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17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 14:38
       De son vrai nom Huigh de GROOT (1583-1645), le grand juriste hollandais est considéré comme l'initiateur du droit international par de nombreux auteurs (VICO par exemple). Auteur en tout cas d'un des traités juridiques majeurs du dernier millénaire (Peter HAGGENMACHER), l'avocat protestant, érudit précoce et aventurier, conseiller de la Compagnie des Indes Orientales, pris dans les tourments des querelles politiques de son pays, rédige son ouvrage le plus connu lors de son exil à Paris. Il publie Le droit de la guerre et de la paix en 1625 et le dédie à Louis XIII, après avoir prit deux ans pour le rédiger, sur des idées déjà en gestation depuis 20 ans.
       
             Le droit de la guerre et de la paix, écrit en latin, est divisé en trois grands livres : le premier porte sur la définition de la licéité de la guerre, sur les belligérants et les formes de guerre, le second, qui occupe près de la moitié du volume, sur les justes causes de la guerre, et le troisième sur les limites du droit de la guerre et sur le retour de la paix. Ce droit est régi par le droit naturel, un droit si certain pour GROTIUS qu'il existerait même si Dieu n'existait pas, auquel s'ajoute des normes du droit des gens. Très loin d'une vision où l'État intervient partout, cette préfiguration du droit international est fondée sur la distinction entre droit naturel et droit volontaire (ce dernier procédant d'un commandement prononcé par une autorité compétente) empruntée à ARISTOTE. GROTIUS affirme le principe de supériorité du droit naturel sur le droit volontaire. Tout au long de son ouvrage, l'État lui-même est soumis à des critères de légitimité ou d'illégitimité des guerres auxquelles il prend part.

            Dans des "Prolégomènes" sur les trois livres, GROTIUS s'élève contre tout utilitarisme (contre THUCYDIDE et CARNÉIDE) et entend tenter ce que personne "n'a tenté jusqu'à présent", faire "un traité complet et méthodique". Son propos est bien rendu par ses attendus aux paragraphes XXV et XXVIII.
   "On doit d'autant moins admettre, ce que certains individus s'imaginent, que dans la guerre tous les droits sont suspendus, que la guerre elle-même ne doit être entreprise qu'en vue d'obtenir justice, et que, lorsqu'elle est engagée, elle ne doit être conduite que dans les termes de droit et de la bonne foi.(...) Mais pour que la guerre soit juste, il ne faut pas l'exercer avec moins de religion qu'on a coutume d'en apporter dans la distribution de la justice."
   "(...), convaincu (...) de l'existence d'un droit commun à tous les peuples, et servant soit pour la guerre, soit dans la guerre, j'ai eu de nombreuses et graves raisons pour me déterminer à écrire sur ce sujet. Je voyais dans l'univers chrétien une débauche de guerre qui eût fait honte même aux nations barbares ; pour des causes légères ou sans motifs on courait aux armes, et lorsqu'on les avait une fois prises, on n'observait plus aucun respect ni du droit divin, ni du droit humain, comme si, en vertu d'une loi générale, la fureur avait été déchaînée sur la voie de tous les crimes."

       La lecture du premier livre, comme des autres d'ailleurs, est rendue facile par un exposé de l'ordre de l'ouvrage, placé en tête de chaque chapitre, ce qui le bien plus agréable et plus compréhensible à lire d'ailleurs que beaucoup de textes juridiques actuels.
Ce premier livre comporte 5 chapitres qui font le tour des questions Qu'est-ce que la guerre?, Qu'est-ce que le droit? Qui la fait?
Au chapitre 1 GROTIUS indique clairement sa conception du droit tirée directement des textes bibliques (loi hébraïque entre autres) et des écrits des premiers Pères de l'Eglise, car il veut ancrer sa réflexion sur ce que la Chrétienté a en commun, avant les schismes religieux qu'il vit. En définissant les différentes formes de droit (droit naturel, droit volontaire, divin ou humain), il entend fonder cette réflexion sur le droit naturel consacré précisément par ces textes anciens.
Dans le chapitre 2, GROTIUS prend ses arguments aux mêmes sources pour déterminer si la guerre peut être juste, pour y apporter la même réponse affirmative que celle de l'Empire romain chrétien.
Le chapitre 3 porte sur "l'explication de la souveraineté" : il développe à la fois l'idée que si des guerres privées peuvent relever du droit naturel, dans son domaine l'État est seul acteur de la guerre publique.
Dans le chapitre 4, la guerre des sujets contre les puissances, GROTIUS restreint très fortement les cas de résistance légitime au souverain. En dehors du cas de l'usurpation (cette usurpation étant définie par rapport à une coutume, qui peut très bien partager le pouvoir d'État entre plusieurs mains), cette résistance est illégitime. Les particuliers ne peuvent en aucun cas s'ériger en juges.
Il conclue dans le chapitre 5 que le droit de nature n'exclut personne de la guerre comme instrument, comme sujet d'autorité.

