS