26 septembre 2008
5
26
/09
/septembre
/2008
08:14
Le petit livre du général André BEAUFRE (1902-1975) aborde la stratégie de manière philosophique et universelle qui dépasse de loin les considérations proprement militaires.
En quatre chapitres denses et clairs, le général, jeune officier en 1935 et chef d'état-major adjoint du SHAPE en 1958, nous donne là, "le traité de stratégie le plus complet, le plus soigneusement formulé et mis à jour qui ait été publié au cours de cette génération", selon le capitaine LIDDEL HART qui le préface en 1963.
Successivement, l'auteur aborde une vue d'ensemble de la stratégie, la stratégie militaire classique, la stratégie nucléaire et la stratégie indirecte.
Dans son introduction, André BAUFRE indique son propos : "(...) la stratégie ne doit pas être une doctrine unique, mais une méthode de pensée permettant de classer et de hiérarchiser les événements, puis de choisir les procédés les plus efficaces. A chaque situation correspond une stratégie particulière ; toute stratégie peut être la meilleure dans l'un des conjonctures possibles et détestable dans d'autres conjonctures." Et plus loin, il précise que "la stratégie ne peut plus être l'apanage que des militaires. Je n'y vois pour ma part que des avantages, car lorsque la stratégie aura perdu son caractère ésotérique et spécialisé, elle pourra devenir ce que sont les autres disciplines et ce qu'elle aurait toujours dû être : un corps de connaissances cumulatives s'enrichissant à chaque génération au lieu d'une perpétuelle redécouverte au hasard des expériences traversées." "La guerre, autrefois jeu des rois, est devenue aujourd'hui une entreprise grosse de trop de dangers majeurs"
Ce que André BEAUFRE recherche, "c'est l'algèbre sous-jacente dans ce phénomène violent (qu'est la guerre) : l'irrationalité qui y joue un rôle considérable doit elle-même être considérée sous un angle rationnel."
Sa vue d'ensemble de la stratégie repose sur bien entendu sa propre expérience, dont il ne fait pas état dans ce livre, mais aussi sur l'étude des écrits de stratèges et de stratégistes des siècles précédents, CLAUSEWITZ, STALINE, Raymond ARON, LIDDEL HART...
André BAUFRE reprend d'ailleurs les définitions de la stratégie de CLAUSEWITZ et de LIDDEL HART en les étendant : la stratégie est l'art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique. Cet art, poursuit-il, traditionnellement subdivisé en stratégie, tactique et logistique, est plutôt l'art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre les conflits. Il soutient d'ailleurs cette définition générale et étendue en montrant son utilité dans ses développements sur le but et les moyens de la stratégie, l'élaboration du plan stratégique et les "modèles stratégiques".
- Le but de la stratégie est bien "d'atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entraînant une désintégration morale de l'adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu'on veut lui imposer".
- "L'art va consister à choisir parmi les moyens disponibles et à combiner leur action pour les faire concourir à un même résultat psychologique assez efficace pour produire l'effet moral décisif. Le choix des moyens va dépendre d'une confrontation entre les vulnérabilités de l'adversaire et nos possibilités."
- Dans l'élaboration du plan stratégique, il s'agit de choisir "des actions successives et des possibilités de parade (qui) doivent être aménagées dans un système visant à conserver le pouvoir de dérouler son plan malgré l'opposition adverse. Si le plan est bien fait, il ne devrait plus y avoir d'aléas. La manoeuvre stratégique, visant à conserver la liberté d'action doit être "contraléatoire". Naturellement, elle doit être envisagée clairement dans toute la suite d'événements menant jusqu'à la décision - ce qui, soit dit en passant, n'était pas le cas de notre côté, ni en 1870, ni en 1939, ni en Indochine, ni en Algérie."
