Dans sa périodisation de l'histoire de l'esthétique, Daniel CHARLES poursuit avec la fin de la Renaissance, entre DESCARTES et KANT. Cette fin de Renaissance est marquée par le mysticisme (Thérèse d'AVILA, Jean DE LA CROIX) ou l'étrange (PARACELSE, BÖHME) ; par des poétiques de la violence (comme celle de l'éclatement de l'ordonnance chez DÜRER) ; par l'austérité de la Contre-Réforme, puis par le maniérisme et enfin par le baroque. Le classicisme ne s'impose qu'au XVIIe siècle, d'abord dominé par les arts poétiques inspirés d'ARISTOTE, puis conscient de lui-même avec DESCARTES. C'est qu'en Occident, les guerres de religion "aidant", il est de moins en moins question pour les artistes d'exprimer la divinité dans leurs oeuvres, puisqu'il y de plus en plus de conflits concernant précisément la nature et le sens de cette divinité.
DESCARTES, rappelle notre auteur, n'a pas constitué une esthétique. D'ailleurs, "la structure de son système lui interdisait peut-être de faire se rejoindre vraiment en l'homme la perception et le jugement, et par là de rendre pleinement compte de l'attitude humaine en face de l'art". Toutefois, sa philosophie englobante de recours à la raison pour fonder l'ensemble des sciences, ne manque pas de toucher l'art comme tel. "Pour partielle et provisoire qu'elle soit, l'esthétique cartésienne, qui commence par un relativisme, s'achève dans un rationalisme : car les différences définitions de l'art et du Beau doivent pouvoir se soumettre, au même titre que la Nature, à une règle de raison qui permette d'en opérer la déduction."
Un certain effort vers une unification des connaissances humaines est réalisé par plusieurs auteurs :
- BOILEAU pour joindre le Beau et le Vrai dans le retour à une origine commune - raisonnable - des arts et des sciences ;
- BATTEUX pour qui les Beaux-Arts sont réduits à un même principe, celui de l'"unité dans la multiplicité", ce principe comprenant aussi bien l'exigence purement théorique, géométrique, d'une reprise des figures particulières sous un schème général et générateur, que l'exigence sociologique avant la lettre, de la réduction des diverses bienséances d'une même époque à un unique réseau de conventions simples ;
- LESSING (Laocoon, 1756) démêle cet entrelacs : il s'agit, avant tout, de ne point confondre la part de la raison et celle de l'insertion historique ;
- DUBOS (Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1719) développe la théorie des conditions - géographiques, climatiques - d'apparition de l'oeuvre d'art, montrant ainsi la voie non seulement à MONTESQUIEU, mais à l'esthétique du XIXe siècle.
Daniel CHARLES explique que "par son souci de fonder en raison la science comme telle, Descartes n'avait pas seulement déclenché une rationalisation de l'esthétique. Sa recherche d'un tel fondement renvoyait au cogito, c'est-à-dire à l'affirmation de la certitude du sujet comme garantie de toute objectivité, et à l'aidée que le jugement suppose l'"assentiment de la volonté". Que l'art, comme spécimen de l'être, dépende du sujet en tant que celui-ci est certain de ce qu'il affirme, c'est-à-dire que la description de la conscience esthétique importe davantage, désormais, que celle des oeuvres elles-mêmes ; que l'esthétique relève dorénavant de la psychologie et non plus de l'ontologie - telle est la conséquence capitale, qui va peser de façon décisive sur tous les développements ultérieurs". On conçoit que dans maints esprits religieux, cela peut constituer un véritable scandale et c'est une raison de plus aux prudences de DESCARTES lui-même dans ses écrits, qui a bien conscience, en posant ce qu'il pose, de dresser contre maintes autorités religieuses - lesquelles possèdent encore malgré tout une grande emprise sur ce qu'il est convenu s'appeler Beau, un véritable arsenal logique. Parmi tous ces développements ultérieurs, Daniel CHARLES cite :
- PASCAL, pour qui l'esprit de finesse s'oppose l'esprit de géométrie ;
- Roger de PILES (1635-1709) qui se montre soucieux du vrai singulier contre le vrai idéal, celui de par exemple, de LE BRUN (1619-1690) ;
- Le père ANDRÉ (Essai sur le Beau, 1741), qui aboutit à une définition sensible du style : "J'appelle style une certaine suite d'expressions et de tours tellement soutenue dans le cours d'un même ouvrage, que toutes ses parties ne semblent être que les traits d'un même pinceau ou, si nous considérons le discours comme une espèce de musique naturelle, un certain arrangement de paroles qui forment ensemble des accords, d'où il résulte à l'oreille une harmonie agréable".
