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14 décembre 2015 1 14 /12 /décembre /2015 12:07

      Aux problèmes "traditionnels" de sortie de conflit ne se substituent pas entièrement de nouvelles perspectives contemporaines.

Certains problèmes - et c'est surtout liés aux buts de guerre eux-mêmes - ne changent pas de nature, tandis que des stratégies économiques plus amples que le pillage, même sophistique, des stratégies politiques touchant aux valeurs (démocratie, lutte pacifique, prise d'importance de l'individu par rapport au collectif...) changent la donne globale. C'est surtout, expliquent Amaël CATTARUZZA, maitre de conférence en géographie, et Elisabeth DORIER, professeure des universités (LPED - Laboratoire population, environnement et développement) avec la multiplication des conflits intra-étatiques depuis les années 1990 que la généralisation des opérations internationales de maintien de la paix, et la reconnaissance de la sécurité humaine comme piliers du développement que la notion de "post-conflit" est devenue une grille de lecture et d'action internationale.

   Cette approche institutionnelle, écrivent-ils "quelque peu idéaliste a soulevé divers questionnements scientifiques." L'essentiel des réflexions proviennent d'experts participant à des programmes de maintien de la paix. Ils citent les travaux de PIROTTE, HUSSON et GRÛNEWALD (Entre rugence et développement, Karthala, 2000), de COLLIER et ses collaborateurs (Breking the conflict trap. Civil War and Development Policy, World Bank, Washington et Oxford University Press, 2003). "Bien que parfois très critiques sur les méthodes ou certains effets pervers constatés, ils empruntent souvent sans les discuter des cadres conceptuels du peace-building. La terminologie et la standardisation des actions liées au post-conflit commencent cependant à être questionnés par des recherches indépendantes concernant les effets sociaux, sectoriels ou régionaux de ces processus et le devenir des États concernés." Parmi eux, CHELPTI, FREISA et LANOUE, Éducation et conflit dans les pays du Sud. Les enjeux de l'offre de services éducatifs en situation de crise et d'après crise, dans Autrepart, IRD-Presses de Science Po, n°54, 2010 ; JONCHERAY, Vivre la guerre, construire la paix. Conflits et recompositions territoriales post-conflit dans les pays du Niari (République du Congo, Thèse de géographie, 2013 ; CHÂTAIGNER et MAGRO, États et sociétés fragiles : entre conflits, reconstruction et développement, Karthala, 2007. "Alors que les géographes anglo-saxons, dans la mouvance de la Political Geography et de la Critical Geopolitics ont récemment publiés des synthèses sur ces questions (...) les travaux de géographie francophones ence domaine, plus empiriques, sont souvent restés dispersés sur leurs différents terrains."

 

Quelle définition du post-conflit?

   Définir le post-conflit n'est pas aisé, surtout que l'ensemble des éléments d'analyse et d'action évolue d'intervention en intervention, cumulant des expériences variées. Si ceux-ci interviennent après une phase de guerre ou de conflit armé plus restreint, ils se pensent et se préparent souvent dans le "feu de l'action", au milieu de nombre de manoeuvres diplomatiques. Toutefois, "la terminologie internationale relevant du "post-conflit" définit un cadre d'analyse et d'action impliquant une série d'interventions standardisées : urgence humanitaire, post-urgence, transition, state-building, processus de réconciliation, reconstruction et développement, etc (ONU, 1996). Chaque étape est associée à une gamme d'interventions et d'acteurs garants d'une expertise et d'une neutralité technique (LEFRANC, dans l'ouvrage collectif Crises extrêmes, Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides, La Découverte, 2006), la Banque mondiale et l'Organisation des Nations Unies, avec toutes leurs ramifications (NUHCR, PNUD, etc) pilotant les institutions prestataires, gouvernementales (Union Européenne, États-Unis) et non-gouvernementales. Cependant, les discours institutionnels présentant l'intervention post-conflit comme une technique neutre sont contestables car ils évacuent les enjeux politiques, rivalités de pouvoir et effets éventuels du processus lui-même (instrumentalisation ou disparités territoriales)."

