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25 mai 2008 7 25 /05 /mai /2008 16:53
   Revue de référence sur la sociologie, L'année sociologique, fondée en 1898 par Emile DURKHEIM, conçue comme une véritable machine de conquête de la discipline dans le paysage intellectuel français et même au-delà (des milliers de bibliographies notamment), publie encore aujourd'hui nombre d'auteurs confirmés ou en recherche.
   De nombreux ouvrages-clé (Que l'on pense à Essai sur le Don de MAUSS) ont d'abord été publié dans la revue sous forme de longs articles. La célébration de son centenaire a coïncidé avec de notables transformations, notamment le passage à une périodicité semestrielle. Selon leurs responsables, la revue est désormais mieux en prise sur les évolutions que connaît ce domaine du savoir, et a fait le choix de privilégier la publication de numéros thématiques en alternance avec des volumes de varia (entendre des articles sur des domaines variés). Plusieurs de ces récentes livraisons ont ainsi permis de faire le point sur les études qui se rapportent respectivement au "droit au féminin", à la "sociologie économique", à "l'abstraction en sociologie", et l'un de ses numéros, coordonné par Christian TOPALOV, a été consacré à "la ville comme catégorie de l'action". Elle a également l'ambition de ne pas s'arrêter aux frontières disciplinaires (ce qui, selon nous, serait un peu difficile à l'époque de l'indisciplinarité...), et donc de mettre en évidence les rapports que les sciences sociales entretiennent avec des sciences voisines, notamment politiques et juridiques. A ces orientations nouvelles s'ajoute un renouvellement du comité de rédaction qui, aujourd'hui ouvert à de jeunes enseignants, chercheurs, accueille également des sociologues étrangers de renommée internationale.
    Dans le comité d'honneur actuel figure Raymond BOUDON, ce qui au premier abord ne laisse pas d'étonner dans la revue de l'école française de sociologie, quand on connaît les positions de celui-ci sur celle-là... Mais, précisément, L'année sociologique, de par la diversité des courants qui l'animent et qui s'y expriment, constitue un bon point d'observation sur l'évolution de cette discipline. Le président du comité de rédaction actuel est Bernard VALADE.

         La revue parait maintenant donc deux fois par an et privilégie des approches (un numéro sur deux) par thèmes. Ceux-ci sont très variés et ne concernent évidemment  pas que le conflit. Toutefois, comme nous le savons, chaque domaine en sociologie porte une conflictualité... Précisément, notons que L'année sociologique aborde dans son numéro 2/2011, les "Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institution militaire", avec notamment des contributions, entre autres d'Eric LETONTURIER, Laure BARDIÈS, Sébastien JALUBOWSKI, Bernard BOÊNE et de Nina LEONHARD.
  Ajoutons que tous les numéros, depuis 2001, sont disponibles en ligne en texte intégral sur le portail CAIRN (il suffit de se laisser guider dans le site) sur abonnement. Comme les articles sont en accès libre 5 ans après leur parution, je vous conseille pour vous édifier sur l'intérêt "en veille", pour cette revue, d'y jeter un coup d'oeil de temps en temps... Les autres, antérieurs à 2000 sont disponibles notamment sur JStor.org. Nous regrettons que l'accès n'y est pas immédiat et que seuls les premiers numéros de la revue (jusqu'à 1910 environ) soient disponibles à partir du site Gallica.
     
