Les trois monothéismes se fondent d'abord sur la Bible hebraïque, reprise de manière originale sur bien des thèmes,
Au commencement était le règne exclusif du Verbe et la condamnation concomitante de toute représentation figurée d'un Dieu inimitable et ennemi de l'imitation. "Dès le second commandement de la loi mosaïque, nous explique Ralph DEKONINCK, historien de l'art et chargé de cours auprès du FNRS, Université catholique du Louvain, Au fondement même donc de l'Ancienne Alliance, se trouve en effet posé, juste après l'exhortation n'avoir d'autres dieux que Yahvé, ce principe iconoclaste qui laissera dans la pensée occidentale des traces indélébiles (Alain BESANÇON, L'image interdite. Une histoire intellectuelle de l'iconoclasme, Fayard, 1994 ; Daniele MENOZZI, Les images, l'Eglise et les arts visuels, pour une anthologie de textes sur la théologie de l'image, Cerf, 1991)"
"Répétée en d'autres passages de l'Ancien Testament, la proscription biblique des images prend un sens bien déterminé : elle est d'abord là pour marquer l'identité du "peuple élu", qu'elle empêche de recourir à des idoles semblables à celles que béniraient les peuples avec qui il était en relation. (...) cette condamnation a vite été compris comme une condamnation sans appel de la propension proprement humaine à fabriquer des images et à les adorer, double péché d'hybris (démesure) et d'idolâtrie. (...)" Reste à savoir si, à part cette défense de la contamination par les polythéistes environnants, les païens adorent ou adoraient réellement des images. Jusqu'à quel point chaque fidèle ou chaque servant religieux faisait-il la part de la représentation et de la "réalité" spirituelle?
C'est animés également par une lutte, que dans un premier temps, contre l'idôlatrie extérieure, celle du paganisme, et ensuite contre les hérésies intérieures que les Premiers Pères de l'Eglise, tant grecs que latins, sont les héritiers de cette animosité à l'égard de l'image et du visible en général, comme ils le sont également, pour beaucoup d'entre eux, de la condamnation platonicienne des faiseurs de doubles et des producteurs d'illusions. Tradition biblique et tradition philosophique se conjuguent dans une même condamnation de l'image jugée dans sa relation à la Vérité. Aucune image ne peut prétendre à la ressemblance divine, mais aussi l'homme est à l'image de Dieu, ainsi que le rappelle ORIGÈNE (185-254). Cela n'empêche pas les tentatives de restituer la Beauté, sans oublier que l'homme s'en est éloigné par la Faute originelle. Ce qui est révélé immédiatement, c'est l'image et non la ressemblance. L'image est de nature humaine et ne peut être perdue. Mais la ressemblance, elle, est perdue depuis longtemps. L'écart entre la ressemblance et l'image ne peut être comblé que sous l'action de l'Esprit Saint. En tant que concept théologique, philosophique et anthropologique, le terme imago désigne donc une réalité historique d'une part et un processus relationnel et participatif d'autre part. C'est sur cette base que s'élaboreront et que se codifient la doctrine iconophile et la pratique chrétienne des images religieuses qui succèdent, une fois le triomphe de la nouvelle religion assuré - il n'y a plus besoin de se défendre contre le paganisme de manière globale - à une période de haine à l'égard du visible. (Ralph DEKONINCK).
Cette iconophilie reste soumise précisément à l'inspiration de l'Esprit saint, et il faut toujours s'assurer que la production des images se situe dans cette inspiration. Si dans le mystère même de l'Incarnation réside la possibilité de rédemption de la création, il faut se garder (et les lois morales saintes servent à cela) que les images produites concrètement vont dans ce sens. De même que dans le Fils s'incarne Dieu le Père, de même dans la représentation de cette figure humaine, on peut s'approcher de cette rédemption. A la manière du Christ, seule médiation historique entre le visible et l'invisible, et donc modèle de toute médiation, l'image est désormais promue au rang de médiatrice entre l'humain et le divin, elle est valorisée comme voie d'accès privilégiée à l'Être.
Les tradition orientale et occidentale, à partir de là, suivent des cheminements séparés, même s'il existe encore une communication entre l'Orient et l'Occident, communication qui avec le temps s'étiole, notamment avec la disparition progressive des cadres culturels, économiques et politiques de l'Empire Romain d'Occident.
