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8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 14:02
Stratégie classique et stratégie nucléaire

          Dans la guerre militaire classique, rappelle André BEAUFRE (Introduction à la stratégie), "il a toujours existé une importante composante économique et financière (...). Il y a toujours eu une composante diplomatique évidente (....). Il y a eu souvent une composante politique considérable de caractère idéologique (...)"
 "A chaque époque", poursuit-il, "la stratégie totale a été amenée à utiliser les moyens qui s'avéraient les plus efficaces. C'est pourquoi les forces armées n'ont joué un rôle prépondérant que lorsqu'elles avaient le pouvoir d'entraîner à elles seules la décision. Cette capacité de décision des forces armées a profondément varié au cours de l'histoire, en fonction des possibilités opérationnelles du moment qui résultaient de l'armement, de l'équipement et des méthodes de guerre et de ravitaillement de chacun des partis opposés.
Or cette variation a été fort rarement escomptée de façon juste. Au contraire, l'évolution a généralement surpris les deux adversaires qui ont dû, en tatonnant, rechercher les solutions nouvelles menant à la décision. Exceptionnellement, un chef militaire de génie - dont Napoléon demeure le modèle - a su s'assurer une supériorité temporaire par l'avance de sa pensée, donc de compréhension, qu'il avait à réaliser. Mais cette avance même a fini par enseigner les adaptations nécessaires à l'adversaire et le jeu est redevenu égal au bout d'un certain temps. Ainsi, l'un des éléments essentiels de la stratégie militaire classique a-t-il toujours été de comprendre plus vite que l'adversaire les transformations de la guerre et par conséquent d'être en mesure de prévoir l'influence des facteurs nouveaux. Ceux-ci ont tour à tour permis ou empêché la défense victorieuse des places fortes, la bataille décisive, ou les opérations foudroyantes. Par grandes phases successives, la guerre s'en est trouvée tantôt "courte et joyeuse", tantôt épuisante et prolongée, tantôt même incapable de résultats substantiels". (Introduction à la stratégie).
      La description de la bataille victorieuse, qui entraine la décision militaire met en pespective toujours le même schéma : deux murs humains diversement armés se font face, s'affrontent : les combattants constituent des rangs, se protègent les uns les autres, cherchent à déborder l'adversaire par les flancs, jouent entre la profondeur et l'étendue des lignes, visent constamment la rupture de la ligne adverse, et une fois la rupture effectuée, achèvent l'ennemi transformé en foule d'individus paniqués.
"La manoeuvre de débordement requiert une mobilité plus grande que celle de la ligne de bataille, c'est pourquoi les ailes ont été traditionnellement formées de cavalerie, plus récemment de troupes mécanisées et blindées. La manoeuvre de rupture réclame une puissance offensive supérieure qui a été réalisée par une bonne combinaison d'éléments de choc (cavalerie cuirassée, éléphants, chars) et de moyen de feux divers (flèches, pilum, pierriers, feux d'infanterie et d'artillerie) disposant d'une mobilité suffisante pour pouvoir rompre le front adverse rapidement."
Le schéma de la bataille est toujours compliqué par les feintes et l'usure. "Ramenée à l'essentiel, la stratégie de la bataille est donc simple. Ce qui lui rend toute sa complexité, c'est que les combattants sont des hommes et non des machines". Des hommes mus par la peur de la mort, et sa certitude plus ou moins grande. Tout repose sur la discipline des troupes, sur leur ardeur au combat. L'élément psychologique est prépondérant, la surprise est recherchée par les adversaires, celle qui va détruire la cohésion des rangs adverses. On se limite ici au champ de bataille terrestre car sur mer et dans les airs, d'autres facteurs entrent en jeu.