- DUBLOS qui conclut au primat du sentiment sur la raison : "L'attrait principal de la poésie et de la peinture vient des imitations qu'elles savent faire des objets capables de nous intéresser" ; s'il en est ainsi, "les poèmes et les tableaux ne sont que de bons ouvrages qu'à proportion qu'ils nous émeuvent et nous attachent" ; en sorte que le meilleur jugement est celui des non-spécialistes : "Les gens de métier jugent mal en général, quoique leurs raisonnements examinés en particulier se trouvent souvent assez justes, mais ils en font un usage pour lesquels les raisonnements ne sont point faits. Vouloir juger d'un poème ou d'un tableau en général par voie de discussion, c'est vouloir mesurer un cercle avec une règle".
- DIDEROT, prônant le naturel du jeu théâtral, invoque le critère classique du vraisemblable pour mieux faire éprouver au spectateur un sentiment, même factice ; en sorte que l'émotion et le pathétique, la sensibilité et l'observation de soi deviennent finalement les antithèses "fortes" du raisonnement et de l'équilibre de l'oeuvre classique.
"Mais c'est d'Angleterre, explique-t-il encore, avec le primat humien (de David HUME...) de l'imagination sur la raison, et d'Allemagne, avec la théorie du Gefühl que développent SULZER (Origine des sentiments agréables ou désagréables, 1751) et WINCKELMANN (Histoire de l'art dans l'Antiquité, 1764), que vient le recul de la raison : désormais, l'expérience individuelle compte plus, dans le jugement de goût, que l'universalité rationnelle ; ainsi l'on se prépare à admettre l'esthétique romantique de l'intériorité, des états d'âme et des chocs qualitatifs que l'art fait subir au sujet."
Daniel CHARLES estime qu'à l'insurrection cartésienne de la subjectivité et à tous les développements non cartésiens qu'elle entraine au XVIIIe siècle, deux éléments viennent s'adjoindre cependant, qui infléchissent d'une manière décisive la démarche esthétique proprement dite :
- Les oeuvres de SHAFTESBURY (1671-1713), suivies de celles de HUTCHESON (1694-1746) et celles de Henry HOME (1696-1782), trématassent l'intuition et le génie en une doctrine de la saisie esthétique immédiate de ce qu'il y a de sublime dans le Tout ; il y a, particulièrement chez SHAFTESBURY, une résurgence platonicienne et même platonicienne qui oblige à méditer à nouveau sur l'équation du Beau et du Bien.
- La philosophie - anticartésienne- de LEIBNIZ (1646-1716) assigne à l'esthétique une place centrale dans le système du monde : car l'univers reflète l'harmonie intérieure de la monade, et cela rend l'artiste "capable de connaitre le système du monde, et d'en imiter quelque chose par des échantillons architectoniques, chaque esprit étant comme une petite divinité dans son département".