Les auteurs poursuivent leur définition par la périodisation. Celle-ci est "plus ou moins bien bornée par les acteurs, selon leurs critères et leurs buts respectifs. Après l'arrêt des combats, l'ONU identifie des événements (élections libres...), des facteurs (sécurisation, désarmement) permettant de définir le rythme de mise en oeuvre des outils d'intervention. Mais dans ce phasage, la complexité des territoires et jeux d'acteurs est évacuée. Or les espaces d'un même pays concernés par ces logiques de sortie de guerre et par les actions internationales "post-conflit" n'évoluent pas tous au même rythme et selon les mêmes temporalités (DORIER et JONCHERAY, Territoires fragmentés et temporalités post-conflit : décomposition et recompositions territoriales entre guerre et paix en République du Congo, dans Sortir de la guerre, Ed. du CDHS, 2003)." Les contextes géo-historiques de "post-conflit" "sont traversés de dynamiques, résultant de rivalités et négociations locales, régionales et internationales, dues aux guerres ainsi qu'aux opérations de pacification et de reconstruction elles-mêmes. Les oppositions binaires ou les ruptures chronologiques entre guerre et paix, conflit et post-conflit apparaissent donc en partie simpliste (KIRSH et FLINT, Reconstructing Conflicts. Integrating War and Post-War Geographies, Ashgate, Farnham, UK, 2011). Les processus sociaux visibles dans le contexte de fon de conflit peuvent n'être que le prolongement des relations et rapports de force créés par la guerre ou les violences (LOYER, MAROTTE, MEYER et MADAVAN), ou résulter du contexte lui-même (CHELPI, FARAH, SHERIA, DORIER et MAZUREK)."

Notons que la manière d'analyser les situations post-conflits de certaines institutions et organisations internationales (voulant délimiter une coupure franche des situations) s'apparentent à la façon naïves qu'ont certains auteurs d'écrits militaires ou diverses organismes politiques de délimiter état de guerre et état de paix, comme si la guerre avait créé une situation (victoire ou défaite) qui doit se solder par une identification nette des vainqueurs et des vaincus, une situation qui rendrait caduque l'ensemble des situations d'avant-guerre. La reproduction de l'illusion sur les conséquences  - qu'on voudrait définitives en faveur du camp des vainqueurs - d'une guerre est bien partagée par de nombreux acteurs. 

"(...) la situation post-conflit, poursuivent les auteurs, peut être également utilisée comme une ressource par certains. Le fait que des groupes entiers puissent tirer profit au plan économique, politique ou symbolique de l'enlisement, du ralentissement ou de l'accélération des processus post-conflit explique le caractère illusoire de toute périodisation a priori. Au sein de ces sociétés affaiblies s'instaurent des systèmes de régulation inégalitaires bénéficiant à quelques protagonistes, par un jeu de relations (rapport de force, relation de pouvoir, clientélisme, etc.) et/ou d'échanges (économie légale ou illégale, trafics). Ces systèmes peuvent finir par constituer une nouvelle "normalité" sociale et territoriale, bloquant ou freinant une évolution alternative. Par ailleurs, la manne financière des programmes post-conflit est une aubaine au sein d'environnements appauvris et déstructurés. Des acteurs locaux et nationaux, ONG ou entreprises prestataires de la reconstruction, s'insèrent opportunément dans les appels d'offres et marchés proposés par les institutions internationales qui ont du mal, dans de tels contextes, à contrôler qualité et efficience des actions sur le terrain. Cette bulle économique peut présenter d'autres effets pervers, renforçant les disparités territoriales (surinvestissement des villes ou régions les plus accessibles au détriment des plus enclavées, comme au Congo-Brazzaville), ainsi qu'à l'échelle plus fine, au sein des villes (augmentation du foncier dans les centres-villes réservés aux opérateurs internationaux. Ainsi, les programmes internationaux s'inscrivent parfois sans le vouloir dans les clivages préexistants ou en génèrent de nouveaux (POULIGNY, Ils nous avaient promis la paix. Opérations de l'ONU et populations locales, Presses de Science Po, Collection académique, 2004 ; TOAL et DAHLMAN, Bosnia Remade. Ethnic Cleasing and its Reversal, Oxford University Press, USA, 2011)."