       L'acquisition de l'arme nucléaire bouleverse la conception stratégique, même si au début (mais la tendance est toujours présente aujourd'hui), on a voulu en faire une artillerie très lourde (c'était l'objet des manoeuvres américaines dans le désert dans les années 1950) de la même manière qu'aujourd'hui encore la majorité de physiciens n'a pas vraiment compris et intégré les conceptions relativistes de la matière.
      Pour se protéger du danger des explosions nucléaires sur le terrain ou partout sur son territoire, il n'existe selon André BEAUFRE que 4 possibilités :
- la destruction préventive des armes adverses ;
- l'interception des armes atomiques ;
- la protection physique (des biens et des personnes) contre les effets des explosions ;
- la menace de représailles.
     C'est jusque là la quatrième possibilité qui a été "mise en oeuvre" par les puissances nucléaires : la stratégie de dissuasion s'est déclinée depuis les années 1950 selon des modalités très variées, mais demeure toujours prépondérante.
Deux grands principes, la crédibilité de la menace de représailles massives (cela reste une défense nucléaire) et l'incertitude réciproque quant au seuil d'utilisation de ces armes, tendent à renforcer la prudence des Etats dans la "gestion des crises". On peut voir se réaliser un équilibre à tous les niveaux : "les forces de frappe en équilibre dissuadent d'un conflit nucléaire intégral, les forces classiques dissuadent d'un conflit limité, le risque toujours présent d'ascension dissuadant de donner à ce conflit limité un enjeu trop grave."
 La crise emblématique est bien celle dite des "missiles de Cuba", en 1962, entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, et on y reviendra. Du coup, "c'est pourquoi il est à penser que les conflits violents de l'âge atomique doivent normalement se cantonner à deux genres de guerre : dans les zones sensibles, à des actions limitées, peut-être très violentes, mais très courtes et visant à créer un fait accompli, suivi aussitôt de négociations ; dans les zones marginales, à des conflits prolongés d'usure mais relativement peu intenses et de caractère classique ou révolutionnaire". Tout autre genre de guerre évoluerait sans doute très vite vers l'ascension aux extrêmes.
    On peut suivre les évolutions de la course aux armements nucléaires - qui est une course à la crédibilité de leur usage - depuis 1945 : on constate alors le triomphe de la dissuasion (Lucien POIRIER) en même temps que le triomphe de la stratégie virtuelle entre les deux grandes puissances Etats-Unis et Union Soviétique. Cette course technologique de forces et de contre-forces (missiles sophistiqués avec leurres et multitêtes atomiques, missiles anti-missiles, bouclier anti-missiles...) a consommé - et consomme encore, on a tendance à oublier l'actuelle existence d'un arsenal important - une grande part des ressources des nations qui possèdent l'arme atomique. Instrument de puissance virtuelle, c'est un instrument d'influence directement politique et diplomatique, qui explique la prolifération nucléaire actuelle. Jusqu'à la constatation partagée (qui n'est pas effective pour le moment) de l'impuissance militaire de l'arme atomique.

      On notera ici simplement deux types d'évolution qui ne se situent pas sur le même niveau :
- La recherche à la réopérationnalité de l'arme atomique (n'oublions pas qu'elle a été opérationnelle deux fois en 1945 sur le Japon) sur le terrain par la miniaturisation de l'arme, par son intégration dans l'artillerie classique en variant ses effets de souffle, de feu et de radiations. Cette recherche avait abouti au temps du duopole américano-soviétique à des conceptions de bataille de l'avant, d'airland battle et de batailles nucléaires tactiques.
- De façon générale, la constatation que le rapport Destruction/Reconstitution est devenue inintéressant dans un monde où presque tout s'interpénètre, y compris les intérêts d'Etats, par la mondialisation.
  Pour être efficace, la stratégie doit "se rabattre sur un rapport s'instaurant entre les possibilités de destruction de la violence matérielle et les capacités de reconstitution des forces productives de la société considérée, que l'on nommera désormais le rapport destruction/reconstitution. Car ce rapport, lors même qu'il ne constitue pas la seule variable, réagit directement sur la solidité de la substance sociale, et sur la possibilité, pour les adversaires, de conserver, en dépit des dévastations partielles, des virtualités de progrès suffisantes. C'est donc sa considération qui, sauf erreur d'appréciation, réalise la médiation entre les deux volontés antagonistes dans leur acceptations ou leur refus de l'usage de la violence. Or ce rapport penche actuellement d'une façon terrible en faveur du premier terme : l'éventuel échange atomique, la subversion activant de perpétuels rééquilibrages socio-politiques sont capables de provoquer désorganisation voire régression de longue durée. D'où la stabilisation instaurée au niveau nucléaire du fait de la représentation psychologique du cataclysme atomique total, et l'élévation du seuil de déclenchement de la violence". (Jean-Paul CHARNAY)
 
   Car tout repose, stratégie classique ou stratégie nucléaire, sur le bénéfice possible de la guerre. Les capacités de destruction permettent la destruction de l'adversaire au delà et de très loin au sens clausewitzien, et justement trop au-delà. Il faut consacrer, même avec des activations limitées de l'arme nucléaire, des moyens considérables pour restaurer simplement les capacités socio-économiques non seulement dans le territoire de l'adversaire mais sur son propre territoire. Reste que dans l'esprit des stratégistes militaires, il faut toujours prévoir la percée technologique qui remet à sa place centrale la guerre dans sa validité politique. Dans la course de la l'épée et du bouclier, un avantage est toujours possible, même si l'on doit y consacrer des moyens humains et matériels de plus en plus considérables.

André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Hachette littérature, collection Pluriel, 1998. Lucien POIRIER, Des stratégies nucléaires, Editions Complexe, 1988. Jean-Paul CHARNAY, Essai général de stratégie, Editions Champ Libre, 1973.

                                                     STRATEGUS
 
Relu le 18 octobre 2018
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