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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 15:16
             Du niveau local au niveau mondial, le problème de l'approvisionnement en ressources aquifères se trouve au centre de nouveaux et d'anciens conflits. Que ce soit dans des régions favorisées par leurs réseaux hydrauliques ou dans des régions pauvres en eau, les systèmes économiques actuels se révèlent inadéquats pour assurer le droit à tous d'étancher sa soif et d'assurer les besoins de l'agriculture. Si dans les pays industrialisés du Nord de la planète, l'exploitation de l'eau donne lieu à des enrichissements considérables de sociétés spécialisées, souvent filiales d'énormes consortiums financiers, dans nombre de pays du Sud où la rareté des infrastructures d'acheminement de l'eau, même dans des régions richement dotées en volume, est souvent la règle, d'incessants conflits, frontaliers ou non, s'alimentent de cette relative pénurie. La désertification de régions entières au coeur d'États développés industriellement provoquent même aujourd'hui de nombreux problèmes.
S'ajoute à cela les effets de pollutions massives (pesticides de l'agriculture notamment) et des technologies insuffisantes d'extraction de l'eau des mers.

          Sur l'impact ou la place de l'eau en matière géopolitique, Aymeric CHAUPRADE, consacre de nombreux passages de son gros volume Géopolitique :
- Sur la montagne frontière, barrière et source d'eau, on peut lire que "la frontière par la montagne se fait souvent sur un critère de ressource, celui de l'eau. Il existe en effet un lien fondamental entre la montagne, l'eau et la frontière : lorsque des frontières se font en montagne, elles se font souvent suivant la ligne de partage des eaux." L'auteur rappelle que l'on différencie deux manières d'établir une frontière relativement à la question de l'eau : le système du talweg, ligne joignant les points les plus bas d'une vallée, par le fleuve en fait, qui n'est pas nécessairement navigable tout le long de son cours et le système de la ligne de crête, où il s'agit de revenir à la source, en montagne où se séparent les eaux de ruissellement, les uns courant sur un versant, les autres sur un autre.
- La fluvialité est souvent un aspect aussi important que l'alimentation en eau proprement dite. "Il est probable qu'à l'avenir, la dimension relationnelle de la fluvialité ne cessera d'augmenter au détriment de la dimension frontalière. Inter-étatique, s'insérant dans des logiques souvent plus régionales que nationales, le fleuve restera, dans le cadre des dynamiques régionales, un facteur géopolitique important. La question de l'eau, qui touche à celle des fleuves, au Moyen-Orient en particulier, pousse en effet les États à des discussions régionales et à réfléchir sur la notion de bassin partagé."
- La géographie des cours d'eau a toujours fait partie des plans de stratégie : l'eau est une cible de guerre à de nombreux points de vue. Nous signalons seulement ici l'édification de barrages temporaires pouvant noyer les troupes adverses, les empoisonnements de l'eau dans la retraite des armées ou tout simplement les nécessités d'approvisionner en eau tout le cortège qui accompagne les armées en compagnes sans compter les armées elles-mêmes.
 
        Plus généralement, même en temps de paix, la démographie des peuples est très liée à leur réseau disponible en eau. De nombreux pays dépendent de cours d'eau présents dans les pays qui les bordent. Ainsi la Turquie, la Syrie et l'Irak revendiquent souvent pour eux-mêmes les sources et les méandres du Tigre et de l'Euphrate (la Turquie considère que les ressources de l'Euphrate lui appartiennent aussi légitimement que le pétrole appartient aux pays arabes et refuse l'approche du bassin intégré, mais c'est une situation qui ne peut durer... la Syrie et l'Irak revendiquent de leur côté leur "droit à l'eau" face au grand projet hydraulique turc conçu en 1970 et mis en oeuvre depuis 1984....). Le Gange, le Brahmapoutre et l'indus constituent des enjeux de conflits entre l'Inde, Pakistan et le Bengladesh. Le parcours du Nil, de même, est l'occasion de frictions entre l'Egypte, l'Ethiopie et des pays d'Afrique Noire, de cataracte en cataracte... Le Chatt ell Arab fut déjà l'enjeu de guerres entre l'Iran et l'Irak.
         Occulté très souvent, passé en tout cas sous silence dans toutes les analyses que nous pouvons lire sur le conflit isaélo-palestinien et israélo-arabe (moins récemment, même si leur évocation suscite des "protestations indignées"... ), le problème de l'eau semble central. La stratégie d'expansion territoriale et démographique d'Israël se fonde, que ce soit par la prise progressive de territoires continus ou l'implantation de colonies, sur le repérage des présences d'eau dans une région très montagneuse. Le Liban, parce qu'il est le premier grand gisement de ressources en eau connaît toujours une situation politique très instable, qui ne doit pas toutes ses caractéristiques à la présence des trois religions monothéistes. Le bassin du Jourdain, le plateau du Golan sont d'autant de terrains de combat dont les enjeux sont souvent l'eau. La constitution d'un Etat palestinien, qui devra s'appuyer lui aussi sur les réserves d'eau présentes dans la région constitue un défi vital pour l'Etat d'Israël, de la délimitation des zones israéliennes à la bataille économique entre les sociétés de gestion de l'eau.
           