Dans la tradition orientale, l'Incarnation, comprise comme entrée salvatrice de l'image de Dieu dans le monde visible et dans l'histoire de l'humanité, s'impose rapidement comme l'essentielle, voir l'unique légitimation théologique de l'image, et cela en permettant de penser un visible au-delà de toute apparence. Concrètement, c'est tout l'art de l'icône, tel qu'il tend à s'imposer dès le Ive siècle en Orient, qui relève ce qui est véritablement un défi, en tâchant de trouver une voie moyenne entre l'aniconisme juif et l'idolâtrie païenne, c'est-à-dire entre les dieux trop visibles - et trop anthropomorphistes - du paganisme gréco-latin, religion du corps, et le dieu trop invisible - et inatteignable dans tous les sens du terme - de la religion hébraïque, religion du Livre. (Von SCHÔNBORN, L'Icône du Christ. Fondements théologiques, Cerf 1986).
La seule manière de surmonter la contradiction visible/invisible, de dépasser l'opposition sensible/spirituel est d'accorder une valeur théophanique à l'image, c'est-à-dire d'en faire le lieu de la révélation divine. Au fur et à mesure que son culte s'impose (sur le modèle du culte rendu à l'empereur, "récupération" pure et simple d'une forme d'idôlatrie païenne, surtout dans les masses populaires... On peut d'ailleurs constater le même phénomène en ce qui concerne la musique...),à dater des Ve et Vie siècles, l'icône assume essentiellement trois fonctions :
- une fonction théologique, comme prolongement de la révélation,
- une fonction liturgique, en tant que rencontre du divin,
- et une fonction sacramentelle, comme manifestation de la présence du surnaturel en ce monde.
L'art doit être le lieu de la révélation, ce qui implique qu'il s'épuise dans sa fonction théophanique, car si cette condition n'est pas remplie, le spectre de l'idole peut resurgir à tout moment et substituer l'adoration de l'idole à l'adoration de ce qu'il est sensé représenter... "Alors, écrit encore notre auteur, que cette dernière se place du côté de l'artifice , du leurre et du mensonge, du prodige et de la magie qui fascinent et pétrifient le regard, l'icône doit se situer du côté de la révélation, du miracle, du dévoilement de la puissance divine qui convertissent le regard extérieur en regard intérieur, pour le renvoyer ultimement au mystère de l'Incarnation. (...) Pour que l'imitatio Christi ("ressemblance d'humilité") échappe au piège de la mimesis diabolique ("ressemblance d'égalité et de rivalité"), bref pour détacher l'icône de l'idole, il faut libérer l'image d'une certaine phénoménologie des apparences pour y inscrire un mouvement de "démagination", qui va associer à la plénitude de l'image à un certain creux ou vide, seul moyen de frayer un passage à l'invisible, de restaurer la fonction anagogique, c'est-à-dire l'élévation de l'âme vers la contemplation mystique. D'où cette sorte d'abstraction, ce hiératisme (souvent sans arrière plan) des icônes, dont le caractère fixe, irréel et répétitif (et des institutions sont là pour y veiller...) doit permettre au croyant d'accéder à la vision contemplative."
La frontière est si ténue (et son appréhension pour tous si problématique...) entre l'iconophilie et l'idolâtrie qu'une grave crise iconoclaste déchire l'Empire byzantin pendant plus d'un siècle, crise majeure, dont les effets se font sentir longtemps, puisqu'elle prélude au grand schisme des Eglises d'Orient et d'Occident.
Déclenché en 730 par une décret de l'empereur Léon III imposant le retrait des images, le litige porte alors pour l'essentiel, sur la légitimité des images et le genre de culte qu'il convient de leur rendre. Si la conviction personnelle de cet empereur est si forte, c'est qu'elle se mêle à d'autres considérations : conflit de pouvoir entre l'Eglise et l'Empereur, car l'Eglise, en puissance iconocrate, veut s'approprier le monopole des médiations, conflit théologique qui travers l'Eglise. Les iconoclastes soutiennent l'impossibilité de circonscrire le divin et par conséquent de le représenter. Une véritable hémorragie du sacré - processions rituelles abondantes derrière des icônes, multiplication des donations aux autorités religieuses pour leur entretien, multiplication des icônes plus ou moins officielles, et la difficulté fondamentale de passer par une représentation du Christ pour percevoir le divin entrainent un mouvement centripète restreignant à quelques symboles (croix, eucharistie, Ecritures...). Mais le mouvement centrifuger de prolifération du sacré, qui se prolonge dans le profane, est entretenu par toute une véritable industrie artisanale de la statuaire et de la verrerie... C'est pourquoi la réponse iconophile est forte, si forte qu'un second Concile de Nicée (787) consacre au contraire une pensée complexe de l'icône, celle élaborée principalement par Jean DAMASCÈNE (mort vers 750), Théodore STOUDITE (759-826) et NICÉPHORE le Patriarche (758-828). A ce Concile, se décide, en liaison avec la question de l'icône, nombre de pratiques rituelles (baisers, dons de richesses, blasphèmes... ). C'est l'ensemble de la pastorale qui y est posée, avec force. La réalité étant imaginale, l'image s'impose comme le médiateur inévitable et privilégié de toute relation ontologique. La refuser revient à nier l'Incarnation et, par conséquent, les voies par lesquelles Dieu s'approche de l'homme...