- Ce plan stratégique s'ordonne suivant 5 modèles dont l'auteur examine les caractéristiques :
- A moyens insuffisants et à objectif modeste, la pression indirecte, "actions plus ou moins insidieuses de caractère politique, diplomatique ou économique", est très employée par l'Allemagne nazie et l'Union Soviétique. C'est une stratégie qui correspond aux cas où la liberté d'action est étroite.
- A moyens limités et à objectif important, la combinaison, par actions successives, de la menace directe et de la pression indirecte, utilisée par Hitler de 1935 à 1939, réussit tant que l'objectif parait aux adversaires limité, mais lorsque le "grignotage" s'avère mettre en jeu des intérêts vitaux, cette stratégie peut déboucher sur une grande guerre. C'est par ailleurs une stratégie souvent employée au XVIIIème siècle.
- A moyens insuffisants et à objectif important encore, on peut avoir recours à une stratégie de conflit de longue durée pour user et lasser l'adversaire. Souvent utilisée dans les guerres de libération ou de décolonisation, cette stratégie n'a de chance que si l'enjeu est très inégal entre les deux parties.
- A moyens importants et à objectifs multiples, "on cherchera la décision par la victoire militaire, dans un conflit violent et si possible court". "La destruction des forces adverses dans la bataille peut suffire, surtout si l'enjeu n'est pas trop vital pour l'adversaire. Sinon l'occupation de tout ou partie du territoire devra matérialiser la défaite aux yeux de l'opinion pour lui faire admettre les conditions imposées. Naturellement, la capitulation morale du vaincu pourra être grandement facilitée si l'on peut disposer de cinquièmes colonnes sympathisantes comme ce fut le cas pour les victoires de la Révolution Française et de NAPOLEON". C'est la stratégie dominante au XIXe et d'une partie du XXe siècles, qui abouti à de gigantesques conflits militaires.
Toujours dans sa vue d'ensemble de la stratégie, l'auteur, après avoir insisté sur ses subdivisions (suivant l'espace du conflit, air, terre, mer, stratégie totale, stratégie générale et stratégie opérationnelle, stratégie logistique et stratégie génétique) et indiqué différentes théories (CLAUSEWITZ, LIDDEL HART, MAO TSE TOUNG, LENINE et STALINE, américaine de stratégie nucléaire, MAHAN pour les mers, MACKINDER pour les terres, DOUHET pour les airs, FOCH pour l'économie des forces et la liberté d'action...), expose le concept central de la stratégie. Il en revient toujours aux caractéristiques relativement simples du duel à l'escrime : attaquer, surprendre, feindre, tromper, forcer, fatiguer, poursuivre, se garder, dégager, parer, reporter, esquiver, rompre et menacer. Toutes ces actions ont leurs correspondances en stratégie de dissuasion comme en stratégie classique, tableaux très pédagogiques à l'appui.
André BEAUFRE veut montrer que les modèles stratégiques définis plus haut s'ordonnent selon deux modes principaux : la stratégie directe et la stratégie indirecte.
Il s'élève contre ce qu'il considère comme un contre-sens (commis par FULLER, ROUGERON et TOYNBEE) d'expliquer l'évolution de la stratégie par l'évolution des techniques. Il indique l'exemple de la guerre d'Algérie : combattre une guérilla par les armes modernes conduit à la défaite. "Le rôle de la stratégie est de fixer aux techniques et aux tactiques le but vers lequel elles doivent tendre dans leurs inventions et leurs recherches."
André BAUFRE conclu cette première partie en insistant encore : "La stratégie n'est qu'un moyen. La définition des buts qu'elle doit chercher à atteindre est du domaine de la politique et relève essentiellement de la philosophie que l'on veut voir dominer. Le destin de l'homme dépend de la philosophie qu'il se choisira et de la stratégie par laquelle il cherchera à la faire prévaloir"...
Sa vue d'ensemble de la stratégie repose sur bien entendu sa propre expérience, dont il ne fait pas état dans ce livre, mais aussi sur l'étude des écrits de stratèges et de stratégistes des siècles précédents, CLAUSEWITZ, STALINE, Raymond ARON, LIDDEL HART...