Notons que cette problématique n'est pas entièrement nouvelle. Dans les mandats de la SDN (protection du commerce et des territoires) ou de l'ONU (sauvegarde de la paix et de la sécurité internationale) où interviennent principalement des États dominants de la planète, une phraséologie positive en faveur des populations camouflaient et camouflent encore souvent des manoeuvres géo-stratégiques ou des intérêts économiques parfois amples. Si sur le terrain, on peut constater dans un premier temps l'arrêt des combats et une relative paix civile, il n'en demeure pas moins qu'à longueur de temps en bénéficient surtout les puissances mandatées  ou les compagnies économiques à vocation planétaire. Sous couvert d'humanisme, on peut alors constater une exploitation pure et simple, mâtinée de réalisations - parfois assez restreintes - en faveur des populations locales. Le contexte a tout de même changé : interviennent plutôt maintenant, à l'issue de guerres civiles, des organisations internationales interétatiques et des organisations non gouvernementales. Parfois, on peut constater de réelles impulsions politiques, dont seule l'expérience pourra dire si elle sont réellement fructueuses ou porteuses d'autres conflits. Parfois, ce que l'on gagne en "neutralité" des intervenants extérieurs, fait perdre en efficacité (notamment sur le plan du maintien de l'ordre), vu les difficultés multiples de coordination entre différentes nationalités et différentes logiques d'intervention. De toute façon, une analyse fondée ne peut se passer de l'étude des différents rapports de force qui, de toute façon, interviennent aussi dans le "maintien de la sécurité et de la paix". Et ceci sans naïveté mais sans inhibition d'une réelle volonté politique de parvenir enfin à sortir réellement d'un conflit armé sans retomber dans d'autres conflits également porteurs de guerres futures.

"(...) l'inscription dans le champ du "post-conflit" peut devenir un enjeu symbolique. Elle se trouve associée au champ de la réconciliation, la réhabilitation, la réparation, ou encore à des mécanismes de tri entre agresseurs et victimes (CHELPI ; SHERIA ; LOYER). En ce sens, l'évocation du "post-conflit" peut éludée par les États vainqueurs forts de leur légitimité reconquise... mais peut s'avérer utile pour les victimes civiles souhaitant voir reconnue une guerre occultée (DORIER et MAZREK). La représentation du "post-conflit" peut même être mobilisée à des fins politiques dans des régions n'étant pas, à proprement parler, en situation d'après-guerre. Ainsi des groupes irréguliers (ETA, IRA, UCK, etc) s'en réclament pour revendiquer un statut de victime et/ou de résistant afin de légitimer leur mode d'action violent au nom de l'"oppression" subie (LOYER ; MAROTTE), ou de chercher à s'inscrire dans un cadre d'exception (justice d'après-guerre avec légitimation des combattants, cas du Pays basque (LOYER). (...)". 

 

Un récent corpus de connaissances

   La constitution d'un corpus de connaissances des diverses expériences est relativement récente, mais peut se compléter par des travaux bien antérieurs concernant les interventions de l'ONU depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Pour ce qui est des derniers conflits armés, surtout des guerres civiles, on peut citer :

-  J. ADAM, Post-conflict Ambon : forced migration and the ethno-territorial effects of customary tenure, dans Dévelopment and Change n°41, 2010 ;

- M. AGIER (Sous la direction de), Un monde de camps, La Découverte, 2014 ;

- B. BAKER et E. SCHEYLE, Multi-layered justice and security delivery in post-conflict and fragile states, dans Conflict, Security & Development n°7, 2007.

- BANQUE MONDIALE, Conflict, Security and Development, World development Report 2011 ;

- M. BRUGIÈRE (Sous la direction de), Les acteurs français dans le post-conflit. Rapport de la commission "Crises, prévention des crises et reconstruction, La documentation française, 2005 ;

- L. CAMBRÉY, Réfugiés et exilés. Crise des sociétés, crise des territoires, Éditions des Archives contemporaines, 2001 ;

- ONU, An Inventory of Post-Conflict Peace-Building Activities, 1996 ;

 

Amaël CATTARUZZA et Elisabeth DORIER, Post-conflit : entre guerre et paix?, Hérodote, N°158, 3ème trimestre 2015 (numéro sur le post-conflit avec de nombreuses contributions).

 

STRATEGUS

 

Relu le 23 février 2022

 

  

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