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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 09:46
                Surtout dans les temps anciens où la notion de frontière reste floue au profit plutôt de marches épousant les formes du relief ou des villes les plus lointaines des centres des pouvoirs d'un Etat ou d'un Empire, les routes sont essentielles pour le contrôle du territoire. Ces routes permettent à la fois l'acheminement des troupes et des populations, l'information de ce qui se passe dans le pays et le moyen d'y intervenir en cas de menaces.
      
            Aymeric CHAUPRADE et François THUAL définissent bien leurs caractères essentiels pour la vie des Etats et des Empires.
"Les routes terrestres, maritimes et, dans une moindre mesure, aériennes, forment le système nerveux de la géopolitique. La route, lieu de circulation des richesses et des armées, scande l'histoire des sociétés. Née de la rencontre des déterminations géographiques - col, vallée, détroit, fleuve, etc - et de l'activité humaine - commerce, guerre, agriculture, etc -, la route est un facteur à la fois "entraîné et entraînant" de l'histoire géopolitique. De tout temps, elle a suscité des convoitises et des tentatives de captation, et elle a été à l'origine de la formation d'États et d'empires. Les exemples en sont nombreux : route des épices, route de la soie, route de l'ambre, route des mines d'or du Sahara..."   Aujourd'hui les routes de l'information, joignant les technologies de l'informatique et des télécommunications forment les nouvelles routes de circulation et de communication essentielles à la vie de la société, un peu trop vite qualifiée sans doute de post-industrielle.
     Ces routes forment un réseau qui couvre une plus ou moins grande partie du territoire, et ce réseau est plus ou moins dense selon les États ou les Empires. L'existence de nombreuses routes dans un paysage modérément contrasté fourni la possibilité de contrôle et d'exploitation importante d'un territoire, permet la constitution de pouvoirs politiques forts. En revanche, la rareté de routes, même sur un territoire culturellement ou seulement religieusement unifié, ne permet que la constitution de pouvoirs politiques - pouvant dans certains cas être uniquement symboliques - faibles et constamment remis en cause.

         C'est aussi dans cette logique que Claude RAFFESTIN réfléchit aux réseaux et au pouvoir.
"La circulation et la communication sont les deux faces de la mobilité. Complémentaires, elles sont présentes dans toutes les stratégies que déclenchent les acteurs pour maîtriser les surfaces et les points à travers la gestion et le contrôle des distances."
Le géographe distingue la circulation comme "transfert d'êtres et de biens" de la communication "au transfert de l'information". "Encore que, cette distinction, toute utile qu'elle est, peut apparaître ambiguë car elle pourrait laisser croire qu'il y a soit la circulation, soit la communication. En réalité, il y a simultanément circulation et communication dans tout "transport". Les hommes ou les biens qui circulent sont porteurs d'une information et par conséquent ils "communiquent" quelque chose. De même l'information qui est communiquée est en même temps un "bien" qui "circule"".
        Jusqu'à l'époque contemporaine, les réseaux de circulation et les réseaux de communication étaient presque les mêmes réseaux. Mais avec l'apparition de l'information et des télécommunications, ils se dissocient partiellement. "Si parallèlement les "distances temporelles" en matière de circulation ont été considérablement réduites (...) il y a une spécialisation très poussée des réseaux de circulation et de communication qui ne sont plus confondus. Cette discordance entre distance de circulation et distance de communication (fondement entre autre des dissociations entre économie réelle et économie financière à l'échelle de la planète, dirions-nous), n'a pas manqué de créer des problèmes nouveaux très spécifiques à notre époque. Cette distorsion est tout à la fois un avantage et un désavantage pour ceux qui exercent le pouvoir. Avantage d'être renseigné presque immédiatement mais désavantage si l'information reçue implique la nécessité de transférer des hommes ou des biens d'un point à un autre de l'espace. L'idéal du pouvoir est d'agir en temps réel. Si la distance de circulation et la distance de communication tendaient vers l'égalité, le pouvoir ne serait pas loin d'être absolu et toute tentative totalitaire trouverait là un point d'appui pour contrôler... le monde."
              Il existe toute une dialectique pour le pouvoir entre voir sans être vu, mais être perçu toutefois pour exercer ce pouvoir avec un minimum d'efforts. Tout l'enjeu de l'infomatique semble bien être là : le pouvoir doit être au courant de ce qui se passe pour être réel, et les acteurs qui subissent ou bénéficient de ce pouvoir n'ont pas forcément envie d'être identifiés toujours et partout...
       
