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28 janvier 2009 3 28 /01 /janvier /2009 15:43
   4  Marxismes et linguistiques
     
          Les approches marxistes de la linguistique, à l'instar de la stratégie, ont suivi une évolution qui part de la contribution à la lutte des classes à la consolidation de l'Etat soviétique. C'est en dehors de la sphère d'influence soviétique que s'élaborent les conceptions les plus fructueuses.
Comme l'écrit Françoise GADET dans le Dictionnaire Critique du Marxisme : "le marxisme laisse difficilement place à une réflexion sur les discours et cède souvent à la tentation d'affirmer le primat du sens sur la forme, situation d'autant plus paradoxale que, on le sait, MARX travaille le primat de la forme dans les rapports de production." Ce jugement final sévère ne doit pas faire oublier la richesse de certaines approches marxistes. C'est en tout cas cette richesse que veut mettre en évidence Louis-Jean CALVET, en mettant en avant les approches de Karl MARX, Friedrich ENGELS, Paul LAFARGUE et STALINE, dont il fait publier les textes éclairants. Dans une introduction à ces textes, il indique leurs différentes logiques qui marquent bien les spécificités des apports marxistes à la linguistique. Pour le non-spécialiste, c'est en termes clairs que l'auteur de Marxisme et Linguistique expose leurs conceptions.

        Pour Françoise GADET comme pour Louis-Jean CALVET, Karl MARX et Friedrich ENGELS ne traitent du langage que dans la reprise de problèmes relativement classiques, comme l'origine du langage (La Dialectique de la nature d'ENGELS) ou de problèmes philosophiques, comme le rapport entre langue et pensée.
   On trouve dans L'idéologie allemande de Karl MARX, des réflexions sur le langage, à propos de l'idéologie en général : "Le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d'autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi et, tout comme la conscience, le langage n'apparaît qu'avec le besoin, la nécessité du commerce avec d'autres hommes." "La conscience est d'emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu'il existe des hommes." "La division du travail ne devient effectivement division du travail qu'à partir du moment où s'opère une division du travail matériel et intellectuel. A partir de ce moment, la conscience peut vraiment s'imaginer qu'elle est autre chose que la conscience de la pratique existante, qu'elle représente réellement quelque chose sans représenter quelque chose de réel. A partir de ce moment, la conscience est en état de s'émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie "pure", théologie, philosophie, morale, etc." Trois moments, "la force productive, l'état social et la conscience, peuvent et doivent entrer en conflit entre eux car, par la division du travail, il devient possible, bien mieux il arrive effectivement que l'activité intellectuelle et matérielle - la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient en partage à des individus différents (...)".
Dès le départ de la réflexion marxiste, le langage et l'idéologie sont liées dans la même dynamique sociale.
      Gueorgui PLEKHANOV (1856-1918), ce révolutionnaire et théoricien marxiste russe, compagnon à ses débuts de LENINE, lance véritablement la réflexion sur le langage comme activité idéologique, mais c'est la question de l'idéologie qui le préoccupe (La conception matérialiste de l'histoire, 1897 ; Les questions fondamentales du marxisme, le matérialisme militant, 1908-1910).

      LENINE ne donne que quelques remarques sur le langage, sans conséquences par la suite (Matérialisme et empiriocriticisme), qui approfondit seulement la notion de reflet que serait le langage par rapport au réel.
     BAKHTINE (1895-1975) et VOLOCHINOV (Le marxisme et la philosophie du langage, 1929), proposent de nombreux travaux sur le lien entre langue et marxisme. La parole est le moteur des changements linguistiques et il est impossible d'étudier la langue séparément de l'expression concrète et de l'énonciation, mais elle n'est pas le fait des individus : les individus sont animés par l'expression linguistique dans un champ de force social où ils sont entièrement plongés. (Rappelons que c'est Pierre BOURDIEU qui fit éditer en France ce livre en 1977). Le discours est l'arène où s'affrontent les "accents sociaux" contraires, expression des conflits de classe, à l'intérieur du même système linguistique. Mais classes et communautés linguistiques ne se recouvrent pas. La communication verbale, inséparable des autres formes de communication, implique conflits, rapports de domination et de résistance, adaptation ou résistance, utilisation de la langue par la classe dominante pour renforcer son pouvoir. A des différences de classes peuvent correspondre des différences de registre ou même de système linguistique, mais à l'intérieur d'un même système. En se basant sur une analyse stylistique de l'oeuvre de DOSTOEVISKI, BAKHTINE et VOLONICHOV trouvent des éléments qui alimentent les conflits sociaux. Pour eux, la réalité des phénomènes idéologiques est la réalité objective des signes sociaux. Les lois de cette réalité sont les lois de la communication sémiotique qui sont directement produites par l'ensemble des lois sociales et économiques. La réalité idéologique est une superstructure située directement au dessus de la base économique.
    Les évolutions dramatiques de la situation politique en Union Soviétique amènent l'école linguistique de Nicolas Yacovlevich MARR (1865-1934) à devenir le guide officiel en matière de langues. Le fondateur de cette école fonde la "japhétidologie", pure "science marxiste" débarrassée des apports "bourgeois". Il fait remonter l'origine des langues à une source antérieure à l'indo-européen, et postule une origine commune aux langues caucasiennes, sémitiques-hamitiques et basques (et plus loin un "protolangage à base de quatre exclamations aurait existé). A une origine gestuelle aurait succédé, lors de la désagrégation de la société primitive (communiste comme il se doit), une monogenèse à partir de ces quatre éléments. Une langue est une superstructure, reflet exact de la base économique, et une société de classes connaît des langues de classe. Les langues d'une même classe de pays différents auraient plus de points communs que les langues de classes différentes dans une même langue. Ce "fait" laisse espérer l'avènement d'une langue universelle dans une époque où le socialisme a triomphé dans tous les pays. Cela va évidemment de pair avec le projet d'extension du socialisme au monde entier, de 1930 à 1950.
     STALINE, dans une intervention dans la Pravda en 1950, probablement inspiré par Anold CHIKOBAVA (1898-1985), récuse l'existence de langues de classe : la langue n'est pas une superstructure, mais un instrument de communication qui ne peut être affecté par les changements sociaux. C'est qu'il ne s'agit plus que de construire le socialisme en un seul pays, et le dépérissement de l'Etat n'est plus envisagé, et le respect des langues nationales est rétabli du même coup.
"La langue (...) diffère radicalement de la superstructure. la langue est engendrée non pas par telle ou telle base, vieille ou nouvelle, au sein d'une société donnée, mais par toute la marche de l'histoire de la société et de l'histoire des bases au cours des siècles. Elle est l'oeuvre non pas d'une classe quelconque, mais de toute la société, de toutes les classes de la société, des efforts de générations et des générations. Elle est créée pour les besoins non pas d'une classe quelconque, mais de toute la société (...). Par suite, le rôle d'instrument que joue la langue comme moyen de communication entre les hommes ne consiste pas à servir une classe au détriment des autres classes (...)." (Le marxisme et les problèmes de linguistique).

