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8 avril 2009 3 08 /04 /avril /2009 14:09
       Publié en 1798, le dernier ouvrage d'Emmanuel KANT, Le conflit des facultés en trois sections, est directement issu des attaques de l'orthodoxie religieuse, ayant l'oreille du roi de Prusse Frédéric-Guillaume II. Dans la ligne de mire de l'Edit de religion de 1788, surtout après la publication la même année de sa Critique de la raison pratique, le philosophe exprime dans ce petit livre le point de vue de la liberté de conscience. Il constitue une application particulière de la doctrine pratique de l'auteur.
       Ainsi existe t-il un conflit entre Facultés inférieures (philosophie) et supérieures (théologie, droit et médecine), qui se ramène "à celui de la science vivante, avec les données mortes de la tradition, d'une façon plus générale, au conflit de l'autonomie intellectuelle et de l'autorité." (J. GIBELIN, traducteur de la version proposée par les éditions Vrin).
    Ce conflit est triple : le philosophe se trouve aux prises avec le théologien, le juriste et le médecin. Le principal est celui du conflit religieux.

     Ce livre se compose de trois parties, très inégales, précédées d'une préface de l'auteur :
- Le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de théologie, pourvu dans une deuxième partie d'un appendice fourni ;
- Le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de droit ;
- Le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de médecine.

       La préface situe le contexte de ce qui constitue une réponse très développée au roi Frédéric-Guillaume II, qui adresse une lettre de remontrances à son "cher féal", suite à ses "déformations" faites dans son livre "De la religion dans les limites de la raison simple". Dans la lettre de réponse proprement dite, Emmanuel KANT se défend d'avoir effectué des "déformations" ; il écrit ne pas avoir porté d'appréciation sur le christianisme, signale que la censure opérée, dès l'entrée à l'Université envers les candidats, les fait fuir en foule des emplois ecclésiastique pour surpeupler la Faculté de droit...

         Le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de théologie, titre de la première section, définit d'abord cette division générale des Facultés, en insistant sur les caractères respectifs de chacune d'elles. La Faculté inférieure, celle de la philosophie, "ne s'occupe que des doctrines qui ne sont point acceptées comme directives, sur l'ordre d'un chef, ou bien en tant qu'elle s'en occupe". Elle peut revendiquer toutes les disciplines pour soumettre à l'examen leur vérité, mais dans le texte, Emmanuel KANT rappelle que si les fonctionnaires des trois Facultés supérieures sont en contact direct avec le peuple, délivrent les articles de la foi, jugent les personnes au nom du Roi ou soignent les gens avec leur connaissance du corps, les fonctionnaires de la Faculté de philosophie ne s'opposent, dans leurs critiques qu'avec les fonctionnaires des trois autres et jamais publiquement. Le peuple, pour le philosophe, ne s'intéresse pas aux débats philosophiques et n'y comprend rien.
         Ce qui l'amène au Conflit illégal des Facultés supérieures avec la Faculté inférieure. Le "conflit des Facultés a pour fin l'influence sur le peuple, et cette influence elles ne peuvent l'acquérir que dans la mesure où chacun peut lui faire accroire que c'est elle qui s'entend le mieux à contribuer à sa félicité, alors que, en ce qui concerne la manière dont elles peuvent le réaliser, elles sont absolument opposées l'une à l'autre".
En fait, le peuple "veut être dirigé (...), trompé. Mais il ne veut pas être dirigé par les savants des Facultés (car leur sagesse est pour lui trop haute), mais par leurs agents qui s'entendent au savoir-faire". Les phrases suivantes de cette section troisième (toujours dans la première section de l'ouvrage) laissent à penser que le gouvernement, qui ne peut agir sur le peuple que par les agents des Facultés, pour conserver cette possibilité, suit les inclinaisons de ces agents, sans se donner la peine de vérifier la vérité de leurs activités - à savoir donner la bonne foi, servir le bon droit, distribuer la bonne médecine...Ce que KANT nomme conflit illégal, c'est cette inclinaison qui fait opposer les Facultés supérieures et la Faculté inférieure, et ce conflit, est "à jamais inconciliable" entre les unes et les autres. Ce qui lui apparait illégal, c'est qu'un gouvernement accorde le statut de vérité aux Facultés supérieures, contre l'avis de la Faculté inférieure, sanctionnant les fonctionnaires de cette dernière, publiquement. Ce qui lui parait illégal (mais ce n'est pas le sens commun du mot illégal qui rend compréhensible son texte...), c'est de trancher le débat sur la vérité d'une doctrine religieuse, d'un droit, d'une conception médicale, en défaveur de ceux qui recherchent cette vérité...
       La lecture de la quatrième section, Du conflit légal des facultés supérieures avec la faculté inférieure plaide en faveur de cette interprétation. Emmanuel KANT décrit en effet les principes formels d'une discussion qui conserve un caractère légal :  
- ce conflit ne peut ni ne doit s'arranger par un accord amiable, mais il exige une sentence, "l'arrêt ayant force de loi d'un juge (de la raison)" ;
- ce conflit "ne peut jamais se terminer et la Faculté de philosophie est celle qui doit toujours être armée à cette fin" ;
 - ce conflit ne peut en aucun cas porter tort au respect dû au gouvernement, qui assiste tranquillement au débat interne entre ces Facultés ;
 - ce conflit "peut très bien subsister, s'il y a accord entre la communauté des savants et celle des citoyens, concernant les maximes dont l'observation doit amener un progrès constant des deux classes de Facultés vers une perfection plus grande, préparant enfin la suppression de toutes les limitations imposées à la liberté de l'opinion publique par l'arbitraire gouvernemental.
     Ainsi, conclue t-il, "on pourrait bien un jour en arriver à voir les derniers devenir les premiers (...), non pour l'exercice du pouvoir, mais pour donner des conseils à celui qui le détient (...) qui trouverait ainsi dans la liberté de la Faculté philosophique et la sagesse qui lui en adviendrait, bien mieux que dans sa propre autorité absolue, des moyens pour atteindre ses fins."
    Notons-bien le Résultat que donne le philosophe de tout cela, à la fin de cette première partie : "Cet antagonisme, c'est-à-dire ce conflit de deux partis unis ensemble pour une fin commune (...) n'est donc pas une guerre (désaccord par opposition des finalités) ; conséquemment, on ne peut accorder aux Facultés supérieures aucun droit sans que la Faculté inférieure soit en même temps autorisée à présenter au public savant ses réserves à ce sujet."
         