Mais BAUMGARTEN répond à LEIBNIZ, dans son Aesthetica (1750) ; il élabore la notion d'une faculté esthétique propre au sujet humain comme tel. Cette faculté, qu'il appelle cognitio sensitiva perfecta, est définie comme intermédiaire entre la sensation (obscure, confuse) et l'intellect (clair, distinct). Ainsi, par rapport au platonisme, le Beau n'est plus situé au-delà de l'intelligible comme puissance d'unification de celui-ci et, par là, révélation intuitive du Tout ou de l'Un ; mais il se trouve en deçà de l'intelligible comme principe d'unification "imitant" celui de l'intelligible. Que la loi intérieure de l'intuition esthétique soit un analogon rations, elle n'en est pas moins indépendante pour autant de la raison conceptuelle : elle la déborde et ne lui est nullement soumise (il n'y a pas, dira t-il, "tyrannie de celle-ci sur celle-là, mais bien plutôt harmonie entre elles deux), et cela justement parce qu'elle n'est pas moins logique. Qu'il existe donc une Raison esthétique, au même titre qu'une Raison gnoséologique, et même que la Raison dans son ensemble comporte non seulement celle-ci mais encore celle-là, voilà qui doit entraîner, d'une part, la fondation de l'esthétique comme discipline autonome, et, de l'autre, la constitution d'une nouvelle philosophie, proprement anthropologique, qui témoigne de ce que la Raison s'humanise, se limite par la sensibilité. Toutefois, la sensibilité n'est ainsi libérée qu'en tant qu'elle est légitimée : elle demeure en quelque sorte conditionnée par l'idéal d'une connaissance pure. Elle ne signifie pas l'insurrection du désir ou de la passion, mais désigne l'aspiration à une vie véritable de la Raison. (Daniel CHARLES)
Malgré ses aspects insurrectionnels, toutes ces réflexions, cela ne peut nous échapper, reste attachées à l'existence d'une harmonie - céleste - qui ne veut plus dire son nom, tellement elle est rattachée à une oppression ecclésiastique, qu'elle soit catholique ou protestante, et plus prosaïquement, ce qui limite évidemment son impact, à une harmonie sociale, où la stabilité est préservée. C'est d'ailleurs parce que ces auteurs expriment leur attachement à cette idée ancienne, à quelque tradition qu'elle soit rattachée, que nombreux bénéficient de la bienveillance de mécènes parfois puissants, liés de manière étroite à la Monarchie, ne serait-ce en tant que concept, même plus ou moins précisée (limitée) politiquement. C'est - parallèlement à toute une littérature clandestine ou semi-clandestine qui prend beaucoup moins de pincettes à cet égard, sur bien des plans, du moral au social - pourquoi cette littérature esthétique se développe dans les classes supérieures amplement, bien plus, il faut le dire, qu'une littérature politique réformatrice ou... insurrectionnelle. Sur le plan idéologique, la contestation esthétique, pourrait-on dire, prépare la contestation politique, sociale ou économique, à une manière soft et rampante, si soft que sans doute les auteurs qui publient à tour de bras, n'ont pas conscience de le faire...
Comme Daniel CHARLES, Tamara KOCHELEFF, historienne de l'art et philosophe, enseignante et collaboratrice scientifique à l'Université Libre de Bruxelles, constate que DESCARTES écrit peu sur l'art. Il ne répond donc pas à une grande partie du corpus aristotélicien (Poétique...). L'évacuation pure et simple de la sphère du sensible hors de la philosophie cartésienne parait donc aller de soi. Pourtant, note-t-elle, "l'ambition cartésienne annoncée de construire un savoir couvrant la totalité du champ de l'expérience humaine autorise à s'interroger plus avant sur la raison de l'absence dans cette oeuvre, sinon de l'esthétique, du moins d'une théorie de l'art." Il faut interroger alors l'oeuvre de DESCARTES pour y chercher au moins les conséquences de ses raisonnements sur l'esthétique.
D'abord, rappelle notre auteure, DESCARTES a tout de même écrit sur l'art. Il a rédigé en 1618, à l'intention du physicien BEECKMAN, le Compendium musicae qui traite, comme son nom l'indique en latin, de musique. Cet écrit, oeuvre de jeunesse, est à replacer dans le contexte des premières réflexions du philosophe français.
Dans ses premières oeuvres, DESCARTES distingue mal les différentes plans du connaitre et tend à englober les différentes facultés de l'homme - sensation, imagination et entendement - pour les porter ensemble vers l'objet de connaissance. Ainsi ses Cogitationes privatae de 1619-1921 comme le rappellent Jean WAHL et Ferdinand ALQUIÉ (Jean WAHL, Du rôle de l'idée de l'instant dans la philosophie de Descartes, Vrin, 1953, réédition de 1920). Ce qui en ressort, c'est l'aspect privé, personnel des connaissances, alors qu'il est déjà en recherche d'une physique strictement mathématique (Ferdinand ALQUIÉ, La découverte métaphysique de l'homme chez Descartes, PUF, 1950).
Ce n'est qu'ensuite que DESCARTES se dégage de son premier élan vitaliste, commençant une rupture théorique vis-à-vis de toute philosophie à caractère vitaliste. Cette rupture est réfléchie à travers une oeuvre scientifique et épistémologique d'une part et métaphysique de l'autre. L'ordre que DESCARTES met alors dans les connaissances ne cherche pas à redire l'ordre de la nature, mais cherche à rendre intelligible (modestie ou orgueil, c'est selon...) le divers épais de l'expérience premier pour le constituer en objet de science. Rupture envers la philosophie scolastique, dont les Universités se servent et enseignent encore en partie, qui recherche une méthode pour parvenir à une connaissance. Pour se faire, DESCARTES ne néglige ni imagination, ni sensation... contrairement à certains de ses continuateurs et.... commentateurs. Il s'efforce se cloisonner les trois "notions premières", celle du corps, celle de l'âme, celle de l'âme jointe au corps pour parvenir à appliquer une méthode rationnelle.
