28 septembre 2009
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S'il fallait trouver un film, ou une série de films, révélateur des conflits que peuvent entraîner le simple travail cinématographique d'anthropologues, provoquant une "contamination" directe de la société occidentale sur la société qu'elle prétend vouloir étudier, c'est bien Yanomamo : A multiplidisciniplary study, de Napoleon CHAGNON tourné en 1965.
Ce peuple "très primitif" de chasseurs-cueilleurs d'Amazonie est peut-être le peuple non occidental et non industrialisé le plus filmé au monde. "Dès 1978, se tint à Paris un festival cinématographique exclusivement consacré aux Yanomami, tantôt présenté en maîtres du monde des esprits, selon des cinéastes français, tantôt guerroyant, selon leurs homologues américains. Les documentalistes, les journalistes et les réalisateurs de films ethnographiques rivalisant pour tourner des séquences authentiques, le cinéma-vérité est devenu la principale source de revenus pour maints Yanomami vivant le long de l'Orénoque. Ces Indiens acculturés sont désormais des professionnels, créant des décors et montant des scènes de violence pour les besoins de l'objectif. Poussé par l'accroissement régulier de la demande, le coût d'un nouveau Shabono ou d'une nouvelle guerre a augmenté au fil des ans. Quels Yanomani ont fini par être suffisamment compétents pour se mettre à filmer les cinéastes, créant ainsi un nouveau genre : le "film noir yanomami" (Patrick TIERNEY). La télévision française diffuse de temps à autre un document sur cette culture. Par exemple, pour prendre un exemple reculé, Yanomami, de Jean-Pierre MARCHAND en 1969, dans la série télévisée scientifique de Michel TREGUER, "Eurêka". En cherchant bien, on peut trouver des documentaires dans différentes médiathèques ou glaner des informations sur le site Internet d'Anthropologie et Cinéma.
Ce qui nous intéresse ici c'est de savoir deux choses :
Ce qui nous intéresse ici c'est de savoir deux choses :
- que la société de ces hommes "primitifs" fut décimée en partie par la rougeole importée par les "civilisateurs" occidentaux, ce qui la désorganisa comme on l'imagine, surtout parce que quantités d'observateurs ont voulu jouer aux observateurs neutres tout en le pouvant pas, puisqu'ils étaient obligés de se livrer à une mise en scène pour délivrer des images "regardables" par le public de leur propre culture ;
- que toute cette entreprise d'observation "forcée" brouille beaucoup les pistes de la recherche anthropologique elles-même sur les relations qu'entretiennent ou qu'entretenaient les populations de chasseurs-cueilleurs avec le phénomène guerre.
Cet exemple n'est sans que la caricature de ce que Jean-Paul COLLEYN appelle le cercle vicieux du documentaire : "Dans les films descriptifs de la tradition muséographique (...), la seule histoire racontée est celle d'un processus : la construction d'une maison, la préparation du beurre de karité, le limage rituel des dents, la cérémonie annuelle d'un culte agraire (nous pourrions ajouter la cérémonie initiatique, le rituel de lignage, l'enterrement d'un chef religieux,...) etc. Mais dans des films plus élaborés il arrive qu'un ressort dramatique - au sens originel de drama : action - soit utilisé, mais rarement de manière délibérée et heureusement sans doute, de façon moins stratégique que dans le cinéma de fiction. Souvent le sujet est choisi en fonction de l'action, du processus ou du problème qui permet de créer une tension narrative. Pour raconter une histoire plus complexe qu'une simple succession d'événements, le réalisateur recourt, de manière plus ou moins innocente, à d'autres procédés d'écriture, dont l'étude précise le cercle vicieux dans lequel le cinéma documentaire se trouve inévitablement inscrit. Quand ils ne les emploient pas, les documentaristes sont accusés de faire des films ennuyeux (et c'est vrai que beaucoup le sont) ; mais quand ils les emploient, ils sont accusés de fabriquer une pseudo-réalité. Nanook (1922), de Robert FLAHERTY, par exemple, est un film cinématographiquement admirable mais l'enquête filmée de Claude MASSOT (1989) prouve que la mystification atteignait une ampleur insoupçonnée. Nanook ne s'appelait pas Nanook, quand les membres de la famille s'éveillaient presque nus dans l'igloo, ils étaient presque dehors, l'igloo ayant été décaloté et ouvert pour des raisons de lumière et de recul ; de plus, les "femmes de Nanook", qui n'avaient, en fait, rien à voir avec lui, avaient été amenées par FLAHERTY! Non seulement, dans l'éthique d'un travail anthropologique, de telles manipulations ne sont évidemment pas acceptables, mais encore chaque auteur a-t-il le devoir de traquer chez lui une éventuelle imagerie inconsciente à laquelle il aurait tendance à sacrifier".
Finalement, et singulièrement lorsqu'ils s'agit de retracer dans une société dite primitive un conflit, qu'il soit violent ou quotidien, le premier regard qui s'impose pour le spectateur est... la méfiance. Le travail de Jean ROUCHE, qui s'efforce de retranscrire les moeurs d'une société avec le minimum de "contamination" n'en est que plus remarquable. En mêlant sciemment documentaire et fiction et en mettant en place des repères pour que le spectateur en voie les différences, il cherche à atteindre le réel d'une société, tout en effectuant en fait un travail artistique. Les progrès d'enregistrement du son et de l'image permettent sans doute aujourd'hui un meilleure approche de la réalité. C'est en tout cas ce qui ressort de l'étude de Marc-Henri PIAULT, sur l'anthropologie et le cinéma, depuis le début du cinéma ethnologique.
