L'expression guerre totale, selon Philippe MASSON, peut s'identifier à la mobilisation de toutes les forces vives d'un Etat, à la mise sur pied d'une grande armée, d'une économie de guerre, du contrôle de toutes les activités intellectuelles et spirituelles d'un pays.
Cette conception est influencée fortement par l'exemple de celle menée par le IIIe Reich allemand pendant la seconde guerre mondiale, laquelle s'inspire des objectifs définis par Erich LUDENDORFF (1865-1937) dans La guerre totale, paru en France en 1936. "Objectif préparé dès le temps de paix par la militarisation des forces morales, par "l'unité psychique du peuple", par la mise en place d'une économie de type autarcique. La guerre totale suppose encore le préambule de la subordination du pouvoir civil au pouvoir militaire." LUDENDORFF procède à une inversion des facteurs entre objectif stratégique et objectif politique. La doctrine de LUDENDORFF, compagnon d'HITLER au parti nazi, n'a pas été prise en compte dès le départ de sa prise au pouvoir. HITLER souhaite d'abord une guerre "courte et vive" par le biais du Blitzkrieg, sa préoccupation essentielle consiste à rechercher la décomposition de l'adversaire de l'intérieur par une intense préparation psychologique. La guerre totale n'intervient qu'en 1943, au lendemain des premières grandes défaites. Le régime hitlérien impose alors une mobilisation économique complète et place, avec des pouvoirs discrétionnaires, à la tête des industries d'armement, Albert SPEER, ministre de l'Armement et des Munitions depuis 1942. La vision de HITLER est assez différente de celle de LUDENDORFF, pour lequel l'anéantissement de l'ennemi ne peut être obtenu que par la "bataille décisive", suivant un principe hérité de CLAUSEWITZ, mais qui découle en fait d'un modèle occidental de la guerre déjà présent dans l'Antiquité grecque. LUDENDIRFF estime que cette bataille met en oeuvre toutes les armes, infanterie, artillerie, blindés et aviation, bombardement stratégique et guerre sous-marne associée à l'aviation. Pour HITLER, cette stratégie se double d'une préoccupation primordiale idéologique et raciale.
La guerre totale n'est pas une création du XXe siècle. De nombreux exemples de guerre totale émaillent l'Histoire. Philippe MASSON rappelle les guerres puniques, qui se solde par la destruction de Carthage et la guerre de Sécession américaine où les États du Sud sont ravagées par les armées du Nord. Elle n'obéit pas à la préméditation et est mise en oeuvre souvent dans la dynamique de certaines guerres. C'est pendant la seconde guerre mondiale, sur de nombreux fronts, en Europe de l'Est et en Asie notamment, que tous les moyens sont délibérément utilisés pour écraser l'adversaire et ruiner son territoire.
Guerre illimitée, guerre limitée...
La pensée stratégique ne s'est pas penchée très tôt sur la distinction entre guerre illimitée et guerre limitée, si nous suivons Hervé COUTEAU-BÉGARIE.
Hans DELBRUCK (1848-1929), à partir d'un texte inédit de CLAUSEWITZ qu'il publie en 1878 et d'une réévaluation de la stratégie de FRÉDÉRIC II, réfute l'idée, alors commune, du grand roi précurseur de NAPOLÉON et de MOLTKE, sur le chemin de la guerre totale : les conditions politiques et sociales du temps, ainsi que le rapport de forces avec l'Autriche, l'incitent à ne pas rechercher la bataille décisive. En développant cette analyse, cet auteur dépasse le problème des fins de la guerre pour s'attacher à celui de sa conduite. Cela le conduit à poser la distinction entre stratégie d'anéantissement et stratégie d'usure. La première est celle de NAPOLÉON, la deuxième celle de FRÉDÉRIC II, incapable de frapper un coup décisif du fait de la faiblesse de ses moyens et donc condamné à fatiguer l'adversaire par une série de coups de détail. "Contrairement à ce que suggéreront plus tard, poursuit le stratégiste, ses critiques, la stratégie d'usure n'exclut pas nécessairement la bataille. Delbruck précise que "la Niederwerfungstrategie (la stratégie d'anéantissement) n'a qu'un pôle, la bataille, tandis que l'Emattungstrategie (la stratégie d'usure) en a deux, la bataille et la manoeuvre, entre lesquels évoluent les décisions du général".