Parce - entre autres - qu'il ne néglige donc pas la sensation, prise pour elle-même, que plusieurs auteurs cherchent à savoir si le corpus cartésien renferme une philosophie de l'art.
Tamara KOCHELEFF indique que "les réponses à cette question ont été, et sont encore, l'objet de controverses. Certaines études ont voulu faire de Descartes l'initiateur de l'esthétique classique, à condition de transposer les règles de la méthode du domaine du vrai à celui du beau. C'était l'option d'Emile Krantz qui, en 1882, pensait pouvoir affirmer : "Le vrai fils de Descartes est (...) Boileau (Émile KRANTZ, Essai sur l'esthétique de Descartes, Baissière & Cie, 1898 (1882)). Au contraire, d'autres auteurs ont estimé que la philosophie cartésienne était incompatible avec le développement d'une philosophie de l'art en raison d'une assimilation, chez Descartes, du beau avec le vrai. Ainsi Gustave Lanson dans son texte L'influence de la philosophie cartésienne sur la littérature française, paru dans la Revue de métaphysique et de morale en 1896."
Ernst CASSIRER et Geneviève LEWIS se sont interrogés sur les rapports entre la philosophie cartésienne et la création littéraire plastique du XVIIe siècle français. Quelques études philosophiques conscientes des déformations que certaines interprétations avait imposées à la pensée de DESCARTES (l'ouvrage d'Emile KRANTZ en étant un exemple typique), tout en reconnaissant la brièveté des pensées de cet auteur dédiées à l'art ainsi que leur caractère non systématique dans son oeuvre, ont voulu en extraire toute l'intelligibilité. Sans doute DESCARTES lui-même n'aurait pas été aussi loin et il existe une réelle différence entre DESCARTES et ses héritiers cartésiannistes. On peut citer dans cet ordre d'idées Victor BASCH, Lucie PRENANT et Olivier REVAULT d'ALLONNES et aussi Brigitte VAN WYMEERSCH parmi nos contemporains qui ont suivi cette voie respectivement dans les années 1930, 1940, 1950 et 1990. C'est surtout dans le domaine de la musique que ces auteurs ont tenté de voir des développements cartésiens de la philosophie de l'art.
Pour Tamara KOCHELEFF, "ce qui, dans le Compendium, prend l'allure d'une ambiguïté dans la mesure où Descartes fait appel à deux registres distincts de critères dans sa détermination du beau - les uns, objectifs, conciliables avec une esthétique classique, les autres subjectifs et inconciliables avec celle-ci - évolue dans les écrits ultérieurs vers l'amplification décisive de la part subjective en jeu dans cette détermination. Comme l'ont bien montré de récentes études, cette évolution va de pair avec la distinction qu'opère Descartes, dans les années 1630, entre l'acoustique et l'esthétique. Symptomatique de cette distinction est la modification de vocabulaire qu'elle entraine. (...) Parallèlement à cette nouvelle conceptualisation du phénomène sonore et musical, surgit la conception du caractère insaisissable, rationnellement parlant, de ce qu'on appellera plus tard le "jugement esthétique" : Descartes insiste sur son instabilité et sur le rôle prépondérant qu'y joue la subjectivité liée à la "fantaisie" individuelle. (...) Outre l'avis de la majorité (du public), désormais le véritable critère qui légitime la qualité d'un son est l'"agrément" qu'il nous procure. (...) Et ce plaisir qui est une passion révèle le lieu d'une opacité pour la raison que seule "explique" la troisième notion primitive, l'union de l'âme avec le corps, qui, pour se connaître, ne se réfléchit pas, mais se vit." (Il faut, encore une fois, pour s'en convaincre lire Lettre à Elisabeth, 1643).