       Le livre deuxième, réparti en 26 chapitres, s'étend sur les causes justes de la guerre. Pour donner un idée de la volonté de GROTIUS de faire effectivement un traité complet, citons les têtes de ces chapitres :
- Des causes de la guerre, et, premièrement de la défense de soi-même et des biens ;
- Des choses qui appartiennent en commun aux hommes ;
- De l'acquisition originaire des choses, où il est traité de la mer et des rivières ;
- De l'abandonnement présumé, de l'occupation qui le suit, et en quoi il diffère de l'usucapion (non juridique pour prescription acquisitive, opposée à la prescription extinctive) et de la prescription ;
- De l'acquisition originaire du droit sur les personnes (droits parentaux, des communautés et sur les sujets et sur  les esclaves) ;
- De l'acquisition dérivée par le fait de l'homme (aliénation et biens de la souveraineté) ;
- De l'acquisition dérivée qui s'accomplit en vertu de la loi (successions) ;
- Les acquisitions qui sont dites vulgairement du droit des gens ;
- Quand finit la souveraineté ou la propriété ;
- De l'obligation qui naît de la propriété ;
- Des promesses ;
- Des contrats ;
- Du serment ;
- Des promesses, des contrats et des serments de ceux qui ont la souveraineté ;
- Des traités et des sponsions (non ancien pour capitulations) ;
- De l'interprétation ;
- Du dommage causé injustement, et de l'obligation qui en résulte ;
- Du droit des ambassades ;
- Du droit de sépulture ;
- Des peines ;
- De la communication des peines ;
- Des causes injustes ;
- Des causes douteuses ;
- Avis de ne point entreprendre une guerre témérairement, même en vertu de justes causes ;
 - Des causes d'entreprendre la guerre pour les autres ;
 - Des causes justes pour lesquelles la guerre peut être faite par ceux qui sont sous la souveraineté d'autrui.
          C'est une véritable théorie générale du droit naturel que GROTIUS élabore ici. Il s'agit de la légitime défense, d'une théorie des droits absolus et d'un droit des obligations et une théorie du droit pénal (les chapitres sur les peines et la communication des peines sont fort longs et détaillés).
           De ces ensembles de normes objectives dérivent autant de droits subjectifs (dont GROTIUS est un des premiers à dégager aussi clairement la notion en tant que "qualité morale attachée à la personne pour posséder ou faire justement quelque chose"). Ces droits subjectifs sont exerçables par tout individu en l'absence de juridiction étatique, et cela vaut pour la compétence pénale que GROTIUS considère dans son essence comme naturelle.
Tous ces droits sont dès lors inhérents à la personne humaine, qui est immédiatement insérée dans un ordre juridique naturel aux dimensions de l'humanité. Ce droit naturel et ce droit des gens, deux sources du droit non écrit, s'établissent soit par déduction rationnelle, soit par le consentement des nations civilisées, par l'usage continuel des nations et par le témoignage d'auteurs compétents. (Peter HAGGENMACHER)
          Au premier rang des causes justes des guerres figure, comme chez Saint Thomas, la légitime défense, entre particuliers comme entre États. Mais sont illégitimes les guerres de conquête (Mario BETTATI), ce qui explique pourquoi GROTIUS s'étend sur la propriété et son acquisition et sur les droits et obligations qui s'y rattachent. Dans sa vaste construction, particuliers et États sont soumis en ce qui concerne cette propriété aux mêmes lois naturelles.
        Notons que GROTIUS insiste souvent sur le péril de la désobéissance. Ainsi, pour éviter les périls de la destruction de la chose publique, il admet même que les délibérations concernant les guerres injustes ne soient même pas portées à la connaissance du peuple. N'oublions pas que l'époque de GROTIUS est celle d'une société à ordres, où les puissants et le peuple (et à fortiori les esclaves) doivent rester à leur place...

