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14 janvier 2018 7 14 /01 /janvier /2018 07:25

      Le philosophe d'origine iranienne, spécialiste de Gandhi, auteur déjà de plusieurs ouvrages et pas seulement sur la non-violence ou Gandhi, publiés notamment en persan (non traduit en français), examine dans cet ouvrage les sources intellectuelles de l'animateur du mouvement de l'indépendance de l'Inde. Son ouvrage permet de mieux comprendre les influences hindoue et occidentale sur sa pensée et son action. On préférera de très loin la lecture de ce livre aux biographies plus ou moins défavorables publiées depuis de très nombreuses années, surtout dans la presse. il reste extrêmement fidèle à ce que Mohandas Karamchand GANDHI a pu écrire lui-même.

   Dans son avant-propos, Ramin JAHANBEGLOO, écrit fort justement que l'oeuvre (littéraire) de GANDHI reste en grande partie inconnue dans Français. Sur les cent volumes, compte-t-il, qui la constituent, à peine le dixième est traduit en français et la majeure partie des oeuvres proposées est épuisée depuis de nombreuses années, malgré la réédition ici et là de quelques publications.

"Or, explique t-il, ce qui fait la force et la qualité de Gandhi, c'est non seulement sa vie exemplaire, sa personnalité spirituelle, mais surtout l'héritage intellectuel laissé à travers ses écrits. Gandhi écrivait beaucoup et bien. Son style est simple et limpide, son ton franc et direct. C'est d'ailleurs grâce à cette clarté, certainement, qu'il a pu devenir le véritable artisans de la libération du peuple indien auquel il a redonné fierté et dignité. (...) Le nom de Gandhi est lié depuis cinquante ans (l'ouvrage est publié en 1998 à l'histoire et au concept de non-violence. En cela, nous pouvons dire qu'il y a un avant et un après Gandhi dans l'histoire de la non-violence. Il serait donc difficile de faire une étude sérieuse sur cette question sans faire référence à la pensée et à l'action de Gandhi. Pourtant, Gandhi lui-même n'a écrit aucun livre sur ce sujet. Bien que redondant, le thème de la non-violence ne parait que dans ses discours, interviews et articles. Il n'existe aucune pensée systématique de la non-violence chez Gandhi. Il serait donc inexact, selon nous, de parler de Gandhi comme d'un "philosophe de la non-violence".

D'autant plus qu'il n'a pas de formation de philosophe et s'est toujours défendu de parler en philosophe. le projet principal de ce livre est de présenter les principaux auteurs occidentaux qui ont participé à l'élaboration de sa pensée, à savoir l'Américain Henry David THOREAU, l'Anglais John RUSKIN et le Russe TOLSTOÏ, avec lequel il entretien une abondante correspondance. Mais loin de s'y restreindre, l'auteur évoque également le fond religieux de la pensée de GANDHI, à savoir une certain vision de l'hindouisme, avec un regard profond sur les autres religions, notamment le christianisme, l'islam et le bouddhisme. Pour lui, la politique n'est pas une fin, mais un moyen d'expérimenter la Vérité ou la recherche de vérité qu'il en tire. C'est pour cela que dans ses écrits, dans son Autobiographie, il a tendance à sous-estimer ses expériences politiques, pour ne mettre en valeur que l'impulsion spirituelle qui est à leur origine. 

     Beaucoup d'articles ont été publiés sur les relations familiales de GANDHI ainsi que sur les influences hindoues de son action. Certains se sont même fourvoyé en grande partie (comme Roger GARAUDY) sur les origines principales de ses sentiments religieux. En fait ce qui caractérise l'activité de GANDHI n'est pas dominée par des considérations de politiques familiales - en tout cas il ne s'exprime que très peu là-dessus, sauf pour dire que ses décisions de s'installer en Afrique du Sud puis en Inde sont l'objet d'attentions familiales très fortes - et il ne fonde pas son action dans le cadre d'une stratégie familiale comme il en existe fortement en Inde. Il considère que tous les hommes sont frères et s'étend sur ses plutôt sur ses propres tendances intérieures. Il considère que la sagesse se trouve en tout homme et en toute religion, et qu'il et qu'elle mérite pour cela le respect le plus étendu. 

"Il va sans dire, écrit l'auteur du livre, que l'action politique de Gandhi a ses racines dans une dans une expérience spirituelle. Chaque moment historique de cette action est marquée par la quête de la Vérité. C'est pourquoi la politique de Gandhi est inséparable d'un dynamisme spirituel. Ce dynamisme prend chez lui la forme d'une maîtrise de soi, qui se présente à travers de multiples pratiques personnelles comme le jeûne, l'abstinence sexuelle, le végétarisme... Or, d'après Gandhi, posséder d'une manière parfaite le brahmacharya, c'es-à-dire le stade d'observation de certaines règles de vie et notamment le célibat, c'est remplacer toute forme de violence et de désir de possession par un amour pur. Gandhi définit l'amour pur comme la non-violence sous sa forme active, c'est-à-dire comme la bienveillance envers toute forme de vie. La non-violence est donc, selon lui, l'absence totale de mauvaise volonté envers tout ce qui existe. (...) Ainsi, opter pour la non-violence, c'est renoncer au désir de violence qui habite en chaque homme. C'est la raison pour laquelle Gandhi utilise le mot d'ahimsa (formé du préfixe négatif a et du substantif himsa, qui signifie faire violence ou porter atteinte) en reprenant à son compte la philosophie générale de la Bhagavad-Gitâ. L'ahimsa signifie le non-désir de faire violence". Bien qu'étant une notion centrale du jaïnisme, qui met en évidence la conception générale du renoncement et l'attitude à l'égard de la vie dans cette religion, l'ahimsa est associée à un véritable dessein sociopolitique. La force de Gandhi est donc bien là : donner un sens politique aux pratiques ascétiques des mouvements religieux comme le jaïnisme et le bouddhisme pour mener une action aux enjeux modernes.