   C'est à l'extérieur de l'Union Soviétique et les pays de l'Est que la réflexion, depuis 1950, se poursuit, dans des directions très diverses.
  Citons plusieurs auteurs sur lesquels bien entendu nous reviendrons par la suite :
       - Avant la révolution de 1917 en Russie, Paul LAFARGUE (1842-1911), dans ses travaux sur la Révolution Française, étudie son impact linguistique, dans le domaine du vocabulaire : le jeu linguistique entre l'aristocratie, la bourgeoisie et le peuple.
       - L'étude des causes sociales des faits linguistiques, héritière de l'école sociologique d'Antoine MEILLET (1866-1936) est menée entre autres par Marcel COHEN (1884-1974), auteur du référenciel "Pour une sociologie du langage (1956).
        - Dans les années 60, l'analyse du discours, l'étude des rapports entre le sens d'un énoncé et la forme qu'il revêt, est effectuée à la suite de Jean DUBOIS. Se fait sentir l'influence d'une conception de la linguistique "objectivée", détachée des contextes des conflits sociaux, dans des études qui, elles-mêmes se veulent marxistes, au moins en grande partie : étude d'une corrélation entre le linguistique et le social, à travers les conditions de production par Jean-Baptiste MARCELLESI ou étude sur l'autonomie et la matérialité de la langue dans la constitution du discours, reconnaissant une  partie proprement linguistique dans l'étude des rapports entre langue, idéologie et société par Michel PECHEUX.
       - La perspective marxiste est dernièrement renouvelée  selon une perspective historique : Michel FOUCAULT, R. BALIBAR et D.LAPORTE. Ces derniers travaillent sur les conditions de la naissance du français comme langue nationale - langue unificatrice au service de la bourgeoisie - sous la Révolution Française.
        - Jean-Pierre FAYE (né en 1925), à travers la revue "Tel Quel" notamment, étudie les changements de la langue et leurs relations réciproques avec les changements sociaux. Dans Les langages totalitaires (2004), il recherche les conditions d'"acceptabilité" de la parole hitlérienne lors de la montée du fascisme en Allemagne.

   Françoise GADET, Article Langue/Linguistique, du Dictionnaire Critique du Marxisme, PUF, collection Quadrige, 1999.
     Karl MARX, Friedrich ENGELS, L'idéologie allemande, Editions sociales, 1970 ; STALINE, le marxisme et les problèmes de linguistique, traduction des Editions du peuple, Pékin, octobre 1971 (disponible sur Internet,  www.communisme-bolchevisme.net) ; VOLOCHINOV/BAKHTINE, Le marxisme et la philosophie du langage (recension de l'ouvrage, disponible sur Internet sur le site de Réveil Communiste : http://reveilcommuniste.over-blog.fr) ; Jean-pierre FAYE, Langages totalitaires, Editions Hermann, 2004.
    Marxisme et linguistique, Editions Payot, 1977, Présentation de Louis-Jean CALVET (Sous les pavés de STALINE, la plage de FREUD?) des textes de MARX-ENGELS (L'idéologie allemande, d'ENGELS (Dialectique de la nature : Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, de Paul LAFARGUE (La langue française, Avant et après la révolution, paru dans l'Ere nouvelle, janvier-février 1894) et de STALINE (A propos du marxisme en linguistique, sous forme d'interview, paru dans Pravda du 20 juin 1950).

                                                                              LINGUS
 
Relu le 1 Janvier 2019
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