              Chaque pouvoir développe une stratégie pour recevoir l'information et faire circuler de manière la plus efficace ses instruments de pouvoir.
   Les moyens techniques à sa disposition font varier considérablement ses facultés. Il construit un réseau de circulation selon ses centres d'intérêts (économiques, politiques, stratégiques militaires ou culturels), s'efforçant de contrôler le plus possible les endroits où son action peut être menacée et laissant à des relais seconds le contrôle pour son compte de portions plus ou moins importantes du territoire.
   De même, comme Harold Adams INNIS (professeur canadien d'économie politique, 1894-1952, Empire and communication, 1950)  et Marshall McLUHAN (1911-1980) l'ont mis en lumière, il construit des réseaux de communication avec toutes les contraintes à ce genre d'exercice. La distribution de l'information - moyen de savoir réellement et moyen de faire croire ce qui est irréel - est l'objet de leurs études. L'idée fondamentale de INNIS est qu'il ne semble pas possible de maîtriser à la fois le temps et l'espace : Gouverner, certes, mais sur quelle surface et pour quelle durée.
Pour préciser cela, Claude RAFFESTIN donnent l'exemple des "médias" utilisés par différents États ou Empires : les monuments de pierre, résistants ou d'une maniabilité faible, le papyrus ou le papier plus facilement utilisable et circulant plus vite. Il critique le fait que Harold INNIS privilégie trop le médium par rapport au message mais son analyse demeure pertinente, car beaucoup d'auteurs ont tendance à oublier les contraintes techniques de circulation de l'information, et la concentration de pouvoir nécessaire à l'utilisation de certains matériaux (connaissance technique, possession d'ateliers de construction en série, etc....).
  Marshall McLUHAN insiste bien que le fait qu'une société qui utilise une technologie est influencé par elle dans sa manière de voir le temps et l'espace : "Quand une société invente ou adopte une technologie qui donne la prédominance ou une importance nouvelle à l'un des sens, le rapport des sens entre eux est transformé. L'homme est transformé : ses yeux, ses oreilles, tous ses sens sont, eux aussi, transformés" (La galaxie Gutemberg, 1977).  Claude RAFFESTIN poursuit cette réflexion : "L'information peut être "entendue" ou "vue" : le réseau des sons n'est pas le réseau des images. Les pouvoirs qui en dérivent ne sont pas non plus de même nature. Il est donc vrai qu'un nouveau médium peut conduire à l'émergence d'une nouvelle civilisation. On pourrait ajouter aussi qu'un nouveau médium est porteur d'une possible restructuration du pouvoir." 
   Ce qui est en jeu ici n'est ni plus ni moins que l'emprise exercée par le pouvoir, qu'il soit politique ou économique. "Les sociétés à forte emprise territoriale sont caractérisées par des flux considérables d'information nécessitant d'énormes quantités d'énergie. (Soit dit en passant selon nous, le réseau Internet consomme énormément d'énergie et le modèle économique qui le sous-tend, reposant sur la circulation d'information inutiles ou parasites comme les publicités commerciales devra certainement être révisé si l'on veut lutter contre le réchauffement climatique). A l'inverse, les sociétés à faible emprise territoriale sont peu traversées par des flux d'information et par conséquent elles ne sont pas de grosses consommatrices d'énergie."   La mise en place des réseaux de circulation est étudié par Claude RAFFESTIN et nous en discuterons plus tard : il s'agit tout simplement du processus de changements de civilisation, de la pierre à l'informatique, que nous avons connu.
     Dans sa conclusion sur "Les réseaux et le pouvoir", attentive aux formes oppressives du pouvoir, Claude RAFFESTIN écrit : "Les réseaux informels de masse ou interpersonnels constituent un contrepoids utile et bienvenu car ils ne peuvent que très difficilement être concentrés et centralisés. Pour contrôler les moyens actuels de reproduction et les conversations, il faut contrôler un ordre fondé sur la terreur. (...) Quelles que soient les mesures prises, l'information finit toujours par passer car elle s'infiltre partout : les barrières autour de l'information ne servent à rien. Norbert WIENER (Cybernétique et société, 1962) ne s'y est pas trompé il y a un quart de siècle lorsqu'il a écrit : "L'information se présente encore davantage comme une question de processus plutôt que le stockage. Le pays qui jouira de la plus grande sécurité sera celui dans lequel la situation de l'information et de la science sera propre à satisfaire les exigences éventuelles - le pays où l'on se rendra compte pleinement que l'information importe en tant que stade d'un processus continu par lequel nous observons le monde extérieur et agissons efficacement sur lui."

 Claude RAFFESTIN, pour une géographie du pouvoir, Librairies techniques, 1980. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.

                                                                    STRATEGUS
 
Relu le 14 septembre 2019
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