André BAUFRE reprend d'ailleurs les définitions de la stratégie de CLAUSEWITZ et de LIDDEL HART en les étendant : la stratégie est l'art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique. Cet art, poursuit-il, traditionnellement subdivisé en stratégie, tactique et logistique, est plutôt l'art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre les conflits. Il soutient d'ailleurs cette définition générale et étendue en montrant son utilité dans ses développements sur le but et les moyens de la stratégie, l'élaboration du plan stratégique et les "modèles stratégiques".
- Le but de la stratégie est bien "d'atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entraînant une désintégration morale de l'adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu'on veut lui imposer".
- "L'art va consister à choisir parmi les moyens disponibles et à combiner leur action pour les faire concourir à un même résultat psychologique assez efficace pour produire l'effet moral décisif. Le choix des moyens va dépendre d'une confrontation entre les vulnérabilités de l'adversaire et nos possibilités."
- Dans l'élaboration du plan stratégique, il s'agit de choisir "des actions successives et des possibilités de parade (qui) doivent être aménagées dans un système visant à conserver le pouvoir de dérouler son plan malgré l'opposition adverse. Si le plan est bien fait, il ne devrait plus y avoir d'aléas. La manoeuvre stratégique, visant à conserver la liberté d'action doit être "contraléatoire". Naturellement, elle doit être envisagée clairement dans toute la suite d'événements menant jusqu'à la décision - ce qui, soit dit en passant, n'était pas le cas de notre côté, ni en 1870, ni en 1939, ni en Indochine, ni en Algérie."
- Ce plan stratégique s'ordonne suivant 5 modèles dont l'auteur examine les caractéristiques :
- A moyens insuffisants et à objectif modeste, la pression indirecte, "actions plus ou moins insidieuses de caractère politique, diplomatique ou économique", est très employée par l'Allemagne nazie et l'Union Soviétique. C'est une stratégie qui correspond aux cas où la liberté d'action est étroite.
- A moyens limités et à objectif important, la combinaison, par actions successives, de la menace directe et de la pression indirecte, utilisée par Hitler de 1935 à 1939, réussit tant que l'objectif parait aux adversaires limité, mais lorsque le "grignotage" s'avère mettre en jeu des intérêts vitaux, cette stratégie peut déboucher sur une grande guerre. C'est par ailleurs une stratégie souvent employée au XVIIIème siècle.
- A moyens insuffisants et à objectif important encore, on peut avoir recours à une stratégie de conflit de longue durée pour user et lasser l'adversaire. Souvent utilisée dans les guerres de libération ou de décolonisation, cette stratégie n'a de chance que si l'enjeu est très inégal entre les deux parties.
- A moyens importants et à objectifs multiples, "on cherchera la décision par la victoire militaire, dans un conflit violent et si possible court". "La destruction des forces adverses dans la bataille peut suffire, surtout si l'enjeu n'est pas trop vital pour l'adversaire. Sinon l'occupation de tout ou partie du territoire devra matérialiser la défaite aux yeux de l'opinion pour lui faire admettre les conditions imposées. Naturellement, la capitulation morale du vaincu pourra être grandement facilitée si l'on peut disposer de cinquièmes colonnes sympathisantes comme ce fut le cas pour les victoires de la Révolution Française et de NAPOLEON". C'est la stratégie dominante au XIXe et d'une partie du XXe siècles, qui abouti à de gigantesques conflits militaires.
Toujours dans sa vue d'ensemble de la stratégie, l'auteur, après avoir insisté sur ses subdivisions (suivant l'espace du conflit, air, terre, mer, stratégie totale, stratégie générale et stratégie opérationnelle, stratégie logistique et stratégie génétique) et indiqué différentes théories (CLAUSEWITZ, LIDDEL HART, MAO TSE TOUNG, LENINE et STALINE, américaine de stratégie nucléaire, MAHAN pour les mers, MACKINDER pour les terres, DOUHET pour les airs, FOCH pour l'économie des forces et la liberté d'action...), expose le concept central de la stratégie. Il en revient toujours aux caractéristiques relativement simples du duel à l'escrime : attaquer, surprendre, feindre, tromper, forcer, fatiguer, poursuivre, se garder, dégager, parer, reporter, esquiver, rompre et menacer. Toutes ces actions ont leurs correspondances en stratégie de dissuasion comme en stratégie classique, tableaux très pédagogiques à l'appui.