Ainsi, dans sa lecture du concept de l'ahimsa, poursuit Ramin JAHANBEGLOO, dépasse les simples limites de l'ascétisme religieux en élaborant une vaste théorie de l'action juridico-politique. La non-violence n'est plus simplement le droit de la charité et de l'humilité, mais une capacité positive de délégitimer la violence de l'autre. C'est cette réflexion sur le rapport à l'autre qui va conduire Gandhi à parler de la non-violence comme de la vertu de l'homme moralement fort. Pour lui, la non-violence est une attitude plus courageuse que la violence" et très souvent il dit et écrit qu'entre la lâcheté et la violence, il faut choisir la violence. Mais la non-violence est la loi de l'espèce humaine comme la violence est celle de la brute. Gandhi est attaché à l'obéissance à la non-violence, non-violence qui entraîne la souffrance. Sa pensée exige la discipline, l'abnégation, la souffrance altruiste, l'humilité, la responsabilité, le dévouement, mais surtout l'esprit d'indépendance. "C'est d'ailleurs cette réflexion sur l'indépendance au plan individuel, mais aussi au plan "national", qui va conduire Gandhi à forger un concept essentiel dans sa pensée qui est celui de swaraj. Le swaraj traduit à la fois l'autonomie morale d'une personne au plan individuel, mais aussi la volonté d'une nation d'être maître de son propre destin. A l'opposé de certains nationalistes indiens, Gandhi ne cherche pas dans l'idée de swaraj la justification d'actions violentes contre le colonisateur. Riche de diverses influences indiennes, mais surtout occidentales, il mène une lecture très spécifique du swaraj. Pour lui, tout swaraj, ou indépendance, doit se définir dans la voie de l'ahimsa. La gestion du swaraj ne peut se fonder que sur une stratégie non violente. En affirmant cela, Gandhi pense non seulement à la lutte que doivent mener les Indiens contre l'Empire britannique, mais aussi et surtout à l'avenir démocratique de l'Inde." De plus, "pour Gandhi, la non violence va bien au-delà de la société indienne ; elle constitue une doctrine universelle, pour tous les hommes et pour tous les temps. Il est lui-même intimement convaincu que la non-violence est l'un des maîtres mots de l'histoire en son siècle, mais plus encore des siècles à venir. C'est en cela que ses idées sur la non-violence et la tolérance dépassent le seul cadre de l'histoire de l'Inde et de son avenir qu'il s'agit à l'origine. Il n'empêche que Gandhi, très tôt, développa une conscience aigüe de ce qu'est la culture indienne, avec ses forces et ses faiblesses, tout en cherchant des points d'appui dans d'autres cultures pour l'élaboration théorique de son idée de la non-violence.

Par delà les diverses influences indiennes, véhiculées notamment par la Bhagavad-Gitâ et les Upanishad, Gandhi tenta de chercher le support philosophico-politique de son action non violence chez des penseurs occidentaux. Lecteur de la modernité occidentale, Gandhi se donne la possibilité de conduite la tradition indienne vers la non-violence." Il modifie donc les anciens modèles de la philosophie indienne par rapport aux nouvelles urgences de la société indienne. C'est autour de la désobéissance civile de THOREAU, la loi de l'amour de TOLSTOÏ, et des pensées sociaux-économiques de RUSKIN qu'il rocherche des outils pour sa stratégie politique, le satyagraha. La dette de GANDHI envers ces trois penseurs occidentaux est bien plus grandes qu'on ne pourrait le croire. Sa non-violence ne sort pas de l'hindouisme ni du christianisme, mais bien des deux.

    L'auteur indique que depuis 50 ans la postérité de GANDHI, en Inde et dans le monde, est riche de formation de divers mouvements. En Inde, Vinoba BHAVE, avec son mouvement Boodham (don de la terre)  créé en 1951 et plus tard le mouvement Gradam (don du village), a une large influence notamment dans l'Etat de Bihar (l'Inde est une fédération, rappelons-le). Puis en Inde toujours J.P. NARAYAN dans les années 1960, qui fait son entrée sur la scène politique nationale indienne, fondateur en 1975 du Parti Janata. Mais depuis la mort de ces deux leaders, apparemment pas de relève à proprement parler politique. Mais de multiples mouvements ruraux à travers l'Inde porte la non-violence dans la vie quotidienne. Le raisonnement internationale est également important, de l'action du mouvement de Martin Luther KING dans les années 1950 et 1960 aux Etats-Unis à celle du mouvement de résistance polonais à l'occupation soviétique de Lech WALESA, à l'époque où il présidait Solidarnosc....

    L'auteur détaille les origines intellectuelles de la pensée gardienne et consacre un chapitre à chacun des grands auteurs occidentaux de référence de la pensée de GANDHI, qui jette à chaque fois un regard très éclairant sur leurs apports que GANDHI lient de manière indissociable à ses références hindoues, formulées elles-mêmes dans des acceptions bien particulières, qui n'a en définitive rien à voir avec l'ahimsa tel qu'il est célébré et pratiqué traditionnellement. 

 

Ramin JAHANBEGLOO, Gandhi, Aux sources de la non-violence, Editions du félin, 1998, 180 pages.

 

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