Toute une littérature traite de la question des contradictions ou des complémentarités entre stratégie d'usure et stratégie d'anéantissement. Au delà de tous ces débats, "il semble possible, nous suivons toujours Hervé COUTEAU-BÉGARIE, de dire que la distinction anéantissement-usure est plus pertinente aujourd'hui, avec l'incarnation de l'anéantissement dans la Bombe, que lorsqu'elle a été esquissée par Clausewitz et développés, dans des sens différents par Delbruck et Corbett. L'US Navy a récemment tenté de la dépasser en lui substituant une distinction attrition-manoeuvre. Mais les deux termes ne se situent pas sur le même plan : la manoeuvre n'est qu'un moyen en vue d'une fin militaire qui peut être l'attrition ou l'anéantissement. La manoeuvre n'est pas l'antithèse de l'attrition, elle en est souvent la condition. L'élimination de l'anéantissement, favorisée par le moralisme sous-jacent à la pensée américaine, pose des problèmes insolubles : comment soutenir qu'un échange nucléaire relève de l'attrition ou de la manoeuvre, alors que sa logique est clairement celle de l'anéantissement? Surtout, elle résulte d'un contresens sur la nature même de la stratégie d'anéantissement, que l'on assimile vite à l'extermination, alors que Clausewitz souligne bien que l'objectif d'une telle stratégie est de détruire soit les forces de l'ennemi, soit sa volonté de résistance, ce qui ouvre un large champ d'option."
Le contexte des idées de LUDENDORFF
Pour comprendre les idées de Eric LUDENDORFF, explique Hans SPEIER, "il ne faut pas perdre de vue la nature du militarisme allemand avant la première Guerre mondiale. Il s'agissait d'un militarisme de classe largement accepté, fondé sur des principes à demi-féodaux, à l'intérieur même d'une société aux structures, par ailleurs, capitalistes. Le conflit entre les traditions militaires de la monarchie et les aspirations de la bourgeoisie industrielle n'était pas résolu mais institutionnalisé. Le pouvoir militaire et le prestige social étaient répartis de manière à favoriser l'aristocratie et les grands et moyens propriétaires fonciers, tandis que la puissance économique était concentrée dans les mains de capitaines d'industrie, de commerce et de finance sans expérience politique." La structure de décision sur les affaires militaires montre la prédominance des autorités militaires sur les autorités civiles. Le cabinet de Guillaume II traite les affaires militaires avec la hiérarchie militaire, passant outre les ministres chargés de la défense, et encore plus outre le Parlement. A cela, on peut ajouter que la plus jeune branche des forces armées, sous l'influence de Von TIPITZ, avait un sens aigu de la publicité patriotique, et était socialement plus agressive encore que l'armée conservatrice. La Ligue navale, par exemple, fondée en 1898, constituait la première organisation sociale en Allemagne, patronnée par l'industrie lourde. L'élite militaire elle-même n'était pas impérialiste et tout en défendant ses privilèges, elle reste toujours en retrait sur le plan des ambitions territoriales par rapport à la contre-élite économique et aux intellectuels issus de la bourgeoisie qui dirigent et patronnent les organisations sociales patriotiques. La structure de classe particulière du militarisme allemand à l'époque impériale empêchait une bonne préparation de la guerre ou même le minimum d'efficacité que permettaient les progrès de la technologie. Cela affectait la vie militaire essentiellement sur quatre points, relatifs à la composition de l'armée, à l'économie de guerre, au comportement des militaires face à la technologie, et au manque d'intérêt accordé à la propagande en cas de conflit armé, quatre points auxquels s'attaquent tous les écrits de LUDENDORFF. Pour l'ensemble de l'élite militaire, il importait de faire une guerre courte, car la préparation d'une guerre longue entraînerait une diminution du monopole des militaires sur la direction de la guerre, et augmenterait en tout cas l'importance des facteurs économiques et sociaux.
