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11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 10:21

    Au moment des grosses commémorations officielles ronflantes, que ce soit au niveau européen ou au niveau de villages, il est bon de rappeler les paroles de tous ceux qui participèrent en première ligne à cette guerre-suicide. En 1998, à l'appel de Radio France, huit mille auditeurs et auditrices envoyèrent les témoignages écrits de ces soldats issus de multiples positions sociales.

Ce petit livre rassemble certaines d'entre elles - environ 300 documents - qui nous rappellent la réalité de cette guerre, qui est aussi d'une certaine manière à des échelles différentes la réalité de presque toutes les guerres, mais singulièrement de celle-là, qui, rompant avec les jours de la "Belle époque", a mis fin à bien des vies, des espoirs et des illusions.

    Laissons introduire ce petit livre par Jean-Pierre GUÉNO, écrivain français, ancien directeur des éditions de Radio France  : "(...) Il y eut soudainement (dans les rues) des civils, des militaires de carrière, des conscrits, des réservistes, des artilleurs, des marins, des fantassins, des zouaves, des aviateurs, des sapeurs, des brancardiers, des agents de liaison, des télégraphistes, des sous-officiers (...), des cantiniers, des bleus, des rappelés, des permissionnaires... Il y eut soudainement des poilus.

Leur écriture était ronde ou pointue : elle avait la finesse de la plume ou le trait gras du crayon à encre. Ils s'appelaient Gaston, Jean, Auguste, Marcel (...). Leurs femmes et leurs mères s'appelaient Félicie, Léonine, Hortense (...)... Ils avaient le plus souvent entre 17 et 25 ans, mais ils pouvaient en avoir 30 ou 40.

Autant de voyageurs sans bagages qui durent quitter leurs familles, leurs financées, leurs enfants. Laisser là le bureau, l'établi, le tour (...). Revêtir l'uniforme mal coupé, le pantalon rouge, le képi cabossé. Endosser le barda trop lourd et chausser les godillots cloutés.

Très vite, ils comprirent que cette guerre n'avait pas de sens. De faux espoirs en faux espoirs, de dernières batailles en dernières batailles, ils finirent par ne plus pouvoir prévoir la fin de la guerre dont ils étaient les acteurs et dont l'utilité vint à ne plus leur paraître évidente.

Sur 8 millions de mobilisés entre 1914 et 1918, plus de deux millions de jeunes hommes ne revirent jamais le clocher de leur village natal. Leurs noms sont gravés dans la pierre froide des monuments de nos villes et de nos bourgs. Et quand l'église s'est tue, quand l'école est fermée, quand la gare est close, quand le silence règne dans ces bourgs qui sont devenus des hameaux, il reste ces listes de mots, ces listes de noms et de prénoms qui rappellent le souvenir d'une France dont les campagnes étaient si peuplées.

Plus de 4 millions d'hommes ne survécurent qu'après avoir subi de graves blessures, le corps cassé, coupé, marqué, mordu, la chair abîmée, quand ils n'étaient pas gravement mutilés. Les autres s'en sortirent en apparence indemnes : il leur restait le souvenir de l'horreur vécue pendant plus de 50 mois, la mémoire du sang, de l'odeur des cadavres pourrissants, de l'éclatement des obus, de la boue fétide, de la vermine, la mémoire du rictus obscène de la mort. Il leur restait la griffe systématique et récurrence du cauchemar pour le restant de leurs jours et avec elle le cri angoissé parce que sans réponse, l'appel de leur mère. Il leur restait la force des mots qui évoquaient des images dont ils n'oublieraient jamais l'horreur : Gallipoli, Verdun, Le Chemin des Dames, Arlon-Virton, le moulin de Lavaux, la Somme, Ypres, Péronne, Montmirail, Douaumont, le fort de Vaux..."

    Les responsable de ce livre n'ont pas la prétention de faire oeuvre d'historiens. Leur démarche est avant tout humaniste et littéraire. "Il s'agissait simplement de faire entendre ces cris de l'âme confiée à la plume et au crayon, qui sont autant de bouteilles à la mer qui devraient inciter les générations futures au devoir de mémoire, au devoir de vigilance comme au devoir d'humanité."

"Entre 1914 et 1918, poursuit-il, la propagande gouvernementale fut tellement intense qu'elle fit perdre tout crédit à une presse écrite trop servile et trop prompte à relayer le "bourrage de crâne". La France fut le seul pays incriminé dans le conflit dans lequel il était strictement interdit de publier les pertes. Cette chape de silence et de mensonge porta longtemps ses fruits après la Première Guerre mondiale. Nos livres d'histoire ont trop longtemps minoré les pertes de l'une des plus grandes boucheries de l'histoire qui fit dans le monde plus de 10 millions de morts et près de 20 millions de blessés. Ils ont trop longtemps passé sous silence le véritable état d'esprit de ces poilus qui pour la plupart ne se faisaient aucune illusion sur le fondement réel du conflit, mais qui n'en accomplirent par moins leur devoir avec un courage surhumain. Ils ont trop longtemps passé sous silence l'incompétence criminelle de certains officiers supérieurs qui n'ont pourtant pas laissé une trace négative dans la mémoire collective. (...)"

     Ces 300 documents sont présentés au rythme des saisons : Premier été, saison du départ et du baptême du feu, Automnes, saisons ensanglantées, saisons de la mort et du pourrissement, Printemps, saisons à contre-pied, saisons du cafard et de la nostalgie., Etés, saisons des amours à distance, saisons des aveux qui l'on n'avait jamais osé exprimer, Dernier Automne : saisons des ultimes boucheries, saison de la paix qui se déchaîne aussi brutalement que la guerre avait pu enflammer les moissons de 1914. L'ensemble des lettres reçues sont versées dans les fonds d'archives de la Grande Guerre de Péronne et dans les Fonds d'archives du ministère de la Défense. 

 

A noter que Jean-Pierre GUÉNENO a publié également Paroles de poilus, paroles de paix en 2017 aux Editions rue des écoles. Il a publié encore avec Jérôme PECNARD, aux éditions Les Arènes en 2009, Paroles de l'ombre, Lettres et carnets des françaises sous l'Occupation (1939-1945).

 

Sous la direction de Jean-Pierre GUÉNO et d'Yves LAPLUME, Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front (1914-1918), Librio, Radio France, 1998, 190 pages.

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