       Dans le livre troisième, divisé en 25 chapitres, GROTIUS traite du droit dans la guerre et annonce de futures dispositions du droit international pénal et notamment sur les responsabilités des dirigeants et des exécutants dans les guerres injustes. Il établit une sorte de code de la guerre avec ses conventions et ses procédures, que ce soit dans leur déclaration, dans l'étendue des tueries et des violences autorisées en général, et dans leur conclusion.
  Lorsque GROTIUS parle du droit de la paix, il n'entend pas ce qu'aujourd'hui on appelle le droit des relations internationales de la coexistence pacifique, mais seulement de la partie du droit de la guerre relative à leur achèvement (les traités de paix). Le juriste hollandais est très loin du pacifisme : il cite d'ailleurs saint Augustin dans sa conclusion : on ne cherche pas à faire la paix pour faire la guerre, mais au contraire on fait la guerre pour avoir la paix. (Mario BETTATI)

       Plusieurs lectures sont faites de cette oeuvre assez monumentale, tant par les partisans du droit public étendu que de ceux du droit privé fondé sur le contrat.
   On peut avec Frédéric ROUVILLOIS, dans un premier temps, distinguer trois interprétations :
- Laïcisation du droit, "ainsi, il n'est plus indispensable de s'accorder sur un plan religieux pour se soumettre à un même droit".
 - Identification du droit à la morale. La nature humaine montre le droit. "La mère du droit naturel est la nature humaine elle-même, qui nous porterait à rechercher le commerce de nos semblables, quand même nous n'aurions besoin de rien" (Prolégomènes)
- Identification du droit naturel aux mathématiques. La voie de cette interprétation est celle de l'établissement d'une science juridique précise. "C'est en isolant les principes du droit, tant de la volonté que des faits, qu'on pourra les arracher au relatif, à l'incertitude, et leur conférer une stabilité sans laquelle ils ne seraient pas susceptibles d'une approche systématique". Et surtout imposer cette science juridique autant aux puissants qu'au peuple.
   
      Comme pour toute oeuvre d'envergure, la postérité des idées dépend autant de ce que l'auteur a réellement voulu signifier que ce que ses lecteurs et commentateurs ont voulu y trouver, et souvent y sélectionner, comme aliment de leur propre réflexion. La dynamique du travail d'une oeuvre se poursuit toujours bien longtemps après que son auteur l'ait léguée à ses descendants spirituels. En ce qui concerne GROTIUS, il a ouvert de nombreuses perspectives dans le droit international qui n'ont certainement pas été toutes explorées.
     Les conceptions de GROTIUS et de Thomas HOBBES s'opposent sur l'état de nature. Si GROTIUS s'appuie sur la nature pour en déduire les règles du droit, pour définir ce qui est légitime ou pas, Thomas HOBBES conçoit l'état naturel comme un état de guerre qu'il s'agit de maîtriser. Peter HAGGENMACHER voit dans De Cive de Thomas HOBBES une "critique masquée de la doctrine grotienne du droit et de la guerre".
    Point d'ancrage d'une conception jurisprudentielle du droit international, origine de l'émergence de la discipline du droit international et de la doctrine des droits de l'homme, malgré ses positions très conservatrices (favorable à l'esclavage et défavorable au droit de désobéissance), l'influence du Droit de la guerre et de la paix est énorme, tant à cause de ses rééditions successives que grâce aux commentaires très divers qu'il a suscité et qu'il suscite encore.

    A noter que deux traductions de Le droit de la guerre et de la paix existent : celle de BARBEYRAC de 1724, la plus diffusée notamment au XVIIIème siècle, dans l'esprit des Lumières et de l'Encyclopédie, une traduction très douteuse si l'on en croit le présentateur du livre aux Presses Universitaires de France, Denis ALLAND, et celle de P. PRADIER-FODERE de 1867, jugée plus fidèle à l'esprit de l'époque même de GROTIUS. C'est cette dernière traduction que les PUF ont utilisées en 1999.

Hugo GROTIUS, De jure belli ac pacis libri tres, in quibus ius naturae et gentium item iuris publici praecipua explicantur (Le droit de la guerre et de la paix), 1625, chez BUON, Réédition Presses Universitaires de France, 1999. L'édition dans la collection Quadrige au PUF de 2005 comporte 868 pages, réalisée par Denis ALLAND et S GOYARD-FABRE. Une très courte présentation par Denis ALLAND l'introduit. De très nombreuses notes de GROTIUS figurent en bas de page.
Peter HAGGENMACHER, article GROTIUS du Dictionnaire des grandes oeuvres juridiques, sous la direction d'Olivier CAYLA et de Jean-Louis HALPERIN, Editions DALLOZ, 2008. Mario BETTATI, article GROTIUS du Dictionnaire des Oeuvres Politiques, sous la direction de François CHATELET, Olivier DUHAMEL et d'Evelyne PISIER, PUF, 1986. Frédéric ROUVILLOIS, Le droit, textes choisis et présentés par, GF Flammarion, collection Corpus, 1999.

                                                                       JURIDICUS
 
Relu le 18 janvier 2019


      
       

     
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