Les raisons qui ont poussé l'empereur byzantin et ses successeurs Isauriens a entreprendre une propagande puis une campagne ponctuée de violences (contre les biens et les personnes) et les destructions (d'cônes), à coup de décrets et d'interventions armées sont encore mal définies. Deux points au moins sont bien établis : l'image de la croix nue est épargnée et même exaltée et on invoque contre les abus la loi de Moïse, la condamnation de l'idolâtrie par les Pères, l'idéal évangélique du culte spirituel. Au sujet des motivations les historiens demeurent divisés ; plusieurs explications ont été avancées : contagion de l'islam sinon du judaïsme ; influence des sectes dualistes (policiens) ou de groupes chrétiens archaïques de cette Asie mineure où se recrute l'armée de terre ; prise de conscience du fétichisme embusqué dans le culte de l'image ; atavisme de Léon III alliant une aversion superstitieuse pour le double de la future humaine à une répugnance monophysite pour la représentation du Dieu incarné ; rivalité entre l'art profane et l'art ecclésiastique ; détour visant à récupérer les richesses investies dans les images et à frapper la puissance économique du monachisme. Aucune de ces hypothèses ne convainc : les unes confondes des rencontres avec des causes, les autres reposent sur une insuffisante documentation. Toujours est-il que l'iconoclasme prend ses vraies dimensions avec le fils de Léon, Constantin V Copronyme. Aux théologiens qui en appellent à l'incarnation et à la tradition, il réplique par une contre-théologie, déduite des mêmes prémisses mais rattachée à la logique des définitions oecuméniques. Il forge un dogme, qu'il fait proclamer par une assemblée plaindre de l'épiscopat "national", déclarée VIIe Concile oecuménique (Hiereia-Blachernes, 754). le système forme un double volet. Sous son aspect négatif, il considère l'image de fabrication humaine, dite sacrée, comme inacceptable, voire idolâtrique. L'icône frappée de l'épigraphe "Jesus-Christ" mutile le Christ ; isolant de la dignité sa nature humaine, elle ébranle le dogme christologie. Quant aux icônes des saints, leur matière dégrade la condition glorieuse des modèles, leur sainteté originaire. C'est le refus d'un icône du Christ historique, et le triomphe du mystère et de l'eschatologie sur l'histoire. D'un point de vue positif, l'assemblée affirme que la seule icône admissible, d'autorité divine, est le rite eucharistique qui rend mystiquement présente l'acte de l'incarnation ; d'autre part, il n'est d'icône honorable et fructueuse des saints que l'assimilation vivante de leur perfection spirituelle. Cette construction était trop subtile et exigeante pour entamer les moeurs : elle n'était réellement accessible intellectuellement qu'à des lettrés fortement instruits et nourris des textes religieux. L'armée et même une partie du haut clergé n'avaient qu'en faire , et au regard des moines et de leur clientèle, ce n'était ni plus ni moins que la négation de l'Evangile. Or, le monde monastique avait pour lui les autres Églises. Cette opposition lassa la patience, certaine, de l'empereur. Dans sa capitale, il ferma les yeux sur plusieurs "lynchages" de moines, entre autres sur celui du puissant Etienne du mont Auxence (765) ; il monta d'énormes mascarades où les moines ridiculisaient eux-mêmes leur célibat et leur habit - habitude bien ancrée de procès de "repentis" - Suspect de double jeu, le patriarche Constantin fut décapité (767). En Asie Mineure, les généraux-gouverneurs renchérirent : on confisqua, vida, brûla de grands monastères, tandis qu'on dispersait, mutilait ou débauchait leurs occupants. Il s'ensuivit un exode de moines vers Chypre, la Crimée, l'Italie, vidant un peu plus le vivier culturel et artistique de l'Empire byzantin. Par la force des circonstances, on s'était engagé dans une guerre contre les moines. Dans le même temps, on grattait ou brûlait les images saintes sans distinction, pour leur substituer, à l'occasion, une décoration profane, végétale et animale (église des Blachernes par exemple). Les iconographies des absides étaient remaniées et remplacées par une croix. Voilà comment disparait, ce ne sera ni la première ni la dernière fois, une partie du patrimoine et une partie de la mémoire... Les ennemis de Constantin V veulent qu'il se soit attaqué aux reliques, au culte des saints, à la maternité de Marie, à l'institution monastique comme telle et se soit conduit comme un réformé avant la lettre, mais les historiens de manière générale sont plutôt sceptiques, tant la propagande impériale amplifie les actes mêmes des soutiens de Constantin V, et que ses ennemis ont tôt fait de prendre toutes les allégations au sérieux... pour leur propre propagande, notamment auprès des autorités politiques et religieuses en Occident... Cet empereur disparu (775), l'élan iconoclaste n'est plus soutenu que par la garde impériale. Après s'être opposée efficacement aux "inocules" en dispersant le concile orthodoxe des Saints-Apôtres (786), la garnison se laisse épurer par surprise par l'impératrice Irène. Et le concile de Nicée II (787) peut casser l'acte de 754 et rétablir les images. (Jean GOUILLARD)