Eric LUDENDORFF qui n'appartient pas à cette élite militaire, énonce une conception de la guerre totale, que l'on peut formuler en cinq propositions fondamentales :
- la guerre est totale parce que le théâtre des opérations s'étend à l'ensemble du territoire des nations belligérantes ;
- l'entière population participe à l'effort de guerre. Il faut adapter donc le système économique à ses objectifs ;
- il devient impératif, par suite de la participation de larges masses à la guerre, de consacrer des efforts particuliers à affermir le moral sur le front intérieur et à affaiblir la cohésion politique de la nation ennemie au moyen de la propagande ;
- il faut commencer la préparation de la guerre totale avant l'ouverture des combats. La guerre militaire, économique et psychologique influence les activités de temps de paix des sociétés modernes ;
- il faut soumettre la conduite de la guerre totale à une autorité suprême, celle du commandant en chef.
Sa contribution la plus originale à la théorie de la guerre totale ne concerne pas la conduite des opérations militaires, même si dans les faits il occupe une position de premier plan pendant la première guerre mondiale, mais la guerre psychologique. Il recherche la cohésion la plus forte à l'intérieur de la nation, prenant comme modèle le shintoïsme japonais. loin de penser que la source d'une concorde réside dans l'efficacité des services de police, il la voit dans les traditions profondément enracinées dans le peuple. Il ne soutient pas l'usage de la violence à l'intérieur de la nation et lorsqu'il faut le faire, c'est à regret, afin de protéger l'effort de guerre. Produit de l'évolution technologique et démographique, la guerre totale absorbe la politique. S'il plaide vigoureusement pour la préparation de cette forme de guerre, il ne suggère jamais qu'il la préfère à la guerre limitée pour des raisons métaphysiques ou morales. Jamais, il ne justifie explicitement la guerre totale par une doctrine impérialiste ou un système de valeurs dans lequel la pugnacité, l'héroïsme et l'amour du sacrifice seraient tellement essentiels qu'il leur fait la guerre pour être pratiqués et glorifiés, contrairement à ce que font HITLER et ses partisans. Il va jusqu'à soutenir que la guerre totale est fondamentalement défensive. Ainsi le peuple ne coopère à la guerre que s'il sait qu'elle vise à préserver son existence.
Les conceptions nazies
Les nationaux-socialistes ont à la fois organisé la société allemande en vue de la guerre totale et ont consacré à celle-ci une abondante littérature. Leur contribution, nous dit toujours Hans SPEIER, au développement de la théorie de la guerre totale part de l'affirmation fondamentale de CLAUSEWITZ et de LUDENDORFF, selon laquelle, dans la guerre moderne, il faut mobiliser toutes les ressources matérielles et morales de la nation.
"La principale différence entre les écrits de Ludendorff et la littérature national-socialiste sur cette forme de guerre réside dans le fait que le national-socialisme a essayé de lui donner des justifications idéologiques. La supériorité de la race et les lois de la nature, entendues dans le sens darwinien et géopolitique, sont censées fournir une caution morale à la guerre allemande et au nouveau militarisme. De plus, certains écrivains nationaux-socialistes (voir Guido FISCHER, Rupert Von SCHUMACHER et Hans HUMMEL...) ont poussé la théorie de Ludendorff jusqu'à ses limites extrêmes en niant purement et simplement l'existence de la paix. Ils ne considèrent plus la guerre comme une phase des rapports entre les États, précédée et suivie de phases de paix, mais comme "l'expression d'une nouvelle évolution politique et sociale de la vie des peuples". De même, les géopoliticiens ont écrit des livres sur les formes qu'assume la guerre aux époques qualifiées par l'usage d'époques de paix. Au lieu de parler de paix entre deux guerres, ils ont trouvé la formule de "guerre entre les guerres"." Ajoutons à cela, la disparition totale de toute résistance aux progrès technologiques de la part des officiers de la nouvelle génération, et le rétablissement du service militaire obligatoire, sans exemptions sociales. De plus, "les idées de LUDENDORFF sur la suprématie du général en chef dans la guerre totale disparurent avec lui. Les généraux allemands sont sous la domination du parti national-socialiste, mené par Hitler, caporal charismatique."