      Philippe BESNARD, dans sa communication sur Les durhkeimiens s'attarde sur la naissance et le fonctionnement de L'année sociologique. Cette revue "fut non seulement l'organe du groupe durkheimien mais l'instrument même de sa constitution. Les douze volumes de sa première série (1898-1913), publiés du vivant de Durkheim, sont autant de pierres fondatrices de ce qui fut vite appelé "l'école française de sociologie".
"L'idée de créer cette revue naquit au printemps de 1896 lors d'entretiens entre Durkheim et Bouglé, jeune agrégé de philosophie qui venait de faire paraitre un livre sur Les Sciences sociales en Allemagne et cherchait à se spécialiser dans cette discipline nouvelle. Le projet ne prit vraiment corps qu'au début de 1897 et le premier volume fut publié un an plus tard. Il faut dire que la formule des Années, revue présentant annuellement les principales productions d'un savoir, était alors très en vogue. L'Année psychologique (1895), notamment, dirigée par Binet et publiée par son laboratoire de psychologie physiologique a pu servir de modèle à L'Année sociologique.
Cependant, en 1895 encore, Durkheim soutenait que la littérature véritablement sociologique n'était pas assez abondante pour alimenter une revue périodique : il visait, il est vrai, la Revue internationale de sociologie, créée dès 1863 par René Worms, et jugeait que cette entreprise était prématurée. En fait, cette déclaration n'était pas contradictoire avec le projet de L'Année sociologique. L'originalité de cette dernière venait précisément de la manière dont elle résolvait ce paradoxe : comment vouloir rendre compte de la production d'une discipline qui reste complètement à constituer? L'objectif, d'ailleurs déclaré, de L'Année sociologique était différent. Il s'agissait de présenter et d'analyser les recherches qui se faisaient dans les "sciences spéciales" - histoire et ethnographie des religions, histoire du droit, criminologie, statistique morale, science économique, linguistique, archéologie, géographie humaine, etc. - et de voir si l'on pouvait en extraire des matériaux utilisables par la sociologie. Seule la première section, institutlée "Sociologie générale" avait vocation de rendre compte de la littérature proprement sociologique, c'est-à-dire qui se donnait pour telle et, pour cette raison même, elle était considérée comme la moins utile.
L'Année sociologique avait donc un caractère unique parmi les revues du même genre. Alors qu'elle contribuait à créeer une science, à définir son domaine, elle pouvait donner l'illusion d'une science déjà constituée ayant son organisation interne et ses disciplines auxiliaires. On comprend dans cette perspective l'importance accordée au plan de classification qui ordonnait les comptes rendus. Les divisions et subdivisions thématiques permettaient de définir les diverses régions du territoire de la sociologie et de légitimer sa prétention de légiférer sur tous les aspects de la vie de l'homme en société. En outre, le caractère critique des analyses permettait aux durkheimiens de faire valoir leur point de vue sur toutes sortes de sujets qu'ils avaient à peine commencé d'explorer, et d'annexer des savoirs produits par d'autres disciplines.
Cet intérêt "stratégique" de L'Année pour la constitution de la nouvelle science peut, seul, expliquer la durée d'une entreprise qui nécessita un travail collectif considérable. Les douze volumes de la première série analysèrent 4 800 livres ou articles et en signalèrent (sans commentaire) 4 200 autres. Et ces analyses critiques étaient souvent fort développées puisque 1 767 d'entre elles dépassaient une page de revue (certaines allant jusqu'à 10 voire 20 pages). L'Année sociologique était donc bien essentiellement une revue de bibliographie critique, même si elle présentait aussi, au moins dans ses dix premiers volumes, des "mémoires originaux", articles souvent substantiels. Notons que ces mémoires provenaient des membres de l'équipe, sauf au début où Durkheim fit appel à des auteurs étrangers et prestigieux (Simmel, Steinmetz, Ratzel). Après 1907, l'entreprise s'essouffla un peu, chacun voulant consacrer plus de temps à ses travaux personnels, et aussi parce que l'entreprise fondatrice et légitimatrice avait moins de raison d'être. L'Année sociologique, réduite aux analyses, parut tous les trois ans (1910 et 1913), tandis qu'était créée parallèlement la collection des Travaux de l'Année sociologique.
La participation à cette entreprise collective est le meilleur critère pour cerner la population des durkheimiens. (...) La réussite de l'entreprise n'est pas sans rapport avec plusieurs facteurs d'intégration et de solidarité de l'équipe. Son recrutement était assez homogène quant à la formation universitaire. Plus de la moitié des 43 collaborateurs étaient agrégés de philosophie (22) et/ou anciens élèves de l'Ecole normale supérieure (24). (...) En dépit des liens d'amitié, de collaboration ou même de parenté qui unissaient certains de ses membres, l'équipe dans son ensemble n'était pas un groupe d'interconnaissance. Les relations n'étaient étroites qu'à l'intérieur de certaines fractions du groupe. C'est à Durkheim que revenait la tâche de centraliser les communications. Le tandem formé par Mauss et Hubert, très proche de lui, guidait les activités de la plupart des jeunes collaborateurs et Fauconnet gravitait autour de ce noyau central. Mais deux sous-groupes oeuvraient dans un relatif isolement : celui que formaient Bouglé, Lapie et Parodi, soucieux de faire la part du psychologique dans l'explication des faits sociaux, et celui qui réunissait, autour de Simiand, Halbwachs et les frères Bourgin. (...). Parallèlement à ces fractions, on peut discerner une stratification au sein du groupe. Quand les décisions qui touchent au sort de la revue sont à prendre, Durkheim ne manque pas de consulter une sorte d'état-major composé de Bouglé, Fauconnet, Hubert, Mauss et Simiand. (...) La défection de Richard, qui allait devenir un des adversaires déclarés du durkheimisme, fut la seule notable qu'eut à subir l'équipe du vivant de Durkheim. C'est là un trait qui mérite d'être souligné : en dépit de divergences doctrinales initiales, de l'existence de certaines fractions, du travail colossal qu'impliquait la collaboration à L'Année, l'équipe apparut comme de plus en plus homogène et ne connut aucune rupture fracassante. En cela aussi, L'Année sociologique a été une incontestable réussite."
 
       L'Année sociologique, conçue comme une sorte de machine de guerre à destinée à annexer des territoires était divisée en classes thématique : sociologie des religions, sociologie du droit, secteurs les plus étudiés, en sociologie économique, morphologie sociale (catégorie attrape-tout, surtout composée d'anthropologie et d'ethnologie). Elle ne traitait que fort peu de sociologie politique ou de sociologie de l'éducation.
Philippe BESNARD, article Les durkheimiens, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

   L'année sociologique, Université Paris Sorbonne, Maison de la recherche, Institut des Sciences Humaines Appliquées (ISHA), UFR de philosophie et de sociologie, 28, rue Serpente, 75005 PARIS (rédaction).
   Site : www.PUF.com
Actualisé le 10 mars 2010
Complété le 19 décembre 2013.
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