Aussi, peut-être le film sur d'autres sociétés que la nôtre, qui retrace une lutte ou un conflit, comme celui de Jorge SANJINES, sur la révolte d'un groupe de paysans indiens des Andes contre un "latifundiaire" (L'ennemi principal, 1975), engagé politiquement, offre t-il moins de chausse-trappes à l'esprit critique du spectateur, car il connait - et souvent partage - les opinions du réalisateur.
- que toute cette entreprise d'observation "forcée" brouille beaucoup les pistes de la recherche anthropologique elles-même sur les relations qu'entretiennent ou qu'entretenaient les populations de chasseurs-cueilleurs avec le phénomène guerre.
Cet exemple n'est sans que la caricature de ce que Jean-Paul COLLEYN appelle le cercle vicieux du documentaire : "Dans les films descriptifs de la tradition muséographique (...), la seule histoire racontée est celle d'un processus : la construction d'une maison, la préparation du beurre de karité, le limage rituel des dents, la cérémonie annuelle d'un culte agraire (nous pourrions ajouter la cérémonie initiatique, le rituel de lignage, l'enterrement d'un chef religieux,...) etc. Mais dans des films plus élaborés il arrive qu'un ressort dramatique - au sens originel de drama : action - soit utilisé, mais rarement de manière délibérée et heureusement sans doute, de façon moins stratégique que dans le cinéma de fiction. Souvent le sujet est choisi en fonction de l'action, du processus ou du problème qui permet de créer une tension narrative. Pour raconter une histoire plus complexe qu'une simple succession d'événements, le réalisateur recourt, de manière plus ou moins innocente, à d'autres procédés d'écriture, dont l'étude précise le cercle vicieux dans lequel le cinéma documentaire se trouve inévitablement inscrit. Quand ils ne les emploient pas, les documentaristes sont accusés de faire des films ennuyeux (et c'est vrai que beaucoup le sont) ; mais quand ils les emploient, ils sont accusés de fabriquer une pseudo-réalité. Nanook (1922), de Robert FLAHERTY, par exemple, est un film cinématographiquement admirable mais l'enquête filmée de Claude MASSOT (1989) prouve que la mystification atteignait une ampleur insoupçonnée. Nanook ne s'appelait pas Nanook, quand les membres de la famille s'éveillaient presque nus dans l'igloo, ils étaient presque dehors, l'igloo ayant été décaloté et ouvert pour des raisons de lumière et de recul ; de plus, les "femmes de Nanook", qui n'avaient, en fait, rien à voir avec lui, avaient été amenées par FLAHERTY! Non seulement, dans l'éthique d'un travail anthropologique, de telles manipulations ne sont évidemment pas acceptables, mais encore chaque auteur a-t-il le devoir de traquer chez lui une éventuelle imagerie inconsciente à laquelle il aurait tendance à sacrifier".
Finalement, et singulièrement lorsqu'ils s'agit de retracer dans une société dite primitive un conflit, qu'il soit violent ou quotidien, le premier regard qui s'impose pour le spectateur est... la méfiance. Le travail de Jean ROUCHE, qui s'efforce de retranscrire les moeurs d'une société avec le minimum de "contamination" n'en est que plus remarquable. En mêlant sciemment documentaire et fiction et en mettant en place des repères pour que le spectateur en voie les différences, il cherche à atteindre le réel d'une société, tout en effectuant en fait un travail artistique. Les progrès d'enregistrement du son et de l'image permettent sans doute aujourd'hui un meilleure approche de la réalité. C'est en tout cas ce qui ressort de l'étude de Marc-Henri PIAULT, sur l'anthropologie et le cinéma, depuis le début du cinéma ethnologique.
Aussi, peut-être le film sur d'autres sociétés que la nôtre, qui retrace une lutte ou un conflit, comme celui de Jorge SANJINES, sur la révolte d'un groupe de paysans indiens des Andes contre un "latifundiaire" (L'ennemi principal, 1975), engagé politiquement, offre t-il moins de chausse-trappes à l'esprit critique du spectateur, car il connait - et souvent partage - les opinions du réalisateur.
Ceci posé, il existe aujourd'hui de nombreux films documentaires permettant de faire une première approche - mais ce ne doit être qu'une première approche, en aucun cas ne rester sur l'impression faite par le film. Nous citerons Initiation, Rites de passage chez les Moussey (1973, d'Igor GARINE) ; L'enterrement du Hogon (1973, de jean ROUCH) ; Dwo a tué! (1971, Guy LE MOAL) ; Le sang du sagou (1981, de Bernard JUILLERAT) et Temps du pouvoir (1985, de Eliane LATOUR), tous disponibles au CNRS, visibles sur commande sur sur site CNRS-Images.
Marc-Henri PIAULT, Anthropologie et Cinéma. Passage par l'image, Nathan, 2000. Patrick TIERNEY, Au nom de la civilisation, Comment anthropologues et journalistes ont ravagé l'Amazonie, Grasset, 2000. Jean-Paul COLLEYN, Manières et matières du cinéma anthropologique, Cahiers d'études africaines, XXX-I, 1990. Geneviève JACQUINOT, le genre documentaire existe-t-il?, article dans Panorama des genres au cinéma, CineAction n°68, 1994.
Marc-Henri PIAULT, Anthropologie et Cinéma. Passage par l'image, Nathan, 2000. Patrick TIERNEY, Au nom de la civilisation, Comment anthropologues et journalistes ont ravagé l'Amazonie, Grasset, 2000. Jean-Paul COLLEYN, Manières et matières du cinéma anthropologique, Cahiers d'études africaines, XXX-I, 1990. Geneviève JACQUINOT, le genre documentaire existe-t-il?, article dans Panorama des genres au cinéma, CineAction n°68, 1994.
Relu le 30 avril 2019