        Les fonds marins recèlent des matériaux d'où peuvent être extraites de grands quantités d'eau, à condition d'avoir la technologie nécessaire (qui demeure encore trop coûteuse) : les nodules polymétalliques qui s'étendent en champs entre 4 000 et 5 000 mètres de profondeur sont repérés et font l'objet déjà d'obtention de droits d'exploitation, notamment sous les eaux internationales.

        Frédéric LASSERRE, professeur-chercheur à l'Université de Laval au Quebec (Transferts massifs d'eau. Outils de développement ou instrument de pouvoir?, Presses de l'Université de Laval, 2005) essaie d'élaborer une modélisation des conflits hydrauliques et des guerres de l'eau. Entre les conflits étatiques, où l'eau est catalyseur de tensions et les conflits internes de basse intensité existe toute une gamme de conflits dont on peut dresser un tableau :
- Pour les conflits entre Etats, nous pouvons citer ceux se déroulant autour du Nil, entre l'Arabie Saoudite et la Jordanie ou entre la Libye et l'Egypte pour les aquifères du Sahara. La guerre des Six jours de 1967 peut être présentée comme la première guerre de l'eau, précédée de grandes manoeuvres sous forme de grands travaux hydrauliques. Dans les accords de paix ou de cessez-le-feu sont souvent prévues des dispositions sur l'accès à l'eau qui prouvent que des arrangements fructueux pour les deux parties sont souvent possibles ;
- Pour les conflits internes et de basse intensité, les exemples ne manquent pas. De 1982 à 2005, on peut lister au moins une dizaine de conflits ayant l'eau pour principal enjeu : des importantes violences intercommunautaires au sujet du partage de l'eau de l'Isfera, vallée de la Fegaria entre le Kirghiztan et le Tadjikistan en 1982 et en 1988-1989 aux affrontements en plusieurs points du kenya qui ont fait plusieurs dizaines de mort autour du fleuve Tana en février-juillet 2005.
     
       Il faut remarquer qu la rareté de l'eau n'a pas les mêmes effets sur toutes les sociétés : le vécu de la rareté, la difficulté ou la facilité de coopérer pour la gestion de points d'eau plus ou moins importants dépend de capacités d'adaptation extrêmement variées. La mauvaise exploitation des terres, par des moyens d'irrigation pensés souvent à court terme, conduit souvent à une diminution du niveau de vie des paysans et ces derniers trouvent à leur situation des solutions qui vont de l'immigration pure et simple au recours à la violence, en passant par des coopérations  efficaces. De nombreux auteurs (Peter GLEIK, Frederic FREY, Thomas NAFF, Aaron YAIR...) abordent cette question-là, indiquant des pistes de gestion des conflits de l'eau et nous y reviendrons.
 
       Les changements climatiques rendent de plus en plus urgents des développements institutionnels de gestion de l'eau, surtout à l'échelle régionale, et depuis 1960 déjà, des organisations internationales comme les Nations Unies (programme pour le développement, PNUD) ou l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ont déjà une grande expérience derrière eux. Avec Luc DESCROIX, hydrologue, de l'Institut de Recherche pour le Développement, Frédéric LASSERRE indique les atouts et les contraintes à la constitution d'institutions efficaces.
       Parmi les contraintes :
- la persistance de la méfiance entre les Etats, qui se traduit notamment par le refus du partage des données hydrométriques (entre Chine et Russie pour l'Amour, entre pays du bassin du Mékong) ;
- le poids politique du dogme de l'autosuffisance alimentaire, qui rend très difficile d'accepter toute concession quant aux volumes d'eau à partager (Egypte) ;
 - la crainte de heurter un monde rural souvent en crise (Asie centrale, Egypte).
          Il existe une Convention depuis 1997, qui consacre la "souveraineté territoriale limitée" entre Etats d'un même bassin, surtout mise en oeuvre en Afrique de l'Ouest ou en Amérique du Nord, régions qui possèdent souvent leurs propres accords régionaux. Ainsi le Canada et les Etats-Unis possèdent une longue expérience de coopération régionale, du Traité des Eaux Limitrophes de 1909  l'Accord sur l'approvisionnement en eau et la protection contre les crues dans le bassin de la rivière Souris de 1989 en passant par l'accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs (ARQEL) de 1978.
 
       Un rapport d'information déposé par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale française sur "la géopolitique de l'eau" en décembre 2011 effectue une analyse détaillée des conflits sur la répartition de l'eau, conflits appelés à croître, de manière générale, avant de se centrer sur la question du bassin jordanien en Palestine et d'insister sur "l'impérieuse nécessité d'améliorer la gouvernance de l'eau". La commission constate l'apparition d'un véritable apartheid au Moyen Orient, notamment entre populations israéliennes et populations palestiniennes. Elle apporte des propositions pour améliorer cette gouvernance, soit par l'augmentation de la ressource disponible soit par une répartition plus équitable.
 
Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Ellipses, 2003.
Dossiers sur la géopolitique de l'eau des revues Défense Nationale et sécurité collective (Novembre 2006) et Revue internationale et stratégique (Eté 2007). Rapport d'information de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale, du 13 décembre 2011, en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 5 octobre 2010, sur "la géopolitique de l'eau", présidée par Lionnel LUCA (rapporteur Jean GLAVANY). 

                                                              STRATEGUS


       

Relu le 10 juillet 2019
  
            
   
                
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