Si la fonction médiatrice de l'image est ainsi bien affirmée, la vénération de l'icône remonte vers son modèle immatériel. L'argument, repris du traité Du Saint-Esprit, rédigé par BASILE de Césarée (329-379), n'est opérationnel pour la dévotion, populaire ou non, que si on parvient précisément à s'assurer que le regard du dévot chemine bien de l'image vers le prototype immatériel. Si tout dépend, disent les iconophiles, de l'intention bonne ou mauvaise du regard qui peut chercher l'invisible dans le visible, l'Eglise est bien renforcée dans son rôle de gardienne de la foi, et peut garder son monopole de la fabrication et de la vérification de la foi... In fine, dans l'approche de l'image, la réflexion se déplace de l'objet représenté vers le regard qu'on porte dessus. Pour autant, la querelle iconoclaste n'est pas complètement soldée, elle resurgit plus tard, après le concile de Nicée II, notamment en 813, pour s'apaiser définitivement en 843. Les icônes ne sont plus guère contestées par la suite, du moins dans cette période du Moyen-Âge oriental, mais elles doivent être exécutées selon de rigoureux principes théologiques. la vénération ne va pas à la représentation matérielle mais au prototype, la personne de veux qui sont représentés et dont l'image fixe la présence. La mise en évidence des icônes se fait dans des lieux et dans des temps rigoureusement fixés, avec une présence ostentatoire physique des représentants de l'autorité ecclésiastique, notamment lors des processions et des cérémonies utilisant des symboles religieux.
La tradition occidentale, à partir du Concile de Nicée II, fait à cette théologie une réception plus que mitigée. En réponse au Concile, l'empereur CHARLEMAGNE fait rédiger entre 792 et 794, les Livres carolins qui constituent la réponse de l'Eglise franque. Il faut dire que la part des mauvaises traductions des résultats du Concile compte dans cette réception-là. Ces Livres caroliens, si l'on s'en tient à une traduction plus fidèle, se livrent à une critique - en partie abusive du coup - des thèses iconophiles et défendent une position médiane dont l'influence est très importante sur l'évolution de l'art occidental. C'est qu'aux questions théologiques se mêlent, mais cela on peut l'observer depuis CONSTANTIN, des questions politiques. Le concile de Nicée II est perçu comme une injonction à toute l'Eglise et à tout l'Empire et comme un abus d'autorité... Loin de condamner pourtant l'image, ils reconnaissent pleinement son utilité et s'en prennent seulement à l'adoration. L'optique est résolument "matérialiste", en ce que l'image est dépouillée de son aura néoplatonicienne : simple représentation dont la matière n'est rédimée par aucun supplément de grâce, elle est coupée de son prototype. Elle n'est plus le premier moteur d'un mouvement irrésistible de la foi qui met l'âme du spectateur en contact avec le ciel. Elle est clairement dissociée de la relique, alors que la pensée orientale les associait étroitement. La réduction de l'usage dévotion implique, en contre-partie, une sorte de libération de l'art, qui échappe à l'emprise du sacré. Cette véritable désacralisation entraine l'élimination des restrictions qui accompagnaient la production des icônes, puisque l'autorité religieuse n'a pas à contrôler celles-ci. Cette manière de pensée contribue à dissocier pouvoir temporel et pouvoir spirituel et on peut comprendre, même si cela repose en grande partie sur un malentendu intellectuel (bien orienté il faut l'écrire...) que par la suite la pensée profane puisse se développer en dehors du sacré, bien plus qu'en Orient. Les Livres carolins estiment, par ailleurs, que l'acte de peindre, en soi, n'est ni pieux ni impie, neutralité morale qui a pu être bénéfique à la liberté de l'artiste, dont la moralité personnelle n'est pas engagée ni surveillée. L'image et l'artiste gagne en autonomie, mais cette autonomie ne peut pleinement s'épanouir tout de suite, le clergé entend continuer d'instrumentaliser l'image, conscient de son utilité didactique, éducationnelle, mnémotechnique et dévotionnelle.