Les conceptions d'Hans DELBRÜCK
Hans DELBRÜCK, historien militaire, dont la vie active correspond presque exactement avec celle du second Empire allemand, est aussi l'interprète des affaires militaires auprès du peuple allemand et critique civil du grand état-major.
Son Histoire de l'art de la guerre, écrit Gordon A CRAIG, n'est pas "seulement un monument à la gloire de l'érudition allemande mais aussi une mine de renseignements précieux pour les théoriciens militaires de son époque. Ses commentaires des affaires militaires, publiés dans les pages du Preussische Jahrbücher, contribuèrent à l'éducation du peuple allemand, et, pendant la première guerre mondiale notamment, aidèrent celui-ci à comprendre les problèmes stratégiques fondamentaux auxquels devait faire face le grand état-major. Ses critique du haut commandement, écrites pendant et après la guerre, encouragèrent dans une large mesure à revoir le type de pensée stratégique qui avait prévalu dans l'armée allemande depuis l'époque de Moltke."
Il revient à la doctrine de CLAUSEWITZ en soutenant que les objectifs politiques doivent conditionner la conduite de la guerre et le choix d'une stratégie et que, lorsque la pensée stratégique devient inflexible et autonome, même les plus brillants succès tactiques peuvent conduire à une catastrophe politique. Il est, en ce sens, le critique le plus convaincant de la stratégie de LUDENDORFF.
Les quatre volumes de son Histoire de la guerre renferme à la fois une analyse de la conduite de la guerre depuis l'Antiquité, au niveau tactique notamment, et une théorie des rapports entre évolution politique et évolution militaire. Même s'il n'entreprend pas une analyse générale de la relation entre la politique et la guerre, il montre, en passant d'une époque historique à l'autre, le rapport étroit entre les institutions politiques et militaires. Il explique par exemple, comme se forment la puissance militaire des tribus germaniques, des Suisses au XVe siècle ou de la France révolutionnaire.
Révisant souvent les relations des guerres de l'Antiquité par les auteurs grecs (HÉRODOTE par exemple) ou romains, notamment sur le plan des effectifs engagés (souvent fortement exagérés), des rapports de force numérique et des tactiques employées, en se fondant sur l'étude concrète des terrains de bataille, ses études de l'évolution de la phalange grecque ou des rôles de l'infanterie et de la cavalerie font autorité, même si ces révisions fortes lui attirent à son époque les foudres de la majorité des historiens.
De toutes ses théories militaires, "la plus remarquable, écrit encore Gordon A CRAIG, était celle qui affirmait qu'on peut diviser l'ensemble de la stratégie militaire en deux formes fondamentales. (...) Sous l'influence du De la guerre de Clausewitz, la grande majorité des penseurs militaires à l'époque de Delbrück croyaient que le but de la guerre était la destruction complète des forces de l'ennemi, et qu'en conséquence la bataille, qui la permettait, faisait l'objet de toute la stratégie." Se référant à une note rédigée par CLAUSEWITZ lui-même, mais qui n'a pas fait l'objet de développements de sa part, il accepte la distinction entre deux méthodes de conduire la guerre :
- l'une vise seulement l'anéantissement de l'ennemi ;
- l'autre, guerre limitée, car cet anéantissement est impossible, pour des motifs politique (jeux des alliances, tensions politique internes ou externes) ou militaire (manque de moyens).