André BEAUFRE veut montrer que les modèles stratégiques définis plus haut s'ordonnent selon deux modes principaux : la stratégie directe et la stratégie indirecte.
Il s'élève contre ce qu'il considère comme un contre-sens (commis par FULLER, ROUGERON et TOYNBEE) d'expliquer l'évolution de la stratégie par l'évolution des techniques. Il indique l'exemple de la guerre d'Algérie : combattre une guérilla par les armes modernes conduit à la défaite. "Le rôle de la stratégie est de fixer aux techniques et aux tactiques le but vers lequel elles doivent tendre dans leurs inventions et leurs recherches."
André BAUFRE conclu cette première partie en insistant encore : "La stratégie n'est qu'un moyen. La définition des buts qu'elle doit chercher à atteindre est du domaine de la politique et relève essentiellement de la philosophie que l'on veut voir dominer. Le destin de l'homme dépend de la philosophie qu'il se choisira et de la stratégie par laquelle il cherchera à la faire prévaloir"...
Cette insistance trouve une partie de son explication par l'ampleur de l'appareil militaro-industriel, de construction d'engins de plus en plus sophistiqués où la technique semble vouloir imposer une façon de faire aux militaires. Plus tard, l'utilisation de tout l'arsenal militaro-technique de destruction sera mit en échec lors de la guerre du VietNam menée par les Américains contre des adversaires ayant choisi la stratégie indirecte pour l'emporter.
Dans le jeu stratégique, les deux modes direct et indirect peuvent se mêler en proportions variables, la lutte pour la liberté d'action étant toujours l'essence de la stratégie.
Que ce soit dans la stratégie militaire classique, la stratégie atomique (largement virtuelle heureusement) ou dans la stratégie indirecte, la part du hasard reste importante ; c'est pourquoi la stratégie reste un art et non une science.
Dans le jeu stratégique, les deux modes direct et indirect peuvent se mêler en proportions variables, la lutte pour la liberté d'action étant toujours l'essence de la stratégie.
Que ce soit dans la stratégie militaire classique, la stratégie atomique (largement virtuelle heureusement) ou dans la stratégie indirecte, la part du hasard reste importante ; c'est pourquoi la stratégie reste un art et non une science.
André BEAUFRE insiste souvent sur le fait que c'est à toute époque, même si on le redécouvre à chaque fois, que les révolutions techniques et les révolutions sociales ont joué un rôle majeur dans les guerres. Marqué par les expériences des guerres que la France a menée en Indochine et en Algérie, il exhorte à apprendre notamment la stratégie indirecte.
Général André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963, Une réédition aux éditions Hachette littératures, collection Pluriel, de 1998 en 192 pages, est introduite par un "avant-propos" de Thierry de MONTBRIAL, directeur de l'Institut Français des Relations Internationales. Préface du capitaine LIDDEL HART de 1963.
Cet ouvrage avait été publié (en 1998) dans le cadre de la série "Stratégie", animée par Gérard CHALIAND, directeur du Centre d'étude des conflits (Fondation des études de défense).
Général André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963, Une réédition aux éditions Hachette littératures, collection Pluriel, de 1998 en 192 pages, est introduite par un "avant-propos" de Thierry de MONTBRIAL, directeur de l'Institut Français des Relations Internationales. Préface du capitaine LIDDEL HART de 1963.
Cet ouvrage avait été publié (en 1998) dans le cadre de la série "Stratégie", animée par Gérard CHALIAND, directeur du Centre d'étude des conflits (Fondation des études de défense).