Si pour la théologie orientale l'autorité incontournable est saint BASILE, l'Occident se réfère prioritairement aux écrits du pape GRÉGOIRE LE GRAND (540-604). Dans une lettre adressée à l'évêque iconoclaste SERENUS de Marseille, le pape condamne à la fois l'adoration et la destruction de l'image.
"Le liber idiotarum grégorien, explique toujours Ralph DECKONINK, se présente comme le pendant chrétien de l'ut pista poesis, refrain ancien de la littérature classique fixé par Horace, et qui établit un parallèle entre parole et image. Cependant, tout au contraire de l'alliance antique de la poésie et de la peinture - alliance qui joue en faveur de cette dernière - l'image, dans le cas de la Bible des illetrés, se retrouve reléguée au rang de simple outil pratique et tactique du faire croire, utile aux âmes simples qui ont besoin de signes tangibles pour être instruits et édifiées. En adoptant officiellement cette voie qui prend valeur de doctrine, la théorie occidentale de l'image fait de celle-ci un signe comparable au signe linguistique ou, du moins, qui remplit les mêmes fonctions symboliques que l'écrit. Elle cherche ainsi à neutraliser ces forces qui appellent les pulsions inconscientes et contradictoires de l'idolâtrie et de l'iconoclasme (les deux faces d'une même médaille)". On ne rappelera pas assez que dans un monde aux les lettrés (les alphabétisés...) forment une infime minorité, l'appel aux images est essentiel, non seulement pour la compréhension mutuelle au-delà de l'oral, pour la transmission du savoir, mais aussi pour la fixation même des idées partagées par tous. En instrumentalisant l'image, en l'écartant du sacré et en écartant le sacré d'elle, l'Occident pose les problèmes en termes psychologiques et rhétoriques et nous plus en tentatives de représentation par le visible de l'invisible. D'une théologie de l'image, on passe à une théorie de la connaissance par l'image. Consciente toutefois que la croyance est appendue au regard, l'Eglise continue d'assigner à l'art le rôle de persuader et de convertir, ce qui autorise du coup, toute pensée de contamination entre le visible et l'invisible étant écartée, le déploiement des séductions picturales pour 'exciter la dévotion des peuples grossiers par les ornements matériels, ne le pouvant assez par les spirituels".
Entre la période d'essor du christianisme et l'an 1000, se trouvent, expliquent enfin l'historien de l'art, dessinées et fixées, entre Orient et Occident, les trois positions essentielles sur le rôle de l'image chrétienne, d'où ont pu découler trois esthétiques :
- Tout d'abord une iconophilie extrême qui, pensant l'image sur le modèle de l'Incarnation du Verbe, encourage en silence le spectateur à traiter le simulacre de la même manière que son prototype. L'art apparait alors comme la coalescence de la réalité sensible et de son fondement spirituel. Il est appelé à sauver en quelque sorte les phénomènes, le monde fini, en les ancrant dans l'Absolu.
- A l'opposé, l'iconoclasme élimine la question ontologique en chassant totalement l'image des églises pour la cantonner dans une sphère exclusivement profane, où elle peut s'épanouir de façon autonome.
- Et entre les deux, une voie médiane qui, bien que refusant résolument toute adoration, reconnait les mérites didactiques de l'image, mais aussi ses pouvoirs de séduction mis au service de la consolidation et de la propagation de la foi. Encore fallait-il canaliser ces pouvoirs en déjouant les effets incontrôlables du visible, cette fascination de l'image oscillant entre les deux pôles, hétérodoxe et hérétique, de l'idolâtrie et de la jouissance esthétique.
Ces trois voies traversent un champ de conflits qui se perpétuent de génération en génération, tant que la religion chrétienne demeure hégémonique : on peut passer de l'autre à l'autre voie au gré des conquêtes territoriales et des changements d'allégeances, des luttes entre croyances, des concurrences également entre les différents producteurs d'oeuvres artistiques se réclamant ou au contraire se détachant d'une ou d'une autre perspective religieuse... Comme l'Eglise en Occident joue la carte de l'ambivalence, toutes les variantes peuvent surgir au gré de ces conflits.
Ralph DEKONINCK, La théologie de l'image entre Orient et Occident, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Jean GOUILLARD, Iconoclasme, dans Encyclopedia Universalis, 2014.
ARTUS