La stratégie de l'anéantissement (Niederwerfungstrategie) s'oppose plus ou moins alors à la stratégie de l'usure (Ermatungsstrategie). Pour Gordon A CRAIG, ses contemporains responsables militaires ne comprirent pas le "sens profond de la théorie stratégique de Delbrück.". Pour lui, ce n'est pas le sens tactique qui fait gagner la guerre, mais les manoeuvres politiques qui l'accompagnent et la soutiennent. Sa description de la première guerre mondiale, vue du côté allemand, l'amène à cette conclusion. Convaincu que c'était la Russie qui avait causé la guerre, il pensait qu'une entente était possible avec la France et la Grande Bretagne, et qu'il fallait sauvegarder tout au long de la guerre, surtout lorsqu'elle s'enlise dans les tranchées, toute possibilité de s'entendre avec ces deux puissances. Conscient dès le début d'une faiblesse stratégique de l'Allemagne (considérée comme l'agresseur-oppresseur), il fallait donner des gages d'absence d'ambition territoriale, faute de quoi l'entrée en guerre des États-Unis submergerait son pays. Ne doutant pas de la supériorité de l'armée allemande en soin, il voyait que cela ne suffisait pas. Soutenant la résolution du Parlement en Juillet 1917 en faveur de la paix, il décèle à l'intérieur du gouvernement un manque de direction politique et une tendance croissante de la part des militaires à dicter la politique à suivre. Les militaires, prenant totalement la direction des opérations se lancent alors dans une offensive en 1918, qui échoue, par manque de préparation réelle des troupes au combat et par infériorité technique des matériels de guerre employés, et aussi par un système d'approvisionnement (en carburants entre autres) défectueux. L'objectif stratégique de la campagne était l'anéantissement de l'ennemi, mais sur le terrain, pour avoir suivi la ligne tactique de la moindre résistance, LUDENDORFF entama une politique d'improvisation désastreuse, violant le premier principe de la stratégie d'anéantissement qu'il prétendait suivre.
"L'erreur capitale de l'offensive fut l'incapacité du haut commandement, résume Gordon A CRAIG, de voir clairement ce que l'armée allemande pouvait accomplir en 1918, et d'adapter sa stratégie à ses possibilités. Sur cette question, Delbrück reprit le thème majeur de toute son oeuvre d'historien et de publiciste. La force relative des troupes adverses était telle que le haut commandement aurait dû prendre conscience de l'impossibilité d'anéantir l'ennemi. Au l'offensive de 1918 aurait-elle dû viser à épuiser l'ennemi pour l'amener à accepter une paix négociée. Cela n'aurait été possible que si le gouvernement allemand lui-même s'était montré disposé à l'accepter. Une fois cette déclaration faite, l'armée allemande, en ouvrant l'offensive, se serait gagné un grand avantage stratégique. Elle aurait pu adapter celle-ci à la force dont elle disposait. Elle aurait pu, en toute sécurité, attaquer aux points tactiquement avantageux, c'est-à-dire là où le succès était le plus facile, puisque même des victoires mineures auraient alors eu un effet moral accru dans les capitales des pays ennemis."
Cette vision de la guerre mondiale, passé la génération d'Hans DELBRÜCK, ne lui survit pas et l'ensemble des forces politico-sociales préfèrent alors répandre la légende du soldat allemand poignardé dans le dos, légende propre à entretenir le désir de revanche.
Les conceptions d'Edward Mead EARLE
Issues du bouillonnement intellectuel consécutif à la première guerre mondiale, parfois théorisée, le plus souvent pas, les pratiques de guerre totale de l'Allemagne nazie, sont l'objet de la réflexion en forme d'épilogue d'Edward Mead EARLE, à ses deux ouvrages sur les "Maitres de la stratégie".