A travers sa théorie de la sensation, DESCARTES installe une distance entre les deux termes que la scolastique reliait avec force, car c'est par le moyen d'une dissemblance postulée entre signifiant (nommé "signe" par le philosophe français) et signifié ("signification") que la sensation apparait. Dans la théorie cartésienne de la sensation, celle qu'il émet, ce qui impose de soi la distance entre la chose même et sa perception, c'est le mécanisme, partie intégrante d'une physique du mouvement qui, depuis les Regulae, a réduit le corps à une substance étendue. Ainsi la couleur rouge est le résultat d'un pur mouvement de particules lumineuses qui s'imprime sur la rétine et se répercute, en tant que mouvement, par le moyen des (filets des) nerfs optiques jusqu'au cerveau, où, grâce à l'institution de la Nature, il nous devient proprement du "rouge". Point d'image ici qui se transmette sous l'effet de la traction causée par la figure rétinienne : en ne retenant de son premier moment que le concept abstrait d'étendue auquel se joint la transcription de l'aspect qualitatif, l'analyse évacue toute similitude entre les termes du processus.
Du coup, on comprend, et ceci d'autant plus fortement que DESCARTES réalise maints travaux d'optique, que les choses, si harmonieuses qu'elles nous paraissent ne correspondent en rien à un divin "représenté". Mais tout n'est pas si simple, dans cet univers mental qui sorte d'un Moyen-Âge (tout-à fait relatif par ailleurs, la Renaissance pouvant se signaler par un certain déclin ailleurs que dans les arts et la connaissance), et c'est pour cela qu'on ne passe pas si facilement d'observations scientifiques sur les choses à l'absence d'impulsion divinise sur celles-ci...
Deux conceptions écrit encore, Tamara KOCHELEFF, se font jour :
- Descartes balaye définitivement l'idée d'une volonté présente aux choses que le concept de species véhiculait sous la forme de l'intentionnalité. Héritée de la physique aristotélicienne marquée d'un caractère finaliste, cette idée se concentre dans l'expression de "Nature déesse" dont la physique cartésienne exprime le rejet.
- L'écart radical introduit entre l'"objet et son image" conduit au concept de code puisque l'établissement du sens nécessite (au moins) deux codifications, l'une lors de la constitution de la figura, l'autre dans le geste qui demeure insondable de l'institution naturelle.
"Enfin, l'analyse de la sensation reçoit un éclairage décisif par le biais de la théorie sur la création des vérités éternelles. Ecrit en 1630, cet exposé de caractère métaphysique rattache l'existence de toute vérité intelligible - y compris celle des vérités mathématiques - à la création divine. Il s'oppose ainsi radicalement à la conception thomiste qui considérait les vérités intelligibles comme partie intégrante - incréée - de l'entendement divin. Or, en reliant toutes choses, y compris les plus fondamentales, à l'idée de création, Descartes les prive également de la capacité à se soutenir elles-mêmes puisque sa théorie fait reculer l'être jusque dans la clôture incompréhensible de Dieu. Désormais, en la Nature, ce gigantesque automate, rien ne peut plus surgir dans l'étrangeté de sa pure présence car il n'y demeure plus que de purs mouvements qui se font et se défont dans un entrechoquement quasi silencieux.
Posé hors de Dieu, par un geste qui ne saurait souffrir de se soumettre à aucune nécessité puisque celle-ci s'établit désormais avec ce geste-là, le monde de Descartes peut devenir, comme simple objet privé d'être, l'objet de la science et, dans le recul de l'être, le mécanisme trouve la possibilité de sa réalisation théorique. Est-ce pour cela qu'il s'insère jusqu'en nos jugements esthétiques, lesquels répondent, en 1630, à une mécanique - véritable conditionnement lié à la mémoire et à la répétions - dont la raison nous échappe et nous rapproche du comporte irréfléchi de l'animal? (DESCARTES, Lettre au Père Mersenne)) Car la privation d'être opère une déréalisation du monde, le rend fictif comme apparait fictive la sensation tant l'écart s'est creusé entre la chose et son image (Ferdinand ALQUIÉ)".(...) Dans sa radicale transcendance, le Dieu de Descartes est le seul créateur véritable. Et puisqu'en lui c'est "une même chose de vouloir, d'entendre et de créer", la seule esthétique cartésienne possible n'eût pu être l'oeuvre que du théologien."
Tama KOCHELEFF, Descartes et les cartésiens : vers une esthétique rationaliste, Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Daniel CHARLES, Esthétique - Histoire, dans Encyclopedia Universalis, 2014.
ARTUS