La tradition du pacifisme juridique plonge dans des siècles antérieurs et les plans de paix publiés par maints auteurs laïcs ou ecclésiastiques en témoignent, mais dans sa forme moderne, l'idée prend forme, bien avant que des États la reprennent à leur compte sous forme d'organisations internationales (SND, ONU...), dans les milieux pacifistes (largement minoritaires à l'époque) de la fin du XIXe siècle.
Jean-Jules PRODHOMMEAUX (né en 1869) fonde à Nîmes en 1887, avec d'autres lycéens de sa classe de philosophie, appartenant tous à la bourgeoisie huguenote de la ville, l'Association des jeunes Amis de la Paix, qui se transforme, à l'instigation du pasteur Charles BABUT, en Association de la Paix par le Droit (1895), avec pour président l'économiste alors très connu Charles GIDE (né en 1847). Ce dernier navigue dans un milieu protestant dans lequel il participe à la fondation de "l'école de Nîmes", mouvement coopératif français et également à "l'association protestante pour l'étude pratique des questions sociales". Même si l'Association de la Paix par le Droit se veut non-confessionnelle, elle est marquée par ses origines protestantes.
Cette idée de la Paix par le Droit rapproche également les membres de cette Association de Frédéric PASSY et du professeur Charles RICHET, et également la Ligue des Droits de l'Homme, fondée à l'occasion de l'affaire Dreyfus, la Ligue de l'enseignement et les loges maçonniques, par lesquelles en France, en Europe et aux Etats-Unis oeuvreront de manière importante à l'émergence des organisations interétatiques internationales pour la paix. De nombreux radicaux, officiellement ou non, oeuvrent alors pour cette idée, qui aboutit à l'organisation en 1904 du congrès national organisé par l'Association de la Paix par le Droit, véritable creuset d'un rayonnement dans la France entière.
Parmi les membres de cette mouvance figure au premier plan Théodore RUYSSEN, attiré par le protestantisme libéral, qui, de par ses activités en philosophie, comme beaucoup d'étudiants, fait des séjours, alors fréquents à l'époque, en Allemagne, où il se passionne pour le Projet de paix perpétuelle de KANT. Où il fait la connaissance de Ludwig QUIDDE, chef de file du mouvement pacifiste allemand. Cette rencontre sera suivie de beaucoup d'autres entre pacifistes français et allemands qui tissent alors des liens durables.
En Allemagne même, à Berlin, coeur du nationalisme et du militarisme prussien, s'active notamment la baronne Bertha von SUTTNER.
Les préoccupations des pacifistes français et allemands rencontrent, malgré bien des difficultés, celles du gouvernement français lorsqu'il souhaite en 1889 célébrer de façon grandiose le centenaire de la Révolution. Des Congrès universels de la paix sont organisés à partir de cette année par les milieux pacifistes, profitant de l'attrait exercé par les festivités. C'est cette mouvance, et notamment Bertha von SUTTNER qui convainc Alfred NOBEL, grand fabriquant d'armement, d'inclure dans son testament (1896) la création d'une fondation destinée à financer chaque année l'attribution de prix à ceux et celles qui s'illustrent dans les Lettres, les Sciences et le combat pour la paix. Le premier prix Nobel est attribué en 1901 et est suivi de toute une série et ce jusqu'à nos jours, même si l'esprit de l'attribution change au fil du temps...
Le pacifisme juridique constitue la forme de pacifisme dominant en France jusqu'à l'entre-deux-guerre et il donne ses fruits surtout à la grande époque de la Société des Nations. On pourrait le qualifier de mondanité mondialisée, mais ce serait oublier qu'une forte proportion des enseignants et même de juristes est très influence par ses thèses.
Impuissant lors du déclenchement de la première guerre mondiale, parce que finalement ayant toujours été minoritaire dans l'opinion publique, bercé de naïves illusions (qualifiées de naïves car nous connaissons l'Histoire, mais bénéficiant de nombreux soutien dans les sphères gouvernementales européennes et américaines...), la cause du mouvement pacifiste français semble perdue d'avance. Mais la lucidité de sa pensée influence jusqu'à contribuer à la formation des Nations Unies. En définitive, la question se pose surtout de l'adéquation entre un juridisme hérité du XIXe siècle et les tensions à l'oeuvre dans l'Europe des sociétés de masse. (Rémi FABRE). Le pacifisme juridique a bénéficié d'une grande audience dans la continuité, et aujourd'hui cependant encore on lui doit un certain nombre de concepts.
Ceci est d'autant plus frappant que la plupart de ses leaders ne sont pas partisans d'un pacifisme intégral et s'accordent pour penser que, toutes les procédures arbitrales ayant été épuisées, le recours à la guerre est parfois inéluctable. Mais certains comme Théodore RUYSSEN n'ont pas accepté la thèse que cela s'applique à la Grande Guerre. Et il se retrouve en première ligne après celle-ci pour mener la bataille de la fondation de la SDN et dans les années 1920, fait partie des meneurs d'un certain pacifisme qui se retrouve majorité dans les idées.
Tout en gardant une grande influence, c'est dans les années 1930 que cette mouvance du pacifisme juridique se divise entre partisan de la paix à tout prix, minoritaire d'ailleurs, et ceux qui estiment qu'il y a des limites dans l'acceptation des projets fasciste et nazi européens, au point que rétrospectivement on peut parler là de pacifisme patriotique (exprimé fortement par l'APD). le coup de grâce à cette forme qui apparait alors désuète de pacifisme intervient au déclenchement de la deuxième guerre mondiale.
Rémi FABRE, Un exemple de pacifisme juridique : Theodore Ruyssen, et le mouvement "la paix par le droit" (1884-1950), dans Vingtième siècle, revue d'histoire, n°39, juillet-septembre 1993, www. persee.fr. Marie-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015. Ingram NORMAN, Pacifisme ancien style, ou le pacifisme de l'Association de la Paix par le Droit, dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°30, 1993, www.perse.fr.
PAXUS