Pour le stratégiste, "les succès allemands en Pologne, en Norvège, aux Pays-Bas et en France résultèrent largement de la combinaison extraordinairement efficace d'une stratégie militaire et d'une stratégie politique également imaginatives et audacieuses. En d'autres termes, les nouvelles techniques militaires s'unirent à l'audace révolutionnaire pour produire une force dévastatrice qui écrasa les défenses de l'Europe occidentale presque aussi facilement que Josué avait fait s'écrouler les murailles de Jéricho". Il indique la difficulté pour HITLER de parvenir à un modus operandi entre le conservatisme fondamental du corps des officiers et le radicalisme des extrémistes et "parvenus" nazis. Cette coordination entre l'armée et le parti se fit en fait au moyen d'une purge sanglante en 1934, et d'une acrobatie politique interne. "Hitler réussit à imposer une discipline militaire de fer, sans éteindre dans la jeunesse nazie ce fanatisme qui eut une influence considérable sur le moral de l'armée allemande. L'esprit de croisade du nazisme, associé à la compétence technique de la Wehrmacht, anéantit tout (à l'exception de la Royal Air Force) jusqu'au moment où il dut affronter l'Armée rouge que le communisme avait conditionnée de façon similaire." L'unité d'intention depuis ses années d'opposition à la République de Weimar, exprimée dès son Mein Kampf (1925) (l'acquisition pour la race germanique débarrassée du poison juif d'une espace vital à l'Est, conquis avec l'aide plus ou moins volontaire des anglo-saxons), ne se retrouve que chez STALINE, selon notre auteur. Balayer la France, (prendre la revanche sur le Traité de Versailles), seul ennemi à l'Ouest, et ensuite allié à l'Angleterre et à l'Italie pour écraser le bolchévisme à l'Est, était cette intention stratégique. Après les succès stratégiques obtenus par la terreur (notamment de revoir les destructions de la première guerre mondiale) "la bataille devint largement l'affaire des militaires, et il n'y a guère de preuves que la stratégie militaire du Führer puisse égaler ses triomphes dans le domaine de la guerre psychologique et politique."
La mise en oeuvre de la guerre totale
Si, dans les faits, la guerre totale est mise en oeuvre sur beaucoup de fronts pendant la seconde guerre mondiale (que l'on songe aux fronts chinois, sino-japonais, américano-japonais, russo-allemand...), elle n'est justifiée voire théorisée pleinement que du côté nazi.
"La stratégie nazie, en effet, n'avait tracé aucune ligne de démarcation clairement définie entre la guerre et la paix et considérait la guerre, et non la paix, comme l'état normal d'une société. Pour les nazis, la guerre ne consistait pas seulement ou même principalement en opérations militaires, la politique de l'État en temps de soit-disant paix était donc une "stratégie élargie", utilisant des armes économiques, psychologiques et d'autres instruments non-militaires. L'Allemagne recourut constamment à la guerre politique, écrit un ancien membre de l'entourage de Hitler, "non seulement pour rendre la situation tactique favorable à une série de victoires pacifiques, mais aussi pour déterminer ces problèmes spécifiques que la situation politique générale a suffisamment fait mûrir pour que la solution à y apporter s'accorde avec les buts du national-socialisme. Ces activités politiques trouvent leur explication dans le caractère nouveau des importantes opérations futures - un état de tension associé à des menaces soudaines, tantôt ici, tantôt là, dans une action ininterrompue qui fatigue l'adversaire, permettant d'isoler certaines questions particulières, de créer des divisions dans le camp ennemi et de simplifier les problèmes jusqu'à ce qu'on puisse les résoudre sans complication (c'est-à-dire sans guerre)" (Hermann RAUSCHNING, The voice of destruction, New York, 1940). Les préparatifs militaires de Allemagne nazie ne furent qu'un aspect de ses activités révolutionnaires qui visaient à rendre l'agression armée inutile ou si elle était nécessaire, à en garantir le succès."
Les réflexions sur la guerre totale ne s'arrête pas à la fin de la Seconde guerre mondiale et même s'intensifient sous la réalité de l'émergence des armements nucléaires, mais sous une autre forme.
Gordon A. CRAIG, Delbrück : l'historien militaire, dans Les Maitres de la stratégie, tome 1, Sous la direction de Edward Mead EARLE, Bibliothèque Berger-Levrault, 1980. Hans SPEIER, Ludendorff : la conception de la guerre totale, dans Les Maitres de la stratégie, tome 2, 1982. Edward mead EARLE, Hitler : la guerre selon les nazis, dans Les maitres de la stratégie, 1982. Philippe MASSON, Guerre totale, dans Dictionnaire de la stratégie, PUD, 2000. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.
STRATEGUS
Relu le 7 mai 2021