         Dans l'appendice qui fait office de deuxième partie à cette section, Emmanuel KANT entend expliquer le conflit des facultés par l'exemple du conflit entre la faculté de théologie et la faculté de philosophie, bien évidemment au coeur de la controverse. S'ensuit une discussion sur l'exégèse des textes à l'origine des doctrines religieuses, que le philosophe fait suivre d'une Remarque générale qui prend beaucoup de place sur les sectes religieuses.
    Dans une Conclusion de la paix et résolution du conflit des facultés, on peut lire que par sa fonction même, la Faculté de théologie a préséance sur toute question de lecture des textes, mais qu'à prendre la Bible comme référence, "font obstacle bien des difficultés"... "Car si Dieu parlait vraiment à l'homme, celui-ci cependant ne peut jamais savoir si c'est Dieu qui lui parle. Il est absolument impossible qu'au moyen des sens, l'homme puisse saisir l'Ètre infini, le distinguer des êtres sensibles et le reconnaitre à quelque signe. - Mais que ce puisse ne pas être Dieu dont il croit entendre la voix, de cela il peut bien se convaincre en quelque cas ; car si ce qui lui est, dans ces cas, proposé, est contraire à la loi morale, quelque majestueux que puisse lui paraitre le phénomène et dépassant même toute la nature, il faut bien qu'il le considère comme un illusion.".
Ainsi, finalement, les théologiens de la Faculté "ont le devoir et, par suite, le droit, de maintenir la foi en la Bible ; sans gêner cependant la liberté qu'ont les philosophes de la soumettre en tout temps à la critique de la raison (...)"...
    Le philosophe enfonce ensuite le clou, si on nous passe l'expression, par deux autres appendices : Questions bibliques concernant l'usage pratique du saint livre et le temps présumable de la durée de celui-ci et D'une pure mystique en religion.

        Le Conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de droit, thème de la deuxième section, pose des questions traitées de manière relativement courte, sur la manière dont "le genre humain est en constant progrès vers le mieux" sous une forme interrogative. "La foi au progrès historique ne saurait résulter que d'une manifestation authentique de l'idée du droit. Or la société vient d'assister à un événement de ce genre et KANT évoque le souvenir de la Révolution française, dont il condamne les excès, mais qui éveilla dans l'âme des peuples un enthousiasme désintéressé et de bon augure pour le futur du droit - sinon du bonheur". (J GIBELIN).

         La troisième section, Le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de médecine parcoure un certain nombre d'aspects sur "l'art de prolonger la vie humaine". Ainsi sont évoqués Du pouvoir qu'à l'âme humaine d'être grâce à une simple résolution ferme, maitresse de ses sentiments morbides, Le principe de la diététique, De l'hypocondrie, Du sommeil... L'intérêt de cette dernière section est qu'elle nous renseigne sur la santé et le régime que le philosophe s'imposait... Sans doute, derrière cela, sinon pourquoi donner un tel titre pour de telles considérations, y-a-t-il un écho lointain des conflits qui portent sur les méthodes médicales elles-mêmes, sur les idées fausses qui circulent dans toute la société européenne à propos des causes des maladies et de leur traitement...

      Une postface existe, mais ne porte que sur... la protection des yeux des lecteurs à propos de la taille et de la forme des lettres imprimées.

Emmanuel KANT, Le conflit des facultés en trois sections, 1798. L'édition utilisée est celle de la Librairie philosophique J. Vrin, 1997. Traduction de l'allemand avec introductions et notes de J GIBELIN (cinquième édition).
La base pour la traduction est le texte de HARTENSTEIN (Leipzig, 1868), contrôlée d'après le texte de l'édition de l'Académie des sciences de Berlin (K. VORLAENDER), ainsi que d'après celui de l'édition E. CASSIRER.
   

Relu le 1 mars 2019

   
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